Chapitre 34 : "Boom"
Hey ! ... HEY HEY HEY ! ...
J'parie vous y croyez pas, hein...
OUI, JE SUIS DE RETOUR ! BAH OUI !
Excuses : Bac Blanc + mal vue par ma belle-mère si je reste sur l'ordi + fatigue monumentale.
Mais je vous aie pas oubliée, mes p'tites chéries ;) Jamais de la vie. Promis !
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PDV Chuck
C'est si bon, de dormir !
A l'instant, on peut dire que mon sommeil était trop cool. « Oui, car je rêve d'une banque... » Nan, je rigole. HA ! Vous l'avez cru, hein ? Ha ! ... Allez, rigolez, là...
Bref.
En vrai de vrai, je rêvais de sandwiches.
Dans le District Onze, on travaille aux champs. Du coup, on pourrait croire que je suis habitué à passer des journées entières dans la nature sans rien dans le ventre... mais ça, c'est juste les jours où j'oublie mon panier de pique-nique à la maison. Faut pas rêver, non plus ! Les sandwiches, c'est la vie : bouffe enfin digne de mon corps d'Appollon... Aah, et dire que je refuse toutes les avances des filles de ma classe. Je dois briser des cœurs... Mais je culpabilise pas ! Ma seule femme, mon amante, ma vie, mon destin, c'est ce gros steak aplatis entre salades, fromages et morceaux de pains.
La viiiie !
Et la vie se brise en mille morceau lorsqu'un gros sac me tombe à la figure. Elle sait pas rester assise sur une branche, celle-là ? Au début, je me réveille en sursaut, fâché, mais le temps que je comprenne qu'elle s'est fracassée la tête par-terre, une voix s'élève.
- Et c'est à elle qu'on a donné un douze à l'entraînement ?, ricane la voix, sans pitié. On fait des pieds et des mains pour ça ?
Tiens... Je me mets à trembler.
Il se passe quoi, là ? ... Il vient d'où... ? Peut-être qu'il est pas de notre équipe, en faite... J'aimerais bien me retourner pour voir c'est qui, mais j'ai trop... pas envie. Pas par peur, hein ? Nan, j'ai jamais peur, moi... J'ai juste... une maladie de la bouche. Quand je regarde les gens dans le noir, ça me fait faire de l'urticaire sur la langue et je m'en remets pas, alors pour respecter ma santé, vaut mieux que je reste là, immobile, à dresser l'oreille...
Enfin... Immobile...
Je me rappelle avec trente secondes de retard que je me suis levé en sursaut. J'me suis pas fait choppé, pas vrai ? ... Je tourne les yeux vers la droite. Un visage étroit et des petits yeux de fouines me regarde.
- AHHHH !!!!!!
Je plaque mes mains sur ma bouche en priant pour que mes spasmes se calment, parce que sinon on est mort. Peut-être qu'il m'a pas entendu ?
La tête sourit de toutes ses dents... rouges.
NAN, il m'a pas DU TOUT entendu...
Vu que y a pas de lumière, je vois pas bien sa figure mais je crois qu'il est blond. Pourtant, j'ai pas la plus petite impression qu'il soit Damen ou Newt. Même que quand il éclate de rire (c'est-à-dire maintenant) sa voix ne ressemble à aucune des B.
- Y en a eu un d'assez con pour tomber dans ce piège de naze ?, ricane-t-il inclinant la tête sur le côté, rigolant de me voir me faire tout petit au fond de mon filet. J'avais dis à Marvel que personne serait assez bête pour tomber dans le panneau... Tu te sens insulté, là ?
Silence, Chuck. Je me mords l'intérieur de la bouche. Des larmes me coulent sur les joues. Parce que j'ai chaud, faut pas croire ! Pff...
- Oh, tu réponds quand je te cause, ducon ?, ajoute le gars en mettant un petit coup dans le filet.
Petit coup, mais je me balance quand même de droite à gauche. L'art d'être un saucisson muet que les acheteurs viennent renifler, acheter, découper en rondelles dans leur assiette le soir du nouvel an...
- J'entends rien, je fais dodo, parviens-je à dire en claquant des mâchoires.
C'est le froid qui me fait faire ça, faut pas croire...
- Tu viens de crier, me rappelle-t-il.
- C'était un cauchemar...
- Tu parles en dormant ?
- Je suis somnambule...
Ferme les yeux, ferme les yeux, ferme les yeux.
- Ron, pich ! Ron, pich !, fais-je, imitant des ronflements saccadés.
Dodo, dodo, dodo...
Même si j'ai les yeux fermés, je sens toujours son regard sur moi. Il agrippe subitement le filet et me tourne vers lui, comme si j'étais sur une balançoire. Il me regarde droit dans les yeux.
...
OH, MAIS SI JE LE SAIS, C'EST PARCE QUE J'AI LES YEUX OUVERTS !
Je les referme aussitôt. « Ron, pich ! Ron, pich ! » Le gars soupire.
- Quel bonheur que tu sois pas dans mon équipe, avoue-t-il en me frappant sur la tête avec son doigt. Un crétin comme toi, je l'aurais vidé de ses organes en moins de deux.
- RON, PICH ! J'entends rien !
Et PAF ! Ça, je le sens, par contre. J'ouvre tout grands les yeux, choqué, traumatisé, apeuré (terrorisé) et ne comprenant pas ce qui m'arrive. Le Tribut a passé sa main entre les mailles et m'a agrippé la gorge.
- T'es avec qui, ici ?, susurre-t-il entre ses dents, menaçant, flippant, carrément dingue.
- C... C... C'est un secret...
- Je me répéterais pas, grogne-t-il en serrant encore plus fort.
J'essaie de me débarrasser de lui avec les deux mains mais rien à faire, il est trop fort. Il me tient pas de façon à m'étrangler, mais de façon à juste faire mal. Pour que je meurs de douleur et non d'asphyxie. Qu'il est mignon !
THOMAS !!! EMMA !!! MAMAN !!!
