19 décembre

Par une des membres de la CdL : lulustef

Silent Night

J'ai mis longtemps à le comprendre. Il m'a fallu un moment pour le réaliser et je n'ai aucune notion de durée, là-dessus. Je sais juste que cela a été extrêmement long pour lui comme pour moi. Le temps n'est pas compté, ici. C'est comme si tout était arrêté, immuable et figé à jamais.

Être séparée de lui, mon âme sœur, cela me déchirait de l'intérieur. Surtout en cette période festive. La douleur intense et lancinante que j'éprouvais au moment même s'est lentement estompée pour faire place à celle qui me tord et que rien n'apaise. Être là sans l'être vraiment, ce n'est pas simple.

Ne plus pouvoir le toucher, sentir son parfum suave, le matin, parcourir de mes mains le velouté de sa peau, discuter des heures entières avec lui, nos intenses fou-rires et nos moments de bonheur, tout est terminé.

Observer sa peine le détruire à petit feu et rester impuissante. Je ne le peux pas. J'ai voulu revenir mais c'est impossible. Ce qui est fais est fais. Rien ne peut être changé. Et ça aussi, j'ai dû l'encaisser. Devoir subir la décision du tout puissant sans que j'ai pu le prévoir ou même le négocier.

Je n'ai pas choisi de partir, on me l'a imposée. Une sorte de loi de l'humanité où tout a une fin, un jour ou l'autre. Comme un tir au sort, à l'aveuglette, et finalement une injustice. Je le ressens comme tel et lui aussi.

Au fil des jours, j'ai vu que rien n'a changé entre nous. Nos sentiments se sont décuplés, ainsi malmenés par cette épreuve. On a voulu y croire et pouvoir se retrouver un jour. Cette sphère d'amour ne peut s'éteindre. Un lien comme le nôtre résiste à toutes les embûches et rien ne lui est impossible.

Un matin, il eut une révélation : le regard n'est plus mais la pensée fera beaucoup. Et cette nouvelle façon d'échanger nous stimule. Communiquer et enfin se retrouver nous apaise, lui comme moi. Une nouvelle manière d'appréhender notre amour. Évidemment, cela réclame beaucoup d'énergie mais nous avons choisi de nous en accommoder.

Dès lors, nous organisons nos rendez-vous en fonction de sa vie à lui et je m'y accoutume assez facilement. Il nous arrive de discuter des heures et même des nuits entières, que ce soit le week-end ou en semaine. Parfois il s'endort, épuisé de sa journée mais aussi par l'énergie que cela représente. C'est alors que j'interviens, pour le bien-être de sa santé et lui impose un sommeil réparateur. Je suis devenue une sorte d'ange protecteur, pour lui. Être sa bonne étoile me convient bien comme substitut.

Dernièrement, il a eu une idée. Il a fais de longue recherche là-dessus, pendant lesquelles nos échanges furent interrompus. Il m'a confié que c'est une surprise. Je lui ai toujours fais confiance alors je patiente tranquillement à le regarder investiguer sur cette nouveauté. Et lorsque son acharnement fut couronné de succès, il m'a présenté son projet auquel je dois adhérer. En prenant connaissance de la chose, je suis ravie mais peu convaincue. Et j'ai eu raison.

L'énergie nécessaire est si importante qu'il m'est impossible d'y parvenir. Je m'épuise avant même de commencer. C'était pourtant une bonne idée mais nous avons dû abandonner. Je dois me résoudre à cette conclusion ; la nécessité de le laisser refaire sa vie. Son existence ne doit plus m'appartenir. Devant tous les efforts qu'il fournit pour me maintenir à ses côtés et prolonger mon existence à travers lui, je me dois d'être raisonnable à mon tour. Le laisser vivre sa vie, avec une autre. En souffrir pour le voir heureux et laisser guérir une partie de son âme.

Son cœur bat encore, rythmé au fil de ses sentiments et de ses émotions. Son âme est encore bien accrochée à la vie, rebelle et courageuse. Ce n'est pas parce que je ne suis plus qu'il ne doit pas vivre et jouir du reste de son existence. Le maintenir dans un rêve éveillé, le contraindre à vivre une fausse réalité est égoïste de ma part.

