Chapitre 27 : La Moisson

- Bienvenu, bienvenu, bienvenu !

La voix d'Effie est le seul son qui entoure la place, l'hôtel de justice, et même le District Douze au complet. Cachée derrière une fenêtre, j'observe la scène. Aliénor et quelques autres esthéticiennes m'imitent tandis qu'un homme que je n'ai jamais vu m'installe une oreillette. On me demande si je reçois cinq sur cinq la voix dans l'oreillette, et je réponds par un poli « La ferme, j'écoute. »

- Joyeux Hunger Games, et puisse le sort vous être favorable !, poursuit l'hôtesse de sa voix aigu et entreprenante - on dirait que c'est la seule à s'amuser comme une folle.

Cette phrase, qui a l'air d'être célèbre, est accueillie par le silence le plus total. C'est à se demander pourquoi elle parle dans un micro, elle serait très bien entendue sans. Effie ne perd pas son sourire.

- Bien ! Avant de commencer, comme de coutume, nous allons vous passer un film. Cependant, les citoyens du District Douze auront un petit bonus par rapport aux autres Districts de Panem.

- C'est à vous dans quinze secondes, me dit-on dans l'oreillette. Lancement du compte à rebours. Quinze, quatorze, treize...

Aliénor me prend par les épaules et commence à me guider vers les grandes portes de l'hôtel de justice. Elle marche à côté de moi en veillant à ne pas écraser ma traîne. Je continue d'écouter le spitch.

- En effet, reprend Effie, nous recevons aujourd'hui une invitée très spéciale ! Elle nous vient tout droit de la Forêt Enchantée, et tout le monde rêve de la rencontrer depuis son retour à Narnia. Elle a été couronnée Dauphine dimanche dernier et ses grands yeux oranges feront chavirer vos cœurs : mesdames et messieurs, veuillez accueillir comme il se doit la Princesse Emma du Quatrième Royaume !

Vient la fin du compte à rebours.

Ouverture des portes de l'hôtel de ville.

La lumière aveuglante de la mi-journée me fait légèrement plisser les paupières, mais en me rappelant que je passe à la télé, je les ouvre tout grand en affichant le plus joli sourire que je peux. Si mes parents me voient par grand hasard - et je suis sûre qu'ils ne me verront plus jamais - je refuse qu'ils sachent que j'ai peur. Il faut que tout se passe comme si j'étais heureuse d'être ici.

- Avancez en saluant la foule, me dicte-t-on dans l'oreillette.

J'obéis en saluant comme on me l'a apprit chez moi, en rentrant légèrement le pouce, comme la Reine d'Angleterre. J'avance sur la scène en bois. Effie s'approche de moi, me fait la bise comme si nous ne venions pas de nous séparer. Mon arrivée a le don de réveiller la foule. Des murmures étonnés traversent les rangs.

- Eh bien, Votre Altesse, vous êtes aujourd'hui en toute beauté !, me complimente la femme du Capitole en souriant de toutes ses dents blanches et taillées à la perfection.

Je parie que ce sont des fausses.

- Remerciez-la, m'ordonne-t-on. Regardez la caméra.

- Merci, dis-je alors.

C'est triste, je dois respecter cette voix sans avoir mon mot à dire.


- Alors, racontez-nous un peu votre voyage jusqu'ici ! Comment trouvez-vous Panem ? La compagnie de notre cher Président Snow était-elle agréable ?

- Dites que vous vous y plairiez beaucoup, que la nation est accueillante, que le Président est un homme juste et honnête.

Je ricane intérieurement.

« Mon voyage était horrible. J'ai été enlevée et traitée comme un animal. Pour parler de Panem, c'est un pays qui pourrait donner une belle image de lui. Il pourrait être agréable d'y vivre s'il n'était pas soumis au Capitole. Toute une nation est esclave. Les habitants ne peuvent pas se rebeller, ne peuvent pas se défendre et acquérir leurs droits. Ils se contentent de venir chaque année sur la place de leur District, et donnent en sacrifice deux enfants, qui seront enfermés dans une arène durant des semaines entières, se débrouillant pour survivre aux autres, trouver leurs nourritures, leurs armes. Ils veulent nous faire croire que ça forge l'autonomie, mais seul un enfant, idiot qui plus est, ne comprendrait pas la situation chaotique. Snow n'est pas un Président, mais un Dictateur. »

Voici ce que j'aimerais dire. Sauf qu'on vient de me commander d'avouer l'inverse. Je réfléchis quelques secondes, Effie m'observe en attendant ma réponse, et tous les habitants restent suspendus à mes lèvres. Une caméra zoom sur mon visage, sur ma droite, et je ne peux pas m'empêcher d'y jeter un coup d'œil.