- Je... Je... (Je ferme les yeux. Des larmes coulent d'elles-même, ces idiotes. La fatigue...) Je sais pas comment ils s'appellent !
Son visage jusque là très calme et serein vire d'un seul coup au rouge, comme ses dents lorsqu'il les a montré tout à l'heure. Il tourne la tête le temps de cracher un filet de salive de la même couleur. Hum... Grenadine ou ketchup ? Aucune idée.
Je me sens pâlir tout d'un coup.
Et c'est là que trois choses presque simultanées arrivent. Dans un sifflement lourd, quelque chose traverse l'air, si vite que je ne peux pas le voir - et la nuit noire comme pois n'arrange rien. Tout ce que j'arrive à deviner, c'est au reste de mes sens. Odorat, touché, ouïe. Mon agresseur pousse un cri, et sa prise sur ma gorge se relâche d'un coup. Je l'entends défaillir, basculer en arrière. Et pouf : par terre.
IL SE PASSE QUOI ?!?
J'enroule mes doigts autour de mon cou et recommence à respirer normalement, et en même temps, je regarde de tous les côtés pour savoir ce qui vient de se passer. Y a rien ni personne, par ici ! Il s'est prit une pomme de pin ? ... Dans une forêt de chênes... Bon, un gland, alors ?
- Y a quelqu'un ?!, lance-je, pas au bout de mes surprises.
- Tu parles tellement fort ! C'est normal que toute la forêt t'entende.
OH !
Je pousse un cri (de surprise, faut pas croire) en me dressant d'un seul coup. Et en me prenant la branche du dessus. Aïe. Je retombe mollement, les larmes aux yeux tellement ça fait mal, et je me frotte le crâne. Comme par un hasard fameux et troublant, les nuages s'en vont pour laisser le ciel à la merci de la plus grosse des boules discos, la lune toute éclairée... Bon, une boule disco en forme de croissant. Si seulement c'était la pleine lune, je me taperais pas la honte avec moi-même...
Cette voix - celle qui m'a parlé - je la reconnaîtrais toujours, pour le coup. Sa propriétaire avance tranquillement jusqu'à moi. Sa façon de marcher est toujours dansante et souple, comme un cygne. Elle a un sac en bandoulière autour d'elle, un lance-pierre à la main et les poches pleines de munitions. Ma sauveuse !
Elle incline la tête sur le côté avec un sourire... narquois. (Et ouais, je connais du vocabulaire recherché, moi ! Ooh, comment un être aussi parfait peut-il exister?)
- A l'occasion, tu m'expliqueras ce que tu fiches là-haut, Chuck.
- Ça se voit pas ? ... (Une réponse, une réponse...) Je me suis fais un hamac !
Rue éclate de rire. Elle n'y croit pas une seule seconde... PFF !
- Quoi ?, siffle-je, piqué. Ça t'dérange, tête d'orange ? Tu t'l'épluches et tu t'la manges, ça va faire du jus d'orange !
Je vous rassure, on est toujours comme ça.
- Oh, grandis..., soupire-t-elle tout bonnement.
Puis elle sort un long couteau parfaitement aiguisé, le brandit vers moi et ouvre le filet en deux.
J'ai rien vu venir.
Je cris et tombe par terre sous son regard... MOQUEUR ?! Elle me cherche, cette femelle...
- NON MAIS TU VAS PAS BIEN ?!
- Chuuut ! (Elle plaque sa main sur ma bouche pour m'empêcher de parler, et elle regarde autour d'elle.) T'as vraiment envie de mourir ? Cato te suffisait pas ?
- Gâteau ?! Où ça ? Où ça ?
Je tourne la tête dans tous les sens, en quête de ma seconde femme, le dessert. Rue me reluque avec un air désespéré. Ouais, je sais, je suis trop beau et inaccessible. Ça en fait pleurer tous les soirs...
- Bon... sinon, ça va ?, me glisse-t-elle, me sortant de mes pensées. Tu t'en sors ?
- Évidemment ! Tiens, tu savais que c'est moi qui fais vivre toute mon équipe ? (J'affiche un sourire triomphant.) Je les fournis en nourriture : grâce à moi, il n'y a pas encore eu un seul mort de faim !
- C'est la première journée.
Mmm... Cassage de délire, ils connaissent ça, dans le Six...
- La ferme : c'est moi qui parle, lance-je avec un peu d'agacement d'être coupé à chaque syllabe.
Elle rit vite fais. Pour vous dire, en faite, Rue est ma camarade - celle avec qui j'ai passé beaucoup de temps pendant les entraînements et qui est devenue mon amie. On se connaît donc, soyez pas étonné. Elle se relève en roulant des yeux, comme à son habitude, puis baisse son regard sur sa cible tout en rangeant son couteau. Je me relève en époussetant mes habits. « Pourquoi elle a parlé de gâteaux, celle-la ? » Je boude en regardant le filet où j'étais accroché. Il est un peu haut, quand même... Je m'approche ensuite de Rue. Et je regarde la personne qu'elle a blessé.
- AHHHHH !!, hurle-je, choqué. MAIS C'EST CATO !!
- Ouaaah, quel sens de la déduction, s'écrie-t-elle, toujours méchante, en se mettant à genoux près de lui. Tu m'impressionnes, Chuckie.
Je la regarde faire avec une panique complètement... NON, OUBLIEZ CE QUE JE VIENS DE DIRE ! De la surprise ! Je la regarde faire avec une grande surprise. Rue touche doucement les tempes de Cato, comme si elle mesurait quelque chose. Maintenant que je suis proche de lui, je peux mieux voir à quoi il ressemble. Pas étonnant que tout le monde en ait peur : un mètre quatre-vingt-quinze, soixante-dix kilos de muscles, un esprit dopé par des profs qui enseignent l'art et la manière de tuer et le concept de ne pas avoir peur de la mort. On n'a aucune chance face à ce genre de monstres. Les Carrières sont nos adversaires les plus sérieux. Je suis bien content de ne pas être dans leur équipe. Pauvre Rue...
