Chapitre 28 : Retour Au Capitole
Dédicace à Lorelei_scmll qui est la 200ème personne à avoir voté sur ce Tome (Merciii encore et pour tout, ma chérie !), pour OrianneAL afin de l'encourager à terminer mon histoire (Tu dois être larguée avec tous ces chapitres xD Je t'adore quand même) et à mon éternelle ninin31, Ju pour les intimes, la première à lire et voter chacun de mes chaps ;p Trop de force en toi, ma belle.
Bonne lecture à vous !
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Une fois l'hymne nationale terminée, nous sommes placés en détention.
Je ne veux pas dire qu'on nous passe les menottes ni rien de ce genre, mais un groupe de gardes du District - j'entends qu'ils appellent ces hommes vêtus de blancs et de framboise des « Pacificateurs » - nous escorte à l'intérieur de l'hôtel de justice d'où je suis sortie il y a une demi heure. A mon avis, pour que notre escorte soit aussi armée et officielle, des Tributs ont déjà dû tenté de s'enfuir.
Faire du forcing, c'est pas la meilleure des options, je crois.
Une fois à l'intérieur du grand hall de marbre, des applaudissements nous accueillent. Il s'agit d'une petite partie de l'équipe de soins. Ils rient, trinquent, me font coucou de loin pour me féliciter de mon choix. Seule Aliénor reste de marbre.
- Bravo, Altesse !
- Beau travail !
- On a hâte de te voir à l'oeuvre !
Je les remercie en leur offrant le regard le plus meurtrier du système solaire au complet.
Progressivement, les gens ferment leurs gueules.
Comment osent-ils se réjouir de mon sort ? Comment peuvent-ils être fiers de mon choix ? Donner ma vie gratuitement est un destin qui mériterait d'être vécu, à leurs yeux ? Allez regarder des gens mourir à la télé, c'est un divertissement comme un autre, pour le Capitole ? Je marche sans un mot, escortée par des hommes que je déteste, applaudis par des gens que je hais, avançant à l'allure du seul à qui je tiens. Et le seul qui est aussi en danger que moi. Je réprime mes sanglots, retiens mes larmes de rage et mes hurlements haineux. Cette pièce est remplie d'humains, mais pas d'une once d'humanité.
Je déteste ce pays. Je déteste ce que Snow en a fait.
Ignorant les vives Emma et les hourras, je me laisse pousser vers le bout d'un long couloir sombre et trépassé. Les murs sont sales, tâchés d'humidité. L'isolation est catastrophique. Le parquet est sale, grince, et le plafond menace de s'écrouler sur nos têtes d'une seconde à l'autre. Sans vergogne, un Pacificateur ouvre grand deux portes qui se font face. Ses collègues poussent Damen dans l'une d'entre elle, et moi dans la seconde. Je ne proteste même pas. Je rentre, et on me laisse seule.
En voyant l'intérieur, je soupire fortement. Mes yeux me brûlent de plus en plus.
Une table, une chaise, un canapé crasseux. Il était jadis d'un tissu rougeâtre mais n'a plus rien de neuf. Le plafond est troué et l'isolation est désastreuse : résultat, de l'eau goutte et le canapé en est tout imbibé. D'ailleurs, ça sent le moisit. Le tissu déchiré vomi ressorts et mousse jaune. Une vraie misère, mais je prends cependant place dessus, n'ayant rien d'autre à faire. Si on m'a jeté ici, ce n'est pas pour rien. Enfin j'espère. Ils sont bien capables de nous avoir mis à part le temps de se concerter sur je ne sais quel projet rocambolesque. Et de toute façon, au point où j'en suis, je m'en fous un peu.
Le pire arrivera bien un jour. Et trop tôt, c'est certain.
Je souffle un grand coup malgré ma gorge irritée.
J'aurais pu profiter d'être seule dans cette pièce, loin d'Effie et des caméras, pour pleurer un bon coup. Sauf que ressortir avec le nez rouge et les yeux bouffis me trahirait immédiatement. Pas le choix, je dois prendre sur moi. Ce soir, peut-être, je pourrais laisser court à ma tristesse toute portée sur ma misérable existence. Emma Swan, l'aimant à problèmes. Quand elle doit contourner un arbre embêtant, elle tombe irrémédiablement sur une forêt entière. Je suis maudite.
La porte s'ouvre sur Prim.
- Emma !, sanglote-t-elle, et elle se rue vers moi.
Je n'ai pas le temps de relever la tête qu'elle se jette déjà dans mes bras. Je suis si folle de joie que je ne réfléchis pas au motif de sa présence, me contentant de la serrer dans mes bras. Elle pleure et m'insulte pour avoir pris sa place, dit qu'elle se sent responsable de mon sort. Si la Princesse du Quatrième Royaume venait à mourir, ce serait de sa faute...
- Ne raconte pas n'importe quoi, Prim, la gronde-je d'une voix maternelle.
Je la prends sur mes genoux. Elle s'accroche à moi comme un bébé koala.
- Je t'en supplie, Emma... Essaie de gagner..., chuchote-t-elle en cachant son visage rouge et couvert de larmes dans le creux de mon épaule.
- Je vais gagner, lui jure-je solennellement.
J'ai jamais dis un mensonge aussi gros que celui-là.
- Je pense y arriver, reprends-je, car je connais le garçon qui est avec moi.
- ... QUOI ?! Comment est-ce possible ?!
- Il était au château lors du bal, lui aussi. C'était... euh, c'était mon valet ! Oui, le valet qui m'a escorté jusqu'à la Cathédrale de Folsence pour mon couronnement. On a rapidement discuté.
- Tu penses qu'il saura te protéger ?
Les larmes qui remplissaient ses yeux se mettent à couler en flots, laissant place à une petite pointe d'espoir. Je m'efforce de sourire. Ce qui doit ressembler à une grimace de bébé.
- Il me sera loyal jusqu'à la mort, s'il le faut.
Prim soupire de soulagement.
Nous gardons le silence quelques instants. Je la berce doucement d'avant en arrière. Puis me vient une idée, du moins je me rappelle d'une chose très importante que j'avais besoin de lui dire. Je ne pourrais pas aller mourir aux Hunger Games sans qu'elle l'ait entendu au moins une fois.
Ma gorge se resserre. Mais je ne pleurerais pas.
