Chapitre 31 : L'Emission
Lorsque je rentre à l'appartement, tout le monde est déjà réunis dans le salon, buvant le thé en m'attendant. Ils m'appellent depuis la salle à manger, mais je fonce droit vers ma chambre, m'y enferme à double tour et me jette sur mon lit. Damen, Cinna et Haymitch se succèdent devant la porte, la frappent et me hèlent, m'incitant à sortir tandis qu'Effie décide de se rendre chez les Juges pour savoir ce qui s'est passé - je le sais car elle ne cesse de le hurler en courant dans toute la maison.
Ils sont tous derrière la porte lorsque j'éclate en sanglots.
Comprenant la gravité de la situation, les gars décident tous d'accompagner Effie, me laissant seule au douzième étage à broyer du noir comme jamais je ne l'ai fais de ma vie. Ça y est, mon insolence vient de me condamner ! Il est beau, le protocole de bonnes manières qu'on m'inculque depuis des semaines, hein ? Je suis morte ! Cinna m'a donné une chance de séduire les sponsors avec ma robe, et je viens de la foutre en l'air ! J'ai tout gâché ! Quelques servants inquiets frappent doucement à ma porte en lançant des « Mademoiselle ? » craintifs. Je les somme de quitter l'appart au plus vite.
C'est sûr, les Juges vont demander audience auprès du Président, trouvant mon comportement juste incontestablement scandaleux. Qu'est-ce qu'ils vont me faire ? M'arrêter ? M'exécuter ? Je viens de donner une bonne raison à Snow d'en finir avec moi. Vont-ils me laisser voir ma famille une dernière fois ? Vais-je mourir à Panem ou dans mon Royaume ?
Quelle misère !
Mes larmes et la fatigue ressentis de ces derniers jours s'abattent sur moi d'un coup, m'emportant dans un lourd sommeil sans rêves ni cauchemars. Ce sont les petits coups discrets d'Effie à la porte qui me réveillent. J'ignore quelle heure il est, mais il fait déjà nuit. Elle me prie de venir pour dîner, et je décide de sortir. Les scores seront annoncés à la télévision, ce soir. Il faut bien que j'y assiste.
Même si Dieu sait que je n'en ai pas envie.
Aujourd'hui fait parti de mon top des dix pires jours de ma vie.
Tout le monde m'attend à table, y compris Cinna et Portia, mais il n'y a pas Haymitch. J'aurais préféré que les stylistes ne viennent pas non plus car je n'aime pas l'idée de les décevoir. J'évite les regards et je trempe ma cuillère dans ma soupe de poisson. Son goût salé me rappelle mes larmes. Les adultes parlent de prévisions météo, et je croise le regard de Damen. Il hausse les sourcils. Une question. « Que s'est-il passé ? ». Je secoue légèrement la tête.
Et puis, alors qu'on nous sert le plat de résistance, Effie déclare :
- Très bien,mes chéris, assez tourné autour du pot. Racontez-nous un peu cequi s'est passé.
Damen et moi nous tournons brièvement l'un vers l'autre. J'ignore si ce sont mes yeux bouffis et rouges ou ma cuillère inutilement abandonnée dans le bol qui le décide à se lancer le premier, mais c'est ce qu'il fait.
- Standard.Quand je suis rentré, c'est à peine s'ils se sont tournés vers moi. J'ai cassé un javelot métallique sur ma tête, et j'ai plantéles deux morceaux dans un mur à vingt mètres de distance. Ilsm'ont juste remarqué quand je les ai sifflé.
Et dites-moi ce qu'il y a de standard là-dedans ?
Toute la table s'étouffe, sauf moi, en déprime complète. Portia se met à tousser, et Cinna crache dans sa soupe. Il lève des yeux gros comme des noix de coco vers mon copain.
- Un javelot métallique ?!, s'étrangle-t-il,juste sidéré. M-Mais ces armes sont incassables ! Elles ont été taillés dans lesmétaux et fondus dans les moules les plus solides des DixRoyaumes !
Damen le regarde, hausse les épaules.
Tout le monde est concentré sur lui si bien qu'on ne remarque pas ma façon discrète d'essuyer mes yeux encore rempli d'eau. Effie est restée sans voix face à cette déclaration. Une minute entière de silence se termine, et ce n'est que là qu'elle retrouve sa délicieuse voix de pie enrhumée :
- Tu as faisquoi ?!
- J'ai casséun javelot sur mon crâne, répète-t-iltout aussi calmement en roulant des yeux, espaçant bien lessyllabes pour qu'elle comprenne ce qu'il raconte.
- Non, pas ça !(Là,tout le monde la regarde.) Tuas siffléles Juges ?!MAIS QU'EST-CE QUI T'ES PASSÉPAR LA TÊTE, DAMEN CULLEN ?!?!
- Un javelot, je viens de le dire.
- C'est ça qui te choc, Effie ?!, sursaute Cinna, au summum de l'hébétude.
Furibonde, l'hôtesse le menace du bout de son éventail rose.
- Et les bonnes manières, Cinna ?! Tu en fais quoi, hein ?! Je me tue à lesélever, ces enfants, et voilà quelle image ils donnent de nousface aux JUGES des HUNGER GAMES ! Je vais devoir reprendre leuréducation à zéro, nom d'un rossignol !
Son monologue me hérisse le poil. Littéralement. Les autres poursuivent leur repas, soit en tentant de calmer Effie, soit en demandant à Damen la réaction des Juges face à son passage, son insolence ou son « Chao ! » final, lorsqu'il a quitté le gymnase. Je garde le silence, mais ça boue, à l'intérieur. Ça boue vraiment fort, et le feu de ma rage est si incontrôlable que je risque fort bien d'exploser.
- Mais crois-moi, jeune homme, tu ne t'en tireras pas comme ça !,crépite-t-elleen tamponnant le bord de ses lèvres avec une serviette en tissu.Comme je l'ai déjà dis, la discipline est mon fin mot ! Je nelaisserais pas un tel comportement déteindre sur nous to...