En parlant de cette sorcière, elle s'est désintéressée du cas de Cato pour se pencher sur celui d'Emma. Je crois que dans son District, on est spécialiste de la médecine. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Elle analyse avec soin l'arme plantée dans la cuisse de la blessée, et débute même une...
Euh... QUOI ?!
- EMMA EST BLESSÉE !, braille-je en finissant à genoux près d'elle, la tête et l'estomac sans dessus-dessous, l'un aussi vide que l'autre...
Euh, non, je voulais pas dire ça. Je suis intelligent, c'est ma maladie nocturne de l'urticaire qui me fait penser des bêtises.
Bref.
- EMMA ! EMMA !
Mon cœur bat très très vite, c'est bizarre. Je me mets à genoux près de la blessée en lui criant dans les oreilles pour la réveiller. Rien. Je lui mets des baffes - le seul moment dans ma vie où je peux la frapper sans risquer d'être démonté pièce par pièce dans la seconde qui suit. Naan, j'en parle mal et je la méprise, mais j'aime Emma. Beaucoup très fort très beaucoup, même. On est... une équipe, à nous deux. L'équipe des geais moqueurs. Mes yeux se posent sur la broche agrafée à sa veste. Elle ne le sait pas, mais je porte le même signe autour du coup, avec la chaîne de mon Papa.
- EMMAAA DEBOUT TOUT DE SUITE !
- Mais ferme ta boîte à camembert !, me siffle l'autre. T'es barjo, toi, de crier comme...
- Emmaaaa, réveille-toi, t'as pas le droit de faire ça ! C'est toi qui doit veiller sur moi, pas l'inverse ! Qu'est-ce qui t'arrive ? Elle a fait un malaise ? Aah, des écorces ! Elle a besoin d'écorce, c'est ça ? (Je ramasse le couteau responsable de son bobo.) Je reviens !
Et je cours vers notre arbre, vite stoppé par l'autre mégère.
- Non, le Petit Frère Transit. Tu restes là.
Elle m'a retenu par le bras... Attaque par l'arrière. Quelle lâcheté !
- La blessure n'est pas profonde, et elle n'a pas eu le temps de perdre beaucoup de sang, me « rassure » Rue en me regardant avec ses yeux noirs couleur crotte de nez séchée sous une table - noooon, j'ai jamais fais ça, qu'est-ce que vous racontez.... Elle va survivre, ajoute-t-elle en hochant la tête.
- Mais je veux qu'elle vive, moi. C'est-à-dire que je veux que la plaie guérisse normalement ! Elle aura besoin d'une amputation, tu penses ?
Je ne saurais décrire l'émotion écrasante de surprise qui s'est affiché sur la figure du toubib. Mais je suis sûr que... j'ai vu juste ! Elle va mourir ! Vite, écorce, écorce ! Je tourne les talons en poussant des cris et plante mon couteau... si fort dans le tronc... qu'il reste accroché. La tête que je faisais se décompose, et je me tourne vers Rue, choqué. Elle, elle me regarde avec ses yeux moches et incompris. Elle secoue la tête.
- T'es plus bête que tes pieds, toi.
+++
- T'es vraiment sûre que c'est comme ça qu'on va la sauver ?
Ma voix ressemble à celle de ma mère lorsqu'elle est devant un plat que Papa a préparé. Dans l'assiette, une sauce transparente et sans goût coule pâteusement sur des billes noires croustillantes comme du pop corn calciné comme du charbon dans la cheminée du salon. « Tu es sûr que ce sont des petits pois, chéri ? »
Ouais, pas de doute, j'ai la même inquiétude que ma mère à ce moment-là.
J'ai bien le droit d'avoir peur. Après tout, elle est pas normale, cette Rue. Pourquoi elle a décidé toute seule de quitter l'arbre alors que Thomas et Damen voulaient qu'on les attendent là-bas ? Si ça se trouve, Rue est une indigène. Elle nous emmène dans une grotte pour nous bouffer. Tout cela est de ma faute... je suis beaucoup trop mignon...
Quelle tristesse, d'être si parfait !
- Euh..., fait-elle, et je me tourne vers sa tête qui réfléchit pendant que la mienne s'horrifie à l'idée qu'elle ne sache pas ce qu'elle fait. La sauver, je sais pas, mais...
J'en étais sûr. Elle a pas de plan.
- Tu m'avais dis qu'elle allait survivre, grosse menteuse !, l'accuse-je, frustré par les bêtises qu'elle me raconte depuis qu'on s'est retrouvé. Ouhh, la menteuse, elle est amoureuse ! ... De moi ?! Nan, je veux pas d'une docteure perchée comme amoureuse, désolé. Mais pleure pas, t'es pas la première...
- Toi, cause toujours mais cause pas trop !, siffle-t-elle, piquée au vif. Y en a plus d'un comme toi qui ont essayé de me faire flancher, à l'école. Mais je me suis jamais laissée faire !
- Je te cause pu.
- M'en fiche !
Et déterminée à oublier ma présence, elle se remet à tirer avec acharnement notre wagon... si on peut dire ça comme ça. En faite, on a recouvert de feuilles mortes et d'herbe le filet qui m'a prit au piège, on a allongé Emma dessus et on la tire. C'est ça, la mission bizarre... Les caméras cachées un peu partout autour de nous - oui, il en faut bien pour nous filmer, les Hunger Games sont avant tout un jeu télévisé - doivent nous prendre pour des psychopathes. Des gamins - ou plutôt un beau jeune homme et une chipie à couettes ébouriffées - qui partent cacher leur dépouille dans un coin de la forêt. Inquiétant...
Il fait toujours très noir, et des bruits bizarres nous entourent. Aussi, on est dans une forêt. J'essaie de relancer la conversation :
- T'es moche, dis-je avec un sourire expressif.
Elle m'adresse pas un sale petit regard de vipère.
- Tu pues.
- C'est toi qui pue, sale fourmi !
Et dire que j'ai fais un effort... Elle me déçoit, cette vieille branche.