- Je suis désolée pour ton frère, Prim !
C'est plus fort que moi, les larmes coulent. La pression, sûrement.
- Arrête...
Elle dit ça, mais elle pleure aussi. Mais ça depuis que je me suis portée volontaire pour aller crever, vous me direz...
- Au moins, il te protégera, de là-haut, sanglote-t-elle à ma suite, me serrant encore plus fort dans ses bras.
Je m'essuie rapidement les yeux avant de pleurer. Encore.
La tristesse d'un monde : des adieux déchirants où se font face nos derniers remords. Je ne pouvais pas partir sans lui toucher un mot à propos de son frère. Ça, ce n'était pas possible. Pas concevable. Au moins, maintenant, je peux aller mourir en paix. Je m'accroche à son petit corps comme à une bouée de sauvetage. Si Prim était reliée par heureux hasard à un câble incassable, lui même attaché à un avion de chasse, et que le toit s'ouvrait brusquement...
Non, Emma. T'es foutus, t'es foutus. C'est comme ça.
- On te laisse garder un objet personnel, dans l'arène, chuchote Prim en reniflant, s'efforçant de cacher ses larmes. Quelque chose qui rappelle ton District. Tu aimerais porter ça ?, me demande-t-elle en détachant un petit objet fixé sur sa chemise.
Il s'agit d'une broche en or. Elle représente un oiseau en plein vol tenant une flèche dans son bec. Pas n'importe quel oiseau, évidemment - notre très célèbre et charmant geai moqueur.
- Bon, je sais ce que tu vas dire, me glisse-t-elle, ce n'est pas propre au District Douze car c'est le symbole animalier de Panem... Mais c'est aussi le symbole de la liberté. Un peu comme la colombe de chez vous.
Je regarde le petit objet en ricanant. Symbole de la liberté... Quelle connerie ! Nous faire croire qu'on peut être libre, enfermé dans une arène comme des animaux, victime de l'absence de respect pour la vie humaine... Snow adore la propagande. Je le hais ! Mon Dieu, que je le hais ! Je n'ai jamais ressentis une émotion aussi forte que toute cette haine accumulée par un seul un même homme. Homme en carton, d'ailleurs. Un monstre, voilà ce qu'il est. Une créature qui déclenche chez moi un véritable cancer du dégoût. Mais bon, j'accepte pour Prim. Et puis de toute façon, elle n'a pas attendu mon accord pour l'épingler sur le bustier de ma robe en soie. Je dirais même que cette broche se marie bien avec l'or de mon diadème.
- Promets-moi que tu la porteras dans l'arène...
Elle fait la voix triste qui nécessite de l'amour maternel. Je souris... Mais soudain, sans crier gare, la porte s'ouvre violemment et s'encastre dans le mur. Un Pacificateur entre, approche. Prim crie, et je reste sans voix, sans comprendre. Il me l'arrache des bras.
- HEY !, hurle-je, bondissant en avant. Y se passe quoi ? Vous allez lui faire qu... Attendez, non ! C'est moi, la Tribut ! Arrêtez, lâchez-la !
Je hurle comme une forcenée et frappe dans le dos du Pacificateur qui s'enfuie avec Prim, hurlante et se tortillant dans ses bras.
- C'est fini !, lâche-t-il sévèrement, comme si cette phrase pouvait le pardonner.
Oh... Oh.
Oh mon Dieu.
Je suis dans cette pièce pour faire mes adieux... je suis là pour me séparer d'eux à jamais ! Oh la vache ! Attendez, j'avais pas compris !
- Attendez ! Attendez !
- EMMA ! EMMA, EMMA !
- Je te promets de gagner, Prim ! Et je...
Clac !
Porte refermée.
" Et je porterais ta broche du début à la fin." Que ma fin arrive dans l'arène ou pas, d'ailleurs.
Cette phrase me reste en travers de la gorge. Je n'aurais jamais plus l'occasion de le lui dire.
Je me tais. Longtemps. Debout devant la porte, je ne bouge pas, hébétée. Ils me l'ont littéralement arraché des bras. Je fusille du regard l'endroit où le Pacificateur se tenait il y a deux secondes. Je fixe le point où se trouvait sa tête. Comme à l'époque, à l'ancienne, c'est-à-dire lorsque j'étais petite, mon moment de pure haine se transforme en instant pitoyable : je suis en faite tellement subjuguée par mes émotions, elles-même si violentes, que des larmes de rage coulent sur mon visage. J'ai chaud et me sens devenir toute rouge.
Le pathétisme est une maladie héréditaire, disons-le comme ça.
Inutile, je crache prodigieusement à l'endroit où se trouvait sa sale tête... à l'instant où la porte se rouvre. Le nouvel arrivant reçoit le projectile sur son torse. Il baisse lentement les yeux dessus.
- Tu viens de cracher sur ma nouvelle veste, observe Caleb, calme comme tout. Bonjour à toi aussi.
La mine lugubre, il me prend dans ses bras.
Je ne cherche même pas à comprendre ce qu'il fiche ici. En faite, j'en suis à peine étonnée : deux jumeaux ne peuvent rester éloigner l'un de l'autre indéfiniment, à mon avis. Je sens son pouls rapide contre ma poitrine. Il respire fort. Il se détache rapidement de moi puis, me regardant droit dans les yeux, il avance vers le canapé en me faisan avancer à reculons. Je marche sur ma traîne, mes pieds s'emmêlent dedans. Je trébuche et tombe assise sur le canapé, un ressort déchirant un pans de soie de ma robe.
- Ça va aller, paille-je d'une petite voix, complètement suffoquée à cause de mes larmes et des bouffées de chaleur qui me submerge.
- Arrête ça !
Caleb plaque sa main sur ma joue si durement que j'ai d'abord l'impression qu'il s'agit d'une claque. Mais lorsqu'il sèche violemment ma joue, je comprends qu'il extermine mes larmes.
- T'as plus le droit de pleurer !, me braille-t-il, ses sourcils noirs froncés, ses grands yeux d'encre plantés dans les miens, son visage effrayant tant il a l'air en colère. Putain, c'est fou comme t'as toujours eu la larme trop facile ! Meuf, réveille-toi : t'as plus le droit de pleurer, au point où t'en es, pigé ?! T'as décidé de défier la mort - t'assumes, maintenant ! Et tant pis pour toi si tu morfles !
