Chapitre 11 : L'Annonce Choquante



- Se réjouir d'un décès est une chose horrible réservée aux êtres cruels et égoïstes. C'est vraiment terrible, vraiment... malsain. Sauf que je peux pas m'en empêcher.

Malheureuse, je plonge mon visage entre mes genoux et enroule mes bras autour d'eux. C'est tellement frustrant de ne plus être responsable de ses émotions ! J'aimerais avoir de la peine pour Regina, voir de la pitié... et j'aimerais aussi avoir un petit pincement au cœur en culpabilisant. J'aimerais penser à Cora en serrant les lèvres, triste qu'on en soit arrivé à là.

Sauf que je n'y parviens pas.

Un horrible sentiment de bien-être gonfle en moi depuis que Regina a quitté la boutique avec le cadavre de sa génitrice dans un nuage de fumée mauve. Au début, j'étais choquée par la brutalité de sa mort. Mais maintenant, je suis affreusement réjouie par la tournure des événements, et je me trouve inhumaine. Peut-être est-ce dû au fait que je sois une hybride ?

En bas, ma mère pleure dans son lit, mon père tente de la réconforter - en lui disant que tuer quelqu'un n'est pas si grave que ça - Damen est partit chassé et Caleb fait visiter la ville à Clark.

Assise en tailleur sur mon lit juste en face de moi, Alice arque un sourcil dubitatif. On est en pleine séance de thérapie ; je pensais que ça m'aiderait.

- Tu es plus tordue que ce que je croyais, soupire-t-elle en roulant des yeux, l'air de rien.

Je ne sors pas mon visage d'entre mes genoux lorsque je grognasse :

- Merci, tes efforts en matière de soutient moral me vont droit au cœur !

- Je ne pense pas que tu aies besoin de soutient moral, à moins que ta mère soit morte ou que tu aies tué quelqu'un récemment. C'est le cas ?

Nouveau grognement de ma part. Alice est vraiment nulle, comme psychiatre, psychologue et thérapeute. On a tout essayé, rien n'a marché. A croire que le problème vient de moi !

...

Chut ! Arrêtez de penser à ce que je suis sûre que vous pensez !

Abattue, je me laisse mollement tomber sur le côté, mon épaule s'écrasant sur mon matelas. Aussitôt, je tourne la tête et enfonce mon nez dans la couette moelleuse et imprégnée de parfum à la lavande.

Ah ! Faut que je vous raconte !

Mes retrouvailles avec ma maison ont été hallucinantes : j'étais littéralement au bord des larmes. Retrouver le plancher grinçant, les rideaux clairs en dentelles, le comptoir en bois, les couvertures à motifs divers et colorés et le tapis trop long m'a réellement submergé. Pour la première fois, en entrant dans ma maison aux murs sans allures et aux encadrements de porte écaillés, j'avais le sentiment de rentrer chez moi. Quand bien même les meubles sont démodés et les fleurs qui bordent nos fenêtres sont trop abondantes, cette maison est la mienne et je l'aime comme elle est. Mon bonheur d'avoir vu Cora mourir s'est donc additionné à mon explosion de joie en rentrant, et mon impression d'être dénuée d'âme et de raison se renforce à chaque seconde.

Heureuse, je lève les yeux sur le plafond blanc en soupirant de nostalgie.

Alice ne bouge pas d'un poil, concentrée sur mon visage.

- Pourquoi tu me fixes comme ça ?, ronchonne-je.

Elle se contente de secouer doucement la tête, l'air fatigué. Elle ferme les yeux. Plus longtemps que prévu. Au début, j'ai l'impression qu'elle est juste excédée par mon absence de compassion pour Regina, mais au bout d'un moment, je trouve que son comportement devient étrange. Son visage devient contracté, ses sourcils fins et bien dessinés se froncent légèrement et ses lèvres s'entr'ouvrent. Je la regarde.

Elle a une vision.

- Alice ?

Rien. Elle reste concentrée sur les images qui doivent défiler devant ses yeux. Des images que l'avenir accepte de lui laisser prendre connaissance. Au bout de quelques secondes supplémentaires, elle ouvre grands les paupières sur ses prunelles noires - elle est partit chassé un peu avant Damen, qui mourrait littéralement de soif.

Son visage reste de marbre lorsqu'elle lâche :

- Ta mère ne va pas mourir.

Cette déclaration me fait hoqueter.

Alice lit l'avenir, mais ce-dernier peut être influencé par les décisions de certaines personnes ou bien par l'intervention de certaines autres. Si Alice a vu que ma mère ne risque pas de mourir, alors ça veut dire qu'une menace est devenue inexistante. Deux possibilités s'ouvrent :

1) Regina a décidé de la laisser tranquille.

2) Regina est morte.

