dix-neuf

Le soir venu, j'hésite longuement à me lever et à aller frapper à la porte d'Adrien. Je ne sais même pas ce que je pourrais lui dire, mais juste entendre sa voix et le voir de plus près me suffirait.
Pendant un moment, je regrette de ne pas avoir succombé et de l'avoir balancé dans le lac. Mais Je secoue la tête pour faire disparaître cette pensée. Je n'aime pas les regrets, et j'essaie d'en avoir un minimum. Je ne veux pas que celui-ci arrive sur ma liste.

Finalement je prends mon courage à deux mains et je sors de ma chambre. Mes pas son discrets et furtifs. Une fois devant sa chambre je ne sais pas quoi faire. J'envisage de faire demi-tour, mais je reprends un peu de courage, alors je frappe trois coups sur sa porte. J'entends quelques pas.

- Oui ? Demande Adrien.

- C'est moi, dis-je. C'est Julie ...

Nous sommes tous les deux sous le choc.

- J'arrive, dit-il.

- Non !

Ma voix s'est échappée d'elle-même, et elle était beaucoup trop forte. Tout le couloir m'a probablement entendu. Je regarde autour de moi pour vérifier que je suis encore seule.

- Je préfère restée dehors, j'ajoute plus bas.

- D'accord ...

Je m'assois près de la porte puis le silence nous englobe tous les deux. La gêne qui s'est créée ne va pas s'en aller de sitôt.

- Tu vas bien ? Demande Adrien.

Je suis touchée par sa question, je ne m'attendais pas à ce que ce soit lui qui engage la conversation. En quelque sorte, je me sentais redevable.

- Ça va, et toi ? Je demande à mon tour. Tu vas bien ?

- Oui, je vais bien ...

- Tant mieux.

Je pose ma main sur la porte en bois, dans la ridicule tentative de me sentir plus proche de lui.
Encore une fois, il parle en premier.

- J'ai beaucoup réfléchi, avoue-t-il. Et je voulais m'excuser.

Je secoue la tête, mais je ne le coupe pas. Sa voix m'envoute.

- L'autre soir, quand tu m'as dit que tu essayais de t'ouvrir à moi et que moi je ne faisais pas d'efforts, j'ai d'abord trouvé que tu exagérais ...

Je pense qu'il sourit. Un léger coup sur la porte m'indique qu'il est surement assis contre celle-ci. Il a dû laisser tomber sa tête en arrière pour s'appuyer sur la porte.

- Tu avais raison. Je voulais t'aider, mais je refusais que tu m'aides.

Je ne trouve rien à dire à part un minable "c'est pas grave". Puis il déclare doucement :

- Je suis ici pour la même raison que toi : fuir. Je fuis, mais pas de la même façon que toi.

J'ai envie d'ouvrir la porte, de le prendre dans mes bras, de lire ses yeux, se sentir sa peau à l'odeur légère de vanille.
Je me demande pendant un instant pourquoi je ne le fais pas, et j'en conclue que je ne suis pas prête.
Je ne suis pas encore prête à perdre le contrôle.

- Pourquoi est-ce différent ? Je demande à travers un chuchotement.

- Je ne regrette pas d'être ici, avoue-t-il.

En effet, c'est différent. Je devine que c'est sa colère qu'il fuit, mais elle arrive tout de même à le pourchasser jusqu'ici.

- Et toi ? Demande-t-il. Tu regrettes vraiment d'être là ?

J'ai l'impression qu'il a peur.

- Je ne sais pas ... Je me dis que finalement, ma place n'est pas ici, et que je n'ai pas fuis pour les bonnes raison ...

Comme tout à l'heure, l'appel de son corps est presque imminent. Je veux le toucher sans que cela soit explicable.

- Pourquoi fuis-tu ? Demande Adrien.

- J'étais perdue, mais fuir m'a juste enfoncé encore plus dans la forêt.

- Tu as peur ?

- J'ai tout le temps peur.