- Disons que ça m'a l'air d'un pays juste, qui s'est jadis battu pour une noble cause. Panem mérite le soutient de mon Royaume, et j'en toucherais un mot à mes parents... lorsque je rentrerais.

Silence.

Effie me dévisage d'un air impassible, mais à son sourire crispé, je comprends que j'aurais mieux fait de me taire.

Puis un tonnerre d'applaudissements surgit.

Je dévisage la foule, choquée. Les gens frappent des mains, sifflent, crient - j'aurais pu croire qu'ils me huent, mais non, ils m'acclament. Je ne m'attendais pas à ça. Personne ne s'attendait à ça, même pas Effie.

- Ne bougez plus.

- Quel opinion touchant, Altesse ! Vous êtes une personne d'une grande sagesse. La nation vous remercie, me dit-elle, feignant d'être enchantée par mes mots. A présent, je vous invite à rejoindre votre place, un magnifique trône en or massif qui vous vient exclusivement des forgerons du District Un, spécialisé dans la fabrication des produits de luxe. De là, vous aurez la meilleure des vus et un confort parfait pour visionner le film que nous passons chaque année lors de la Moisson.

- Remerciez-la.

- Merci, Effie.

Et je me retire, sous les yeux du District et du monde entier.

Ça s'est passé plus rapidement que ce à quoi je m'attendais. Je souris en avançant sur le côté de la scène, puis avance sur la longue passerelle de bois qui longe toute la file des garçons de la ville. Puis je passe sous l'espèce de chapiteau érigé pour moi, certainement pour me protéger du soleil. Je m'installe dans le trône. Il est certes en or, mais le coussin du dossier est en joli velours... couleur framboise. J'en détourne mon regard, j'évite celui des gardes postés près de moi.

Je dévisage la scène. Je ne voyais pas tout comme ça.

Effie est au milieu de l'estrade, mais six chaises l'encadrent, trois face aux filles et trois autres face aux garçons. Y sont installés le maire et son épouse, deux autres femmes que je ne connais pas et un autre homme qui m'ait également étranger. Un des fauteuils pour homme est vide. Cependant, je n'y prête pas longtemps attention, plutôt concentrée sur deux autres objets.

Deux énormes boules en verre, posées sur deux tables.

Je me mets à trembler, et une épaisse sueur froide me glisse sur la tempe.

- Les Hunger Games sont à la fois le temps du repentir et le temps de la gratitude, dit Effie.

Puis elle énonce la liste de tous les vainqueurs du District Douze. En soixante-quatorze ans, il n'y en a eu que deux. Un seul est encore en vie : Haymitch Abernathy, un quadragénaire blond et ventripotent qui apparaît derrière elle en grommelant des mots inintelligibles. Ah, le fameux gars saoul dont tout le monde parlait à l'hôtel de justice !

Je l'observe avec insistance.

La foule l'accueille par quelques applaudissements symboliques, mais il se méprend et tente de serrer dans ses bras Effie, qui parvient à l'esquiver de justesse. Il a bu. Beaucoup, beaucoup trop bu. L'événement est retransmis en direct : le District Douze est maintenant la risée de Panem. Ce doit être pour ça que Snow m'y a déposé - pour bien renforcer l'idée que je suis misérable et sans défenses.

Qu'est-ce que j'en ai à faire, j'vous jure.

Bref, Effie propose poliment à Haymitch de regagner son siège, celui qui était vide, à côté du maire. Il s'y écroule immédiatement. L'hôtesse s'étend ensuite sur la fierté qu'elle éprouve à se trouver ici, mais à mon avis, elle doit sûrement espérer d'être promue dans un meilleur District. Avec des vainqueurs qui ne finissent pas ivrognes.

- Bien !, décrète-t-elle ensuite, pour la deuxième fois, d'ailleurs. Nous allons enfin pouvoir vous passer le film historique qui vous vient tout spécialement du Capitole !

Puis elle applaudit deux fois. Toute seule. Paumée. Je ris, et Effie se tourne vers un des écrans géants - celui de droite, qui est face aux filles - et le film commence. Une musique sinistre mais patriotique retentit, certainement l'hymne national. Première image : des centaines de crânes humains.

Chaleureuse entrée en matière...

Une voix retentit, tandis que des images macabres de ce genre continuent de défiler.