- Oh, assez !,lacoupe-je sèchement en frappant la table du poing.
Tout le monde s'arrête de manger.
- Ce qu'il a fait, ce n'est rien à côté de ma connerie !
- Langage,jeune fille !
- Qu'est-ce quetu as fais ?, medemande calmement Portia, inquisitrice.
... Quoi ?!
Je l'observe un long moment sans comprendre ce qu'elle entend par là.
- Vous n'êtespas allez voir les Juges ?
- C'est unemployer qui nous a reçu, il ne voulait pas nous laisser aller lesvoir, m'expliqueDamen en émiettant un morceau de pain au-dessus de son assiette,comme toujours. Haymitchest resté négocier. En tant que mentor.
- Mais nous, on ne sait rien, renchéritCinna.
Ow. OK, je vois. Je me laisse aller dans mon dossier et fixe le dernier qui m'a parlé. Je pensais qu'ils avaient été mis au courant, mais bon.
- J'ai envoyé un couteau sur les Juges.
Et c'est le silence.
Ils ne pensaient pas que j'allais le dire si sèchement, hein ? Bah voilà. Emma, ou la Non Subtilité.
- Tu asfais QUOI ?!, s'horrifieEffie avec une puissante horreur.
Son comportement confirme mes pires appréhensions. Je suis cuite, mais alors bien cuite. Je vais finir plantée au beau milieu de la place publique, à me balancer au bout d'une corde...
- Je leur aienvoyé un couteau... Enfin, pas sur eux à proprement parler. Dansleur direction. Comme Damen, je passais mais ils ne faisaient pasattention à moi et je... je me suis énervée. J'ai reposé monarc, mais il y avait trois couteaux... C'était Quatre, uninstructeur, qui me les avait laissé.
- Je le connais, concèdeCinna d'une voix plate mais prudente, au cas où ma crise de nerfsde tout à l'heure aurait une seconde mi-temps. Ila une longue histoire avec les Hunger Games, lui aussi. Bon. Commentont-ils réagi ?
- Je n'ensais rien. Je suis partie tout de suite après.
- Sans attendrequ'ils t'en donnent la permission ?, s'exclameEffie, pétrifiée.
- Je me la suisdonnée toute seule, de permission ! Ils n'ont aucun ordres àme donner, ils ne sont pas issus d'une lignée royale, que je sache ! Moi, si !
- Mais tu asperdu la tête ! Tu ne te rends pas compte que tes actes et tescaprices puériles nous retombent dessus ?! Hein ?!
Alors que tout le monde s'attend à ce que sa crise de nerfs à elle se poursuive, et alors que je m'apprête à lui crier de la boucler car son ignorance de gamine me tape sur le système, Effie devient muette et regarde droit devant elle, vers la porte d'entrée. A croire qu'elle a aperçu un fantôme. Mais à l'odeur d'alcool qui m'enfle les narines, je comprends que c'est pire.
- Ah,enfin !, s'écrie-t-elletout bêtement, et elle se lève de table.
Sans un bruit, on se retourne tous pour observer le nouvel arrivant. Haymitch s'approche de la table d'une démarche très lente. Aucune expression n'est peinte sur son visage. Sur celui d'Effie, en revanche...
- J'espère que tu es au courant, Haymitch ! La situation est fort critique !
Sans rien dire, l'homme tire sa chaise en bout de table, juste à côté de Damen et moi. Il est tout à fait détendu et ne trahi aucune de ses idées. Puis il s'empare d'une serviette, la déplie sur ses genoux et s'arme de sa cuillère. Il retire la cloche en ragent qui tenait au chaud sa soupe de poisson. Ce n'est que là qu'il lève ses petits yeux bleus de poisson vers nous.
Vers moi.
Je ne reste pas apeurée très longtemps. Un sourire de psychopathe aux lèvres, Haymitch lève le pouce. Ma pression retombe comme un flan, et je lui souris pour la première fois depuis qu'on se connaît.
- Joli lancé,trésor !
- Seigneur Dieu..., soupire l'hôtesse, et elle se rassoit mollement sur l'autre bout de table, désespérée.
Cependant, rien sur Terre et pas même l'humeur grisonnante d'Effie ne saurait déteindre sur celle d'Haymitch. Heureux à souhait, il éclate de rire sans me quitter des yeux, engloutis deux cuillerées de soupe, avale une tranche de pain tel un glouton tout affamé. Pour une fois, son enthousiasme me réchauffe le cœur. J'ai enchaîné sur les pensées funèbres, ça fait du bien de le voir si heureux de ma conduite.
- Et qu'est-ce qu'ils ont fait, quand tu as balancé ton couteau dans la pomme,hein ?! Ils étaient surpris, je parie ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Une tueuse, cette gamine ! Des Princesses comme ça, t'en verras pas partout, hein ? Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! T'as été élevé avec rudesse, mon agneau, pas vrai ? Je vois pas comment avoir un caractère de ce genre, sinon. Et alors, qu'est-ce que tu leur as dis avant de sortir, déjà ? Merci pour, euh...
- Merci pour votre considération, rappelle-jeen baissant les yeux sur mon assiette, joyeuse et tout sourire.
Damen et Cinna se mettent à hurler de rire, en chœur avec mon mentor qui ne cesse de répéter que « c'est génial ». En contraste, Effie est en dépression. Elle agite à deux mille à l'heure son éventail afin de redescendre sa température corporelle - elle boue, c'est évident. Pauvre femme.
- On ne va plus trouver ça drôle DU TOUT si les Pacificateurs décident de nous PUNIR !, pépie-t-elle, et elle essaie de reprendre sa respiration en vain.
- Qui ça, nous ?, rétorque sèchement Haymitch, la fusillant du regard. Elle avec son couteau, ou lui avec son javelot ? Dans tous les cas, ce qui est fait est fait. Alors délacez votre corset ou buvez un verre ; moi, j'aurais vendu mon âme au diable pour voir ça.