Ma voix se brise, mais j'essaie de l'ignorer.

- Je n'ai plus de repères, avoué-je. Je suis vraiment perdue.

Je l'entends bouger de l'autre côté de la porte. Peut-être qu'il se lève pour l'ouvrir. Je reste assise, immobile.
Peut-être qu'au fond de moi, je veux qu'Adrien ouvre la porte, et qu'il me prenne dans se bras. Peut-être que je veux qu'il m'embrasse fort, sans contrôle. Peut-être que je veux presser mon corps contre le sien.
Mais il n'ouvre pas la porte, alors tous ces "peut-être" restent hypothétiques.

- Et toi ? Demandé-je. Pourquoi fuis-tu ?

Même si je pense avoir deviné, je préfère avoir la confirmation de ma pensée.

- Je fuis pour ne pas exploser.

Nous avons mis tellement de temps à nous dire ces phrases.

- Tu sais pourquoi je ne t'ai pas dis pourquoi j'étais là ? Je lui demande.

Je l'imagine hausser les épaules avec un sourire provocateur.

- Je pense le savoir oui ...

- J'avais honte, dis-je. Et peut-être qu'au fond de moi, je savais que ce n'était pas la bonne chose à faire.

- Tu penses toujours que ce n'était pas la bonne chose à faire ?

Son ton est concerné.
Je hausse les épaules.

- Je ne sais pas, l'été n'est pas terminé ... Mais pour l'instant, je n'ai vu aucun point positif ... J'ai justement l'impression de penser encore plus à ce qui me tourmente ...

Une fois la gêne passée, je ne pensais pas que j'allais me confier aussi facilement. Il ne répond pas, peut-être qu'il compare ma situation à la sienne.

- Et toi ? Je demande alors.

Je l'entends ricaner doucement.

- Et moi ? ... Si je pouvais, je passerais ma vie ici ...

- Tu fuis ta colère, déclaré-je soudainement. Et pourtant, j'arrive parfois à apercevoir qu'elle boue encore sous ta peau ...

- Ce n'est pas parce qu'on fuit qu'on oublie. Ma colère ne va pas s'en aller tout de suite ... Mais être ici me permet d'être loin de tout ce qui me met la rage au ventre, alors je suppose que c'est une bonne chose ...

J'ai envie de lui demander pourquoi il est aussi en colère, qu'est-ce qu'il le met aussi hors de lui. Mais je ne veux pas rentrer dans les détails de nos vies. Je préfère conserver le côté apaisant de notre dialogue.
Je me sens bien, vraiment bien. Et surtout, je me sens à ma place. Je me dis que j'ai le droit d'être là, que je n'ai pas abandonné ma famille et Thomas.

- Adrien ?

- Oui ?

- Je crois que je sais pourquoi j'avais honte d'être là ...

- Je t'écoute.

- J'avais l'impression d'abandonner ma famille, et mes amis simplement dans mon intérêt. Je me trouvais égoïste d'être venue ...

- Tu n'es plus de cet avis ? Demande-t-il curieusement.

- Si, pourquoi ?

- Tu parles au passé.

Cela me fait sourire et j'ai même envie de rire. Mais je me retiens.

- Je le pense toujours ...

Il y a quelques secondes de silence, puis il reprend la parole.

- Tu vois, moi je suis ici justement parce que je veux abandonner tout ce qu'il y a chez moi. Surtout le semblant de famille que j'ai ...

Je regarde la porte avec étonnement. Adrien continue :

- J'aimerais ne plus jamais retourner là où je suis censé vivre, j'aimerais partir pour toujours et ne plus jamais mettre les pieds dans ce que j'appelle ma maison.

La colère est perceptible dans sa voix, je lève les yeux pour regarder la poignée et je me lève pour ouvrir la porte.
Adrien m'arrête.

- Ne rentre pas, dit-il simplement.

- Tu es en colère ...

- Oui, je sais. Justement d'ailleurs.