- La guerre, débute la voix du film, et bien sûr, c'est celle de Snow..., la terrible guerre. Des veuves, des orphelins. De pauvres orphelins ! Ce fut le soulèvement qui enroua notre terre.Treize Districts qui ont osé se rebeller contre le pays qui les nourrissait, qui les aimait, qui les protégeait. Frères contre frères, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

Mes yeux ne parviennent plus à se décrocher de l'écran, et j'oublie tout ce qui se passe autour. Sécheresse, ouragans, incendies, puis la guerre impitoyable pour les maigres ressources restantes. Voilà d'où vient Panem, ce pays qui est né de ce qu'on appelait autrefois « Le Royaume du Soleil ». Je reste fixée sur ce film, qui retrace l'histoire d'un pays brisé.

- Puis enfin vint la paix, poursuit la voix de Snow, durement obtenue, lentement acquise. Le peuple se releva de ses cendres, et une nouvelle Ère vit le jour. Seulement, la liberté a un prix.

Oui, évidemment. C'était trop beau pour tous ces gens qui auront vécu la famine, la maladie, le malheur. Reconstruire leur pays de leurs mains, c'était encore trop demandé. Il fallait que Snow fasse des siennes.

- Voulez-vous une boisson fraîche, Altesse ?, me glisse un des gardes.

- CHUT !

Il sursaute, puis s'en va. Comprenant qu'il vaut mieux ne pas me déranger. J'aimerais connaître le déroulement de l'affaire...

- Lorsque les traîtres ont été vaincus, nous nous sommes jurés en tant que nation que nous ne connaîtrions plus jamais de trahison. Et il a été décrété que chaque année, les différents Districts de Panem offriraient en Tribut un jeune homme et une jeune fille dans un combat à mort exigeant honneur, courage et sacrifice. L'ultime vainqueur, couvert de richesses, rappellera à tous à quel point nous sommes généreux et clément.

Traduction : il a été décidé - par une seule personne, moi, le Dictateur Snow - qu'à compter de ce jour, les douze Districts de Panem offriraient en SACRIFICE un garçon et une fille entre douze et dix-huit ans qui se battront dans une arène jusqu'à ce que mort s'ensuive. Et cette boucherie des plus barbares et ignobles rappellera au monde entier à quel point le Capitole et son chef suprême sont généreux et plein de miséricordes.

HA ! HA ! HA ! HA ! HA ! Laissez-moi rire.

Ou pleurer. Pleurer pour tous ces pauvres gens qui ont eu la malchance de naître dans le Royaume le plus cruel de Narnia.

- Ainsi nous nous remémorons notre passé, ainsi nous sauvegardons notre avenir, termine l'être abjecte que j'ai eu le malheur de rencontrer.

Je remarque qu'Effie hoche la tête, elle a fermé les yeux, et récite par coeur cette phrase en même temps que son auteur. Quand ce fût finit, elle relève la tête avec un énorme sourire.

- Oh oui, j'adore ça !, s'extasie-t-elle.

L'écran géant affiche désormais trois petits cadres où sont filmés Effie Trinket, la place bondée de monde et... euh, moi. Je me regarde. Malgré mon maquillage et mon teint pimpant, j'ai l'air d'un cadavre déterré. La fureur que je ressens envers Snow et la peur qui me broie les entrailles se mélangent sur mes traits pour former un visage crispé, constipé. Je détourne mes yeux de ça et revient à Effie.

Puis je comprends que...

Je n'ai pas peur.

Le monde change de couleur lorsqu'on en est certain. Et moi, j'en suis certaine, maintenant. Parce que j'ai déjà ressentis de la peur. La plus récente, c'est la peur d'aimer Damen. La peur que ma confiance en lui m'aveugle, que la foi que j'aurais misée sur notre amour me retombe dessus un jour. J'ai vraiment crains qu'il réussisse à faire tomber mon masque d'ado rebelle. Qu'il réussisse à me faire redevenir celle que j'étais avant - la petite fille innocente qui ne comprenait pas le sens de la vie. Mais ça, c'était avant de le connaître. Avant de rompre la Malédiction. C'était avant tout.

- A présent, l'heure est venue de sélectionner le courageux jeune garçon et la courageuse jeune fille qui auront l'honneur de représenter le District Douze aux soixante-quatorzième Hunger Games.

Un des gardes qui me tourne autour me lance un bref coup d'œil inquiet. Sa présence est assez ironique. Je me demande pourquoi le chef de Panem tient-il à ce que quelqu'un s'assure de ma sécurité, puisque je vais bientôt mourir.