Je le dévisage. Ses paroles et son comportement ne réussissent qu'une chose, me faire baisser la tête en reniant mes sanglots. Blessée, je renifle en essuyant mes yeux. Ils recommencent à luire, et Caleb les essuie presque plus brutalement qu'un charpentier polissant son bois.
- Trouve un couteau !
Sa voix est on ne peut plus sérieuse et directe. Je fronce les sourcils - ce simple geste fait plisser mes yeux, ce qui les conduit à laisser déborder quelques larmes.
- Tu entends ce que je te dis ?!, m'engueule-t-il, refroidit par mon mutisme.
- Mais de quoi tu parles ?
- Des Hunger Games, pauvre conne ! Tu pensais à quoi ?!
- Mais j'avais oublié, sanglote-je, choquée par sa brutalité.
Cette révélation semble lui faire perdre tout ses moyens. Respirant fort par la bouche, il se tourne vers un mur de la pièce et cesse de me regarder afin de garder son sang-froid.
- Putain, la meuf vient de s'inscrire en Enfer et elle l'a déjà zappé... T'as fais un saut dans la tête d'un kamikaze ou c'est comment, bordel ?! Tu t'es insurgée chez Ben Laden c'te nuit ? Nan mais tu te rends compte de ce que t'as fais, Emma ?!
- Mais c-c'est toi q-qu'es dans l-le turfu, l-là ! Laisse-moi r-respi-irer !
Comment peut-on avoir aussi peu de compassion ? Je le reconnais pas. Caleb ne se laisse pas démonter par mes larmes et reprend d'une traite.
- Tu es la plus forte. Tu peux gagner ! Mais surtout, si tu veux une chance de t'en sortir, trouve un arc.
- Un arc ?, sursaute-je.
- Tu dois savoir te défendre impérativement.
...What ?! Pourquoi un arc ? Il a fumé quoi ?! Pourquoi un arc ?
- Je peux me défendre avec autre chose !
- Comme quoi ?!, siffle-t-il.
Prête à répondre, j'ouvre la bouche.
Avant de me rendre compte que... je n'en ai aucune idée.
- Euh... (Je réfléchis quelques secondes.) ... Mes poings ? ...
- FERME TA GUEULE SI C'EST POUR DIRE DES CONNERIES DE CE GENRE !
Je sursaute, grimace avant de m'abandonner aux larmes.
- Ton père manie l'épée comme pas deux, mais quand on voit ce que ça donne avec toi - t'es capable de te guillotiner avec ta propre lame - mieux vaut éviter ! Y a plus qu'à espérer que tu es aussi douée que ta mère au tir à l'arc. Tu n'as jamais expérimenté - si ça se trouve, c'est un talent caché !
Il hoche le menton, comme pour se convaincre lui-même, les yeux luisants. A mon avis, il sait que c'est sans espoir, mais il essaie de croire en l'impossible pour que je ne parte pas battue d'avance.
- C'est fini !, décrète le même Pacificachieur en faisant irruption dans la pièce.
Il commence à tirer Caleb par les épaules. Puis il s'écroule au sol après s'être prit un beau pain de loup-garou dans la gueule.
- Ouais, ouais, c'est ça, grogne-t-il en ne prêtant juste après plus aucune attention à l'homme qui se tortille par terre. Emma, reprend-il en se tournant vers moi.
A cet instant, son regard change du tac au tac. Ses sourcils ne sont absolument plus froncés, son visage est moins crispé... et surtout, des larmes commencent réellement à faire leur apparition dans le creux de ses yeux. Il les essuie rapidement en pensant que je n'ai rien remarquer. Mais il n'arrive plus à contenir ses émotions.
Caleb,tu pleures parce que tu sais que je ne m'en sortirais pas, hein ? ...
- Tu dois gagner, m'ordonne-t-il une énième fois, ne me laissant pas d'autres issues possibles. Mais ne compte pas toujours sur Damen, OK ? Soit autonome. Il ne pourra plus se servir de la magie, là-bas.
Et je suis choquée. Voyant mon visage mortuaire et complètement perdu, il m'explique :
- Un alchimiste du Premier Royaume a découvert il y a quelques années une pierre au fond de l'Océan, appelée « Granit marin », capable de neutraliser les effets magiques des fruits du démon et les pouvoirs de plusieurs espèces, comme la capacité de télépathie de Damen et ses antécédents magiques qu'il tient de notre père. En d'autre termes, il sera presque aussi nul que toi.
...
Il veut vraiment me faire désespérer, c'est ça ?
Abattue, je prends mon visage entre mes mains et pleure comme une dépressive. Caleb se décroche de moi pour prendre le corps évanoui du garde, qu'il balance sur une de ses épaules. Je prends ma tête entre mes mains, en proie à une crise d'angoisse aigu. Crise de panique mortelle. Crise de terreur paralysante. Mon meilleur ami se penche vers moi. Il pose sa main sur l'arrière de ma tête et l'attire à lui. Il presse mon front très fort contre ses lèvres.
- N'aie peur de personne, et écoute Haymitch, me dit-il.
Hein ? Quoi ? Qui, l'épave ? Je vais pas compter sur lui, non ! Mieux vaut confier ma vie à un arbre !
- Je suivrais chaque jour des Hunger Games avec tes parents, la famille de Carlisle et tous nos amis de Storybrooke. Et du Palais, on t'encouragera tous, p'tite sœur. Et on priera, parce que tu dois gagner.
Ce sont des adieux ?
Il sait que je vais mourir.
Je relève la tête pile au moment où il s'éclipse, refermant la porte derrière lui.
C'est peut-être la dernière fois que je le voit.
+++
Le train des Tributs est plus luxueux que n'importe quel hôtel où j'ai pu mettre les pieds dans ma vie.
Nous bénéficions chacun d'un appartement privé, avec une chambre à coucher, un dressing et une salle de bains individuelle, avec eau courante chaude et froide. Je découvre des tiroirs entiers remplis de beaux habits - à la mode américaine, et pas quatrièmiste - et on me dit de me servir, de porter ce que je veux, que tout est à ma disposition. J'ai juste le devoir d'être à l'heure pour le goûter.
Comme si j'arriverais à manger quelque chose.