Je bondis de mon lit un peu trop rapidement et m'écrase sur le plancher la tête la première. Un soupire retentit dans la pièce.

- T'es pas sérieuse, Alice !

- Regina aime trop Henry. Elle ne peut pas nous faire de mal sans qu'il y aient de répercussions sur leur relation, et elle a compris qu'elle ne peut pas tout avoir : son fils et sa vengeance.

J'attends le temps qu'il faut pour tout assimiler, puis hoche péniblement la tête, bien que les battements de mon cœur restent irréguliers et maladifs. Je ne sais pas vraiment ce que je ressens en ce moment - de la peur ou du soulagement. Mes émotions m'énervent toujours autant, car j'ai l'impression que tout se passe très bien alors que nous parlons de vie en moins ou en danger, mais le simple fait que Regina ait abandonné son idée de vengeance me rassérène. On n'aura pas à jouer les chiens de gardes auprès d'Elena, toujours recroquevillée dans son lit, les yeux dans le vague.

En bas, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir.

- Je vois pas trop pourquoi, mec. Elle est douce, sympa et très gentille - ça va forcément bien se passer.

Ça, c'est la voix de Clark. Je relève la tête en même temps qu'Alice, qui retrousse le nez comme si elle sentait une mauvaise odeur. Ce qui veut dire qu'il y a aussi...

- T'es sûr que c'est toi qui a vécu avec elle trois ans ?, entends-je Caleb railler. Je la connais : quand elle a une idée en tête, t'as plus qu'à laisser passer avant de te prendre une baffe.

- Pour toi, peut-être. Moi, elle m'a jamais frappé.

- Si vous parlez de moi, t'es en train de mentir, Clark !, crie-je à la cantonade en sautant de mon lit.

Je me dirige vers la porte de ma chambre et l'ouvre. En bas des escaliers, je vois un Clark nerveux et boudeur qui détourne le regard lorsque je pose le mien sur lui, et un Caleb rieur à mon annonce. Un courant d'air passe brutalement à côté de moi, et lorsque je me retourne, Alice n'est plus dans la pièce.

Elle est déjà en face de Caleb, le regard foudroyant.

- Tu sens horriblement mauvais, gros toutou, lui crache-t-elle en secouant la tête de dépit. Les loups-garous ne connaissent pas les bains ?

- Les vampires ne connaissent pas les bains de bouche ?, rétorque-t-il automatiquement, l'air hagard. Vu vos repas, je devrais pas être étonné par vos haleines de cadavres.

- Arrête, tu vas me faire pleurer !

Alice n'a peut-être pas saisit que Caleb est le frère de son frère ? Ou bien est-ce que tous les gens qui se haïssent mais qui sont forcés de coexister se traitent ainsi ? Roulant des yeux, je cesse de penser à leur amicale façon de se dire bonjour et dévale les marches rapidement. Je me tourne vers la chambre de mes parents - ma mère est allongée sur son couvre-lit, la tête sur un bras, les yeux balayant le plancher. Mon père range la vaisselle dans le meuble adapté en lui lançant de réguliers coups d'œil anxieux.

- Pas de changements ?, lui demande-je sans espérer une bonne nouvelle.

- Elle n'a pas bougé depuis trente-sept minutes.

Mes yeux ne s'arrondissent même pas en entendant ça. Je suis habituée. Ça fait une journée complète que ça se passe comme ça.

- Ça devient déprimant, s'enquiert Caleb, tentant de détendre l'atmosphère.

- Pourquoi il dit toujours des trucs inutiles ? Sois idiot, ça te changera, crépite ma belle-sœur en s'emparant de sa veste.

Caleb lève les yeux au ciel, et je me tourne vers la furie. Elle enfile prestement son veston blanc crème dont l'ourlet des manches - des rayures noires - s'accordent avec ses escarpins Louboutin, tout ça avec une rapidité qui laisse à croire que sa vie en dépend.

- Tu pars, Alice ?

La tristesse dans ma voix doit être perceptible - je l'adore, mais lorsqu'elle s'en va, on ne sait jamais quand arrivera notre prochaine rencontre. Elle tourne ses yeux ronds et pourpres vers les miens, accusatrice.

- Je vais prendre l'air. Appelle-moi quand tu auras sortis le chien.

Sur ces mots, elle s'en va en claquant fermement la porte derrière elle. Ça ne fait même pas sursauter Elena, et ça ne semble pas vexer Caleb. Il part d'un bon pied vers la cuisine et se sert un verre de jus d'orange.

- J'adore l'ambiance, ricane Clark en secouant le menton.

- Et si on changeait de sujet, hein ?, propose-je immédiatement. De quoi vous parliez en arrivant par exemple ?

Le sourire de mon grand frère se dissipe. Caleb éclate de rire.

Moi qui souhaitais simplement savoir s'ils parlaient réellement de moi, je risque de ne pas être au bout de mes surprises.

