dix-huit

J'avais oublié à quel point la course d'orientation était fatigant. Par rapport à la voile où je restais assise pendant deux heures. Cependant cela m'empêche de penser à trop de choses, je suis concentrée sur la carte et la boussole. Dans un sens, même si je suis physiquement exténuée lorsque nous sommes de retour au camp, je suis reposée psychologiquement parlant.

En arrivant, Adrien tente d'instaurer un dialogue :

- Ça change de la voile ! Dit-il a mon intention.

Je fais mine de regarder mon bras.

- Oui, je réponds.

Nous retournons tous les deux dans notre bâtiment en laissant toutefois une sorte de distance de sécurité entre nous.
Comme je sais que Matthew va prendre les enfants en charge, je me laisse la liberté d'appeler ma mère. Je rentre dans ma chambre rapidement et je me saisis de mon portable avec empressement. Ma mère décroche rapidement.

- Allô Julie ?

- Oui maman, ça va ? Comment va Théo ?

- On va bien avec papa, on est à la maison là. On va partir pour l'hôpital. Théo va rester encore jusqu'à la fin de la semaine. Il va beaucoup mieux, mais les médecins préfèrent le garder ...

- Ouais, c'est normal, dis-je. Ils ont trouvé ce qu'il avait ?

- À priori oui, mais je ne comprends jamais rien à leur baratin, seul papa arrive a le faire.

Je fais la moue, mais je suis heureuse qu'il y ait une véritable raison au malaise de Théo. Si ça n'avait pas été le cas, tout aurait trop ressemblé à ce qu'il avait quand il était petit.

- Je suis contente, avoué-je dans un soupir. J'ai eue vraiment peur ...

Comme les souvenirs remontent, une boule bloque ma gorge pendant quelques instants.

- Oui, répond ma mère. C'était horrible ...

J'entends l'épuisement de ma mère à travers sa voix, mes parents n'ont pas dû beaucoup dormir ces derniers jours, préférant surement passer leurs nuits à l'hôpital. Je ne peux pas vraiment imaginer ce qu'ils ont pu traverser depuis que Théo est petit. Vivre avec la peur de perdre son enfant à tout instant est ce qui fait qu'on est des parents. Mais jamais cette peur ne devrait devenir la réalité pour tant de parents. Voir son enfant aussi faible, même s'il n'est pas sur le point de mourir, devait être insupportable pour mes parents. Ce qui fait leur force, c'est qu'ils étaient là l'un pour l'autre pour se soutenir.

- Autrement, tout va toujours bien de ton côté ? Demande ma mère avec une voix plus assurée.

- Ça va toujours bien, dis-je. Même si je suis fatiguée ...

- Tant mieux, dit-elle. Je ne veux pas que tu t'épuises d'accord ? Reposes-toi, et surtout prends soin de toi. Tu me promets ?

- Oui je le promets maman, je vais prendre soin de moi. Mais ne t'inquiètes pas, tout va bien.

- Génial.

J'entends cette fois-ci le sourire dans sa voix, ce qui me fait sourire aussi. Soudain, trois coups sont frappés à ma porte, et je comprends que je dois rejoindre le groupe.

- Bon, je te laisse, il faut que j'y retourne. Embrasse papa et Théo de ma part. Je vous aime !

- Bisous ma chérie, on t'aime aussi.

Je raccroche et j'ouvre la porte. Baptiste m'attend.

- Prête ? Demande-t-il.

Je fronce les sourcils.

- Prête pour quoi ? Je demande dubitative.

- Je sais pas, on fait une activité de groupe. Ça veut dire qu'il y aura Adrien et que vous devrez potentiellement vous parlez. Tu te sens prête ?

Je roule des yeux en soupirant.

- Oui, je suis prête, dis-je en sortant de ma chambre.

J'aimerais lui dire que je suis capable d'ignorer la présence d'Adrien, mais je suis bien consciente que c'est faux, alors je préfère me taire.

Finalement tout se passe très bien, nous faisons une sorte de "time's up" qui est ma foi très drôle. C'est une invention de Matthew, alors je ne suis pas étonnée du caractère drôle de la chose.

