huit

Sur le chemin du retour, Adrien est avec moi. Nous marchons côte à côte, en silence. Le seul bruit des quelques feuilles mortes qui crissent sous nos pieds se fait entendre. Les cigales dorment. Les oiseaux se sont tus.
Cela pourrait être terrifiant si la Lune ne diffusait pas cette lumière et si je n'étais pas accompagnée.
Des frissons me prennent quand une brise fouette mes bras découverts.

- Tu as froid ? Demande Adrien.

J'essaie de distinguer ses yeux à travers l'obscurité.

- Non ça va, dis-je en serrant les poings.

Je l'entends ricaner puis reprendre son sérieux.
Nous passons par la barrière et nous nous faufilons jusqu'aux dortoirs le plus discrètement possible.

- À demain Lucifer, me lance-t-il lorsque nous nous séparons.

- À demain Riz Soufflé.

Je lui fais un signe de la main puis je me retourne. En arrivant dans ma chambre, exténuée par cette journée, je m'affale sur mon lit sans prendre la peine d'enlever mes chaussures. Heureusement que je prends ma douche avant le dîner.

¤¤¤¤¤

Quand mon réveil sonne, j'ai d'abord l'impression que c'est dans mon rêve. Mais les secondes passent et tout à coup, je sursaute brutalement, réalisant que je dois bel et bien me lever.

Je fais une moue contrariée et je coupe le son désagréable. Je prends malgré tout le temps de m'étirer avant de me lever pour me préparer. Puis je vais réveiller mes princesses.
Je pense que c'était une mauvaise idée de me coucher aussi tard hier, même si je ne le regrette qu'à moitié.
La journée se passe ccomme hier, les enfants sont joueurs et heureux, et je pense que c'est la meilleure récompense.

Le soir arrive rapidement entraînant avec lui la fatigue de la journée. Je sais que je n'ai pas un emploi du temps surchargé, mais surveiller des enfants est assez stressant, d'autant plus qu'ils sont sous notre responsabilité.

Ce soir, le temps est couvert et presque même un peu frais. Je suis vêtue d'un gilet alors que je n'en avais pas besoin les autres soirs. Après dîner, alors que nous nous disions tous bonne nuit, Adrien m'a simplement glissé à l'oreille "À tout à l'heure" ce que je trouve tout à fait explicite. Je m'apprête donc à le voir débarquer d'un instant à l'autre. Mais pour l'instant, pas d'Adrien en vu. J'hésite donc à appeler Thomas.
Je sais qu'il est censé m'appeler Samedi, mais pour être honnête, sa voix me manque déjà. J'espère quand même que s'il se passe quelque chose, il me préviendra. Mais je veux juste me rassurer ...

Je sors mon téléphone de ma poche et m'apprête à composer le numéro de Thomas quand j'entends des pas. Puis la voix d'Adrien s'élève dans le jour déclinant.

- Tu ne téléphone pas à ton amoureux Thomas ce soir ?

C'est un peu comme s'il m'avait poignardé.
Je lui jette un regard mauvais mais il n'en tient pas compte.
Je commence à avoir l'habitude d'être avec lui, mais il ne devrait pas trop me chercher.

- Tu as le don pour apparaître quand il ne faut pas, rétorqué-je.

Il prend une inspiration et fait la moue.

- C'est juste une mauvaise habitude.

Je lève les yeux au ciel.

- Et toi, tu n'appelles pas ton amoureuse Melissa ? Je demande innocemment.

- Non.

Sujet sensible à priori.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Pas grand chose justement.

"Ah" est la seule chose qui sort de ma bouche.
Après quelques secondes de silence, je m'allonge sur le ponton comme je le fais habituellement et je regarde l'écran noir de mon téléphone. Je sens une envie soudaine de me confier, mais si je commence, il sera difficile de m'arrêter.

- Thomas n'est pas mon petit-copain, c'est mon meilleur ami, dis-je doucement.

- J'avais compris, rétorque sèchement Adrien.

Je me redresse, un peu sous le choc du ton qu'il a employé. Lui qui me reproche d'être trop secrète.

- Ah oui donc tu es comme ça toi ? Dans le genre lunatique, presque bipolaire d'ailleurs, qui arrive toujours au mauvais moment et qui a un don pour foutre l'ambiance en l'air ?

- Calme-toi, je voulais juste paraître moins con.

- Raté.

- C'est ce que j'ai cru comprendre.

Un autre silence ponctue ce semblant de dialogue. Adrien me met mal à l'aise et cette en sensation ne veut jamais me quitter quand il est près de moi. J'ai l'impression que je dois peser chaque mot qui va sortir de ma bouche et je déteste ça car je suis plutôt spontanée.
Je veux vraiment lui demander ce qu'il me trouve mais je ne trouve pas les mots. "Pourquoi tu es là ?" est trop agressif. "Qu'est-ce qui t'intrigue chez moi ?" fait trop séductrice. Et après tout, je lui ai déjà posé la question.

Le silence continue. Je n'aime pas vraiment ça. Avec Thomas, le silence à presque une connotation divine, mais avec Adrien, c'est juste gênant.
Et puis je repense à la façon dont on doit socialiser, et j'arrive finalement à sortir quelque chose de ma bouche :

- C'est quoi ta couleur préférée ?