- Hm... Oui, à propos...

Nerveux, Clark semble peiner à trouver ses mots. Ses yeux vont d'un Caleb hilare qui s'étouffe avec son jus d'orange à moi-même, calme et patiente, en s'arrêtant aussi sur mon père intéressé et ma mère dépressive. Je finis par établir un lien entre nous quatre et comprends où est le problème, alors je lui attrape le coude, ouvre la porte de la maison et sors avec lui. On dévale les escaliers silencieusement et débouchons sur la rue. Le soleil ne nous laisse pas un centimètre d'ombre.

- C'est mieux, comme ça ?, m'enquis-je avec un sourire faux.

Bizarrement, j'ai l'impression que la nervosité n'est pas dû à ma famille qui nous observait, mais plutôt au sujet même de la conversation, car il est toujours aussi tendu.

- Oui, oui...

- Bon, ben accouche, alors.

- Oui, oui... Je... (Il détourne le regard, prend une grande inspiration, revient à moi.) La guerre contre Cora est terminée, et tu m'avais promis de me dire pourquoi... pourquoi tu n'apprécies pas Amy.

Si mon visage trahit ce que je ressens sur l'instant, ça explique pourquoi il a reculé d'un pas. Mes poings se serrent, mais certainement beaucoup moins fort comparé à mon cœur sous le choc. J'ai une envie irrépressible de vomir.

- Elle est passée chez moi chercher certaines de ses affaires, développe-t-il en regardant ailleurs.

- Et alors ?!

Ma voix n'est pas menaçante, mais bouleversée. Et il l'a sentit.

- Emma, t'es sûre que ça v-...

- Arrête de parler de moi, et explique plutôt ce qui se passe !

J'ouvre les bras pour que ma phrase ait plus d'impact sur son petit crâne. Il se gratte nerveusement la nuque, mal à l'aise. Il doit sûrement regretter de m'en avoir parlé, mais il est trop tard pour reculer. Il a intérêt à cracher le morceau.

- Si elle n'a rien trouver d'anormal dans les placards, alors ça veut dire que Crochet a réussit à se barrer.

Je me sens mi-soulagée, mi-inquiète. Mais je fais semblant de n'être que soulagée.

- Je crois que ça nous arrange, me réjouis-je à demi. T'aurais eu du mal à expliquer la présence d'un pirate manchot attaché entre les balais et les bidons de lessive.

Des yeux bleus scrutateurs se dirigent vers mon visage avec incrédulité.

- Il se balade dans la nature.

- Il peinera à faire plus de mal qu'il en a déjà fait.

Sur ces mots, je me retourne en hochant le menton et pose la main sur la poignet de porte de mon immeuble. Sauf qu'une main attrape mon épaule et m'en empêche.

- J'ai pas finis !

- Quoi, t'as encore d'autres petits problèmes à déballer ?

Malgré mon sarcasme, je me retourne et lui fais de nouveau face. Bizarrement, cette proximité entre nos deux corps me semble étrangère. Ça fait longtemps que nos liens ont été chamboulés, même avant qu'il ne m'avoue que Robin des Bois et lui ne font qu'un. Non, je crois que ça date de notre rencontre avec Henry. Je crois que je ne m'habituerais jamais à ne plus être sa vraie petite sœur...

Il me retourne un regard givrant. Contractant les mâchoires, il crache la vérité sans faire dans la dentelle :

- Si Amy est passée prendre ses affaires, c'est parce qu'elle vient.

Je garde les yeux rivés sur les siens. Les mots me semblent incompréhensibles. J'ai l'impression d'avoir du coton dans les oreilles.

- Pardon ?, chuchote-je, mon estomac retourné m'empêchant de monter en intensité.

Chers hommes, apprenez que lorsqu'une femme vous demande de répéter quelque chose, ce n'est pas qu'elle n'a pas entendu mais qu'elle vous donne une chance de rectifier vos dires.

- Elle sera ici dans vingt minutes.

Visiblement, Clark n'est pas au courant de cela.

A cet instant, tout s'embrouille.

J'ai vraiment envie de lui demander ce qui lui a prit. J'ai envie de savoir pourquoi il l'a fait venir, ce qu'il fera si elle voit un loup-garou ou un nain à pioche au beau milieu de la route. J'ai envie de savoir s'il est dingue.

J'ai aussi envie de le frapper. De le tabasser comme jamais pour la gaffe qu'il vient de faire. J'ai passé des années à m'entraîner pour oublier mon passé, et il l'invite lui-même dans mon havre de paix. Il va jeter un loup dans la bergerie que je me suis trouvée comme refuge. Il vient de signer mon arrêt de mort psychologique.

J'ai envie de crier, de pleurer, de l'insulter.

Au lieu de ça, je tombe dans les pommes.