- Et comme toujours...

Est-ce mon imagination, ou vient-elle vraiment de me lancer un coup d'oeil ?

- Les dames d'abord.

Flashback, la veille

Snow me regarde. J'attends qu'il réponde à la question qui compte tellement à mes yeux : celle que j'aurais du poser le soir où il m'a présenté ce contrat d'inscription.

- Effie Trinket tirera votre nom au sort, poursuit-il.

[...]Mon cerveau d'hybride est en surchauffe. Les pièces du puzzle s'emboîtent petit à petit, et une première réalité m'apparaît.

- Vous m'avez arnaqué, le soir de notre rencontre, déclare-je, sûre de moi. Vous m'avez fait croire qu'on s'inscrit aux Hunger Games alors qu'en réalité, on est tiré au sort.

Il sourit de toutes ses dents dans un rictus des plus diabolique. Ma gorge se noue, mais je me jure de ne pas craquer. Pas devant lui, en tout cas.

- Vous allez truquer le tirage au sort de demain, chuchote-je, emprise à une réelle vague de panique.

Fin du Flashback

Je dévisage Effie Trinket, qui plonge sa main dans le premier bocal.

Un bocal qui contient des milliers de bouts de papier.

Des milliers de bouts de papier où est inscrit le même nom.

Je le répète encore une fois : je n'ai pas peur.

Je suis juste terrifiée.

PDV Externe


Partout à Narnia, la tension est palpable.

Les douze Moissons des douze Districts n'ont pas lieu aux mêmes heures de la journée afin qu'elles soient toutes diffusées à la suite au Capitole, telle une série télévisée. Une Moisson ne doit durer que trente minutes en tout. La première, celle du District Un, a donc débuté à huit heures du matin. A huit heures et demi, elle s'est terminée, laissant l'antenne à celle du District deux, puis du Trois trente minutes après, etc... Le District Douze, dont la Moisson débute à quatorze heures, est donc la toute dernière de Panem. On pourrait supposer que ce sont ses horaires plus plaisantes que celles, tôt le matin, des premiers des Districts, qui sont la cause du plus grand visionnage de cette Moisson.

Cependant, cette année, c'est différent.

Si tout le monde est bien accroché à leurs postes de télévision au Capitole, à leurs miroirs pour les magiciens et à leurs journaux pour les paysans, c'est surtout grâce à la présence d'Emma, évidemment.

- C'est quoi, ce que vous regardez ? Pourquoi Emma est là-bas ?

La petite voix innocente d'Henry rompt le silence pesant qui plane sur la Salle de Réception. Tout le château y est rassemblé. Regina caresse doucement la tête de son fils en regardant le miroir magique. Derrière elle, Blanche et Charmant restent fixés sur l'image de leur fille.

- Bon Dieu..., chuchote Esmé au même moment, dans la petite villa des Cullen où Alice a rassemblé tout le monde.

La famille de Damen reste concentrée sur l'image d'Effie Trinket, qui s'approche du micro pour annoncer le verdict. Rumpelstiltskin plisse les yeux.

- Est-ce... Est-ce... Non, impossible !

- Quoi, qu'y a-t-il ?, demande Carlisle.

Le Ténébreux tend son doigt osseux vers le miroir. Face à eux, la scène. Devant la scène, la colonne des garçons et la colonne des filles. A côté des gars, la passerelle où siège Emma. A côté des filles, la passerelle où sont installés les moins de douze ans ou plus de dix-huit ans, enfants et adultes, qui ne seront pas tirés au sort.

Derrière ces gens, deux personnes qui s'incrustent dans la foule. Ils viennent d'une autre rue.

- Ce sont... Ce sont..., balbutie Rumpel.

Loin de la villa, dans le District Douze, Caleb et Damen se jettent de plein fouet dans la foule d'adultes qui observent Effie Trinket en se mordant les doigts. Certains pleurent et prient pour que leurs enfants, petits frères, petites sœurs ne soient pas tirés au sort - d'autres, ceux dont les proches ne sont pas en danger, lancent des paris sur les âges des deux futurs Tributs.

Caleb assomme l'un d'entre eux.

- T'as pas honte, toi ?!, lui crie-t-il, furax.

Damen ne prête pas attention à son frère.

Il se met sur la pointe absolue de ses pieds et tentent d'apercevoir Emma.

PDV Emma

Effie se place devant le micro et déplie le papier tiré.