Et il dit cette dernière phrase en me transperçant de son regard, sa voix rauque et fauve comme un animal prêt à bondir. Je parie qu'une Princesse, ou même une femme, avec un tempérament de feu n'est pas connu à Narnia. Mais ils ne peuvent rien attendre d'autre d'Emma. La Fille du Feu.
Les amis, je crois que je suis rentrée dans le personnage.
+++
- Comme vous le savez tous, chaque Tribut va recevoir une note de un à douze après ces trois journées de lourdes évaluations.
La voix du présentateur aux cheveux bleus - du nom de Caesar Flickerman, d'après Portia - est le seul son qui brise le silence de la pièce. Tous installés dans le petit salon, nous gardons les yeux rivés sur l'écran. C'est l'heure de vérité, les enfants. J'ai de moins en moins peur pour moi. Déjà, aucun garde n'est venu m'arrêter, ce qui veut dire qu'on me laissera tranquille... du moins jusqu'à mon entrée dans l'arène. Là, ils me le feront certainement payer. Ou bien m'ont ils déjà décochés la pire des notes. Mais je m'en fiche, les gens pourront penser que j'ai fais exprès de cacher mon talent jusqu'aux Hunger Games. C'est une bonne stratégie, et vu que nos prestations ne devront jamais être révélées, personne ne saura que j'ai violé la sécurité des Juges.
- Mesdames et messieurs, les Juges ont attribué leurs notes !
Mon Dieu. On devait montrer à quel point nous sommes redoutables et prêts à tuer, et il nous présente ça comme Danse avec les Stars...
Munis d'un parchemin blanc cassé, Caesar commence sa lecture. Le visage de Colosse Un apparaît derrière lui, sur l'arrière-plan.
- Du District Un, Marvel. Avec un score de... Neuf !
Et un grand« 9 » apparaît à la place de son visage.
Ça se passe donc ainsi. Ils nous montrent d'abord une photo du Tribut, puis son score s'affiche au-dessous. Sans surprise, les Tributs des Districts Un et Deux, les « Carrières », comme les appelle Haymitch, ont tous entre huit et dix. Il me raconte alors qu'ils s'entraînent jusqu'à leur dix-huit ans dans des écoles spéciales Hunger Games, et qu'à leur majorité, ils se portent volontaires. J'apprends ainsi que Colosse Un et Colosse Deux aka Marvel et Cato se seraient déjà rencontrés à leur école commune ainsi que les deux super copines (la belle blonde et la brune sauvage imbattable au lancer de couteaux, qui s'appellent Glimmer et Clove.
Généralement, la moyenne des autres Tributs tourne autour de cinq. Étonnamment, la petite créole, nommée Rue, obtient un sept. Je retiens également son acolyte, le grand black, ainsi que l'asiatique et le gars à la mâchoire carré qui décrochent la même note. Le petit joufflu du District Onze patauge dans un quatre, et la garçon manqué relève la barre à six. Arrive alors l'image deDamen.
- A quel moment ils nous filment ?, siffle-t-il,étonné.
On le voit croiser les bras avec un sourire narquois suffisant. Il a l'air du parfait sadique ambulant, comme ça.
- Du District Douze, Damen. Avec un score de...
Caesar lève les yeux vers la caméra. Pour la première fois de l'entrevue, pour la première fois de la soirée, pour la première fois depuis que je l'ai vu au Grand Cirque, présentant la Cérémonie d'ouverture ; pour la première fois, donc, il ne sourit pas. Sérieux comme tout, il lâche, d'un ton ahuris, le nombre :
- Douze.
- Oh, merde !, s'écrie Haymitch en bondissant de son siège.
Une agitation fulgurante se déclenche autour de nous. Cinna frappe dans le dos de mon copain, qui n'en a strictement rien à faire. Il se contente de regarder l'écran en souriant.
- C'est pas croyable ! Les douze sont si rares !
- Si les sponsors ne pleuvent pas, avec ça !, m'esclaffe-je, folle de joie.
- C'est fantastique !, s'enjôle Effie. Je vous l'avais dis, qu'il était prometteur !
Blanc.
On la dévisage tous avec incrédulité. Elle perd peu à peu son sourire, et termine par s'écraser honteusement dans son fauteuil. Je ricane.
- Tu plaisantes ? T'as passé la soirée à geindre sur le Saint Livre des Bonnes Manières !
- On ne jure pas, jeune fille !
- Et enfin..., annonce Caesar, tout à fait plaisant.
On se calme. On se réinstalle convenablement, et plus personne ne s'intéresse à Effie ou à Damen. Haymitch fixe l'écran avec tellement d'intensité qu'il me fait peur. Cependant, lorsque mon image apparaît, c'est le premier à parler de mes yeux. Il me pointe du doigt sur l'écran.
- Visez-moi ce regard de braise ! La caméra est en surchauffe, je parie !
- Et c'est toi qui disais que « ce ne sont que des yeux »...,lui rappelle-je dans un soupir contrit.
Éclat de rire général.
- Du District Douze...
Et on se tait.
- Emma.
Putain.
- Avec un score de... Douze.
Double fucking putain.
Et le fauteuil de Haymitch se renverse en arrière dans un énorme brouhaha. Les deux Tributs de l'étage d'en dessous vont finir par porter plainte. De nouveau sur ses deux jambes, mon mentor pointe du doigt l'écran comme un abruti congénital.
- NOM DE DIEU !
- Haymitch, on ne jure pas !
- LE PREMIER DOUZE DÉCROCHÉ PAR UNE FILLE DE TOUTE L'HISTOIRE DES HUNGER GAMES !
- Emma ! Emma, t'as géré !, se met à crier Damen en sautant du canapé.
- Levons-nous, portons un toast !, ordonne Cinna en brandissant sa coupe de champagne.
Les adultes s'arment de leurs verres (ou leur bouteille dans un cas précis )
- Trésor,t'as fais un de ces scandales !, chantonne mon mentor avec un rictus béat de bonheur.
Et des coupes se dressent au-dessus de ma tête.
- A Emma Swan, la Fille du Feu !
Wow. Oula, doucement.
QUOIIIIII ?????