Le repas passe à toute allure, et je suis exténuée. Mais je ne vais pas pouvoir aller dormir directement car Thomas avait promis qu'il allait m'appeler. J'avoue que je ne sais pas du tout pourquoi, sa façon de me dire qu'il ne voulait plus avoir de contact avec moi m'a beaucoup chamboulé. Je ne m'attendais pas non plus à ce qu'il m'appelle. De mon côté, je n'ai rien à lui dire. En effet, je me vois mal lui parler d'Adrien ...
Comme je ne vais pas aller au ponton, je prends ma douche après avoir couché les petites et je m'affale sur mon lit en attendant l'appel de Thomas.

¤¤¤¤¤

Je suis réveillée par des coups sur ma porte. Quand mon cerveau est en état de fonctionner, mon cœur s'accélère d'un coup. Je prends mon téléphone pour regarder l'heure : il est minuit moins le quart et j'ai un appel manqué avec un message sur ma messagerie vocale. Pourquoi est-ce que j'ai laissé mon téléphone en silencieux ?! J'enfouis ma tête dans mon oreiller, mais les coups reprennent.

- Quoi ? Je lance assez fort.

- C'est moi, Adrien.

Je m'immobilise. J'aurais jamais dû répondre, peut-être qu'il aurait cru que je dormais et il serait parti. Je suis trop fatiguée pour parler à qui que ce soit.

- Je dors, dis-je en restant allongée. Laisses moi ...

- Je suis désolé ...

Son comportement m'agace. Il ne peut pas me laisser tranquille ? Je ne veux pas de ses excuses, surtout pas maintenant !

- Tu m'as réveillé, tu penses quand même pas que je vais te laisser entrer.

- Non, répond-il rapidement. Je suis d'accord avec toi, c'est mieux si on parle sans se voir.

Je suis un peu étonnée de l'entendre dire ça, il n'était pas de cet avis hier soir. Je me demande si Baptiste lui a parlé de la conversation qu'on a eu ce matin.

- Pourquoi t'es là ? Demandé-je.

J'entends un tout petit rire étouffé.

- J'arrive pas à dormir.

- Compte pas sur moi pour te raconter une histoire.

Mon esprit est encore embrumé, si bien que je n'ai pas l'impression d'être éveillée. Je suis peut-être en train de me rendormir ... Je suis tellement bien ici ...

- Julie ?

C'est comme si je me réveillais encore une fois. Je m'énerve alors pour de bon, même si ma voix endormie ne doit pas être très menaçante.

- Quoi bon sang ?!

Je n'obtiens pas de réponse, alors je tombe de nouveau dans les bras de morphée.

¤¤¤¤¤

Mon réveil sonne et je me lève dans un sursaut. Je manque de me cogner la tête sur le lit au-dessus de moi. Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits. Je me frotte les yeux et me mets debout pour m'étirer. Les réveils sont de plus en plus durs, j'aimerais au moins avoir une journée de libre ...

Quand je suis complètement réveillée et consciente de ce qu'il se passe autour de moi, je regarde mon téléphone. L'appel manqué et le message vocal en attente me font l'effet d'une claque et je me souviens soudainement de ce qu'il s'est passé hier. Est-ce que c'était réel ? Je me souviens qu'Adrien est venu à ma porte mais que je l'ai fait partir. Qu'est-ce qu'il voulait me dire ? S'il est parti c'est que ça ne devait pas être trop important ...

L'appel manqué et le message vocal sont tous les deux de Thomas. Je m'en veux de m'être endormie et d'avoir loupé son appel. J'appel donc ma messagerie vocale et j'écoute son message.

- Salut Julie. Désolé de te déranger, mais a priori tu dis dormir. Je suppose que tu es très fatiguée par tout ce que tu fais ...

Je n'entends rien pendant plusieurs secondes.

- J'aurais voulu te parler de vive voix, mais c'est vrai que c'est beaucoup moins intimidant. Il n'y a que moi à cet instant, j'ai juste à dire ce que je pense à voix haute.

Il y a une nouvelle pause.