+++





Je comprends que je commence à émerger lorsque des voix me parviennent. Caleb et Clark discutent à voix basse, mais personne d'autre ne semble se trouver dans la pièce. J'ouvre les yeux, découvre avec stupéfaction que j'occupe la place où Elena se morfond depuis des heures. Aucun signe d'elle, ni de David.

A l'instant où je me redresse sur un coude, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je me rassieds complètement, faisant sursauter Clark et Caleb. Ils sont installés à quatre mètres de moi, sur les tabourets élévateurs du comptoir de la cuisine. Puisqu'il n'y a pas de porte pour séparer le salon, la cuisine et la chambre de mes parents, ces-derniers ont fait installer des rideaux pour avoir plus d'intimité. Et ce sont ces rideaux qui m'empêchent de voir les deux nouveaux arrivants. J'ai reconnus leurs voix.

Une petite tête brune et lisse se penche devant moi. Un sourire fend son visage, et il s'approche en sautillant, son sac Easpack sur le dos.

- Emma !

Henry se jette sur le lit et plonge dans mes bras. Je l'y sers avec un sourire ravi ; il est là exactement où j'ai besoin de soutient moral. Et surtout au moment où je dois me confier.

C'est au tour d'une tête aux cheveux dorés de s'approcher de moi. Ses yeux noirs ont un contraste saisissant avec sa peau blanche comme neige. Damen s'assied sur le bord du lit.

- Salut...Salut, chuchote-je, essayant tant bien que mal de sourire.

Il me caresse les cheveux avant de se pencher et de déposer un petit bisou sur mon front, ma joue et le bout de mon nez.

- Si ça devient érotique, dites-moi si je dérange, souffle Henry, un sourire immense scotché sur les lèvres.

Je ne décrirais pas les hurlements de rire de Caleb et Clark. A eux-deux, ils ont plus ou moins donné ce qu'Emmett aurait fait.

Furieux, Damen se tourne vers lui, l'attrape par le col côté nuque et le porte jusque dans la cuisine. Je m'assieds en tailleur tandis qu'il dépose le gamin sur une chaise entre Clark et Caleb.

- Fais connaissance avec Robin des Bois, suggère-t-il ensuite.

La réaction chez Henry est immédiate. Sa tête se tourne violemment vers la droite.

- T'es Robin des Bois ?!? LE Robin des Bois ?! Attendez, c'est lui ?! Robin des Bois, c'est toi ? T'es Robin des Bois ?!

« Bien joué, Damen ! »

Tranquille, il revient vers moi en referment sèchement les rideaux derrière lui. Je l'observe sans broncher, sans parler, sans laisser la moindre émotion traverser mon visage. Et lui, il se contente de revenir s'asseoir à sa place. On est pas encore du genre à s'allonger ensemble dans le même lit et à se rouler des pelles, même si c'est arrivé une ou deux fois... On est pas vraiment ce genre de couple. Nos démonstrations d'affection sont plus simples, plus rares, et c'est ce qui les rends plus puissantes. Uniques.

Il me prend simplement la main en me caressant du regard. On parvient à discuter et se comprendre rien qu'avec les yeux. Là, il me demande ce qui ne va pas.

- Comment va Neal Laurens ?

Ma voix s'est faite basse et enrouée. A ces mots, le comportement de Damen est direct : il se fige, se glace, et ses yeux deviennent deux kalachnikovs. Flippant. Il fronce les sourcils en me dévisageant, ce qui me fais rougir comme une idiote. Les longs regards, ça me rends mal à l'aise.

- Pourquoi tu parles de lui ?

- J'ai besoin de savoir.

Il hésite quelques secondes, me jaugeant encore des yeux, avant de lâcher :

- Carlisle dit qu'il pète les plombs. Il se plaint de sa tête, il dit qu'il ne sait pas qui il est. On pense qu'il aurait perdu la mémoire après l'accident...

Une prise d'inspiration choquée m'écorche la gorge.

Il ne peut pas ! Il n'a pas le droit ! Perdre la mémoire, c'est trp simple : il a pourrit ma vie, mon existence, mon entourage pendant des années. C'est trop simple de tirer un trait dessus et de reprendre sa vie comme si de rien n'était. Il doit se souvenir qui il est. Il doit s'en rappeler ! Ils doivent se rappeler.

Toutes ces pensées ne durent qu'une demi seconde.

- ... Mais ses radios n'ont rien signalées d'anormal, termine Damen avec une voix qui n'accorde attention à rien. Pourquoi tu veux savoir ça ?

- Prépare-toi.