Douze ? La note maximale ?
Ils se foutent de ma gueule, ces crétins du Capitole ?!
Je me suis faite un sang d'encre en imaginant le pire, c'est-à-dire ma mort immédiate pour avoir défié ces Juges de merde, et voilà le résultat ? On me félicite,me remercie d'avoir trituré leur pomme avec une lame ?! Ils sont stupides et inconscients, ou seulement dépourvus du sens critique de tout être humain ?! Enfin, moi qui pensais que je partais du mauvais pied, c'est toujours ça de gagner. Réjouissons-nous de leur connerie internationale.
ILS SONT CONS,OU C'EST COMMENT ?!?
Et... et pensons à Prim. A mes parents. Mes amis. Ils me regardent tous du château, à l'heure qu'il est. Et... Et ils doivent être fiers de moi, hein ? Alors je le suis aussi. Fière. Je prends Damen dans mes bras, et nous nous félicitons de la manière la plus altruiste qui soit - câlin de deux secondes chrono, et pas de bisous pour éviter les soupçons. Les adultes rient à cœur joie en l'honneur de leurs petits protégés et se servent une nouvelle rasade d'alcool. Damen et moi préférons leur fausser compagnie. Je gagne ma chambre en souhaitant bonne nuit à toute la maisonnée, et m'endors dix minutes plus tard. Avec un sommeil... étrange. A demi trouble. Le chiffre douze me danse encore très longtemps dans la tête.
Un douze...
La meilleure note. Même Cato, le Tribut le plus fort de cette année, a eu moins. Ce qui signifie que mes adversaires doivent être tous choqués en ce moment-même. Ils vont me surestimer. Ils vont tous me prendre pour une menace dangereuse...
Une menace à exterminer.
+++
- Debout, debout, debout ! Ça va être une grande, grande, gran...
Paf ! Jamais deux sans trois ! Mon oreiller s'écrase d'un seul coup sur sa figure, et comme la veille, Effie glisse sur le sol dans un couinement de souris pitoyable. Elle l'a pas vu arriver, celle-la, je crois. J'étais cachée derrière la porte et attendais patiemment le moment où elle rentrerait...
J'hurle de rire. Damen aussi.
- Je t'avais dis que c'était à voir, hein ?, ris-jeen pointant du doigt l'hôtesse qui se tortille sur le carrelage,incapable de se mettre ne serait-ce qu'à genoux tant sa jupe estserrée.
- Un phénomène ! Quand on va montrer ça à Haymitch...
Et il récupère la caméra qu'on avait posé quelques minutes plus tôt sur mon lit, hilare. Effie Trinket relève difficilement la tête, mains sur sa perruque. Je fonds sur le sol en me tortillant de rire lorsque je réalise qu'elle s'est décrochée. La tête qu'elle fait !
- Riez bien, bande de crapules !, pleurniche-t-elleen s'appuyant sur un tabouret pour se remettre debout. Je vous hais !
- Nous aussi, on t'aime, Effie, larassure Damen en s'approchant d'elle bras ouverts.
- Non, ne me touche pas ! Damen ! DAMEN ! (Etil la serre très fort dans ses bras. Incapable de récupérer saliberté, elle décide de lui écraser le pied avec son talon aiguille.Ça n'a aucun effet sur Damen, mais je crains que le talon ne se fissure. Folle furieuse et honteuse, elle tire sadernière carte en braillant comme une imbécile.) Haymitch ! Haymitch !
- Qu'est-ce que c'est que ce boucan ?!, l'entend-on hurler de la salle à manger.
Je n'ai toujours pas arrêté de rire. Me relevant en vitesse, j'attrape la caméra et me précipite hors de ma chambre, pieds nus et en short de pyjama. Lorsqu'il me voit débouler ainsi vêtu, le mentor roule des yeux en réclamant le calme. Je m'écrase sur le siège à côté de lui, joues rougis et yeux brillants d'excitation. Son rire infernal se joint aux nôtres lorsqu'il voit l'attaque menée contre la pauvre Effie. Aussi, une blague comme celle-la, on ne peut pas en pleurer ! Et le bonheur que j'éprouve à avoir retrouvé un semblant de technologie avec cette petite caméra de fortune est incroyable. Mon monde et ses bienfaits me manquent tout de même un peu, je l'admets. Un peu beaucoup... Mais on avait pas le choix. On devait partir.
En repensant aux événements qui nous ont poussé à quitter Storybrooke, mes rires se sont stoppés. Haymitch profite de ce semblant de tranquillité pour faire venir Damen à table.
- Bon, les enfants. J'ai à vous parler. Ce soir, vous serez interviewés avec les autres Tributspar Caesar Flickerman. (Il avale une bonne rasade de vodka.) No panique, évidemment... C'est la même émission chaque année, le même plateau télé et la même organisation.
Il tartine son toast avec de la confiture de goyaves tout en terminant son verre. Installé en face de lui, Damen attend sagement la suite en plissant les yeux. Mais je sais qu'en réalité, il lit dans ses pensées. Oh, la commère... Il va connaître toutes les idées qui passe par la tête du vieux blond avant même qu'il ne les formule...
- Aujourd'hui, nous allons vous préparer. Vous aurez chacun quatre heures avec Effie pour la présentation, quatre heures avec moi pour le contenu.Tu commences avec moi, Damen.
- Et je me tape le Protocole, comprends-je dans un soupir.
- Je t'ai entendu !, piailleEffie de la salle de bain, furieuse et peinée qu'on se moqued'elle.
Je suis sûre qu'elle va se venger...
Et jamais je n'ai eu autant raison...
Nous retournons dans ma chambre, et elle me fait enfiler quelques centaines d'escarpins aux talons si hauts qu'on pourrait balayer le sol avec. C'est affreux ! Pire qu'au château ! Elle m'ordonne sèchement de marcher. Je perds l'équilibre, et elle rit en caquetant, se moquant de moi à chacune de mes chutes. A sa grande tristesse, cependant, j'arrive vite à m'y faire. Mes plus grands débuts étaient encore plus amusants. Demandez à Alice ou mes dames d'honneur...