- Je suis dans la cabane là, tu sais, celle dans l'arbre. Il fait nuit. Je suis tout seul. Mais le problème, c'est que je voudrais que tu sois avec moi.

Il rigole avant de reprendre :

- Ce n'est pas vraiment un problème en fait, excuse-moi ... Toujours est-il que je voudrais que tu sois près de moi ... Je ne veux pas que tu culpabilises d'être partie, c'est ce que tu voulais, alors je respecte.

Trop tard, je culpabilise.

- Mais ce n'est pas vraiment ça que je voulais te dire ... J'ai l'air d'un minable ...

- Non, tu n'es pas minable du tout, dis-je dans le vide.

Thomas me touche beaucoup, je voudrais moi aussi être auprès de lui, le serrer dans mes bras, lui dire qu'il me manque ...

- Tu sais, c'est pas pour rien que j'ai voulu me retrouver seul avec moi-même, chez ma grand-mère. C'était pour une raison bien particulière. Et si j'ai voulu rester isolé pendant quelques jours sans te parler c'est aussi pour une raison ...

Il parle désormais plus sérieusement. Il est enfin à l'aise et je commence aussi à croire que c'est mieux que je n'ai pas répondu. J'ai la sensation que si je l'avais fait, il ne m'aurait pas du tout dit ce qu'il avait l'intention de me dire.

- Je voulais voir comment je me démerdais tout seul, sans toi. J'avais beau ne pas te parler, tu étais toujours là, alors j'ai compris que tu étais aussi une part de moi. Que sans toi à mes côtés, je n'étais pas complet ...

Je suis émue par son discours. Jamais nous n'avons véritablement révélé l'attachement profond que nous éprouvons l'un pour l'autre. Nous faisons ça dans le silence de nos étreintes et de nos regards. Alors le voir verbaliser quelque chose d'aussi fort me libère d'un poids. Je me sens aimée, et c'est une sensation incomparable, j'en ai les larmes aux yeux.

- Je suis désolé Julie, car je n'ai surement pas été à la hauteur de ton amitié pour bons nombres de situations ...

Je veux le contredire, mais je dois garder mes mots pour plus tard, quand je l'appellerai.

- J'ai décidé que j'allais rentrer chez moi à la fin de la semaine. J'ai découvert en venant ici ce que je voulais découvrir, alors il ne me reste plus qu'à rentrer chez moi ...

Il prend une grande inspiration et expire tout doucement.

- Je t'aime Julie, à plus tard.

Puis j'entends la voix de la dame de la messagerie vocale qui me semble horrible à côté de la voix de Thomas. Je renifle, découvrant ainsi que quelques larmes ont coulé le long de mes joues. Ce sont des larmes de joie, bien loin des larmes de ces derniers jours. Elles sont fraîches et pures, j'aimerais les conserver dans une petite fiole. Je m'allonge sur mon lit, le sourire aux lèvres. J'hésite à rappeler Thomas maintenant, mais je découvre que je suis déjà en retard, alors je le ferai ce soir.

Ma journée commence merveilleusement bien, tout semble rentrer peu à peu dans l'ordre : Théo va mieux, Thomas va mieux. Reste à savoir si moi, je vais mieux.

¤¤¤¤¤

Comme tous les matins de cette semaine, je retrouve Baptiste à l'atelier poterie. Mais aujourd'hui, il semble d'humeur moins curieuse, ce qui me ravie. Je trouve dans sa compagnie quelque chose de vraiment rassurant.

- Bien dormi ? Demande-t-il en préparant les outils.

- Comme un loir ! Et toi ?

- Pareil, avoue-t-il.

Parfois, de manière assez impromptue, il glisse dans ses réponses une sorte de confession. Ou du moins, ce que moi je considère une confession.

- C'est bizarre à dire, mais je dors mieux ici que dans mon appartement minable sur Paris.

Je ne sais pas quel âge il a, mais il est un ou deux ans plus vieux qu'Adrien.

- Qu'est-ce que tu fais sur Paris ? Demandé-je alors.

Il hausse les épaules.

- Rien, répond-il d'un ton neutre.