Me plaçant dos au miroir, je m'active à descendre la fermeture éclaire de ma longue robe soyeuse. Elle est très belle et douce, délicate, mais quelle mission de devoir marcher avec ! La traîne a commencé à s'abîmer. Plusieurs accrocs se sont formés. Je me dévêtis entièrement, enfile un slim noir qui traîne dans un tiroir avec un T-shirt et un chemisier kaki. Ce sont les habits les plus pauvres de ma commode - c'est bien pour ça, d'ailleurs, que je les ai choisis. Je sors de ma chambre et suit le couloir, atteint la salle à manger. J'ouvre la porte.
La pièce est l'illustration même du luxe. Le mobilier au complet est en velours bleus et bois sombres, sauf les tables, qui sont en verre, les lustres en cristal, les couverts en argent - après avoir vécu dans la richesse de mon château, j'arrive à différencier les différents types de textiles grâce à mes robes et les matériaux de la vie quotidienne. Installé seul dans ce décor somptueux - c'est-à-dire tout à sa place, puisqu'il est lui même le luxe de ma vie - Damen observe le paysage qui défile derrière les grandes baies vitrées. Mon cœur bondit dans ma poitrine.
Enfin seuls.
Enfin libres.
Je vais enfin pouvoir me réfugier dans ses bras et pleurer un bon coup...
....
Et j'ai enfin une bonne raison de massacrer Haymitch, ce pauvre connard qui est en train de rentrer par une autre porte, de l'autre côté de la pièce. L'épave, le retour. Olala ! Il pouvait pas rester au wagon bar, celui-là ?! Il avance doucement, un verre vide à la main. Merde de merde ! Damen redresse vivement la tête. Nos regards se croisent un faible instant, me faisant trembler de tous mes membres, puis il se retourne vers le nouvel arrivant. Bougonne, je pénètre également dans la pièce et m'écrase sans élégance dans le fauteuil en face de mon copain. Puis je l'imite en observant à mon tour le vieillard soûl qui s'approche de la commode métallique contre le mur, où sont disposés plusieurs bouteilles en verre.
Haymitch nous lance un regard circulaire.
- Mes félicitations, grognasse-t-il avec un petit sourire narquois.
Cette phrase me choc du tout au tout.
C'est à la torsion étrange que font ses lèvres que je réalise qu'il n'a pas beaucoup de dents. Non pas qu'il soit si vieux que ça - je lui donne la petite cinquantaine, un peu moins si on évite de trop se pencher sur sa peau creuse et jaunit par l'alcool.
Je sors de mes pensées. L'homme fait plouf-plouf entre deux bouteilles d'alcool. Il choisit celle à la couleur caramélisée - je n'ai aucune idée de ce dont il peut s'agir. Il arrache le bouton de cristal avec ses dents, rempli son verre, repose la bouteille. Il ouvre une boîte aplatie. Ni moi ni Damen n'osons détourner le regard de ce drôle de bonhomme de qui j'ignore le motif de sa présence.
- Où sont les glaçons ?, demande-t-il mollement en se tournant vers nous ; une fille qui ne boit pas d'alcool et un garçon qui ne boit pas tout court.
- Aucune idée, répond mon copain.
Agacé, Haymitch repose brutalement le couvercle de la boîte. Puis il récupère la bouteille d'alcool, vient s'installer à côté de moi, face à Damen. Ce-dernier replis ses bras sur ses genoux, se penche en avant, regardant l'homme bien droit dans les yeux. Haymitch à peine installé, il lance :
- Bon, par quoi on commence ?
- Ouah, oula... Doucement..., patauge-t-il d'une voix toute épongée, ramollis, énervante pour moi. On a tout le temps...
Ouais, il a raison. Rien ne presse. Et vous voyez ma main ? Elle va arriver dans sa gueule en une seconde chrono ! Je vais établir un record !
JE VAIS LE BUTER !
Mec, tu viens de féliciter deux gosses parce qu'ils ont été désignés comme les futurs martyrs de ton pays, au calme. Deux gosses qui n'ont rien demander à personne mais qui vont être lâchés comme des fauves dans la nature, et tu viens de les féliciter ?! Un minimum d'humanité, quoi ! WESH ! Argh, il me dégoûte, ça y est ! Deux de tensions alors qu'on vient de se faire avoir comme des bleus ! JE viens de me faire avoir, je nous ai foutus dans la merde intergalactique la plus inimaginable du système solaire !
RÉVEILLE-TOI, BORDEL !
- D'habitude, ils sont pas si.... impatients...., poursuit Haymitch.
Peut-être que d'habitude, ils étaient légèrement suicidaires sur les bords.
Il siffle son verre d'une traite. Il en faut plus pour démonter Damen, bien sûr. Agacé par la mollesse du vieux soûl, il fronce les sourcils (ses jolis sourcils).
- Vous devez bien établir un plan, non ? Aux dernières nouvelles, vous avez déjà gagné les Hunger Games, ce qui fait de vous notre mentor. Votre rôle est de...
- Votre mentor ?, l'arrête-t-il.
Durant la courte pause qui s'installe entre les deux hommes, je remercie Damen du plus profond de mon cœur. Je parie qu'il a fait exprès de mettre un nom sur la « profession » d'Haymitch pour que je sois moins perdue. Un mentor. Ce vieux baba est un mentor, nom attribué à un ancien vainqueur des Hunger Games. A mon avis, et avec toute ma logique, j'en déduirais que son rôle se résume à nous donner des conseils de survie.
Du genre : pour vous réchauffer, buvez deux gros bol de cognac.
On va pas allez loin avec ce vieux machin, moi j'vous l'dis...
- Oui, notre mentor, susurre Damen entre ses dents, visiblement énervé par la conduite de l'autre. Vous devez nous dire comment attirer les sponsors et nous conseiller !
Hum... Sponsors, tu dis ? Du genre, « personne ou entreprise finançant des trucs dans le domaine sportif et culturel », d'après mon bon vieux dico ? Ah ouais d'accord, en faite les Hunger Games de Panem sont le base-ball des États-Unis. C'est un sport national.
C'est atroce. J'en ai la boule au ventre.
- D'accord, consent Haymitch. En voilà un, de conseil...
Il lève ses yeux bleus de poisson au plafond.
- Hum... (Il feigne de réfléchir.) Acceptez... la possibilité de votre mort imminente. Et comprenez au plus profond de vous que je ne pourrais rien faire pour vous sauver.