Mes dames d'honneur. Greer, Kenna, Lola, Aylee. Alice, ma belle-sœur en or...
- Tu caches bien ton jeu, sale chipie !,me gronde la capitoloise, furieuse. Je parie que tu avais déjà des escarpins chez toi !
- Nan, tu crois ?
Et j'entame un petit tango avec quinze centimètres supplémentaires, la suivant partout où elle va rien que pour l'énerver. Et ça marche. Elle frappe le sol du pied comme une gamine rageuse.
Mais elle a plus d'un tour dans son sac, la maline !
Elle revient avec une robe de princesse lourde d'au moins cinquante kilos et me prie de marcher derechef. Là, y a un problème. Je bougonne, soulève la robe ; elle me tape les mains, me gronde comme une enfant, crie à la concentration. Marcher droite, lever le menton, et je me tape la célèbre valse à la Cendrillon avec une pile de bouquins sur la tête. Ils finissent évidemment sur les pieds d'Effie, qui chouine une nouvelle fois.
Si je rentre chez moi un jour, j'inviterais Aurore (enceinte) et Ashley (qui a eu son bébé à Storybrooke). On discutera un peu, et je demanderais à cette chère Cendrillon si le coup des livres existe bel et bien dans son Royaume aussi.
Après deux heures de calvaire, vient le moment d'apprendre à s'asseoir correctement. Posture des mains, délicatesse lorsque je croise les jambes, douceur en relevant le menton, beauté en redressant le dos, et apprendre à sourire comme une star. Ça, je sais faire. Greer s'est battue d'arrache-pied pour m'inculquer ces quelques règles. Je dois répéter une centaine de phrases banales en débutant par un sourire, en souriant ou en terminant par un sourire. Smile forever, be happy, guys !
Lorsque vient enfin l'heure du déjeuner, les muscles de mes joues sont tout endoloris.
- Ma foi, je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus, se désole Effie en me jaugeant d'un oeil critique, poings sur les hanches, épuisée. Surtout, n'oublie pas que tu veux plaire aux spectateurs. Évite de les fusiller du regard du début à la fin...
- C'est toi que je fusille du regard, là, luirappelle-je en fronçant les sourcils.
- Souris quand même ! (Je me prends une tape d'éventail à froufrou sur le nez.) Fais comme s'ils étaient des amis !
- Jamais ! (Je balaye son éventail de mon visage.) Mes amis sont en train de pleurer mon sort, ils ne parient pas sur le temps qu'il me reste à vivre.
Et j'envoie valser mes escarpins dans un coin de la pièce, furibonde. Je file vers la sortie en relevant ma robe sur mes cuisses. Dans le salon, Damen et Haymitch semblent d'excellente humeur, au point que je me dis que la séance de contenu devrait mieux se dérouler que celle du matin.
Cruelle erreur.
Après le déjeuner, mon mentor m'a emmené dans le petit salon et n'a rien dit pendant plusieurs minutes. Il essayait de décider sous quel angle me présenter au public. Charmante ? Hautaine ? Farouche ? Pour l'instant, je brille comme une étoile. Je me suis portée volontaire pour sauver une enfant, Cinna m'a rendue inoubliable, j'ai décroché le meilleur score à l'entraînement. Le public est intrigué, mais personne ne sait encore qui je suis réellement. Or, c'est l'impression que je ferais ce soir qui décidera de ce que Haymitch pourra m'obtenir en termes de sponsors. Rien n'est à négliger.
C'est pourquoi je n'y ai pas mis de la bonne volonté. Mais alors pas du tout, comptez sur moi !
J'ai rendu la vie impossible à Haymitch, qui doit certainement avoir envie de me fracasser contre le mur. Je refuse de jouer le personnage qu'il m'attribuera, que ce soit la petite Princesse capricieuse ou la jeune adolescente pleine de vie et de mystères qui pense au bonheur des autres avant le sien. On a aussi fait un mix des deux, on a ajouté le caractère colérique... Voyant que je n'en faisais qu'à ma tête, Haymitch a décidé de se concentrer plutôt sur les choses que je pourrais dire de moi. Parler de ma vie, ma famille, mes centres d'intérêts...
Il a tout essayé.
Et j'ai tout rejeté.
Une réponse simple, claire et précise à ce sujet : j'ai pas envie de jouer la comédie. Lorsque je monterais sur scène, je ne veux pas avoir à garder ce sourire de constipé, ces manières affriolantes et ce comportement qui appartiendra à une autre. Je n'ai pas envie d'offrir un aperçu de mon passé à des gens qui me volent mon avenir. Je n'ai pas envie de jouer, mais Haymitch ne le comprend pas, ça. Après quatre heures acharnées, il s'écrase au fond de son fauteuil et siffle sa troisième bières.
- Je jette l'éponge, chérie ! Y a plus rien à faire ! Contentes-toi seulement de répondre aux questions sans montrer à quel point tu méprises le monde !
Quel crétin. Il a rien comprit. Désolée de mon sort, je le quitte sans un regard. Haymitch est ma déception de la journée. Certes, Effie est idiote et crédule, mais elle vient du Capitole. Elle a toujours vécu dans le luxe et sous la protection de l'Etat. Lui, il vit au District Douze depuis toujours et pour toujours.
Lui, il a déjà traversé les mêmes épreuves que moi.
Et il reste insensible.
+++
Une fois mes séances en compagnie de l'hôtesse et du mentor terminées, c'est-à-dire à partir de quinze heures trente-cinq, j'appartiens à Cinna. Damen et moi nous croisons brièvement dans le couloir, le temps de rejoindre nos salles respectives. Il doit retourner au Centre de Transformation pour être préparé - moi, je me tape la salle de bain piteuse. Effie doit vraiment m'en vouloir. Mais je m'en fous un peu ; est venu un temps où je n'avais pas de toit du tout, alors un grand Centre ou une petite salle d'eau ne sont différents que par leurs superficies.
