Par une des membres de la CdL mangeur_de_livre

— Tu seras là à Noël ?

La question résonne dans ma tête. Noël, cette période si importante dans ma vie. Le visage de ma nièce s'impatiente. Elle attend une réponse.

Doucement, je passe ma main dans les boucles blondes qui ornent sa tête. Je ne trouve pas les mots pour lui dire sans la rendre triste. Je ne veux pas lui mentir, alors je lui réponds avec douceur :

— Non, je ne serais pas là, pitchoune.

— Mais tu fais jamais Noël avec nous ! C'est pas juste ! Tu nous aimes pas ?

La mine déconfite, Lili est entre la colère et les pleurs. Elle ne comprend pas. Je m'approche d'elle et la pose sur mes genoux. Il est temps que je lui explique.

— C'est quoi Noël pour toi ? demandé-je en recueillant les larmes qui ont commencé à glisser.

— C'est quand toute la famille est là et qu'on offre plein de cadeaux !

— Donc à chaque anniversaire, on fête aussi Noël ?

Je vois son visage s'illuminer, elle commence à comprendre.

— Pour toi, Noël est une fête de famille. Pour moi, c'est quelque chose de plus. Je vais te raconter un secret, mais tu ne dois en parler à personne.

Elle dépose son doigt sur sa bouche et m'observe de ses grands yeux bleus.

— Quand j'avais ton âge, Papi et Mami m'avaient offert une carte pour Noël. Mami m'avait dit que ce serait mon seul cadeau. J'étais un peu triste, j'avais peur que l'on se moque de moi à l'école.

— C'était quoi la carte ?

— Laisse moi te raconter. rigolé-je, son impatience me faisant rire. Dans la carte était glissé un petit ticket pour un spectacle. Un numéro de cirque.

— Avec des animaux et des clowns ? Pfff ! C'est nul !

Je la regarde en souriant. Ma soeur ne lui a donc jamais parlé de cette sortie ? De ce moment hors du temps qui a marqué nos vies ?

— Moi aussi, je pensais comme toi au début. Le soir de Noël, Papi et Mami nous ont emmené, ta mère et moi, au spectacle. Ce n'était pas dans un chapiteau comme je m'y attendais mais dans une grande salle.

— Mais du coup, il n'y avait pas d'animaux ?

— Non. C'était du cirque contemporain.

Les images refont surface. Sous mes yeux ébahis s'étaient déployés de nombreux tableaux. La grâce et la beauté des danses m'avaient complètement envoûté, je n'avais pas vu passer les deux heures. J'étais sous le choc, subjugué par la magnificence de ces artistes.

— C'était beau ? J'ai vu des danseurs à la télé hier, c'est joli !

— Ce n'était pas seulement joli, c'était magique. Le meilleur cadeau que l'on m'ait offert.

Je reste plongé un moment dans mes souvenirs. Je revois encore ces corps se mouvoir avec une telle agilité, je ne serais jamais assez reconnaissant envers mes parents pour ce fameux cadeau. Ce rêve éveillé qu'ils m'ont offert, cet enchantement. Mon commencement.

— Princesse, est-ce que tu sais quel est mon métier ?

— Oui ! Tu es artiste. répond-t-elle du tac au tac avec fierté.

— Et tu sais exactement ce que je fais ?

— Non ? Maman, elle dit toujours que tu perds la tête et qu'un jour, tu finiras par la tuer ! Mais c'est pas vrai, hein ?

Je me marre. Ma sœur panique à chaque fois qu'elle vient me voir. A chaque pas sur le fil, mes ailes se déploient tandis que son cœur se suspend. Alors que je traverse au-dessus du vide en dansant, la salle se tait comme pour ne pas perturber ma concentration.

— Tu vas pas tuer Maman ? finit par s'inquiéter la demoiselle.

— Mais non ! je secoue la tête d'amusement.

— Pourquoi elle dit ça alors ?

— Je suis funambule, danseur et acrobate. Marie a seulement peur pour moi.

— Tu es comme les gens à la télé ? Tu fais des spectacles ?

Ses yeux s'écarquillent et j'aperçois la petite flamme de la curiosité pointer son nez.

— C'est ça. Je ne serais pas là parce que je suis en tournée.

Son visage se fige quelques instants. Je scrute sa réaction, j'ai peur qu'elle s'insurge. Je commence à me demander si j'ai eu une bonne idée d'offrir les tickets à ma sœur. Je n'ai pas le temps de douter très longtemps que la gamine s'agite.

— Maman ! Est-ce qu'on pourra aller voir Sylvain à son spectacle ?