PDV Emma
- T'as dis quoi, là ?!
- Ouais, t'as très bien entendu ! SALE GROS BÉBÉ !
Ce sont ces phrases incohérentes mais cependant arrivées dans mes oreilles qui m'ont tirées de mon sommeil. J'ouvre mes paupières, mais elles sont si lourdes... J'y vais tout en douceur parce que ma tête m'élance et que je suis épuisée. Ma seule envie est de me rendormir. Lorsque je retrouve la vue, je découvre le ciel qui s'éclaircit, la cime des arbres pointus, les branches qui mugissent au doux contact du vent. Le jour se lève, et... j'avance alors que je ne bouge pas. WTF ? Je commence à bouger, m'étire, et je m'arrête. Les voix s'arrêtent. Je m'assois en douceur.
- EMMAAAAAAA !!!!
Et une baleine à bosse me saute dessus. Et se prend une baffe.
- Casse-toi !
Et ne bouge pas. C'est con, les baleines ? Je le repousse loin de moi avec une grimace, et des larmes commencent à perler au coin de mes paupières. J'étouffe le cri que j'ai envie de pousser en me mordant la langue, et je porte mes mains à l'endroit sensible : ma cuisse droite, aussi douloureuse que le cas où une balle de fusil l'aurait traversé. Chuck me regarde, ses lèvres ont la tremblotte. Il renifle bruyamment en s'essuyant les yeux du revers de la manche.
- Je m'inquiète pour toi, et toi tu..., commence-t-il, mais il s'arrête dès qu'il réalise que sa voix tremble.
- Désolé, p'tit gars, mais... ça va pas, là...
Ma voix est très basse, tremblante aussi, comme quelqu'un qui essayerait de parler après s'être prit un coup de poing de le ventre. En l'occurrence, le poing, je l'ai dans la cuisse. Des feuilles sont collées dessus, mais quand je les attrape pour les retirer, quelqu'un m'en empêche. Mais ce n'est pas Chuck, puisqu'il est en face de moi.
- Non, n'y touches pas, ça vaut mieux.
Je lève lentement le menton vers... la Tribut. Ce serait difficile de ne pas la reconnaître : c'est Rue, la gamine du Six. Elle me lorgne de ses grandes prunelles noires.
- Si tu l'enlèves, la plaie va s'infecter, ajoute-t-elle en baissant les yeux sur ma jambe.
Je garde les yeux rivés sur elle. Comme si c'était une chinoise africaine aux cheveux verts qui me parlerait en russe du dix-septième siècle.
- Une plaie ?, répète-je, incrédule.
- Tu ne te souviens de rien... C'est normal. Tu as fais une grande chute.
- Une chute, en plus...
- Il faut lui expliquer, intervient Chuck, moins vexé par mon attitude maintenant qu'il a comprit qu'il s'est appuyé sur ma jambe blessée. Je te laisse le rôle de la raconteuse d'histoire, Rue, vu que t'aime bien causer pour rien...
La petite, rouge pivoine, se tourne vers lui et tire sa petite langue agacée. Je regarde Chuck avec surprise. Il est pas bien, lui ? Pourquoi il parle comme ça ?
- Bah, t'es tombé sur la tête, toi aussi ? Parle bien, le gronde-je.
- C'est elle qui me cherche depuis que t'es dans les vapes, hein..., bougonne-t-il, fâché contre la Terre entière - toujours dans l'excès, lui.
- Et pendant qu'elle te cherchait, elle a réussi à me soigner ? Eh bien, encore une preuve qu'il n'y a que les filles pour faire plusieurs choses à la fois... (Chuck, choqué, me tourne le dos en pépiant que je n'aurais jamais survécu sans son écorce et que je lui dois la vie. Rue rit légèrement. ) Alors, petite, tu peux m'expliquer ce qui se passe ?
- D'accord, mais alors il faut continuer à marcher. C'est dangereux, de s'arrêter ici.
- Bah... Pourquoi ?
Elle me tend sa main, et je m'en saisis après un bref instinct de recul. Glissant son bras sous mon aisselle, elle m'aide à me remettre sur pieds, supportant mon poids sans aucun mal.
- Parce qu'on est en territoire ennemi, là. (Elle dit ça d'un ton naturel en ramassant, repliant, rangeant le filet dans le sac que Chuck porte.) On est arrivé chez l'équipe A.
+++
- OH, L'ORDURE ! T'ES DE L'EQUIPE A !
Le cri répulsif et heurté, dégoûté, choqué de Chuck me fait perdre tous mes moyens. Je tourne un visage ensauvagé vers lui. Il est complètement idiot, ce gamin ?
- Abruti ! (Coup de poing sur le crâne.) Si elle est pas des B, pourquoi t'es choqué qu'elle soit avec les A ? C, P et tous les autres existent pas, tu te rappelles ?!
Il frotte sa grosse tête vide en reniflant, sans réussir à m'apitoyer toutefois. La gamine ne prend même pas en compte notre échange. Elle nous observe toujours aussi normalement, sans bonheur que j'ai pris sa défense, sans crainte qu'on ne se retourne contre elle. Elle hausse les épaules.
- J'avoue que j'étais étonnée que tu n'aies pas pensé à me demander ce que je faisais là, Chuck, dit-elle d'un ton léger.
- OH !, m'exclame-je, et Chuck geigne derechef. T'as pas pensé à cette base de la sécurité ?! ABRUTI !
Nouveau coup. Il lâche un « AÏE » qui percerait des tympans de plombs, puis se met à trépigner, excédé par ma conduite. Ce qu'il ne sait pas, c'est que c'est lui qui m'excède, là !
- Mais c'est pas de ma faute !, se défend-il d'un ton plaintif... qui ne prend pas, avec moi. C'était ma maladie ! Elle me fait de l'urticaire et après j'arrive plus à réfléchir ! (Mince... ça a l'air sérieux... Ce fou de Snow aurait-il laissé un enfant malade faire les Hunger Games ?) Même que les symptômes, c'est qu'on... oublie de demander des infos aux inconnus... des milieux forestiers en particulier...