Mon équipe de préparateurs surgit au douzième étage comme une meute de chiens sauvages. Venia et Octavia m'embrassent, Flavius s'horrifie en voyant mes cheveux décoiffés, Aliénor leur ordonne de dégager le passage et Cinna roule des yeux en voyant ce massacre.
Et Haymitch et Effie trinquent dans le canapé en me lançant des éclairs.
Ils m'ont maudits, ces p'tits sorciers... Je me chargerais d'eux plus tard.
- Venia, prépare la crème à la vanille ; Flavius cherche lesproduits pour les cheveux. Octavia, emmène-la derrière leparavent. Déshabille-toi, Emma ! Cinna, va chercher sa robe. Posez une bâche en plastique sur le fauteuil. Ah, Venia, recouvre le miroir d'un drap blanc ! Je ne veux surtout pas qu'elle voit à quoi elle ressemble avant qu'elle ne soit prête à partir !
- Elle part au quart de tour, soupire-je,déjà éreintée par la future fin de journée qui n'arrivera quedans plusieurs heures...
- Eh,chérie ! (Jelève des yeux sans âme vers Aliénor. Elle sourit de toutes sesdents.) T'as envie de redevenir une vraie Princesse ?
- Non...
- ET BEN SI ET C'EST COMME ÇA ! AU TRAVAIL, LES GARS !
L'équipe s'affaire donc, jusque tard dans l'après-midi, à donner à ma peau un aspect velouté, à tracer des motifs sur mes bras, à peindre des flammes sur mes vingt ongles taillés à la perfection. Flavius s'occupe ensuite de mes cheveux. Je les ai lavé ce matin - et il me les relave quand même, les brossant, me faisant un beau chignon entouré de belles anglaises bien sculptées, et il les asperge d'un spray qui les fera tenir plus longtemps. Je pense à de la laque, mais ça n'a pas le même nom, ici.
- Allez,on s'active, on s'active ! (Aliénorest terrifiée par la perspective que je ne sois pas prête en tempset en heure. Telle une inspectrice des travaux finis, elle fais lescent pas derrière nous, malmenant son menton et criant à chaqueminuscule faute d'inattention de ses employés.) Bien... Sa pédicure est terminée ? Enduisez-lui tout le corps avec la crème à la vanille. FLAVIUS, SORS D'ICI, ELLE VA SE METTRE A POIL ! Allez, les amies, on se bouge ! COMMENCEZ LE MAQUILLAGE !
Aussitôt dit, aussitôt fait. On me chuchote de fermer les yeux, et j'obtempère sans discuter - sans quoi je risquerais de me faire gronder, moi aussi. On étale sur mon visage un fond de teint pâle, avant d'en faire ressortir les traits saillants : de grands yeux oranges, de longs cils noirs qui jettent des reflets de lumière à chaque battement, des dents blanches et luisantes. Au moment où on m'enduit le corps d'une poudre qui me fait scintiller comme de l'or, je comprends à quoi servait la crème à la vanille. Elle permettra de faire tenir la poudre.
Après deux heures ou plus de préparation, on me laisse renfiler mes sous-vêtements, et...et...
- Prends une grande inspiration, Emma, me conseille Octavia, juste derrière moi.
Choquée, je pince les lèvres amèrement.
- Non...
- Si...
- Oh, non !
- Désolé,chérie, me lance Aliénor. Allez,Octavia, lasse le corset.
NOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!!
Pas le corset ! PAS ÇA ! C'est de l'agression pure et dure, cette invention n'a aucun intérêt ! Ça sert juste à transformer un corps humain en image 2D, c'est atroce ! Pas le droit à ça, non... Arrêtez,je vais pleurer et vous devrez tout recommencer...
Je suffoque pendant plusieurs minutes interminables lorsqueAliénor autorise Flavius et Cinna à rentrer. Je porte alors le corset et la sous-jupe typique. Ils arrivent avec une énorme housse noire dans laquelle doit certainement se trouver ma robe.
- Ferme les yeux, m'ordonne mon styliste.
- J'aime pas les mystères...
- Allez, Emma.Pour me faire plaisir.
- Mais...
- CLOSE YOUR EYES !, me hurle Ali écarquillant les yeux.
Effrayée, je m'exécute. Je l'entends rire juste après.
Elle adore nous faire peur. Oui, elle kiffe ça. Elle y trouve un plaisir que je ne comprendrais jamais.
Bon, revenons à nos moutons.
Être aveugle n'empêche pas le reste des sens de fonctionner. Je me concentre sur le son de la fermeture éclair quand on ouvre l'étui, puis le froufrou de la robe lorsqu'on l'en retire. D'abord, je sens le contact de la soie qu'on enfile sur mon corps, puis le poids du vêtement. Il doit peser près de vingt kilos, le machin ! Je me cramponne à la main de Flavius en enfilant mes chaussures à l'aveuglette, heureuse de constater que leurs talons font cinq bons centimètres de moins que celles avec lesquelles je me suis entraînée.
Effie l'a fait exprès.
Elle va goûter à un dernier oreiller avant le lancement des Jeux, elle.
On procède à quelques retouches de dernière minute, on peaufine le tout, me rajoute du fard à joue et retraçant correctement une ligne d'eye liner sous les coups de pressions hystériques de la responsable...
Puis c'est le silence. Je comprends ce que ça signifie.
- Je peux ouvrir les yeux ?
J'entends la porte grincer derrière nous. On retire le drap du miroir, et on me positionne juste en face. Quelle histoire ! Ils m'ont fait exactement le même numéro avant mon entrée sur la scène de la Moisson, puis pour la Cérémonie d'ouverture, et maintenant pour l'émission ! Ils sont sensibles, ces gosses.
Mais leur travail est toujours mieux au fil des jours
- Oui, tu peux, souffle une voix faible.
Et je les ouvre. Pas pour obéir à cette voix, mais parce que je suis surprise de reconnaître celle de Haymitch. C'est lui qui vient d'entrer. Avec Effie, bien sû...
Oh.
- Oh !, m'écris-je, reculant face à ça.