Je ne le laisse pas comprendre et me rassieds correctement, rabattant mes cheveux en arrière. Un plan d'attaque se crée de lui-même dans ma tête. Premièrement, il faut se préparer contre l'arrivée « d'Amy ». Si elle est réellement Élisa Laurens, le seul qui pourra me le prouver est Damen. Il faut qu'il soit là pour pouvoir lire dans ses pensées. Secondement, il est hors de question qu'elle mette un pied dans ma maison : il faut l'accueillir à l'hôtel en faisant croire que la chambre est celle de Clark. Et pour finir... non, ça, je m'en occuperais plus tard.

- Amy arrive dans peu de temps, lance-je à mon petit ami. Prépare-toi : je veux que tu sois là quand on l'accueillera. Va réserver une chambre chez Granny et demande à Caleb de déposer Henry chez toi. Il est hors de question qu'elle le voit.

Sheryl était ma meilleure amie, la personne que j'aimais le plus au monde. On sait tous ce que les jumeaux Laurens lui ont fait. Je ne supporterais pas l'idée qu'elle me voit avec Henry...

- T'es sûre que ça va, Em ?

- Oui, Damen, mais fais vite ce que je t'ai dis !

Je bondis du lit en faisant quelques pas vers les rideaux, définitive, puis m'arrête. Je me retourne en hésitant, m'approche de lui et dépose un baiser appuyé sur ses lèvres. Il a l'air inquiet, maintenant.

- Emma, je le sens mal, chuchote-t-il.

Avec le même timbre de voix, je lui réponds :

- Je t'expliquerais tout ce soir, promis. Mais pour le moment, tu dois me faire confiance.

Je le réembrasse une dernière fois sur le coin de la bouche, puis sur la joue avant de revenir vers les rideaux. Je tends les bras pour les ouvrir. Je m'arrête encore une fois.

La voix de Clark raisonne dans la pièce d'à côté.

- Tu tournes à gauche dès que tu arrives au carrefour, face au grand clocher, tu vois ? ... La rue ? Euh, attends une minute. Caleb, c'est quelle rue ?

- Euuuuuuuuh ...

- Mifflin Street, répond Henry, à l'écoute.

- Merci, p'tit gars. C'est Mifflin Str...

- Non !, crie-je en ouvrant grand les rideaux.

Les trois gens sursautent en se tournant vers moi. Je fonce immédiatement sur Clark.

- Ça va mieux, Em ?, me demande gentiment Caleb, une ride inquiète entre les sourcils.

- Raccroche immédiatement !, force-je l'autre en pointant du doigt son portable.

Caleb prend très mal ce vent phénoménal.

- Quoi ? Mais je suis...

- Raccroche ! Raccroche tout de suite !

- Pff ! Attends deux secondes, mon cœur, je te rappelle...

Il appuie sur le bouton, sous les cris désapprobateurs de sa blonde, filtrés par le téléphone. Il me retourne un regard de tueur.

- Elle vient d'arriver dans une ville qu'elle ne connaît pas, et je vais la laisser poiroter pour tes beaux yeux chimiques !

Damen lâche un grondement désapprobateur à sa dernière remarque. Mais il ne dit rien, car il sait que je sais me défendre :

- Mes yeux chimiques t'emmerdent, et t'as aucun droit de donner cette adresse : c'est chez mes parents.Si elle est arrivée, on laisse tomber la chambre chez Granny ?, comprend Damen, juste derrière moi.

Je me retourne vers lui en hochant la tête.

- Bien vu. Si on doit l'accueillir, ce sera ailleurs.

Il hoche la tête. Clark soupire. Henry et Caleb se lancent un regard paumé avant de trinquer avec leur jus d'orange.




+++





- Je ne m'attendais pas à vous voir aussi tôt.

- Les Shérifs sont ponctuels, dans l'ordre des choses.

Je m'installe en face de Regina et pose mes bras sur la table. Devant elle, un fin bandeau de fumée blanche s'échappe d'une tasse de chocolat chaud à la crème chantilly. Elle ne semble pas y avoir touché et ne donne pas l'impression de vouloir le faire. C'est peut-être juste pour faire joli.

- Pourquoi un rendez-vous ici ?, s'enquiert-elle en balayant du regard le Café Granny qui nous entoure, et Scarlett qui nous surveille de derrière son comptoir. Vous vouliez un lieu public pour vous assurez votre sécurité ?

- Vous devriez juste vous demander pourquoi un rendez-vous, Regina.

Mon regard dur se décolle de son visage pour se poser sur la porte d'entrée. Elle se retourne pour voir ce que j'observe. Sur la terrasse, Damen hoche la tête à mon signal et se décale, laissant apparaître Henry. Ce-dernier se lève de sa chaise, approche de la porte et entre. Il nous rejoint.

Regina le dévisage comme s'il était un revenant. Ses yeux noirs comme les braises se mettent à briller.

- Bonjour, Maman, la salue son fils en serrant entre ses petites mains les lanières de son sac à dos.

- Henry !