Hum. Toute sa crédibilité se brise comme une statuette de verre.
- Tu te fous de moi, là ?
- Euh, non, c'est très sérieux.
Il me jauge de ses grands yeux bruns qui ont la même teinte maladive que Henry lorsqu'il racontait les histoires de Once Upon A Time. C'est-à-dire en perdant toute l'attention que j'ai bien voulu lui accorder.
- Et ça stipule qu'on est assez crétin pour tomber dans des pièges de CP ?, essaie-je de m'interposer calmement, mais une bouffée d'agacement mugit déjà dans ma gorge.
- HEIN ?! Mais tu m'as dis que les équipes C et P existent pas, tout à l'heure !
- ABRUTI CONGÉNITAL ! FERME-LA SI C'EST POUR DIRE DE LA MERDE !
- Mais tu viens de parler des CP !, pleurniche-t-il, incompris.
T'sais quoi ? Je vais l'ignorer, ça vaut mieux. Faudrait pas que sa face se retrouve plus dégommée qu'elle ne l'est déjà. Ferme les yeux, respire un bon coup et ignore-le. C'est ce que je fais, puis me concentre sur l'enfant FILLE, je précise, qui le regarde en secouant lentement la tête, désespérée.
- Boulette de plonk molle, renifle Chuck, blessé par tant de haine féminine.
- OUVRE ENCORE TA BOUCHE ET TU DEVRAS MANGER AVEC LE NEZ, MON GARS !
Silence radio. Je crois que c'est l'instinct de survie qui s'est réveillé chez lui.
- Allez, on reprend la route, siffle-je, au bout de ma vie.
L'art et la manière de me taper sur le système.
On reprend donc notre chemin, d'abord dans une maussaderie sans pareil, puis avec un petit peu plus d'humanité. Lorsque je me sens calmée, je demande précisément à Rue de m'expliquer ce qui m'ait arrivé, puis ce qu'elle fait ici. Elle m'annonce qu'elle nous a sauvé de Cato grâce à Landry (elle me montre son lance-pierre) et rassure la populace avec la très célèbre phrase « Je ne vous veux aucun mal. »
- Madame se met à parler comme les maîtresses d'école, se moque Chuck suite à cette dernière phrase de la petite noire.
Un regard de ma part suffit à le replonger dans ses bougonnements.
Bref, après avoir compris comment je me suis retrouvée avec une entaille dans la cuisse, la question qui se pose est de savoir pourquoi elle a quitté son camp. Mais elle ne me répond pas, parce que j'arrête de l'écouter aussi. Parce qu'on tombe enfin sur...
Un ruisseau.
Un ruisseau d'eau. J'ai l'impression que toute la soif que j'ai pu éprouvé dans ma vie me tombe dessus d'un coup.
- PATAPLOUF !, hurle VousSavezQui en courant comme un phacochère vers la rivière brillante sous les premiers rayons du soleil...
- Non, pata rien du tout, grognasse-je en l'attrapant par la capuche. Tu t'agenouilles comme tout être civilisé, tu t'abreuves soigneusement et TU FICHES LE CAMP ! C'est pas l'heure de la baignade, frangin !
- T'es tellement pas drôle, en faite, soupire-t-il, déçu.
- Je suis une grande. Et les grands pensent à survivre, pas à piquer une tête dans une eau glacée. C'est ça, la fatalité.
- Qui te dis qu'elle est glacée ?, s'intéresse-t-il en haussant hautainement son sourcil.
Je pose un doigt mauvais dessus, et il grimace, louche pour voir ce que je fais.
- Joue encore avec ta barre de poils marron, là, et je te rase.
- Ma barre de poils... Oh ! Mon sourcil ?
...
Je propose... qu'on s'abstienne de tout commentaire qui serait jugé dégradant pour l'image de cet enfant. Cela vaut mieux pour sa réputation.
Le cerveau humain réserve encore plein de surprises.
Je le dévisage comme... Je sais pas trop, en faite. Je réfléchis silencieusement au mot qui le qualifierait le mieux jusqu'à ce qu'on entende quelque chose s'écraser par terre, derrière nous. Ouais... je crois que c'est Rue qui nous fait une crise de rire aigu. Chuck la regarde et essaie de sourire, mais la tête que je tire évanouie en lui tout fantasme de réconciliation immédiate. Je l'aurais poussé à l'eau, si ce n'était pas si dangereux. Bah oui, nos vêtements sont à usage unique, ici. Il pourrait tomber gravement malade s'il se baladait trempé. Mieux vaut le garder au sec... et endurer son absence de normalité intellectuelle. « Toi, t'es un cas social... », est le seule chose que je m'autorise à lui révéler. Par sympathie. Il ne peut pas continuer à vivre dans l'ignorance...
Bref. Sautons les minutes qui suivent.
On se désaltère un bon bout de temps, rafraîchissant nos visage, nos bras, mais on n'a pas le temps de prendre une vraie douche. J'ouvre le sac que porte Chuck et en sort la seule et unique gourde de l'équipe B. Heureusement, ce ruisseau est très froid - la température va se conserver longtemps. A mon avis, elle vient d'une source souterraine. C'est même obligatoire, vu qu'on n'est pas du tout en montagne...
A propos, je sais toujours pas comment qualifier cet endroit.
Un énorme carré de plaine. Un bout de forêt. Le tout encadré par quatre énormes murs percés par de grands couloirs... où je n'irais pour rien au monde...
- Bon, on bouge, décrète-je une fois que la gourde est remplie.
Bonne nouvelle : l'eau est si propre qu'elle doit être potable. Pas besoin de la traiter. Ça nous ôte une épine du pied.
Les enfants remballent leurs affaires, remettent leurs chaussures et me suivent. Rue s'est à nouveau remplie les poches de cailloux pour Landry, Chuck cherche des yeux cette espèce d'arbre dont on peut manger l'écorce. Moi, je m'arrête devant chaque fleurs sauvages comestibles. Ça fait... bizarre. De se dire que quatre ans plus tôt, j'étais également perdue et que je recherchais des plantes pour mon repas de midi. Et le contexte était presque le même : je fuyais pour survivre.