L'envie de le voir est tellement forte que je me sens horriblement frustrée.

- Qu'est-ce qu'il se passe chez toi ? J'ose alors demander.

Plusieurs secondes s'écoulent dans le silence.
Je sais que j'entretiens une relation privilégiée avec mes parents. Nous sommes une famille soudée, pour moi, la famille compte par dessus tout. Je sais cependant que ce n'est pas le cas de tout le monde. Notamment pour Adrien.

- J'en veux beaucoup à mes parents ...

Je suis tentée de lui demander pourquoi, mais je ne veux pas le mettre encore plus en colère.

- Je peux rentrer ? Demandé-je.

Il rigole.

- Non, tu ne peux pas rentrer.

J'essaie tout de même d'appuyer sur la poignée mais il m'est impossible d'ouvrir la porte. Il doit toujours être assis contre elle.
Je pose mon front contre celle-ci et j'attends. Je ne sais pas quoi, mais j'attends.

- Va dormir, chuchote Adrien. Tu es fatiguée ...

J'hésite assez longtemps, puis je me dis que c'est surement la meilleure solution. Je veux respecter sa volonté.

- Oui ... Bonne nuit ?

- Bonne nuit Julie.

J'attends quelque secondes, et je m'éloigne finalement de ma porte pour retourner dans ma chambre. Je m'affale sur mon lit, et le sommeil vient rapidement à moi.

¤¤¤¤¤

Quand mon réveil sonne, j'ai premièrement envie de le prendre et de le jeter contre un mur. Et puis la raison l'emporte alors j'appuie juste dessus pour qu'il arrête de crier des trucs dans mes oreilles.

La soirée d'hier me revient directement en mémoire, un sourire se dessine sur mes lèvres. Je m'étire et je commence à me préparer. Mais lorsque je vois un message de Thomas, je me souviens que je ne l'ai pas rappelé.
Je prends donc mon téléphone pour lui écrire un message.

Julie : Coucou Thomas ! Je suis désolée de ne pas avoir répondu à ton appel, et je suis encore plus désolée de ne pas t'avoir rappelé plus tôt.
Je t'aime, et je ne t'en veux pas. Tu es mon meilleur ami et tu le resteras toujours. J'ai souvent eu l'impression de ne pas te mériter non plus, mais j'en suis venue à la conclusion qu'un ami ne devrait pas se mériter. J'avoue que je ne m'imagine pas non plus sans toi à mes côtés, pour me soutenir ... Je t'appelle ce soir, sans faute ! Bisous ♡

Après avoir appuyé sur le bouton d'envoi, je me sens soulagée. Ma journée peut vraiment commencer sereinement. Je suis impatiente de voir Adrien. Des papillons volent dans mon ventre rien qu'à l'idée de croiser son regard. Je sais que la gêne n'est pas complètement partie, mais je crois que nous sommes sur la bonne pente.
Quand j'aperçois finalement son visage, je ne peux pas m'empêcher de sourire, il me renvoie aussi un sourire ; celui qui le fait rayonner de beauté. Je baisse ensuite la tête. Baptiste arrive dans ma direction, alors qu'Adrien s'occupe de compter les enfants pour les emmener manger.

- Salut, me dit-il.

Ses yeux sont fatigués et de grosses cernes violettes sont sous ses yeux.

- Salut, je réponds avec le même sourire que tout à l'heure. Pas trop dormi à ce que je vois.

Il me répond aussi par un sourire, et secoue la tête.

- Non, j'ai pas dormi du tout, avoue-t-il.

Je fais une grimace.

- Tu te reposeras cette après-midi.

Les enfants se dirigent deux pas deux vers la cantine. Je me mets derrière avec Baptiste.

- Alors ? Demande-t-il soudain. C'était comment hier soir ?

Je le regarde assez étonnée.

- Adrien ne t'a rien dit ?

- Il est muet comme une carpe, dit-il en secouant la tête.

Je ricane un peu.

