neuf
Aujourd'hui, samedi, cela fait une semaine que le camp à commencé. Nous avons décidé d'un commun accord que tous les samedis, nous irions faire une randonnée pendant une journée.
Avec les enfants, ce ne sera pas grand chose, de plus nous devons aussi faire les courses. Mais Matthew est optimiste et pense que "nous aurons largement assez de temps".
Je m'occupe des filles avant d'aller manger le petit-déjeuner et je leur donne quelques conseils sur quoi emmener. Crème solaire, casquette, lunettes de soleil, bouteille d'eau, appareil photo.
Beaucoup de choses se retrouvent dans leur sac et je me sens un peu coupable de constater qu'elle vont devoir le porter toute la journée.
Nous allons ensuite manger et je retrouve mes acolytes.
- On est motivés aujourd'hui ? Demande Matthew.
Adrien et Baptiste répondent par un vague oui.
- Super ! Je reponds avec enthousiasme. Mais où est-ce qu'on va exactement ?
Matthew me fait un clin d'oeil.
- C'est une surprise, mais ça va tous vous plaire je pense.
Il sourit légèrement avant de porter sa tasser de café à sa bouche. Adrien enfourche une cuillère de riz soufflés. Ses yeux sont un peu rouges et presque encore endormis. Peut-être ne s'est il pas suffisamment reposé. Ou peut-être qu'il se passe autre chose. Baptiste est lui aussi un peu maussade, mais je mets ça sous la faute du matin. Je ne pense pas que ces deux là soient véritablement motivés pour marcher jusqu'à ce soir, d'autant plus que Baptiste devra m'accompagner pour aller faire des courses après.
Nous finissons de manger et nous retournons dans notre bâtiment pour finir de préparer nos affaires.
- On va se promener où ? Demande Anaïs.
J'hausse les épaules et je chuchote à son oreille :
- C'est une surprise !
Elle ouvre sa bouche en "o" puis regarde autour de nous pour assurer que personne ne nous a entendu. Elle me fait vraiment rire.
Quand tout est près, nous rejoignons le bus, et nous voilà partis.
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Le paysage que je vois à travers la vitre suffit à m'impressionner. Je ne pense pas à grand chose d'autre que ça. Le vert. Lisant presque dans mes pensées, Adrien se retourne dans son siège pour me regarder.
- Il y en a sacrément beaucoup des nuances de vert par là.
Je hoche la tête sans vraiment le regarder.
- C'est beau, déclaré-je.
Il sourit puis se retourne pour regarder devant lui.
Le trajet dure environ trente minutes. Là où le bus s'est arrêté, on ne voit rien. Nous sommes simplement à flanc de montagne. Au loin on distingue le haut d'une autre, blanchie par la neige. On constate un chemin assez large sur le bord de la route. Matthew prend alors la parole :
- Alors, les enfants ! On va vous distribuer vos piques-niques, et après on commencera à marcher. J'espère que vous avez tous bien dormi !
Il continue de donner des instructions, puis nous distribuons les repas avant de partir. Pour surveiller les enfants, je me place derrière, avec Adrien, alors que Baptiste est au milieu et que Matthew ouvre la marche. Je réalise après avoir marché dix minutes dans le silence que la journée va se passer comme ça. Adrien ne pipe mot et semble plutôt contente. Il observe tout ce qu'il y a autour de lui et fait attention au moindre bruit. Je remarque alors que sous cet angle, Adrien paraît plus jeune. C'est surement parce que son visage n'est pas aussi grave que d'habitude. La fascination qu'il éprouve en regardant les enfants le rend juvénile. Je me rapproche de lui :
- Tu veux être quoi comme médecin ? Demandé-je.
Ma voix le surprend car il tourne brusquement la tête pour me regarder. Son expression grave revient. Et un instant, j'ai l'impression que je l'ai énervé.
- À ton avis ?
Je hausse les épaules.
- Pédiatre ?
