14 décembre
Par une des membres de la CdL : _hypnose
L'atmosphère change, nous entrons dans une nouvelle phase du cycle saisonnier. Les arbres l'indiquent par leur perte de feuillage, et le ciel par son voile gris. Progressivement, la nature se dessèche et péris, et le temps se refroidit. Les humains sont sensibles aux changements de saisons... qu'il est difficile de s'articuler quand le soleil se pare de nuages.
Lui.
Peut-être devrait-il être embarrassé du son des bouteilles de bière qui s'entrechoquent, ou se rendre enfin compte que la soif est devenue l'émotion proéminente dans sa vie, plus que la détresse, plus que la colère ou l'angoisse. Qu'elle est une plante envahissante dans sa gorge aux épines profondément plantées – qu'au fond, oui, il doit avoir un problème.
Mais tout ce qui compte, c'est le poids rassurant du verre contre son torse, de ces maigres dollars dépensés à la sortie de son boulot. Il n'arrive pas à affronter la rue, ces décorations mensongères des fêtes de fin d'année qui s'approchent, dont les vitrines souriantes aux visages peints idéalisés lui crachent un bonheur factice. Le verre n'est plus que semblable à du gravier entre ses paumes sèches, émietté si finement, façonné par des ressentiments amères, façonné pour s'approprier la lumière. Il n'a pour but que de s'enfoncer dans la chair, de laisser des marques visibles, de faire couler du sang et de briser les énièmes rêves des autres, de faire plier les pieds jusqu'à la chute. Elle sera grandiose sa chute, et son absence profitable. Le silence est roi dans les ruelles bondées, si décolorées, alors que la nuit tombe et que les banderoles s'illuminent aux rideaux de fer pas encore baissés.
Chaque pas est un séisme, un attentat contre toute sa raison d'être. De savoir que Bailey adorerait – adorait – tout ça. Qu'il ne passait pas une année sans qu'elle n'exige, dès la fin du mois de novembre, à extirper le sapin de son sommeil pour lui balancer à la gueule son poids de boules et de guirlandes lumineuses, de décorations parfois ridicules, toujours un peu portées sur Disney ; sa couronne d'étoile dorée. Mais cette hystérie juvénile, cette fièvre grandissante dans son regard aux couleurs de l'hiver, finissaient toujours par les contaminer. Et il y a bien longtemps, que les réjouissances des fêtes de fin d'années n'ont pas sautillé dans le cœur un peu terne de Nevil et de sa mère.
Plus de gâteau, près de la porte d'entrée. L'appartement dénué de feu de cheminée. Plus d'odeur de dinde, de cire chaude des bougies, de chocolats à grignoter jusqu'à s'en foutre les dents noires. Plus de houx, où s'embrasser en riant aux éclats, maman ayant encore une fois trop forcé sur le vin – pour la bonne cause de la bonne humeur et du père oublié. De bonhomme pain d'épices, de chaussettes accrochées au lit, d'imaginer le son des cloches et fatalement, la regarder ouvrir des cadeaux, s'extasier sur ses jouets.
Il lui arrive même de songer que telle ou telle chose lui plairait, avant de se rappeler qu'elle n'est pas là. Qu'elle est quelque part, peut-être heureuse, surtout disparue. Et ça écume le bord de ses yeux, pince ses lèvres, lui donne soif. Si soif que tout se précipite, à son pas, à son rythme, à son manteau chaud dans lequel il est emmitouflé.
Puis, soudain, un reflet dans la vitrine.
Elle est sur le trottoir d'en face. Silhouette mince, gracile, pour cheveux blonds. Une veste en jean sur les épaules, avance en sens inverse. Son visage accaparé par le reste de cette vie qui semble fournir son énergie sans leur en distiller. Nevil pile, dérape, bouscule un couple, s'excuse à peine. Croit la voir disparaitre, à l'angle.
En lâche ses bières pour se mettre à courir. Fracas du verre dans le sac de courses, qui implose sur le bitume. Il fait crisser les pneus d'un taxi, récolte des insultes, accélère encore et « BAILEY ! » qu'il hurle, déjà essoufflé.
Et la fille s'éloigne encore.
- BAILEY !
La fille blonde aux mèches roses et la veste en jean et tout l'espoir qu'elle porte, d'une espèce de miracle de Noël, putain de cliché, comme dans les films.
Sa main s'abat sur son épaule. Un instant, il croit la cueillir et sourit déjà.
(Maman, je l'ai retrouvée)
Puis la fille se tourne.
Et ce n'est pas Bailey.
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