Toute l'équipe est regroupée autour de moi. Dans le miroir, on les voit, yeux écarquillés - ça serait parfait pour un selfie. Ali est incapable de ravaler ses larmes de joie en me voyant. Fiers de leur travail, les autres essuient leurs fronts perlés de sueur en riant.
Je reste statique.
La créature que je découvre dans le miroir en pied installé devant moi semble provenir d'un autre Royaume. Là où la peau scintille, où les yeux lancent des éclairs et où l'on taille les habits dans des diamants. Car ma robe, oh, ma robe est entièrement recouverte de pierres précieuses aux reflets rouges, jaunes et blancs, avec quelques touches de bleu çà et là, qui soulignent le motif en forme de flammes.
Je ne suis pas jolie. Je ne suis pas belle.
Je suis éblouissante comme un soleil.
- Cinna...,finis-je par murmurer, le souffle coupé.
- Tourne-toi pour moi,dit-il.
Encore sous le choc, j'obéis sans réfléchir. L'équipe de préparation pousse des cris de ravissement. L'étape d'après est de me faire évoluer dans ma robe et mes chaussures, lesquelles sont infiniment plus confortables que celles d'Effie. Et je ne tarde pas à lui en faire la remarque. Mais avant que celle-ci ne s'énerve trop, Cinna renvoie tout le monde dans le salon. Et, Ô miracle ! Aliénor s'exécute en attrapant Effie par le bras ! Elle devait craindre que cette dernière ne m'arrache les cheveux à cause de mon insolence volontaire.
Mais ne parlons pas d'elle, ce serait d'une égoïste modestie que de ne pas parler de moi !
Ma robe est coupée de manière que je n'aie pas besoin de la soulever quand je me déplace, ce qui m'ôte une épine du pied. Cependant, je ne me lasse pas de m'observer, de sourire à mon reflet, de couvrir Cinna de remerciements.
- Alors, prête pour l'interview ?,me demande-t-il au bout d'un moment.
Il a l'air sérieux mais très calme. Merde. Il a discuté avec Haymitch.
- Mon adorable mentor m'a traitée de presque toutes les espèces de rats qui existe. On a tout essayé, je n'y arrive pas. Je ne suis aucune de celles qu'il voudrait que je sois.
Grâce au Ciel pour ce bonheur !
- Je croyais avoir entendu que tu étais bonne comédienne, quand l'envie te prenait...
Oups. Et il a aussi parlé à Effie, alors...
Je ne dis rien pendant un long moment, feignant d'observer le détail des flammes dessinées sur mes ongles. Cinna réfléchit un moment.
- Pourquoi ne pas être toi-même, tout simplement ?
- Hein ?!
C'est sérieux, ce qu'il dit ? Mais je ne demande que ça ! Être moi-même, rire quand je le veux, répliquer ce que je pense, parler de ce dont j'ai envie... Rien ne pourrait plus m'enchanter ! ... Si ce n'est que j'ai déjà proposé cette alternative à Haymitch - j'ai fais semblant de m'en contre foutre pour qu'il ne sache pas que c'est ce que j'avais réellement derrière la tête - et il m'a envoyé valdinguer avec ces mots des plus poétiques :« Toi-même ?! Jamais de la vie ! T'as autant de joie de vivre qu'un rat albinos crevé, le public va te lancer des tomates.»
Il est en kiffe sur les rats.
- D'après Haymitch, je suis maussade et agressive.
Etun rat crevé.
- Oh,tu l'es... avec Haymitch,dit Cinna en souriant largement. Pas avec moi. L'équipe de préparation t'adore. Tu as même conquis les Juges. Quant aux citoyens du Capitole, ils n'ont plus que ton prénom à la bouche. Tout le monde admire ton caractère !
Ah oui, oui...Oui... Oui,oui, euh... Hum... HURLEZ DE RIRE !
Mon caractère ?! Mon caractère plaît ?! C'est la meilleure ! Quand j'étais enfant, j'ai souffert à cause de mon caractère passif et innocent. Quand j'ai commencé à grandir et à me défendre, on me rejetait à cause de mon caractère de tête brûlée. Mon caractère plaît ? OK, au calme. Vous êtes saoul.
En plus, je ne sais pas exactement ce qu'il faut comprendre par là, mais ça laisse entendre que je suis une guerrière. Une fille courageuse. Ce n'est pas comme si je n'étais amicale envers personne... Bon, d'accord, je n'aime peut-être pas tous ceux que je rencontre, peut-être que mes sourires sont plus rares que d'autres, mais il y a des gens que j'apprécie. Cinna prend mes mains glacées dans les siennes.
- Supposons qu'au moment de répondre aux questions, tu fasses comme si tu t'adressais à un ami. Qui est ta meilleure amie, chez toi ?
- Dam... Euh,Cale... Euh, HUM HUM, une amie ? Aucune idée. Toutes mes dames d'honneur. Mes domestiques, aussi, elles sont sympas...
Je me tais, réalisant qu'il m'observe avec des yeux ronds comme des soucoupes.
- Domestiques ?,répète-t-il,ahuris.
- Ouais. C'est mes potos.
Cinna perd ses mots. Il n'a pas du voir des gens aussi louches de sa vie. Je souris de toutes mes dents.
- Imaginons que ce soit toi, mon meilleur ami, propose-je tout bêtement en haussant les épaules.
- Euh...(Il est encore choqué, ça se voit.) OK...OK ! Bien, considère-moi comme ton meilleur ami. Je serai assis sur le plateau, avec les autres stylistes. Juste en face de toi. Quand on te posera une question, cherche-moi du regard et réponds le plus franchement possible.
- Même si la réponse qui me vient à l'esprit est horrible ? Parce que ça risque d'être le cas, prépare-toi.
- Surtout dans ce cas-là,répond Cinna. Tu essaieras ?
J'acquiesce.C'est un plan. Tout du moins quelque chose à quoi me raccrocher.