Un instant, un minuscule et ultime instant, je suis déconcentrée par une voix qui surgit à l'improviste de la foule d'adultes loin devant moi. Une petite agitation s'y dissipe, puis le calme revient. Effie lève les yeux. Les gens prennent une énorme inspiration. Le cœur du monde entier bat la chamade.

Je n'ai pas le temps de prier une dernière fois pour que, par un hallucinant hasard, le papier qu'elle a tiré ne comporte pas mon nom.

Mais de toute façon, c'est trop tard.

Les caméras zooment sur le visage d'Effie. On la voit en gros plan sur l'écran lorsqu'elle entr'ouvre les lèvres pour prononcer, de manière indifférente :

- Primrose Everdeen.

Oh.

Putain.

De.

Merde. J'ai mal entendu. Pas vrai ? Hein ? Ouais. Mmm, c'est ça.

Ouah. Non. Impossible. Putain, non.

J'ai l'impression que mes oreilles sont bouchées. De l'eau. De l'eau ici, là, partout. Ça monte dans mes pieds, mes jambes. De l'eau glacée.Y a une inondation d'eau glacée dans mon corps. Elle monte dans mon ventre, jusqu'à mes épaules, ma gorge, ma tête. Ma tête, remplie. Saturée. Glacée par cette eau glacée. Elle tourne, elle se met à tourner, vite. Très vite. Ma tête tourne. Remplie d'eau glacée.

Oh putain !

Je serre le plus fort possible les accoudoirs du trône. Quelque part, très loin d'ici, de moi, de l'eau, un son étrange retentit - c'est la foule qui se met à gronder, certainement à cause de l'âge de l'enfant sélectionné, parce que tout le monde trouve ça injuste.

Je rêve. Je cauchemarde. Il se passe quoi, bordel ?!?

Heureuse de ne pas avoir été appelée, oui ! Oui, c'est pas moi ! C'est pas moi !

C'est Primrose Everdeen.

Mais... c'est qui, elle ? Ça ne peut pas être elle ?! Pas CETTE Primrose,hein ?! Pas ELLE ?! NON ! Pas la petite sœur de Colin ! Pas Colin Everdeen ! Pas le garçon qui a tenté de me violer dans la nuit de dimanche à lundi, et qui aura été poussé par Snow ! Pas le garçon qui a été exécuté par mes parents ! Pas elle, pas Primrose ! Pas ma petite Prim !

- Où es-tu, ma chère ?, lance Effie, tranquille.

AHHHHHH !!!!

Pas la belle-sœur de Lola !

Lola, qui se sentait trahit. Qui m'a blessée, insultée, humiliée. Mon amie, qui m'a brisé le cœur. Ma dame d'honneur rongée par le malheur depuis que l'amour de sa vie est mort. Et aussitôt après les funérailles, qui ont du avoir lieu mardi, Prim devait partir. Elle me l'a dit, au bal. Elle m'avait dit mot pour mot « Je ne reste ici que jusqu'à mardi ; après, je devrais rentrer chez moi. Sinon je risque d'avoir des problèmes. »

Des problèmes avec ses parents, je me suis dit !

Prim, pourquoi tu m'as jamais dis que tu vivais à Panem ? Pourquoi tu m'as caché que les problèmes que tu aurais, ce serait d'être tuée pour avoir manqué la Moisson de merde de ton District ?!?! Pourquoi ne jamais m'avoir mis au courant de la situation ? Greer le savait-elle ? Lola était-elle au courant ? Colin vivait-il cela aussi ? Il vivait dans le District le plus pauvre de Panem ?

Pourquoi... Pourquoi elle !

- N'aie pas peur ! Viens me rejoindre !

Mes oreilles sont toujours bouchées, mais je parviens à voir tout de même. Un gros trou se forme au fond de la file des filles, dans la rangée des douze ans. Toutes les petites s'éloignent de l'Appelée.

La Tribut.

Je la vois, blanche comme un linge, les poings crispés, qui s'avance avec raideur vers l'estrade, dépassant la rangée des filles de treize, puis de quatorze, de quinze ans. Comme les autres enfants, elle s'est mise sur son trente-et-un - jupe grise toute simple et sans beauté avec des collants, une chemisette blanche, des souliers noirs. Rien à voir avec la robe à bustier rouge et aux mousselines de princesse qu'elle portait lors de mon bal. Les deux nattes tristounes qui reposent sur ses épaules n'ont rien à voir avec le chignon doré qu'elle arborait ce soir-là, un chignon entouré d'une tresse serpent magnifique. Sa bouche pincée en une ligne fine n'a rien à voir avec ses lèvres rouge et parfaitement maquillée que je me rappelle d'elle. Le petit quelque chose de pétillant et malicieux qui brillait dans ses yeux turquoises a également été remplacé par une mine maussade.