Koh Lanta, édition « Le Retour des Héros ». Vive la télé française.
Je m'arrête devant pissenlits et minuscules fraisiers, et même quelques primevères. La fleur de Prim. Comme le perce-neige est la fleur de ma mère. J'en cueille de belles brassées, fourre quelques fleurs dans la bouche des petits et range le tout dans notre sac. J'apprends aux enfants comment cueillir des orties sans se piquer, et eux m'enseignent tantôt quels arbres peuvent fournir des fruits comestibles, tantôt quelles plantes médicinales il est judicieux d'embarquer. Et on rit beaucoup. On essaie de se changer les idées, et je fais en sorte qu'ils se sentent en balade pleine nature, et non pas dans un camp de la mort.
Mais Snow sait toujours comment tout casser.
Ils sont deux. Apparaissent d'un coup. Nous stoppent tous les trois.
« Boom ! », « Boom ! »
Pouf ! Deux en moins.
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La même expression mortuaire se dessine sur nos visages. On blêmit.
- Total ?, chuchote Rue.
Chuck ne répond pas, encore sonné par cette annonce. Je fais un bref calcul dans ma tête avant d'essayer - je précise bien essayer - de répondre. La première fois, c'est peine perdue : ma langue est toute sèche, aucun son ne sort. J'avale ma salive.
- Huit... je crois, chuchote-je, la voix cassée.
Huit en moins... Il en reste seize. Douze si on ne nous compte pas et qu'on enlève Damen, car EVIDEMMENT, il ne peut pas être mort. C'est impossible.
- Tu comprends pourquoi j'étais toute seule dans la forêt, maintenant ?
La voix douce et mélodieuse de Rue se brise en fin de phrase. Je baisse la tête vers elle... pour découvrir son petit visage poupin inondé de larmes. Et celui de Chuck lui ressemble à peu de chose près, si on ne compte pas son don exclusif pour se retrouver avec de la morve sur le front et les joues. Mais j'en ai vu d'autre, des trucs immondes. Je me mets à genoux au sol - difficilement à cause de ma blessure - les prends tous les deux dans mes bras, et ils y éclatent en sanglots.
- Eh, ça va aller, leur promets-je - première phrase du menteur débutant - en frottant leurs dos, leurs cheveux, tentant de calmer les secousses de leurs épaules. On est encore en vie, nous, pas vrai ? C'est ça, le plus important.
- T-T-Tous ces gens !, renifle Rue, apitoyée et apitoyante.
Oui, ça semble logique, maintenant. Elle est toute seule dans la forêt parce qu'il n'y a plus d'équipe A. Tout le monde a fui de son côté. Ils se sont délités.
- On n'y peut rien, ma belle... C'est ça, les Hunger Games. Mais tant qu'on reste soudé, il n'y a pas de raisons qu'on ne survive pas.
- Tu mens, devine Chuckie entre deux pleurs.
- Non, Chuck, c'est vrai. On est éloigné des autres, il n'y a pas de traces de chaussures dans la boue, pas le moindre collets de tendus... à mon avis, aucun des deux clans n'est venu s'aventurer par ici. On a toutes nos chances de sortir de la forêt avant les autres.
- S-Si ça se trouve, c'est D-Damen qui est m-mort !, sanglote-t-il.
Je me sens blanchir.
- ARRÊTE TES CONNERIES, TOI ! IL EST VIVANT !
- J-J-Je le savais que t'étais une m-menteuse ! Ouuuh, la menteuse, elle est amoureuuuuse ! ... Il va te recale...
- LA FERME !
Et il se remet à chialer dans mon épaule, tartinant ma veste de sa... bref, parlons de crevettes. Vous saviez qu'elles sont grises, à la base ? Et vous les mangez avec quoi ? La mayo, c'est le meilleur, je pense. Le hic, c'est le moment de les décortiquer. Leurs coquilles me stressent.
Et Damen est en vie, pas vrai ?
Ouais, la mayonnaise, c'est trop bon avec les crevettes.
Avant d'avoir le temps de me redresser ou d'adresser un nouvel encouragement aux deux benjamins des Jeux, quelque chose change dans l'atmosphère. Un grondement sourd retentit... comme hier. Le sol se met brusquement à trembler, et les enfants tombent à quatre pattes. Mais moi, je me relève directement. Puis me tourne vers la gauche. De là où provient le bruit... et l'énorme bourrasque de vent qui s'ensuit, me soulevant les cheveux. Les feuilles s'envolent encore plus brutalement, et le vent nous fouettent encore plus sauvagement le visage.
On est encore plus proche de l'extrémité de la forêt.
- Debout ! Dépêchez-vous !, hurle-je aux bambins en agrippant leurs bras, les jetant sur leurs jambes et les poussant en avant.
Tout tremble tellement sous nos pieds qu'ils finissent la tête dans la boue.
- Courez ! Courez !
Je les attrape sans grâce par la capuche et les traînes derrière moi jusqu'à ce qu'ils veuillent bien se mettre sur leurs pieds. Et on se met à courir (ça y ressemble, du moins) comme des damnés vers la bourrasque, vers le grondement horrible. Le bout de la forêt s'éclaircit légèrement, et il me semble apercevoir de l'herbe...
- On y est ! Grouillez-vous, on y est ! On y est !
Les gosses restent muets - on n'entend que leur respiration saccadée à cause de l'effort. Je cours (ou claudique comme un canard, une main sur la cuisse, respirant comme un phoque asthmatique - ça peut le faire aussi), les dépasse et ouvre la marche jusqu'à la lisière même de la forêt. Puis je leur lance un grand « Chuut ! » en les repoussant derrière moi, et je guette entre les arbres, cherchant de l'œil un signe de danger.