Ne pouvant se résoudre à quoi que ce soit d'autre, elle ouvre grands les bras et s'empare du corps frêle du petit. Elle l'y sert très fort et longtemps, lui embrassant le haut de la tête. Elle se sépare ensuite de lui en prenant son visage entre ses mains et le regarde comme la huitième merveilles du monde. Elle caresse ses joues, ses cheveux.

- Comment tu vas, chéri ? Tu m'as tellement manqué !

- Toi aussi, Maman. Et je vais bien, Emma et les autres s'occupent bien de moi.

Sur ces mots, Regina ravale un sanglot en s'essuyant les yeux, ne pouvant cacher l'immense sourire collé sur son visage. Son fils lui refait un câlin, ce qui la rend littéralement euphorique. Ces belles retrouvailles durent encore quelques minutes, et j'en ai un pincement au cœur. J'ai en quelque sorte kidnappée Henry. Il aime sa mère, et elle l'aime plus que tout au monde. Ça a été idiot de ma part de les avoir séparés si longtemps.

Finalement, toujours en serrant Henry dans ses bras, Regina dévie son regard vers moi.

- Mais qu'est-ce... mais pourquoi vous... pourquoi vous me le laissez ?, bredouille-t-elle, sourcils froncés, complètement étonnée.

- Une personne qui peut représenter une menace pour moi est arrivée en ville, et je ne veux pas qu'elle voit Henry. Je me suis dite que vous pourriez aussi bien le protéger que les Cullen, alors autant vous le confier... Et ... vous lui manquiez...

Le gamin me lance un regard amer, mais sert toujours autant sa mère dans ses bras. Regina ne me quitte plus des yeux, les lèvres entr'ouvertes, les yeux écarquillés, l'air en état de choc. Je me lève de ma place pour la laisser à Henry et lui souris une dernière fois.

- Vous pensez ainsi racheter les actes de votre mère ?, me demande-t-elle, un brin suspicieuse.

Je fronce les sourcils, étonnée qu'elle croit cela. Elena s'est servis de Regina pour tuer sa propre mère, et je ne sais pas si c'est rachetable, mais si ça l'est, il n'y a qu'elle qui puisse le faire.

- Non. Euhm... Bon, écoutez, j'ai trois raisons de vous le confier. Premièrement, je veux vraiment le protéger de cette personne. Deuxièmement, vous êtes toujours sa mère, et je suis assez humaine pour voir que vous avez encore besoin l'un de l'autre. Et enfin... bah, c'est pour vous remercier. (Elle fronce les sourcils.) Alice a eu une vision. Vous avez prit la décision de ne pas nous attaquer pour Henry. Je crois que vous le rendre pour une après-midi est une bonne façon de vous montrer que vous avez prit une décision honorable.

Regina ne bouge plus du tout. C'est à peine si on la voit respirer. Ses grands yeux noirs identiques à ceux de Caleb, et actuellement de toute la famille Cullen, ne semblent plus pouvoir me quitter. Je me contente de sourire et de leur souhaiter une bonne après-midi, puis je quitte le Café. Damen et Caleb m'attendent juste devant.

- Ça à été ?, se réjouit l'aîné en inclinant la tête sur le côté.

- Oui, c'est réglé. Elle a l'air complètement choquée, mais ça lui fait plaisir.Tu as pris une belle décision, me félicite Damen.

Un sourire en coin s'installe sur le coin de ses lèvres, et je lui prends la main pour le remercier. On entrelace nos doigts, puis on s'en va tous les trois.

- C'est quoi le programme, maintenant ?, s'enquiert Caleb, à ma gauche.

- Déjà, où sont mes parents ?

- Ta mère s'est ressaisit. Elle a encore besoin d'être seule, mais elle est partie s'entraîner au tir à l'arc dans la forêt. Et ton père est... euh, avec les Nains.

Un sourire me monte jusqu'aux oreilles. C'est super qu'on soit débarrassé d'eux : je refuse catégoriquement qu'Élisa les voit. Je ne veux prendre aucun risque.

- Génial. Où en est Clark ?

- Il est arrivé au parc de jeux. Il nous attend... avec elle, hésite légèrement Caleb. D'ailleurs, tu peux expliquer pourquoi j'ai l'impression qu'on prépare une guerre ?

- Je vous expliquerais tout plus tard. Pour le moment, concentrez-vous sur vos tâches : toi, détendre l'atmosphère avec tes blagues idiotes, et Damen, décortiquer absolument chacune de ses pensées. A la moindre chose suspecte, étrangle-la.

- Tu y vas fort...

- Je lui rends la pareille. Je t'expliquerais, ajoute-je en ayant remarquer son regard hagard.