Il sourit et tire dans un caillou. J'ai soudain le sentiment que je le regarde trop, alors je fixe mes yeux sur les enfants.
- En vrai je ne sais pas, je vais voir où ça va me mener, répond-il.
Il soupire puis tourne la tête.
- Et toi ? Qu'est-ce que tu veux faire ? Demande-t-il.
Je hausse encore une fois les épaules.
- Je ne sais pas du tout ...
- Il n'y a pas un domaine dans lequel tu aimerais travailler ?
Je secoue la tête. Moi qui trouvais le silence pesant tout à l'heure, on dirait que je fais tout pour qu'il revienne.
- J'aime bien la littérature, alors je pensais faire une fac de lettre. Mais je ne sais pas si c'est ce dont j'ai envie ...
- Je comprends, dit-il.
Puis le silence revient. Je ne sais pas ce qu'il a, mais j'ai le sentiment qu'il n'est pas dans son état normal comme je l'avais déjà remarqué au petit-déjeuner. Alors je me risque à lui demander :
- Tu vas bien ?
Il me regarde, fronce les sourcils puis rigole ouvertement. Vexée, je le fusille du regard.
- Depuis quand tu t'intéresses à mon état ? Demande-t-il.
- Depuis que tu t'intéresses au miens ! Rétorqué-je.
Il se tait quelques secondes, et comme si je l'avais convaincu il répond :
- Oui je vais bien.
Le silence nous englobe à nouveau. Pour chasser le désagréable sentiment qu'il m'a donné, je regarde les enfants. Après une semaine de colo, les filles et les gars se mélangent un tout petit peu. Mais on observe toujours deux groupes distincts.
Pour l'instant caché pas les feuillages des arbres, le paysage ne se voit pas beaucoup. Nous sentons en revanche toutes les odeurs caractéristiques de la nature, et notamment des sapins. Cette randonnée est aussi faites pour éduquer les enfants à la préservation de la faune et de la flore. Certains chanceux ont aperçu un renard, d'autre un cerf. Les enfants sont enjoués, et leurs sourires sont plein d'admiration.
Finalement, nous arrivons sur un magnifique point de vue ; c'est ici que nous allons manger. On voit le sommet des montagnes enneigées et la vallée verdoyante en contrebas. Nous avons l'impression d'être seuls au monde, perdus en pleine nature. Mais cela n'a rien de négatif. Nous restons tous silencieux pendant plusieurs minutes, à essayer de capturer avec nos yeux les moindres détails que nous présentent la nature. Et puis doucement, de petits groupes se forment et nous commençons à manger. Je retrouve par défaut Adrien et Baptiste. Matthew mange avec les enfants. Ils sont un peu surpris en me voyant arriver, mais Baptiste tapote l'herbe à côté de lui pour me faire signe de m'asseoir.
- C'est dur d'être la seule fille hein ? Demande-t-il.
- Ça va, je m'y fais. Si seulement les gars étaient sympas.
Il prend faussement l'air outré. Adrien me scrute alors je soutiens son regard. Je me dis que nous n'arriverons surement jamais à vraiment nous apprécier. Après tout, il y a vraiment des gens avec qui le contact ne passe pas. C'es physique, point. Ce qui m'énerve c'est son entêtement à me parler.
Le repas se passe calmement, nous échangeons quelques bribes sans nous épancher. Puis Baptiste rejoint ses "petits mecs" me laissant avec Adrien. Je décide donc d'aller rejoindre mes petites, mais à peine ai-je le temps de me lever qu'il m'interrompt.
- Je ne suis pas de bonne compagnie ?
Je le regarde avec les gros yeux sans faire exprès.
- Oula, tu devrais te calmer. C'est pas bon d'être énervé avec des enfants.
Je soupire en me rasseyant correctement et je décide de répondre à sa question :
- Non, tu n'es pas vraiment de bonne compagnie.
Nous nous toisons, lui le regard amusé, et moi avec un air de défi.