Sa joie de vivre, son éclat, ses rires : plus rien. C'est un zombie.

Je parie que la robe rouge qu'elle avait au bal, c'était Greer qui le lui a prêté, parce que visiblement, elle n'a pas les moyens de porter ce genre de tenue. Et puis Greer a des sœurs de son âge.

Des sœurs de douze ans.

Douze ans. Tu as douze ans. Prim, de douze ans, qui s'avance, me dépasse, encadrée par deux gardes vêtus de blancs et de framboise. Elle arrive presque devant les escaliers de l'estrade qui la propulseront dans la folie macabre des Hunger Games.

Elle a une chance sur vingt-trois pour sortir vivante.

Trop peu pour moi.

- Assez !

Je crie d'une voix étranglée, tandis que mes muscles se remettent à fonctionner.

- Ne l'approchez pas !, crie-je aux hommes qui l'escortent, et ils relèvent la tête.

Tout le monde relève la tête. Et c'est la mienne qu'on voit à l'écran, maintenant.

Je bondis sèchement de mon trône et m'élance dans les escaliers de bois qui se situent juste devant moi, afin de descendre de ma passerelle sans passer par la scène d'Effie. Je traverse entre les rangs de dix-sept et de seize ans des garçons, qui me regardent avec incrédulité. La traîne de soie blanche de ma robe rappe sur les cailloux du sol.

- Prim !, hurle-je, encore et encore. Prim !

- Emma ?!

- Laissez-la, laissez-la ! Prim, viens-là !

Les gardes qui l'accompagnent ne l'empêchent pas de me rejoindre - au contraire, ils la délaissent et viennent vers moi pour m'empêcher d'avancer. Sans les calculer, je me dirige vers mon amie si jeune et que je connais si peu. Je suis assez proche d'elle pour voir les larmes qui coulent sur ses joues.

Les gardes me stoppent dans mon élan.

- Non, lâchez-moi, je me porte volontaire ! Je suis volontaire !

Je me débats et retire leurs sales pattes de mes bras. Les deux écrans géants ne montrent que moi. La meuf parée de bijoux et d'une robe luxueuse. Pas un pour cent de crédibilité.

- Euuuuuh...., lâche Effie, perdue.

- Je me porte volontaire comme Tribut !, répète-je, répète-je, répète-je pour la troisième fois, au cas ou un doute ne se matérialise encore.

Voilà qui provoque une certaine confusion autour de moi.

Les hommes me foutent la paix, enfin. Je cours vers Prim, la serre dans mes bras. Elle a l'air choquée. Et là seulement, mes larmes commencent à devenir trop lourdes à porter. Je me décroche d'elle, me mets à genoux, prends son visage entre ses mains et la regarde droit dans les yeux. Elle ne sanglote pas.

Pas encore.

- Il faut que tu t'en ailles d'ici, Prim ! Va trouver tes parents !

- Non...

- Tout de suite, Prim !, hurle-je, pressante. Va-t-en !

- Non !

Je ravale mes larmes, mais ma voix tremble tout de même.

- Je t'en prie, ma chérie, part ! Je suis désolée, Prim, va-t-en !

Prim est hystérique. Elle enserre ma taille de ses petits bras osseux.

- Non, Emma, tu ne peux pas ! Non !

- Prim, lâche-moi !

Je suis un peu brutale, parce que je suis encore bouleversée et que je ne veux surtout pas pleurer. Lors de la rediffusion des meilleurs moments de la Moisson, ce soir, tout le monde remarquerait mes larmes et je serais désignée comme une proie facile. Je ne donnerai cette satisfaction à personne, et certainement pas à Snow.

- Prim, va-t-en !

Sans que je comprenne qui il est ni ce qu'il fout là, un garçon sort des rangs des enfants de seize ans et s'élance vers nous, arrache Prim de mes bras pour l'emporter loin de moi. Le garçon doit être un ami de Colin. Brun et grand, il hoche le menton dans ma direction, comme pour m'encourager.

Oh putain. Qu'ai-je fais, jeunes gens, qu'ai-je fais...

- NON !!! NOOOON !!!, rugit la petite, qui se débat dans ses bras.

Qu'est-ce que je fous ici...

- Un dramatique rebondissement a lieu ici, au District Douze..., présente Effie, fidèle au poste et feignant d'être complètement passionnée par l'affaire. Enfin ! Le District Douze a son premier volontaire.