- S'il ne veut rien te dire, je ne vois pas pourquoi je le ferais ...

Il me regarde avec des yeux blasés, son air fatigué rend son expression encore plus ... blasée.
Pour lui expliquer, je décide d'utiliser notre métaphore.

- Le mur est haut, l'escalade prendra un peu de temps ...

- Mouais ... En tout cas, vous semblez tous les deux de bonne humeur ...

Il n'a pas le temps d'en dire plus car nous arrivons au réfectoire.
Le petit-déjeuner se passe très bien, mais j'évite de regarder Adrien. Peut-être par pudeur.


La journée passe très rapidement, si bien que lorsque je suis seule dans ma chambre, je ne me sens pas particulièrement fatiguée. Même si Adrien à beaucoup remonté dans mon estime, il garde tout de même son talent quand il s'agit de m'énerver. Cela dit, j'arrive à contrôler le caractère extrême de mes sentiments à son égard.

Comme promis, je décide d'appeler Thomas. Il ne répond pas à mon premier appel mais décroche rapidement quand je tente de le joindre une seconde fois.

- Désolée, commence-t-il par dire. J'étais à la douche ...

- Oh, non c'est moi qui m'excuse ... Tu veux que je t'appelle plus tard ?

- Non, c'est bon ...

Je devine par l'intonation de sa voix qu'il sourit.

- Tu vas bien ? Demande-t-il.

- Oui je vais bien, et toi ?

- Je vais très bien.

- Tu as reçu mon message ? Je demande.

- Oui je l'ai reçu ...

Je le coupe, je veux d'abord lui dire ce que j'ai envie de lui dire.

- Je voulais te dire merci. Merci pour tout ... J'ai été une garce, souvent, mais tu m'as toujours défendu ... Et ton message m'a beaucoup touché ... J'ai eu peur, pendant quelques jours de t'avoir perdu, vraiment. Je n'avais plus Mamie et je ne t'avais plus. Je me sentais seule ...

- Je suis désolé, répète-t-il.

- On ne fait plus ça ok ? On ne s'embrouille plus, j'ai besoin de toi aussi.

- Ok, dit-il.

Je me sens soulagée. Je voudrais qu'il soit près de moi, qu'on retourne au parc et qu'on s'amuse. Je voudrais courir avec lui, jusqu'à ne plus sentir mes jambes.

- Tu me manques, dis-je.

- Tu me manques aussi ...

Nous restons encore quelques minutes au téléphone. Je lui raconte un peu ce qu'il se passe ici au camp, mais je décide de ne pas lui parler d'Adrien. Je le ferai plus tard, quand tout sera plus clair dans ma tête.
Il me raconte un peu ce qu'il a fait chez sa grand-mère et il me donne des nouvelles de sa mère. Elle va mieux, un peu, tout doucement. Il espère que la chimio va faire effet, mais il sait que cela ne fait que retarder l'inévitable.

Quand je raccroche, un sourire est scotché à mon visage. Mais comme tout à l'heure, je n'ai aucune envie d'aller dormir.
Je repense à hier soir, à Adrien, à ce que nous nous sommes dis. L'idée d'aller frapper encore à sa porte effleure mon esprit, mais je n'ai pas le courage de le faire ce soir. Son comportement m'a un peu énervé cette après-midi. Il était de mauvaise foi pendant la course d'orientation et les enfants étaient déstabilisés. J'ai essayé de lui dire gentiment qu'il fallait qu'il soit plus enjoué, mais sa seule réponse fut : "Ça me soûle la course d'orientation ! J'ai pas envie aujourd'hui, je suis pas d'humeur, c'est tout !". Je ne savais pas comment le prendre, mais je l'ai finalement ignoré, un peu vexée.

Je commence à le connaître, et même s'il peut me faire sentir comme sur un nuage, il a aussi le don de bien me faire redescendre sur terre. Adrien joue beaucoup dans les extrêmes, c'est ce qui me gêne le plus chez lui : son caractère très très lunatique.

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