Bientôt, il est temps de partir. Les interviews doivent avoir lieu sur un plateau construit devant le Centre d'Entraînement. Une fois que j'aurai quitté ma chambre, je me retrouverai en quelques minutes devant la foule, les caméras, le Tout-Panem. Ça me terrifierait peut-être si je ne me disais pas très fort que les gens que j'aime me regarderont peut-être ce soir. Papa, Maman, Caleb, Henry, Clark, Kenna, Aylee, Greer, Lola, Prim, tous mes amis de Storybrooke, toute la famille des Cullen, tous les gens que je connais et qui vivent dans ce monde, pensent à moi, me soutiennent. C'est pour eux que j'y vais. Pour eux que je vais essayer de sourire. De croire que je me sens bien. Mais en restant moi-même ; ça, j'y mets un point d'honneur.
Nous retrouvons les autres devant l'ascenseur. Mon Dieu... Portia et son équipe n'ont pas chômé non plus : Damen est magnifique,dans un costume noir souligné par des flammes. Ils n'ont pas touché à sa peau parfaite de vampire, encore heureux. Il n'y avait rien à modifier ou à rajouter ; il est parfait, à couper le souffle,et on s'observe comme des idiots pendant toute la descente de l'ascenseur. Il me siffle discrètement en m'adressant un clin d'œil, et je rougis comme une enfant, touchée.
Haymitch et Effie se sont faits tout beaux pour l'occasion. Je les évite.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, et nous découvrons les autres Tributs, qu'on aligne pour monter sur le plateau. Nous serons assis en demi-cercle, les vingt-quatre, pendant la durée des interviews. Je serai la dernière, encore... Oh, comme je voudrais passer d'abord et en finir une bonne fois pour toutes ! Alors que là, je vais devoir écouter tous les autres se montrer spirituels, drôles, humbles, farouches et séduisants, avant que mon tour vienne. En plus, le public commencera à se lasser, comme les Juges. Et, cette fois-ci, difficile de lancer un couteau de chasse dans la foule pour capter son attention.
Avant de monter sur le plateau, Haymitch s'approche de Damen et de moi en grommelant. Je suis des yeux Marvel, alias Colosse Un, qui se dirige vers le couloir menant aux cheveux bleus électriques de Caesar (oui,y a que ça qui choc, sur scène).
- Rappelez-vous que vous êtes toujours de grands amis tous les deux. Alors, comportez-vous comme tels.
Bah non, soit pas bête ! Tout le monde sait qu'on a l'intention de faire du karaté avant de monter sur scène. C'est plus stylé.
Il est con, c't'enfant.
Une fois ses derniers conseils donnés, il ronchonne tellement qu'on a du mal à entendre le petit « bonne chance » qui parvient à s'immiscer de ses lèvres. Il l'a vraiment dit à contre cœur,hein ! Je pense plutôt qu'il se retient de nous donner de l'affection. Si ça se trouve, il nous aime bien. Il m'aime bien. Mais... Il prend ses distances. Parce que s'il nous arrivait quelque chose, dans l'arène... Enfin, s'il ne s'attache pas trop à nous et qu'on ne revient jamais, la rupture sera moins difficile.
Je parie que c'est pour ça, qu'il est froid.
Le temps passe, les Tributs passent. On a chacun trois minutes d'antenne. On suit chacune des prestations grâce à une petite télévision fixée en face de nous, dans la salle où nous attendons tous en fil indienne. Caesar Flickerman déploie tout son talent pour faire briller ses invités, mais ça relève de la folie pure et dure : il se montre affable, détend les plus nerveux, s'esclaffe aux pires plaisanteries et, par sa manière de réagir, parvient à transformer les déclarations les plus banales en réponses mémorables. Le public, lui, est aux anges : des gradins accueillent les invités de marques dont les stylistes, aux premiers rangs, mais la plupart des gens sont juste en face mais debout. Ils rient, crient et applaudissent tous les Tributs, mais des hourras s'envolent lorsqu'ils aperçoivent leur favori.
J'observe d'un œil malavisé cette scène. Sur le plateau, tous les mecs semblent détendus, toutes les filles complètement barges - des fétichistes du sang qui gicle des artères. Cato avoue au monde entier que tuer ne lui pose absolument aucun problème, et qu'il en redemande même : ses aveux sont accueillis par des cris de joie. La fille du Trois, Enobaria, a taillé ses dents en pointes pour arracher plus facilement la peau de ses adversaires. Une rousse à tête de renard (on l'appelle la Renarde), paraît discrète mais très maligne, ça se voit à sa façon de parler. Viennent ensuite une brochettes de beaux gosses, même si les filles ont l'air plus calmes en comparaison avec les Carrières. L'adorable petite créole, Rue, vient du Six. Le gamin bouclé du Onze. Après lui, la garçon-manqué, seule sauvage des derniers Districts.
Vient ensuite le tour de Damen. Je n'ai pas le temps de lui souhaiter bonne chance, car des hommes viennent et l'escortent jusqu'au couloir qui conduit au plateau. Je me rassois donc niaisement, et attends de le voir monter sur scène. Il serre la main de Caesar sous les hurlements conquis de la foule - des filles, je suis sûre - et le présentateur loufoque l'invite à prendre place dans un fauteuil confortable juste en face de lui.
Caesar lui souhaite la bienvenue au Capitole.
Damen le remercie.
Et le présentateur lui pose la première question. Une question qui me glace le sang :
- Comment te sens-tu, en cette veille de départ ?
Je me pétrifie sur mon siège. En face de moi, un garde me jette un œil peu amène et me demande si tout va bien.
Je bascule sur le côté et me fracasse au sol, à moitié inconsciente.Le garde se rue vers moi en saisissant son talkie-walkie. Il hurle des ordres à des renforts qui devraient arriver dans cinq minutes tout au plus. Un vendeur de pop-corn venu se ravitailler approche de nous. On m'offre un verre d'eau, m'éponge le front, me fait du vent avec une serviette. On prend soin de moi. Alors qu'il y a des chances pour que je crève demain.
C'est l'heure, les amis.
On est aux portes du Lancement des jeux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top