La plaine est dégagée et me semble plus petite, vue d'ici. J'aperçois la Boîte. Tous les sacs, les morceaux de pains, les bouts de tissus dispersés un peu partout autour ont disparu. Inutile d'aller voir plus près : il n'y a plus rien. Tout a déjà été pillé. Et le cadavre d'Enora a été retiré... ou dévoré. Par des bêtes sauvages ou des humains, qu'est-ce qu'on en sait. Les gens d'ici ont un grain, de toute façon. Même moi, d'ailleurs. Pourquoi ? Parce que j'observe des choses sans importance - la pelouse vide, en faite - au lieu de m'intéresser à la provenance du grondement.
Chuck étouffe un cri surpris en tendant l'index tout droit.
Chacun des quatre murs sont ouverts à leurs milieux par de longs couloirs sombres, vous vous rappelez ? Eh bien... je pensais que ces ouvertures ne se fermeraient jamais. C'est bien logique, puisqu'il n'y a pas de portes !
Enfin... C'est ce que je croyais.
Tous les murs gigantesques de droites semblent défier les lois de la physique. Ils glissent sur le sol en soulevant étincelles et nuages de poussière, et d'énormes rafales de vent s'échappent des couloirs, s'engouffrant dans le Bloc et la forêt, responsables des levées de feuilles qui nous décoiffent. Le grondement fait vibrer tous mes os, d'autant plus que le spectacle auquel on assiste est inédit. Les murs de droite sont les seuls à bouger, s'éloignant de ceux de gauche. Au bout de quelques lourdes secondes, ils terminent leur course et retrouvent l'aspect avec lesquels ont les a découvert hier : quatre grandes ouvertures, et des murs immobiles.
Ce qui veut dire qu'avant... ils étaient fermés. C'est de là que venait le bruit d'hier. L'ouverture et la fermeture de ces portes. Au levé et couché du soleil...
- Emma ?, me lance Chuck d'une voix chevrotante.
J'ai presque oublié sa présence, dites donc.
- Chuck, pas de questions, s'il te...
- C'est pas Minho, là-bas ?
- PAS DE QUESTION, J'AI DIS ! ... Euh, attends, tu disais quoi ?
Je me décroche - difficilement, il faut le préciser - de la vision de ces portes si étranges pour me concentrer sur les petits points noirs qui dansent au bout de l'index de Chuck. Loin là-bas, sur la plaine du côté de la porte Ouest, plusieurs personnes courent et crient sans que je comprenne pourquoi. Il s'agit bien de Minho... Et Teresa. Et Gally. Ils sont trois.
- Il manque quelqu'un, susurre gravement le garçonnet qui m'accompagne.
Oui, ils étaient quatre. Il manque un Tribut avec eux. Quelle horreur...
Était-ce une fille ou un garçon ? Que j'aimais bien ou que j'ignorais ? Dont je connais le nom ou dont je ne sais rien ? Les deux coups de canons de tout à l'heure me reviennent en tête.
- Tu crois que..., commence Chuck, mal assuré.
Ou terrifié, devrais-je dire.
Bon. J'aurais bien voulu le rassurer. Lui dire de ne pas penser à des choses... qui pourraient s'avérer vraies. Car nous ne sommes pas en randonnée à la montagne dans une équipe de scouts, on est aux Hunger Games. Et aux Hunger Games, il ne faut pas s'étonner si l'on voit trois Tributs terrifiés en train de fuir... deux autres personnes.
Une belle blonde. Un grand noir.
Glimmer et...
- ALBY !, hurle Rue d'un seul coup.
Et elle se met à foncer vers les deux A qui lancent flèches et machettes vers mes trois compagnons.
+++
- RUE, NON !
J'ai hurlé aussi fort que j'ai pu.
Chuck pousse un cri effrayé, sans vraiment comprendre ce qui se passe. Moi non plus, d'ailleurs. Glimmer court à deux à l'heure vers ses ennemis, donc mes amis, en envoyant sur eux une pluie de flèches paramétrée au centimètre près. Elle tient un arc grand, magnifique, de bonne qualité - le même que lors des entraînements. Sous les rayons du soleil, il scintille d'une magnifique teinte argentée. Ses flèches aussi.
L'une d'elle frôle Gally à la jambe.
- Alby ! Alby ! Alby !
- Rue, reviens !, lui crie-je, le cœur serré.
Qu'est-ce qu'elle fait ? Où elle va ? Elle est consciente que c'est la guerre, ou quoi ?! Le grand black s'arrête dans sa course - l'immense couteau à dents qu'il a envoyé dans les airs se plante dans le mur, à quelques pas de Minho. Alby nous regarde.
- ALBY ! ALBY !, s'époumone la petite en courant vers lui.
Là, ça craint.
Mon cœur se serre, se serre, se serre... C'est épouvantable ! Comme si c'était une amie de longue date que je voyais courir vers la Mort, prête à l'accueillir bras ouverts avec un verre de gin et une boule disco... Ou... Nan, un verre de jus de pommes. C'est bon, les pommes.
BORDEL, QU'EST-CE QUE JE RACONTE ?!?
Gally le Traître ne cherche pas midi à quatorze heures : il fonce comme un dingue sans comprendre si les cacahuètes poussent dans un arbre ou sous le sol. S'abstenant la moindre réflexion, donc, il s'engouffre dans le premier couloir de la porte Ouest. MAIS IL EST SUICIDAIRE, LUI !! QUI NOUS DIT QU'Y A PAS UNE FOSSE A CROCODILES, LA-DEDANS ?!? Glimmer s'arrête de courir inutilement... et commence à marcher à quatre pattes dans l'herbe, à la recherche de ses flèches - je vois d'ici que son carquois est vide. Elle est pas si terrifiante que ça, en faite. Niaiserie évidente.
Teresa passe discrètement derrière son ennemie avant de rejoindre Gally dans les profondeur des couloirs noirs. BANDE DE FÊLÉS ! Et Minho décroche le poignard d'Alby, planté dans le mur, avant de...
Se rapprocher du garçon noir de peau. Qui est toujours fixé sur sa binôme, visiblement.