Et il clos sa jolie phrase par un grand sourire débile.
- Eh bien alors pourquoi vous êtes là ?!, m'enflamme-je, furax.
Ils se tournent tous les deux vers moi. C'est ma première prise de parole depuis notre départ du District, mais aussi, il faut le dire,ce vieux barge a le don pour me sortir de mes gongs. Vous avez vu comment il prend Damen pour un con ?! Il mérite des coups, ce mec ! Sert à rien, là ! Dégage !
Il me regarde avec un immense sourire. Il secoue doucement son verre face à moi.
- Pour les rafraîchissements !
- J'crois que vous en avez assez abusé comme ça, crépite-je, et je tends le bras pour m'emparer de son verre.
J'ai beau agis vite, il contre mon attaque en cognant le creux de mon coude, qui se replie, laissant mon bras inapte à récupérer le verre d'alcool. Je remarque que Damen s'est redressé vivement sur son dossier, certainement pour intervenir - il a pas du apprécier qu'on lève la main sur moi - mais il s'est ravisé en expirant fort par les narines, serrant poings et mâchoires. On est censé ne pas se connaître - qu'il me défende si promptement pourrait attirer des soupçons. Et qu'ils puissent réagir aussi vite pourraient également ne pas lui servir, car des réflexes aussi poussés ne sont évidemment pas humains.
De tout ça, Haymitch n'aura rien capté. Son cerveau s'est arrêté au moment de mon attaque, je crois. Yeux baissés et bras tendu, de l'alcool coule sur sa main, ses doigts, gouttant sur le magnifique tapis au sol. Je serre les dents.
- Tu as renversé du gin sur mon nouveau pantalon..., m'accuse calmement la limace blonde en relevant des yeux furieux vers moi.
Ouais, contient ta colère, ça vaut mieux pour toi... Encore une remarque ou un sourire narquois et je t'encastre dans la vitre. Pis si elle se pète, ça sera encore mieux.
- Alors je crois que je vais aller finir ce verre dans ma chambre !, fulmine-t-il ensuite en se levant, me fusillant du regard, puis il part.
Du moins il allait partir. Mais il tourne stupidement sur lui-même dans le couloir, l'air hébété. Damen et moi tournons en même temps nos visages l'un vers l'autre, et on soupire.
Je pense qu'Haymitch vient de capter qu'il y a deux portes.
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Soupe de carottes épaisse, salade verte, côtelettes d'agneau avec purée de pommes de terre, fromage, fruits et gâteau au chocolat.
Voilà le repas de ce soir.
Le parfum qui émane de chaque plat est juste succulent et me met l'eau à la bouche. Mon estomac gronde, crie famine - car, je le sais bien, je n'ai pas mangé depuis longtemps. En faite, mon dernier repas remonte à... euh...
Oh. Oh, my, god.
IMPOSSIBLE !
Lundi midi ? Non ! Arrêtez, c'est pas vrai ! Attendez, attendez... que je retrace les événements, en bonne ex Shérif que je suis... Je me rappelle que ce soir-là, je refusais d'avaler quoi que ce soit, juste concentrée sur l'emploi du temps que Snow m'avait fourni. Je courrais dans tous les sens, espérant réussir à dire au revoir à toutes les personnes que j'aimais. Puis le lendemain, j'étais dans le bateau, sur White River. Le surlendemain, j'avais atteint le District Douze au soir. Après ça, c'est-à-dire aujourd'hui, le stress de ce qui m'attendait m'a coupé l'appétit.
Et jusqu'à maintenant, après deux jours sans rien dans le ventre, j'arrive à faire la fine bouche. Mais je suis encore trop secouée pour manger. Je crois. Réfléchissant, je m'empare timidement d'un morceau de pain et mordille dedans. Il est chaud, croustillant en extérieur et brioché à l'intérieur. Délicieux - et je le repose quand même.
Je jette un œil sur l'assiette remplie et refroidie identique à la mienne et juste à côté de moi : celle de Damen. Il n'a rien avalé. C'est normal, bien sûr. Mais je pense qu'il devrait faire semblant. Comme un jour, pendant notre escapade en Italie avec Clark et Caleb, où je l'avais mis au défi de croquer dans une pomme. Il l'a fait, et il devrait le refaire. S'il ne maigrit pas alors qu'il ne se nourrit jamais, les gens trouveront ça bizarre.
En face de lui, à notre grand contraire, Haymitch se goinfre comme un... euh, un Haymitch. Je pensais n'être révulsée par cet homme que lorsqu'il buvait, parlait ou lorsqu'il passait trop prêt de mon nez, mais je découvre maintenant qu'il me dégoûte aussi à table. Le contraste entre ses manières et celles d'Effie est saisissant, mais ayant fini avant nous tous - Damen et moi ne mangeons rien, et Haymitch ne cesse de se resservir - elle est passée dans le petit salon d'à côté, là où nous étions tout à l'heure, séparée de la table du dîner par seulement une étagère en chêne. Elle se démaquille avant d'aller au lit.
- Au début, tu mourras de froid.
Je sursaute, dévisage la brosse à chiotte blonde. Enfin Haymitch, quoi. Je précise parce que ça peut porter à confusion. Quand on est plongé dans nos pensées et qu'on entend juste une phrase à lui au vol, sans suivre le fil de la conversation, ça nous laisse un froid déstabilisant dans la colonne vertébrale. Je fronce les sourcils.
- J'allumerais un feu, rétorque Damen, sûr de lui.
Il est en train d'émietter un morceau de pain au-dessus de son assiette.
- Ah ! C'est un excellent moyen de se faire tuer.
- Mais de quoi vous parlez ?, m'incruste-je, perdue.
Haymitch redresse des yeux sans intérêts vers moi, la mine assombrie et les lèvres retombantes.
- Oh, quelle joie...
No sarcasme, évidemment.
- Il donne des conseils de survie, me dit Damen.
OH PUTAIN !
Il m'a parlé !
Bouleversée, je le dévisage, crispée comme une tordue. Il ne me prête aucune attention, concentré sur sa tâche « d'émiettage ». A croire qu'on ne se connaît vraiment pas. Il est un excellent acteur. D'ailleurs, je parie que des questions aussi bêtes que celles qu'il pose sont un piège destiné à faire croire qu'il est ignorant. Mais Peter Pan, chef du Pays Imaginaire, ne peut pas ignorer des principes de scoots de ce genre...