Je redresse le buste et m'oriente vers les marches de l'estrade, les rejoins, puis grimpe, rassemblant toute ma dignité. Pour la deuxième fois, je me retrouve face au micro avec Effie Trinket. Je ne l'ai jamais autant vu sourire. Puis, les phrases que tout le monde me dit depuis hier me reviennent en tête : « Si tu décides de rester. », « Si tu restes après la Moisson. »,« Si tu continues l'aventure demain. ».

Tout est clair, désormais.

Pourquoi m'avoir dit que ce serait moi d'office ? Pourquoi m'avoir radoter que JE serais la Tribut du District Douze, moi et personne d'autre ? Pour que je me sente condamnée. Puis finalement, ce n'était pas moi. Tout le monde pensait que le tirage au sort serait juste et qu'il contiendrait les noms de tous les enfants. Moi, je croyais savoir qu'il ne contiendrait que le mien. Je pensais être la seule à connaître la vérité. Et en faite, c'était celui de Prim.

Mais pourquoi Prim ?

Parce que c'est la seule que je connaisse, ici ? Non, même pas ! C'était elle parce que le soir du bal, Snow m'espionnait. Et il savait que je la connaissais. Et c'est pour ça qu'il a employé son grand frère pour me violer. Parce qu'il savait que Colin mourrait sous ordre de mes parents pour trahison. Il savait que je me sentirais coupable. Et il savait que je n'hésiterais pas à me sacrifier. Pour me racheter auprès de Lola et de Prim, ou bien seulement par preuve d'humanité, ou encore en la mémoire de Colin.

Bref.Tout ça pour dire que c'était prévu.

Naïve que je suis, je viens de tomber dans le panneau comme une débutante. Mais aussi, qu'aurais-je pu faire ? La laisser faire les Jeux ? La regarder mourrir ? Jamais.

- En principe, aucune personne non originaire de Panem n'a le droit de se trouver sur ces terres, commence Effie, abusive. C'est interdit. Personne n'a donc voté de loi interdisant un habitant d'un autre Royaume à se porter volontaire, puisque vous n'êtes même pas censée être ici ! Mais puisque vous êtes notre première et seule invitée depuis plus d'un siècle, Votre Altesse, eh bien... Enfin, les lois concernant les volontaires de Moissons sont quelque peu rouillée. Mais je pense que tout est en ordre. (Elle se racle la gorge.) Mesdames et messieurs, applaudissez tous la première volontaire et Tribut du District Douze : Emma Swan !

Mais - et j'en serais éternellement reconnaissante aux gens du District Douze - personne n'applaudit. Je reste là, immobile, tandis que tous ces enfants et tous ces adultes, toutes ces personnes affichent leur désapprobation de la manière la plus courageuse : par le silence.

Puis soudain...

Une personne, puis deux, puis douze, puis quasiment toute la foule porte les trois doigts du milieu de la main gauche à ses lèvres avant de les tendre vers le ciel.

Geste funéraire.

Touchée, émue, je reste statique en ravalant chaque émotion qui menace de me trahir. Mais c'est le moment que choisis le fameux Haymitch pour débouler à travers l'estrade. Il titube dans ma direction afin de me congratuler. Je l'observe avec une vague panique.

- Hey, ma jolie ! Regardez-la, tous, regardez cette fille !, braille-t-il en m'attrapant par les épaules. (Il est d'une force étonnante pour un soûlaud pareil.) Elle me plaît bien, elle ! (Son haleine empeste l'alcool, et son dernier bain doit remonter à longtemps.) Elle a des... (Il hésite un instant sur le mot.) ... des tripes !, achève-t-il avec un accent triomphal. Plus que vous ! (Il me lâche, s'approche du bord de l'estrade.) Plus que vous tous !, crie-t-il en pointant du doigt la caméra.

S'adresse-t-il aux spectateurs, ou bien est-il soûl au point d'insulter le Capitole ? Je ne risque pas de le savoir maintenant car, alors même qu'il ouvre la bouche pour développer son propos, Haymitch dégringole de l'estrade et s'écrase par terre, assommé.

Il a beau être pathétique, je lui suis reconnaissante.

Grâce aux caméras braquées sur lui, j'ai juste eu le temps de lâcher le petit sanglot que j'avais dans la gorge, et de reprendre mon sang-froid. Puis le garçon de tout à l'heure, celui qui a récupéré Prim et qui vient de la rammener à ses parents, traverse de nouveau la place pour retrouver sa colonne. Il se poste dans la rangée des garçons de dix-sept ans. Étrange... Il est sortit de celle des seize ans, tout à l'heure. Il réajuste sa casquette de sorte qu'on ne voit pas son visage. Pleure-t-il ?