On se dirige donc vers la Grand-rue, puis vers l'allée Amstrong. A notre droite se trouve l'école d'Henry, et juste en face, de l'autre côté de la rue, il y a le cabinet du Docteur Hopper. On avance d'encore deux pâtés de maisons, puis on atteint le parc.

- Respire, Emma. Ça ne peut que bien se passer.

Tu ignores à qui on a à faire, mon pauvre Damen...

On marche d'un pas rapide à travers la bande de terre blanche qui longe les pelouses jusqu'au toboggan central. Il n'y a pas un gosse dans les parages - inquiétant. Deux andouilles sont assis sur un banc sous un chêne. Et l'un d'entre eux relève la tête, se remets debout.

- Hey ! Salut, tout le monde !

Je sers si fort les doigts de Damen qu'ils commencent à se tordre. Un sourire crispé s'affiche sur mes lèvres, et je dois me concentrer de toutes mes forces pour pouvoir respirer normalement.

Frêle et debout face à Clark, « Amy » nous fait de grands signes des bras, un sourire radieux aux lèvres. Ses cheveux vénitiens légèrement ondulés sont tirés en arrière par une paire de lunette de soleil. Elle a une frange qui cache des sourcils fins mais qui surmontent une paire de prunelles vertes émeraudes. Elle a des vans claires, une salopette en jean et un T-shirt blanc banal. J'ai envie de la frapper.

Elle se jette sur moi en me serrant fort dans ses bras. Je suis réduite à l'état de statue.

- Contente de te revoir, ma belle !, rayonne-t-elle en me plantant un léger baiser sur la joue.

Elle se recule ensuite, toujours aussi joyeuse, et répète le même manège avec Caleb... et Damen. Ça me sort complètement de ma tétanie et me plonge dans une fureur sans égal. D'autant plus qu'il a l'air parfaitement à l'aise.

- Damen, je présume ? Et toi, tu dois être Caleb. Clark m'a beaucoup parlé de vous deux !

Sa joie de vivre et son sourire béat risquent d'être étouffé par une corde, un jour ou l'autre. Je l'imagine pendue au clocher - je souris, ravie.

- Ils sont jumeaux, affirme-je, aimable et toute gentille. Tu dois savoir ce que ça fait, non ?

Elle se retourne vers moi, l'air toujours aussi calme. « Avoue que tu as un jumeau aussi. Avoue que tu as Neal ! Avoue que tu es Élisa ! »

- Je suis fille unique, sourit-elle, laissant apparaître de jolies petites fossettes.

Elle hausse les épaules d'un air déçu mais compréhensif. Clark se rapproche de nous, réjouit par le tour que prend la conversation presque amicale. Quant à Damen et Caleb, ils semblent complètement sous le charme. Je crépite intérieurement en laissant apparent mon plus beau sourire.

- Moi aussi, chante-je avec le même petit haussement d'épaules innocent. Cependant, j'avais une meilleure amie, Sheryl. Elle est décédée.

- Oh, je suis désolée...

« Salope ! C'est toi, la coupable ! » Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour retenir mes larmes de rage folle. Ma gorge me brûle. J'ai envie de la trucider.

- Moi, ma meilleure amie, elle est partit s'installer en Italie. Elle croyait avoir quelques notions en ayant vécu à Los Angeles.

- Là-bas, on parle anglais et espagnol, réplique-je sèchement.

- Cela va de soit. Elle croit que l'italien, le portugais et l'espagnol sont semblables. Ce sont toutes des langues latines, après tout.

- Elles n'ont rien à voir les unes avec les autres.

- Emma !

Je lève les yeux vers Damen. Il a le regard fermé, les mâchoires serrées et m'a parlé sur le ton de la réprimande. Comme s'il me défendait de mal lui parler.

La rencontre n'a duré que trois minutes, mais j'en ai déjà assez. Je craque moralement.

Je ne peux pas la voir. Je suis sûre, je suis certaine, je suis persuadée que c'est Élisa. Elle et Amy n'ont absolument rien en commun, mais je parie que c'est elle. Ce n'est pas un hasard si Neal Laurens échoue tel une baleine à Storybrooke, et ce n'est pas un hasard si une fille qui me rappelle sa sœur tombe dans les bras d'un habitant de Narnia. J'ai fais des efforts pour venir, mais maintenant, j'en ai presque le cœur net. Je crois que le pire, c'est la trahison de Caleb et Damen. Ils sont si gentils, si aimables, si calmes, tout à coup ! Ils se font rouler comme de la patte à pain. Ça me dégoûte. Ça me fend le cœur. Je peux plus l'encadrer.

Les lèvres pincées, je feigne de jeter un œil à la montre que j'ai autour du poignet.

- Il est déjà tard, déclare-je, l'air embêté. Excusez-moi, je dois aller au commissariat.

Au moins, ma voix n'a pas tremblé, mais mes yeux sont remplis d'eau. Je déglutis, tourne les talons.