- Là, il expliquait comment trouver un abri, poursuit-il.
- Ce qui vous sera très utile si vous êtes toujours en vie, complète l'intéressé, remplissant à ras-bord son verre.
Le remplissant d'eau, évidemment. (Humour)
Son comportement, ses manières, son haleine, l'alcool : ça me monte à la tête.
- Comment trouver un abri ?, demande-je alors.
Je l'avoue, ma voix s'est faite non pas pressante, mais super furieuse. J'ai eu une longue, très longue et pénible, épuisante, épouvantable journée. Je suis passée de la certitude que j'allais mourir seule à la certitude que Prim était fichue, jusqu'à la certitude que j'allais mourir douloureusement et avec la seule personne avec qui j'aurais préféré tout partager sauf la tombe.
Triste vie. Triste journée de merde.
Donc, et pas spécialement aujourd'hui mais aussi toutes les fois où on me lève à six heures du matin pour me pouponner et qu'on me garde éveillée jusqu'à vingt-trois heures alors que mon seul désir immédiat est de pleurer tranquillement dans mes draps jusqu'à ce que sommeil - ou mort - s'ensuive, il ne faut surtout, mais alors SURTOUT pas m'énerver. Et le vieil homme à l'allure de Lizzy McGuire se tourne vers moi avec un visage sérieux, pour une fois.
- Tu peux me passer le sel ?, me demande-t-il d'une petite voix polie, sage et respectueuse.
C'est officiel, il se fout de moi.
- Comment. Trouver. Un. Abri, répète-je d'une voix tremblante de rage, décortiquant chaque mot.
- Eh ! Je suis fatigué, OK ? Alors laisse-moi le temps de finir mon repas avant de m'agresser, je t'en prie... (Il sort de sa veste une bouteille métallique et plate, on dirait un flacon de parfum. Il vide son contenu dans sa soupe.) Être mentor, c'est très... Bon, tu me passes le sel ?
Vous voyez l'image d'un clown sadique couper la tête d'un petit garçon nu assis dans la forêt ? C'est à peu près ce que je lui fais subir avec mon regard de sauvage. Je le fixe longtemps. Il roule des yeux, se foutant éperdument de ma gueule, et tend lui-même la main vers le sel. Le déclic est immédiat.
Tout le monde sursaute. C'est avec un temps de retard que je baisse les yeux, choquée. A quel moment j'ai pris ce couteau ? A quel moment je l'ai planté dans la table, pile entre ses doigts et le flacon ? Je le rate d'un cheveux.
- Ah !, s'écrie Effie, affolée. Nom d'un chien ! C'est de l'acajou, ma chère !
Oh, c'est pour la table qu'elle s'inquiète... Tu me diras, elle doit avoir plus de valeur que le croûton inutile.
Damen me dévisage, choqué. Indifférent, Haymitch retire le couteau.
- Quel talent, Altesse. Tu viens de tuer un beau set de table.
Il semble réfléchir quelques instants. Instants qu'il passe à boire son verre et à finir le flacon qu'il a sortit de sa veste. Il hoquette une fois, rote, réfléchit encore.
- Tu veux vraiment savoir comment survivre, ma jolie ? (Il tourne vers moi un regard sans pitié.) Arrange-toi pour que le public t'adore. (Moment de pause, histoire que je comprenne bien ce qu'il veut dire.) Eh ouais, trésor ! Quand tu seras au beau milieu de la partie, et qu'on meurt de faim, et qu'on meurt de froid... (Il tartine du fromage sur son morceau de pain.) Un couteau, un peu d'eau ou même quelques allumettes peuvent faire la différence entre la vie et la mort. (Il revient à moi.) Et ces choses ne te seront offertes que par les sponsors. (Il croque dans sa tartine.) Et pour en avoir, il faut t'arranger pour que le public t'aime ! Et même lorsque vous serez dans l'arène, tu devras compter sur une personne qui, durant votre absence, continuera de chanter vos louanges auprès de sponsors potentiels. (Il avale.) Et cette personne, tu as la chance de la connaître. (Il rapproche son visage du mien. Son regard devient crépitant.) ET TU VIENS D'ESSAYER DE LUI COUPER LES DOIGTS !!!
Ah. J'ai compris.
Ceux sont les sponsors qui me sauveront la vie.
C'est mon mentor qui doit me trouver des sponsors.
Et mon mentor est un alcoolique idiot qui me hait. Et que je hais cordialement en retour.
- On dirait que tu pars d'un mauvais pied, Emma du Quatrième Royaume. Comme quoi la vie n'est pas plus belle pour une Princesse que pour un autre, à partir du moment où vous êtes dans une arène.
Je ne cherche pas à cacher ma rage, et encore moins mon immense tristesse. Blessée, je me contente de baisser la tête.
+++
- Nous y sommes.
La déclaration de Damen est à la fois calme et dure.
C'est le matin. On a passé une courte nuit, chacun dans notre chambre, à songer à ce qui se passera le lendemain. Je n'ai pas dormis. Ce n'est pas faute d'avoir essayé - je ne mange déjà plus, alors il manquerait plus que je devienne insomniaque - mais rien à faire, mon esprit terrorisé n'arrive plus à se détendre. Je reste inlassablement éveillée, à méditer sur ce qui vient de se passer, à récapituler tous les noms des personnes que j'aime et que je ne reverrais probablement plus jamais, et surtout à me demander ce qui m'attend. Comme si toutes les personnes employées pour s'occuper de moi s'étaient mises d'accord, aucune d'entre elles n'a cédé pour répondre ne serait-ce qu'à une seule de mes questions. Quand est-ce qu'on arrive, qu'est-ce qui va se passer, quelle est la date du début des Hunger Games... Tant de phrases qui n'ont cessé de me tourbillonner dans la tête jusqu'à ce qu'Effie déboule, habillée, coiffée et maquillée, criant à la cantonade : « Debout, debout, debout ! Ça va être une grande, grande, grande journée ! »
Et puis, un court instant, j'ai essayé de m'infiltrer dans sa tête.
D'imaginer ce que cette femme fait de ses journées à part se maquiller et parler des bonnes manières. Compte-rendu : elle mange de la salade et réprimande Haymitch. Chouette existence. Une grande, grande, grande existence ratée.