- Je te comprends pas. Autant des fois t'es vraiment un con, autant parfois j'arrive à te supporter. Je suis pas là pour subir tes changements d'humeurs incessants. Donc non, tu n'es pas vraiment de bonne compagnie.
Il hausse les sourcils en souriant de manière plus malicieuse encore.
- Ça a le mérite d'être clair.
Je lui fait un grand sourire faux en lui disant "de rien".
- Oh mais je ne t'ai pas remercié.
Cette fois-ci, je me lève sans hésitation et je m'en vais rejoindre mon petit groupe de filles. À quoi bon faire semblant maintenant. Il ne m'aime pas et c'est réciproque. Je repense à la première fois que je l'ai vu. Il sentait bon et il faisait que de sourire. Finalement, il est carrément bon pour jouer la comédie.
Après deux heures de pause, nous reprenons la route. Je suis toujours derrière, flanquée d'Adrien. Je sens son regard amusé sur moi quelques fois, et d'autres fois, c'est moi qui le regarde discrètement. Et au bout d'un certain temps, je ne fais plus attention à lui. Je plonge dans mes pensées et il n'y a pas grand chose d'autre que j'entends. Je devrais être attentive et faire attention aux enfants, mais mes pensées ont pris le dessus.
C'est la première fois depuis des jours que je repense à Mamie de façon prolongée. Depuis qu'elle n'est pas là, j'ai l'horrible sensation que je suis seule. Elle a toujours été mon pilier et la personne sur qui je me reposais quand les choses allaient mal. En ce moment, j'ai besoin d'aide. J'ai besoin de me confier à quelqu'un d'autre qu'à Thomas. Mamie savait toujours comment me faire changer les idées ou me conseiller.
Sans que je ne l'ai appréhendé, les larmes me montent aux yeux et je surprend le regard inquiet d'Adrien. Mes yeux sont humides, alors je les frotte avec la paume de ma main et je revêts une expression impassible. Cette fois-ci, je recentre mon attention sur les enfants.
Le chemin que nous prenons pour retrouver le bus me semble plus court, mais cela n'est pas de l'avis de tout le monde. les enfants commencent à traîner des pieds, et ils sont tous fatigués. Mais lorsque le bus est en vue, ils se mettent tous à courir. Je devine que c'est Baptise qui a lancé la course car je l'entends crier. Cela m'arrache un rire qui n'échappe pas à Adrien. Je l'ignore et monte dans le bus pour m'installer à côté d'Anaïs qui me réclame.
Après plusieurs minutes de voyage, l'excitation des enfants est passée à une profonde fatigue et ils semblent tous plus ou moins dormir.
En arrivant, Matthew décrète un moment calme, alors chacun fait ce qu'il veut du moment que c'est à l'intérieur du bâtiment. Je décide de rester dans la salle commune pour faire du coloriage avec les garçons. La façon spontanée avec laquelle ils parlent m'amuse. Leur perspicacité aussi ne m'échappe pas ; j'aime la façon dont ils font des liens entre les choses.
- Si les pompiers ont des camions rouges, c'est parce que vu de tout près, le soleil est rouge. Et sur le soleil, il y a du feu.
- Moi je pense que si on pouvait respirer sous l'eau, on aurait déjà fait des villes dans l'océan.
J'essaie cependant de ne pas rire devant eux, la plupart du temps je joues le jeu en approuvant ce qu'ils disent et en enrichissant le débat en ajoutant des petits détails.
- Ouais mais si les pompiers ont des camions de la même couleur que le soleil et qu'il y a du feu sur le soleil, ça veut dire qu'ils emmènent aussi le feu ?
- Tu penses qu'on pourrait avoir un requin comme animal de compagnie alors ?
Ce qui est drôle, c'est qu'ils ont réponses à tout.
- Mais non ils amènent pas le feu ! Les camions ça prévient juste les personnes qu'il y a du feu. Si c'est les pompiers qui mettaient le feu, je le saurais !