Je le regarde avec des sourcils froncés.

- Rien ?

- Non, lâche-t-il en levant les yeux vers moi. Apparemment, je n'ai rien à faire à Paris.

Sa phrase porte un double sens que je ne sais pas interpréter, alors je décide d'arrêter là. Nous terminons de séparer les morceaux d'argile, puis les enfants viennent pour faire l'activité. Comme ils sont assez autonomes, je n'ai pas grand chose à faire. Mon regard se surprend alors divaguer.

Non loin delà, Adrien et Matthew sont à une table, penché sur les cartes de la course d'orientation. J'ai appris l'autre jour par Baptiste que c'est Matthew qui avait crée les cartes et mis en place les balises. Je le respecte donc d'autant plus. Mes yeux se plantent sur Adrien, je n'y peux pas grand chose pour être honnête, c'est comme s'ils étaient aimantés.
L'observer fait toujours naître en moi une sorte de sensation de bien-être. Mon attention est redirigée sur lui, alors je ne me concentre pas sur moi et mes petits problèmes. Le regarder m'apaise et me vide la tête. Cependant, cela peut changer du tout au tout, car Adrien peut à lui seul chambouler mon esprit.

- Arrête de le fixer, me prévient Baptiste.

Je tourne rapidement la tête pour le regarder.

- Pardon ? Je demande confuse.

- Arrête de le fixer, répète-t-il en articulant.

Comme je ne sais pas quoi dire, je tourne la tête pour surveiller les enfants.

- Je ne suis pas là ce soir, me dit-il.

- Pourquoi ? Demandé-je surprise en le regardant.

Il roule des yeux.

- Je suis là évidemment, mais je vais faire un tour dans le camp ...

Je fronce les sourcils, et comme je vois transparaître un peu de sa nervosité, je me mets à sourire avec malice.

- Oh je vois ...

Je hausse les sourcils de manière suggestive et Baptiste secoue la tête.

- Ce ne sont pas tes affaires, dit-il en réprimant un sourire. Bref, je ne serais pas avec Adrien dans la chambre.

J'attends qu'il continue, car j'ai du mal à deviner ce qu'il veut que je fasse de cette information. Mais comme il ne dit rien, je suis obligée de lui poser la question.

- Tu veux que j'aille le voir ?

Il sourit en me regardant.

- Exactement. Escalade le mur ...

Je tourne une nouvelle fois la tête pour fuir ce que Baptiste veut dire. Puis je hausse les épaules. La proposition est alléchante, évidemment, même si la perspective de voir Adrien devant moi seul à seul me rend nerveuse.
Je me surprends à demander :

- Tu es sûr qu'il ne sera pas au ponton ?

Il semble surpris car il ouvre pendant un instant de grands yeux.

- Je pourrais lui faire comprendre qu'il doit rester ...

Le sourire en coin pleins de sous-entendus qu'il me fait me met mal à l'aise. Pourquoi doit-il toujours être aussi malicieux ?
Je décide que c'est à mon tour de le faire chier.

- Alors comme ça, on a un rendez-vous galant ?

Il ouvre de grands yeux en haussant les sourcils.

- Je n'avais pas prévu d'être galant, avoue-t-il. Je me voyais plutôt être sauvage, tu vois ? Dans le genre indompté et indomptable.

Légèrement choquée qu'il parle de cette façon devant les enfants, je regarde rapidement autour de nous pour vérifier que personne n'a entendu. Baptiste me regarde, visiblement très amusé.

- Ce n'est pas un rendez-vous galant, conclu-t-il tout en souriant.

- Oui, merci j'avais compris, je rétorque amusée à mon tour.

- C'est plus un rendez-vous ...

- Oui, j'ai compris, le coupé-je. J'ai compris.

Je l'entends rire, alors je rigole un peu à mon tour. Quand mes yeux se posent sur Adrien, je remarque qu'il était déjà en train de me regarder.

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Hey !
Désolée, j'ai complètement oublié de poster un chapitre hier ! ...
Le voici quand même ;)
Dites moi ce que vous en pensez !
Bisous ♡

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