On emporte l'alcoolique sur une civière. Effie tente de réchauffer l'ambiance.

- Quelle journée incroyable en rebondissements !, roucoule-t-elle en réajustant sa perruque, qui penche dangereusement sur la droite. A présent, passons aux garçons.

Ses cheveux glissent. Ça devient sérieusement inquiétant. Dans l'espoir de sauver la situation, Effie les plaque sur sa tête et se rue vers la boule de droite, face aux jeunes hommes tremblants qui redoutent le pire, puis tire le premier papier qui lui tombe sous la main. Elle revient au podium. Tout ce temps, je suis restée concentrée sur le garçon de tout à l'heure. Il est sortit de la rangée de seize ans, et il est maintenant dans celle des dix-sept. Il garde le menton rageusement baissé.

Je le dévisage. Je fronce les sourcils - il n'a pas les mêmes chaussures. Et ses cheveux ne sont pas bruns, là. Mais blonds. Dorés.

Je n'ai pas le temps de tout comprendre.

Il claque des doigts. Je fronce les sourcils. Effie se redresse, déplie le papier.

- Damen Cullen !

Et il lève la tête.

...

Personne ne se recule pour lui laisser la place de partir, car personne ne sait de qui il s'agit. Les garçons se tournent et se retournent, tentant d'apercevoir « l'heureux élu ». Damen se détache doucement de la foule. Regards et caméras le suivent. Il se dirige doucement vers les escaliers en gardant la tête bien baissée. Ses vêtements sont ceux du garçon de tout à l'heure. Comment s'est-il changé si vite ? Et comment se fait-il que ce soit son nom qui ait été tiré ? Grâce à la magie, je suppose. Il a claqué des doigts juste avant que Effie ne déplie le papier.

Il vient de sauver un garçon.

Je ne sais pas quel nom était inscrit sur ce papier avant qu'il ne le modifie - personne ne le saura jamais. Quoi qu'il en soit, il vient de sauver un innocent. Et il vient de se sacrifier pour moi. Il se jette dans l'aventure périlleuse que représentent les Hunger Games juste pour veiller sur ma protection.

Damen arrive sur l'estrade sans me regarder. Effie l'accueille, le mène vers elle. Je reste à gauche du micro, face aux filles ; Damen est laissé face aux garçons, à droite du micro. Effie Trinket, entre nous deux, se remet à parler en posant une main sur chacune de nos épaules.

- Nous y sommes ! Nos Tributs pour le District Douze !

Puis, d'une voix plus douce et moins déclarative :

- Allons, allons ! Serrez-vous la main !

Elle se décale ensuite d'un pas en arrière.

Puis nous nous tournons l'un en face de l'autre.

On s'observe en silence. Ses yeux sont d'un rouge trop clair, translucide, corail. Il n'a pas chassé depuis trop longtemps. Son visage n'exprime qu'une chose : le désespoir. Et un peu de colère, aussi. Mais surtout le désespoir. Incapable de décrire ce que moi je ressens, je mets plus de temps qu'un cerveau normal pour avoir le réflexe de tendre la main et de prendre la sienne, qu'il m'offre depuis deux minutes. On échange une longue prise significative. Il presse doucement mes doigts comme pour m'encourager.

Ou pour m'engueuler. Me préparer à une engueulade pour la connerie que j'ai faite.

Comme une grosse conne pathétique, je suis venue à Panem en imaginant qu'il ne ferait rien pour me retrouver. Mais bien sûr, qu'il allait venir. Tout le monde le sait.

Et maintenant, on est tous les deux inscrits aux Hunger Games.

Il me protégera jusqu'à la fin. Et lorsqu'il ne restera plus que nous deux dans l'arène, on devra choisir qui se sacrifiera pour l'autre.

On reste longtemps main dans la main et yeux dans les yeux, croyez-moi. Son visage n'exprime plus rien, il reste statique. Son regard me gifle bien comme il faut. Et moi, en crétine finis que je suis, je commence à trembler. Je vois flous à cause des larmes qui s'agglutinent à mes paupières.

Effie Trinket nous regarde avec un sourire triomphale.

- Joyeux Hunger Games, et puisse le sort vous être favorable !

Je retiens un sanglot.


On est foutus.

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MOUAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !!!!
Je m'abstiendrais de tout commentaire...

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