- Non parce qu'il y aurait une grande barrière pour protéger la ville des méchants animaux.
Je pars ensuite rapidement faire des courses avec Baptiste. Il est plus bavard qu'Adrien, même s'il parle avec retenue.
Quand il est l'heure du repas, je me suis donc bien changée l'esprit et j'arrive à survivre jusqu'au moment où les filles sont couchées. Je prends alors mon portable et je file au plan d'eau.
Sur le ponton il n'y a personne, et le calme alentour apaise mes oreilles. C'est en m'asseyant au bord de l'eau que je me rends compte que la journée fut très longue. Avant de composer le numéro de Thomas, je m'allonge pour regarder le ciel. La Lune est un croissant très fin qui diffuse peu de lumière. Je ferme les yeux pour umer l'odeur des sapins. La fraîcheur du soir me détend.
J'ai alors suffisament de courage pour appeler Thomas. Je redoute cet appel depuis que nous nous sommes parlés la dernière fois.
- Allô.
- Allô, c'est Julie !
- Ouais je sais ...
Sa voix est maussade, mais je sens qu'en disant cette dernière phrase, il sourit.
- Tu vas bien ?
Silence.
- Je sais pas trop, je crois que je suis fatigué. J'ai eu une longue journée, j'ai juste envie de dormir.
Je sais ce que ça signifie, mais j'ignore ce sous entendu.
- Tu fais quoi chez ta grand mère ?
- En ce moment, je retape son toit. Alors je suis en plein soleil toute la journée ...
Je suis un peu choquée par ce qu'il dit.
- Tu "retapes" son toit ?! Elle en a vraiment besoin ?
Il ne répond pas, mais je l'entend soupirer.
- Tu es sûr que tu vas bien ?
À peine ai-je terminé qu'il me coupe :
- Écoutes Julie, si tu es partie dans un coin paumé pour t'occuper d'enfants, c'était pour te retrouver seule et réfléchir. Je fais la même chose chez ma grand mère sauf que moi, j'ai vraiment besoin de m'isoler !
Il débite tout ça presque en chuchotant ce qui me prouve qu'il me l'aurait presque crié si j'étais face à lui.
Je ne réponds pas, je n'ai rien à répondre. Il me rejette et je n'y peux rien. Je garde mon portable collé à mon oreille jusqu'à ce que je réalise que j'entends le "bip" m'annonçant qu'il a raccroché.
Pourquoi ? Cette ultime étape me prouve qu'il est profondément mal. Je sais que le rejet de ses proches et un indice capital. Je l'ai moi-même rejeté quand Mamie est morte.
Et il m'avait écouté. Il m'avait laissé tranquille. Alors je ne peux pas m'empêcher de faire pour lui ce qu'il a fait pour moi.
Je me lève brusquement et je jette violemment mon portable dans l'eau noir du lac. Il émet un "plouf" risible quand il atteint la surface de l'eau. Puis le calme revient.
Soudain consciente de ce que je viens de faire, je rigole. Je suis ridicule. Et puis mon rire se mue en sanglots. La frustration et la colère s'emparent de moi et me contrôlent.
Pourquoi est-ce que j'ai fait ça ?! Pourquoi est-ce que Thomas fait ça ? C'est le seul qui tient encore mon état mental debout, et il décide de me rejeter !
Je me rends soudain compte de mon égoïsme. Je ne désire que l'attention de tout le monde sans me soucier d'eux. J'ai épuisé tout le monde, mes parents, mon frère, ma Mamie, Thomas. Il ne reste plus que moi seule.
Mon égoïsme m'empoisonne, c'est lui qui depuis le début dicte mes actes. C'est à cause de lui que je suis ici, seule sans amis et sans sortie de secours.
Je crie désormais, je me fais mal à la gorge, je veux sortir ce poison de mon être. Je veux m'arracher les cheveux, la peaux, les yeux.
Dans une veine tentative de me purifier, je saute alors dans l'eau du lac.
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