Je me suis ensuite habillée de la manière la plus simple possible, c'est-à-dire avec les fringues de la veille. Quant à ma coiffure, un chignon bâclé a fait l'affaire. De toute façon, arrivée au Capitole, ce sont nos stylistes respectifs qui s'occuperont de nous - c'est Aliénor qui, ayant eu pitié de mon manque d'informations, me l'a dit. J'espère juste que mon styliste et moi serons sur la même longueur d'onde. Que nos goûts se correspondent plus ou moins. Tout ça pour expliquer que je suis sortis de ma chambre, que j'ai pris mon petit-déjeuner avec tous les autres, que je gueulais sur Haymitch il y a deux minutes et que désormais, Damen et moi sommes plaqués contre les vitres du train, dévisageant le lieu où nous venons d'arriver. Le cœur du Capitole, la grande gare de la ville, et surtout, les habitants tout fous et excités comme des puces qui crient, et sifflent, et nous applaudissent en hurlant nos noms.
...
Ils connaissent nos noms...
...
OH, MINCE ! C'est vrai, ils ont rediffusé les Moissons de tous les Districts, hier ! Zut, moi qui voulais voir mes futurs adversaires... Mais je zappe vite ce détail, surprise sur un autre point : le fait qu'ils se souviennent de mon nom, le mien au milieu des vingt-trois autres concurrents. Le mien au coeur des onze autres noms de Tributs féminins. Je sais très bien pourquoi : la présence d'un « invité d'honneur » provenant d'un autre Royaume a déjà du faire le buzz. Ajoutez que cet invité est une Princesse, qu'elle était accueillie dans le District le plus pitoyable de Panem et qu'elle s'est portée volontaire pour une enfant miséreuse, et vous comprendrez leur choc en reconnaissant notre train, noté d'un grand « 12 » métallique sur la locomotive. Les badauds nous pointent du doigt.
- Y en a, du monde, fait remarquer Damen, incrédule.
- Surtout qu'il n'y a pas une personne de normale, ajoute-je juste à côté de lui, balayant la foule du regard.
Cils en plumes, tatouages d'étoiles sur les joues, coupes de cheveux vertigineuses et couleurs vives absolument partout - je vois même un chihuahua vert et sans poil qui dépasse d'un sac à main. Les gens sautillent sur place, nous prennent en photo, rient comme des fous. Et je les rafale de mon regard le plus noir.
Je suis une victime de Snow. Pour eux, je suis son invité de marque.
Je suis un sacrifice des Hunger Games. Pour eux, nous sommes les sportifs de l'équipe national qu'ils chérissent depuis toujours.
La réalité est malheureuse et funèbre. Pour eux, c'est la fête.
Tant de choses qui expliquent qu'ils me sont tous insupportablement niais. Ou non, peut-être est-ce pire. Soit ils sont tous niais, crétins, idiots, et ils pensent vraiment que les Hunger Games sont un jeu amusant et tout à fait humain et normal ; soit ils savent très bien que c'est une chose immorale, carrément contre tous les principes fondamentaux qui font de nous des êtres humains, mais ils s'en contre-foutent. Dans la deuxième option, ils sont cruels et cons à une échelle olympique. Mais à mon avis, c'est la première option qui est la plus juste. Des ignorants dénués d'âme, de morale. Je m'écarte de la fenêtre, écœurée par leur excitation. Oui, pas de doute.
Ils attendent avec impatience de nous voir mourir.
Si ça les amuse, eh bien pas moi. Que je sois Tribut ou pas, je trouve cette situation inacceptable. Les gens qui pensent comme Snow mériteraient de finir comme lui - et Dieu sait à quel point je souhaite qu'il finisse mal.
- Le train entre en gare !, nous lance Effie en traversant la pièce sur ses grands, grands, grands talons. (J'imaginerais toutes les vannes possibles et inimaginables sur son imbécillité, faites-moi confiance.) Préparez-vous, les enfants !
Qui ça ? Oh ! Ah oui, les enfants qu'on va balancer dans la fosse en les priant de bien vouloir s'entre-tuer !
Je me détourne complètement du salon pour me diriger vers le couloir en direction de ma chambre. Effie, je ne t'imaginais pas aussi... Aussi... Je perds mes mots. Des larmes de rage se pointent et me brûlent la gorge, mais je les ravale, priant pour ne pas craquer tout de suite. Pour ne pas craquer tout court.
Ce qui m'en dissuade est ce qui m'arrive en m'approchant de la porte. Quelqu'un agrippe mon bras de derrière. Je me retourne... et me fige.
- On va pas se revoir avant un bout de temps, me dit-il, tout calme.
Je garde le silence. Que dire, de toute façon ? D'un côté, je suis en mode : « OUAIIIIIIIIIIIS, il m'a parlé !!! Il est pas fâché contre moi alors que je viens de signer notre arrêt de mort avec ma plus belle écriture !!! Hourra !!! ». Et de l'autre, sa phrase me laisse un grand froid dans le cœur. « Ne pas se voir pendant un bout de temps ? Qu'est-ce que tu veux dire, Damen ?» L'avantage qu'il a sur moi, c'est qu'avec son don de télépathie, il peut accéder à tous les renseignements qui nous concernent dans l'esprit des autres, tant que les auteurs de ces pensées se concentrent sur notre programme.
- Et la prochaine fois qu'on se verra, reprend-il, on risque de ne plus avoir la même tête... Alors je voulais te voir une dernière fois telle que tu es.
Sans sourire, sans grimacer, sans rien faire d'autre que ce qu'il fait déjà, il me regarde d'un air passable mais scrutateur, passant tout mon visage au peigne fin de son regard vide, trop clair, inquiétant. Il doit absolument chasser.
Puis il se penche vers moi.
Tétanisée, je ne bouge pas. Il m'embrasse rapidement le front en pressant mes doigts, puis tourne les talons et entre dans sa chambre, en face de la mienne. Et lorsqu'il en ressort avec sa veste cinq minutes plus tard, je suis toujours plantée là. Snow a banni de mon corps des émotions normales. Des faits normaux. Des choses qui rentrent dans un quotidien.
Il me pourrit l'existence et m'empêche de respirer. Je reste H24 branchée sur mon futur sort.
Je ne sais même plus supporter un baiser de mon petit-ami.
+++
Scrrrratch !