- Rue ?, lance-t-il, heurté.
- ALBY ! JE SUIS ICI !
- Non, Rue, reviens !, lui crie Chuck, complètement paniqué.
On est les mêmes, sur ce coup-là.
CATASTROPHE !
Dépossédés du moindre pouvoir ou moyen de pression, incapables d'arrêter ou ne serait-ce que ralentir la course effrénée de la gosse, impuissants comme jamais, on se contente de crier, hurler, siffler en sautant sur place, en faisant de grands gestes, en utilisant nos mains comme un haut-parleur. Rien à faire : Alby pose un genou au sol, prêt à accueillir dans ses bras la petite fille que la joie rend aveugle. Minho s'en approche tout doucement.
Là, ça craint de ouf.
Je m'apprête à courir après elle, prête à tout pour qu'elle n'ait pas à subir des nuits de cauchemars en rapport avec le terrible massacre qui va arriver sous ses yeux d'enfant. Voir quelqu'un qu'on aime mourir sous ses yeux, ça nous... ça modifie notre vie. Ça nous change. Et c'est de pire en pire suivant l'âge auquel ça arrive. Je pense que je n'aurais jamais été celle que je suis aujourd'hui si je n'avais pas traversées toutes ces épreuves, et... et je ne peux pas imaginer... Arrêtez, Rue doit avoir douze ans à peine ! C'est l'âge à laquelle Sheryl... Ma sœur... Non, stoppez le délire, c'est mort. Elle va pas vivre ça. Elle va pas le voir. Non.
Je me mets à courir.
Nouveau problème. Nom : « Aïe ». Et je le crie bien comme une frappée mentale dès que je commence à faire de mouvements brusques de la jambe. « Putain de blessure à la cuisse ! Je t'ai zappé ! » Je tombe à genoux (Mmm, c'est bon, l'herbe, avoue...) puis m'assieds au sol pour inspecter brièvement la plaie. Elle se remet à saigner. M'en fous complètement. La boule au ventre, je lève la tête. Gally et Teresa ont fui, Glimmer est toujours par terre, Rue atteint enfin Alby en pleurant.
- NON, MINHO !, braille Chuck, sa voix se cassant complètement en fin de phrase.
Minho se stoppe dans son élan (il commençait à lever la machette au-dessus de sa tête) en cherchant d'où vient nos cris. Au moment où il nous localise, Alby redevient un Tribut méfiant et sur ses gardes. Il soulève la petite d'un bras, la balance sur son dos en une seconde, se met à sprinter vers la porte Nord. Dès que Minho réalise que l'autre prend la fuite, il se dépêche de le viser à nouveau.
- C'EST DU FORCING !, rugis-je, surprise par tant de violence de sa part.
Mais Alby est trop loin, de toute façon. He is save.
On entend d'ici le cri du chinois. Rempli d'horreur, il balance furieusement l'arme dans un mur. Alby et Rue disparaissent dans le mur étrange.
- Euh, là, c'est le moment de se casser, propose Chuck en me prenant la main, les yeux plantés sur Minho.
Ouais, j'aimerais bien. Sauf que je suis incapable de bouger. Je vois ce gars fou furieux... car il n'a pas pu tuer une autre personne. Une personne avec un cœur, une âme, une famille qui doit crever de peur en ce moment, devant son écran. Minho se détourne en pinçant les lèves. Il fixe le ciel en avalant une goulée d'air, tentant de recouvrer son calme. Il avance vers son arme, tombée au sol, et la ramasse.
Glimmer sourit de joie - elle vient de retrouver une flèche. Elle la range sagement dans son carquois, un sourire paisible sur les lèvres.
Je n'oublierais jamais ce visage.
Ce visage serein qu'elle a en ce moment. A l'instant où Minho lui tranche la tête d'un seul mouvement.
« Boom. »
Les minutes passent doucement. Chuck m'a rejoint par terre, sa tête posée sur mes genoux. Choqué à vie. Le dos droit comme un « i », je regarde l'asiatique sans bouger, sans sourciller, ma main caressant lentement les boucles brunes du gamin. Minho nettoie parfaitement son poignard avant de le rentrer dans sa ceinture. Il retire le carquois du corps de Glimmer et commence à partir en quête des flèches perdues. Il les ramasse une à une, de longues minutes, sans un regard vers nous. Lorsque le carquois est à nouveau rempli, il le pose près de l'arc.
Pour la première fois, il me regarde. Il se plante juste à côté du cadavre, vivant il y a cinq minutes, et croise fermement ses bras. Ses biceps ronds ressemblent à deux pommes compressées entre son épaule et son coude.
Je parlais de jus de pomme, hein ? Parce que j'adorAIS les pommes...
Glups.
Je ne dis pas un mot et me lève - Chuck en fait autant. On avance main dans la main vers notre « allier » au regard de feu. Je crois que je ne l'aurais jamais rejoins s'il avait gardé son arme à la main... Je pose une main sur les yeux de Chuck. Pour qu'il ne soit pas tenté de lancer un coup d'œil au corps étêté de la blonde. Puis je me baisse, ramasse l'arc et le carquois. Chuck se cache derrière moi en observant craintivement Minho. Maintenant qu'on est proche de lui, je baisse les yeux. Avec lui, faut pas faire le thug longtemps, je crois...
- C'est la première et dernière fois que tu fais un truc dans le genre, Princesse. (Sa voix n'est ni agressive, ni cassante : il a l'air tout à fait calme. Ce qui prouve qu'il ne l'est pas du tout.) Considère-toi comme prévenue.
Et sans nous demander notre avis, il marche d'un pas certain vers l'entrée du couloir Ouest. Chuck vomit le peu qu'il lui restait dans l'estomac. J'arrache avec les dents un morceau de ma manche et m'en sert de serviette pour lui nettoyer la bouche. Il tremble comme une feuille et se met à sangloter.
Je tremble aussi. Je me mords la langue.
Terrifiés, on rejoint Minho dans les profondeurs de l'arène sans un mot.
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