J'ai essayé de nous détacher l'un de l'autre et ne plus répondre à ses appels dans l'au-delà. Après tout, c'est facile. Il n'y a pas de répondeur, où je suis et il me suffit d'ignorer, mais cela a été pire que tout.

Le silence est la semence du mal et lentement je le précipitais dans le vide, enchaîné à une existence qu'il ne veut plus. Et puisque je ne suis plus à ses côtés, il a décidé de me rejoindre au pays des songes. Cela m'est inconcevable.

En cette période de Noël, il m'est facile de rendre visite au maître incontesté. Celui qui joue aux échecs avec nos vies.

Vêtu de manière élégante, il m'observe longuement. Son regard perçant a très vite saisi ce que je désirais : passer une soirée, une seule et une dernière, à ses côtés, pour Noël. Lui redonner le goût de vivre, l'envie de se battre et puis, je m'en irais. Ce serait mon unique cadeau.

Ma requête acceptée, je me retrouve dans une ruelle sombre débouchant sur une grande avenue illuminée. Vêtue d'un épais poncho de laine, une large capuche rabattue sur mes cheveux blonds, les seuls maîtres mots sont la prudence. Je ne dois pas être vu.

Souffrant le froid sur mon visage, j'ai perdu l'habitude de ses sensations hivernales sur ma peau. L'écharpe remontée jusque sous mon nez, j'observe la rue recouverte d'un blanc immaculé. La même où j'ai perdu la vie, il y a quelques temps.

Des lampions de couleur tirés de tous côtés et de doux chants de Noël bercent les passants hâtés par les flocons de neige. Recouvert de son manteau étoilé, le ciel se pare de mille feu. Traversant la longue avenue, je me retrouve au pied de son immeuble ; notre immeuble.

Des flashs rapides de l'accident refont surface, ainsi que cette affreuse douleur. Celle de perdre la vie sans avoir le temps de dire au revoir. A présent, cela m'est accordé.

Lentement, je monte les escaliers, progresse dans le long couloir jusque devant notre porte. Surprise, je constate que nos deux noms sont encore présents sur la sonnette. Appuyant sur la poignée, je pénètre chez moi. Du moins, ce qui fut mon nid douillet.

Seul le bruit de la télé vient à déranger ce silence accablant. L'ambiance sombre et lugubre qui règne ici, diverge avec les chants de Noël que l'on entend dans la rue.

Arrivée dans le salon, je l'aperçois, un verre de whisky à la main. Une bouteille de Jacks Daniels et un couteau sont posés devant lui, sur la table. Le regard dans le vague, il n'écoute déjà plus les tribulations incessantes de la présentatrice. Concentré sur sa tâche, celle de ne plus exister.

Contournant le canapé, je me place à ses côtés, cherchant son regard. Ma main court jusqu'à la sienne. Je peux enfin le toucher. Il décale lentement sa tête vers moi et, effrayé, il arrondit ses yeux comme des billes en découvrant ma présence. Fronçant des sourcils, il s'interroge sur une probable hallucination ou un trop plein d'alcool avant de se rendre compte de ma présence réelle.

Les seuls mots qu'il balbutia : « Julie »

Heureuse, j'esquisse un sourire auquel il répond. Doucement, je serre ma main sur la sienne et le rassure. C'est bien moi et je suis là. Ses bras se rabattent aussitôt sur moi, me serrant si fort que mon cœur manque de repartir de plus belle.

J'ai eu le temps de passer cette nuit de Noël à ses côtés, de le serrer une dernière fois contre moi et de lui insuffler tout l'amour qu'il soit possible de donner. J'ai longuement distillé dans ses veines le courage de continuer, guidé son esprit vers la nouvelle existence qui l'attend et réparé son cœur meurtri. Et comme ultime promesse, celle de rester son plus beau souvenir. Il m'a écouté et s'est résigné à vivre la plus vie qui soit car c'est mon seul souhait.

Et c'est dans son sommeil que j'ai disparu, pour toujours.

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