Je serre les dents pendant que Venia, une femme aux cheveux bleus avec des tatouages dorés au-dessus des sourcils, arrache la bande de cire sur mon mollet.
- Désolée !, minaude-t-elle avec ce ridicule accent du Capitole. Mais tu es si peu velue ! Je pensais que tu ne sentirais rien !
Pourquoi ces gens ont-ils tous une voix aussi aiguë que celle d'Effie ? Pourquoi ouvrent-ils à peine la bouche quand ils parlent, comme Effie ? Pourquoi haussent-ils le ton à la fin de chaque phrase comme s'ils posaient une question, à l'instar d'Effie ? Venia affiche une expression qui se voudrait compatissante.
- La bonne nouvelle, c'est qu'il n'en reste plus qu'une. Prête ?
Je me cramponne aux bords de la table et j'acquiesce, incapable de répondre à voix haute. Sinon, je crois que je me mettrais à crier. De désespoir.
Kenna m'a complètement épilée pour la Cérémonie du Sacre.
Trois jours plus tard - comme si quoi que ce soit avait déjà repoussé - c'est Aliénor qui s'en est chargé.
Lendemain matin, c'est-à-dire aujourd'hui, ça recommence. Come s'il n'y avait rien de plus important dans la vie. Aux dernières nouvelles, les poils ne repoussent pas en une nuit, ou dans ce cas pas si vite. Et n'y a-t-il pas d'autres priorités ? Ou tout simplement un temps mort ? Ouais, j'ai pas du préciser le moment où ils m'on frotté avec une mousse exfoliante afin de me débarrasser non seulement de ma crasse, mais aussi de trois bons centimètres de peau ; après ça, on a voulu s'occuper de mes ongles - merci, Greer, d'être passé par là avant ! - puis j'ai eu droit à un film d'horreur sur grand écran intitulé « La Guerre des Poils : Troisième Chapitres de la Saga Evénement ». On en parle, ou pas ?
- Tu t'en sors très bien, me complimente un certain Flavius. (Il fait bouffer ses anglaises orange et se repasse un peu de rouge à lèvres violet.) S'il y a bien une chose que nous ne supportons pas, ce sont les pleurnichardes.
- Appliquez-lui la crème !, commande Aliénor, installée dans un fauteuil, observant ses employées qui me bichonnent du mieux qu'elles le peuvent.
Venia et Octavia, une femme grassouillette teinte de la tête aux pieds en vert pomme, m'enduisent d'une lotion qui commence par piquer avant d'apaiser ma peau à vif. Elles m'écartent ensuite de la table pour m'ôter mon peignoir. Je me tiens là, nue comme un ver, pendant qu'elles tournent autour de moi toutes les deux, à traquer les derniers poils récalcitrants avec leurs pinces à épiler. Précision importante : Flavius est dos à moi, concentré sur son propre maquillage. Il était juste hors de question que je sois nue devant un homme. MDR ! Déjà par principe et par pudeur, aussi parce que j'ai déjà mis assez de temps à m'y faire devant des femmes - jusqu'à réaliser que j'avais obligatoirement besoin de mes dames d'honneur pour enfiler mon corset - mais surtout parce que si Damen l'apprenait...
*Insérez ici les conséquences qui vous passent par la tête*
Les deux esthéticiennes de l'équipe d'Aliénor s'éloignent un peu pour admirer leur travail.
- Excellent ! Tu es encore plus belle qu'à ton arrivée !
- C'était le but, je crois, dis-je en levant les yeux au ciel.
Ma remarque les fait rire tous les quatre. Je me force à sourire.
- Je suis quand même déçue de ne pas avoir pu m'occuper d'elle plus tôt, avoue Octavia avec un sourire gentil. On n'a presque rien eu à faire !
Héhé, et ça me suffit amplement, très chère...
- C'est vrai, acquiesce Aliénor. Même lorsqu'elle était au District Douze, nous n'avions pratiquement rien à ajouter. Les pointes de ses cheveux n'étaient pas sèches, ses sourcils n'avaient pas besoin d'épilation, et elle n'avait pas un bouton sur le corps.
Je jubile intérieurement. Merci à mes lotions du château et mes bains au lait ! Mais c'est vrai que je n'ai jamais vraiment été touchée par les mauvais côtés de la puberté. C'est une chance, non ? On ne va pas s'en plaindre !
- Elle est si parfaite, soupire Venia en me contemplant, presque émue.
Euh...Elle est très gentille, hein ! Mais son regard envieux est juste légèrement flippant, là. Du genre « Ce soir, je vais m'infiltrer dans ta chambre pour venir te dépecer et recouvrir mon corps de tes organes encore saignants que je vais manger, puis vomir, puis remanger, puis revomir, puis... »
Calmons-nous, rien ne nous prouve qu'elle est tarée. Si ça se trouve, elle aime juste regarder les ados à poil.
Je tends discrètement la main vers mon peignoir et l'enfile en une seconde, le refermant bien fermement sur ma poitrine et autour de mes jambes tandis que les autres poursuivent leur discussion.
- Mais crois-moi, ma Princesse, tu ne seras pas seulement belle mais carrément à tomber lorsque ton styliste se sera occupé de toi !
Je m'arrache de mes pensées macabres pour me concentrer sur les paroles réconfortantes de Flavius. Même si les yeux de Venia ne me quittent toujours pas... Ni son petit sourire en coin. Ouah la vache, qu'est-ce qu'elle fait peur ! Allez, arrête tes bêtises, Altesse... Euh...
Ah.
Après cette série catastrophique de paranoïa, je remarque enfin qu'elle se regarde elle-même dans le miroir de derrière. Est-ce encore plus inquiétant...? MERDE, FOUS-TOI LA PAIX, NON ?
- C'est sûr !, approuve Aliénor, et je cesse définitivement de cauchemarder les yeux ouverts. Oh, je viens de t'imaginer dans une de ses créations ! Oh, tu seras canon, ma chérie !
Je me mets à sourire. Véritablement. Donc mon styliste serait réputé pour ses belles tenues ? C'est plutôt bon à savoir. Si ça se trouve, on aura les mêmes goû...
- Cinna fera de toi une femme fatale !, termine Octavia, enjôleuse.
Et boom !
Une bombe m'explose dans les oreilles quand j'entends ça.
Et la porte s'ouvre.
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