Adrien sursaute presque à l'entente de ma voix et se retourne pour capturer mes yeux. Enfin il éclate de rire et je tourne la tête un peu honteuse.

- C'est quoi cette question ? Se moque-t-il.

J'époussette mon jean pour me donner un peu de contenance.

- Je me disais juste que ce serait une bonne idée de se poser des questions plus banales avant d'attaquer directement dans les choses personnelles.

Il se calme un peu.

- Le jaune, dit-il alors. La couleur du soleil.

J'hoche la tête en souriant.

- Et toi ? Demande-t-il.

- Le vert, dis-je en observant les arbres foncés. Mais pas le vert fluo ou le vert prairie. Le vert sapin, le vert mystérieux de la forêt et de l'aventure.

Je tourne la tête pour le regarder, il a un sourire scotché au visage.

- Il pouvait y avoir qu'une littéraire pour disserter sur une couleur.

Je le frappe doucement sur l'épaule.

- Je pense juste que les nuances sont importantes ...

Je détourne le visage pour observer la surface ondulée de l'eau. Cette endroit est vraiment merveilleux. Le ciel, à cause du couché de soleil, forme un dégradé violet qui se reflète dans l'eau du lac. Au loin, derrière les arbres, les montagnes s'élèvent timidement. Toute la végétation semble au repos alors que les animaux ne sont pas encore couchés. Quelques oiseaux solitaires survolent le lac en laissant derrière eux le sillage de leurs cris.

- Tu n'as pas tord ... C'est vrai que rien n'est tout blanc ou tout noir. Le gris est souvent présent.

Il laisse planer quelques secondes de silence puis reprend :

- Alors comme ça tu es dans le genre aventurière ?

Il sourit un peu comme s'il se moquait de moi. J'hausse simplement les épaules

- J'aime bien le mystère, parce qu'il nous pousse à l'éclaircir. En revanche, de la à dire que je suis une aventurière, il y a une marge !

Je le regarde en souriant pour terminer mon discours et nous tournons tous les deux la tête quand nos rehards se croisent pour observer devant nous.

- Et quelle est ta nourriture préférée ? Demande Adrien.

J'ouvre de grands yeux en prenant une profonde inspiration.

- C'est une question difficile ...

- Je peux en poser une autre si tu veux.

Il sourit malicieusement, comme s'il avait en réserve une tonne de questions plus ou moins tordues à me poser.

- Non, je vais trouver. Laisses moi juste le temps ...

- Je te laisse chercher, mais j'ai déjà ma réponse. La tartiflette ! Avoue-t-il triomphant.

Je pouffe de rire, mais je rétorque presque aussitôt :

- Personnellement, ce sera la raclette.

Il plisse les yeux sérieusement comme s'il avait affaire à un dilemme intérieur.

- Pas mal, je valide.

Je lève les yeux au ciel.

- Je n'ai pas besoin de ta validation.

Il ne répond rien, mais garde ses yeux plissés.

- Je crois que finalement, ma couleur préférée est le vert sapin aussi.

Je glousse, trouvant son changement d'avis soudain et quelque peu étrange.

- Et pourquoi avoir changé d'avis ? Demandé-je.

- Je ne sais pas, j'aime juste la signification que tu lui as apporté.

Je prends une grande inspiration avant d'expirer doucement.

- Tu aimes les choses qui ont du sens alors ?

Il hoche la tête.

- Ça veut dire que tu ne peux pas aimer quelque chose simplement pour ce qu'elle est ? Tu es obligée d'aimer le sens qui va avec ?

Il réfléchit avant de répondre :

- Ouais, plus ou moins. Ça me fait ça avec les musiques principalement. Si j'en écoute une et qu'elle me plaît, je vais voir ses paroles et ce qu'elles signifient. Si les paroles me plaisent, j'aime la musique d'autant plus. En revanche, si les paroles ne me plaisent pas, je délaisse la musique.

Son explication semble toute trouvée, mais elle a du sens, et Adrien m'ouvre une nouvelle perspective.

- Je ne voyais pas les choses comme ça, avoué-je.

Il ricane et hausse de nouveau les épaules.

- C'est pas grand chose tu sais.

Je souris, mais au fond de moi, je sais qu'il a raison.
Il regarde la forme et si elle lui plaît, il analyse le fond. Dans tous les cas, c'est le fond qui l'emporte. L'apparence n'est pas ce qui l'intéresse, mais ce qui se cache derrière.
Et je suis convaincue qu'il fait ça avec tout ce qu'il découvre, y compris les gens.
Je tourne la tête pour regarder son visage penseur et impassible.

- Tu ferais un bon médecin.

Ces paroles ont peut-être dépassées ma pensée. Ai-je vraiment dis ça ?

- Enfin, c'est pas exactement ce que je voulais dire ...

- Non mais j'ai compris, me coupe-t-il. Tu m'aimes bien finalement.

Il ponctue sa phrase par un sourire malicieux, quoi qu'un peu diabolique, qui me fait lever les yeux au ciel.

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