- On est dimanche, me rappelle Caleb avec un froncement de sourcils suspicieux.

« La ferme, Callie. La ferme. »

- J'ai pris trop de retard avec notre voyage.

- On vient à peine de se retrouver, pépie Amy, l'air désolé et le regard inquiet.

Je n'essaie pas de la regarder dans les yeux. Chaque fois que je les croise, je me revois enfant, démunie et défigurée. Je revois la mort de Sheryl en direct, je revois son sourire lorsqu'elle m'a annoncé le décès de Tom, je revois le couteau avec lequel elle m'a coupé les cheveux, je revois les fouets, je revois ma nuit avec le Vieux Mexicain. Je revois tout, en elle. Tout ce que j'ai enduré, tout ce que j'ai perdu, tout ce que j'aimerais oublier. J'aimerais la haïr, mais ces souvenirs me paralysent plus que ne me remontent. Alors je dois partir. Tout de suite. Maintenant. Pour toujours.

Je ne peux plus la voir sans trembler de peur ou sans envie de la tuer.

- Ce sont les amis qui se retrouvent, Amy, crépite-je du mieux que je peux sans me retourner. Or, en ce qui nous concerne...

« On est des ennemies jurées. Pire que les vampires et les loups-garous. Et seule ta mort pourra me rendre heureuse. »

Me voilà avec les mêmes pulsions meurtrières que ma mère.

Les mêmes pulsions suicidaires, aussi.




PDV EMMA




- Tu es aveugle, ou quoi ?!C'est toi qui te fais des films, Emma !, me crie Damen en ouvrant les bras, dépassé. J'ai scanné ses pensées avec tellement de concentration que ça m'en a donné la migraine ! Tu entends ?! La migraine à un vampire !

Je me détourne de lui en serrant très fort ma tête entre mes mains. On est seul dans sa chambre. Clark est avec Élisa - Amy n'existe pas, j'en suis certaine - à l'hôtel, et Caleb est partit faire un tour dans les bois pour voir comment se porte ma mère. Et j'avais besoin de me faire rassurer par Carlisle et Esmé, d'entendre Emmett me lancer des pics sur lesquels je me concentrerais pour oublier l'incident de tout à l'heure... et surtout, j'ai besoin de parler avec Damen.

Sauf que ça a viré en dispute. On se crie si violemment dessus depuis tout à l'heure que je comprends tout à fait pourquoi les Cullen sont sortis « faire une promenade ».

- Tu étais censé me soutenir, déplore-je en lui lançant un regard accusateur.

Ma phrase le peine, je le vois dans ses yeux. Il détourne la tête un court instant avant de se rapprocher de moi. Il prend mon visage en coupe dans ses mains et plonge ses yeux dans l'orange des miens. Sa voix redevient basse et douce.

- Je te soutiens, Emma... (Je le regarde sans rien ajouter.) Mais pas quand tu as tords, termine-t-il.

Cette fin de phrase me rend dingue. Je me dégage de son emprise et riposte :

- Je n'ai pas tords ! C'est une sorcière, une psychopathe ! Tu ne sais rien d'elle !

- Et toi, tu sais quoi, hein ?

- Plein de choses...

- Lesquelles ?

Je ne relève pas. C'est un vampire, il est censé être futé. Il n'a qu'à faire fumer sa cervelle et chercher lui-même. Je serre les dents et les poings, puis dresse un regard cinglant vers lui. Ça l'agace.

- Dis-le-moi !, m'ordonne-t-il en ouvrant les bras pour se donner de la contenance. Tu m'avais promis de tout m'expliquer ! Là, tout ce que je sais, c'est que t'as pris des nouvelles de Neal Laurens et que tu détestes une fille que tu connais même pas et qui semble adorable et vraiment... vraiment...

Le fait qu'il bute sur certains mots me rends suspicieuse. Je relève les yeux.

Il me fixe comme si j'étais folle.

- Quoi ?

Il garde le silence. Il semble en état de choc.

- A-Arrête, ne me dis pas qu...

Il se stoppe derechef, reculant de plusieurs pas comme pour mieux me voir. Je fronce les sourcils.

- Emma, je ne connais pas la sœur de Neal, mais si je peux te garantir quelque chose, c'est que ça n'est pas elle...

- Et qu'est-ce que tu en sais, hein ? Tu viens de me dire à l'instant que tu as épluché sa cervelle et que t'as rien trouvé !

- Elle n'a pas l'âme d'une mauvaise personne !

Un « OH ! » s'échappe de ma gorge.

- Je devrais peut-être la couper en rondelles pour jeter un œil sur son âme et en avoir le cœur net, tu ne crois pas ?, propose-je, furieuse, bouleversée par les accents meurtriers qui se sont appropriés ma voix.

- Tu dis des bêtises ! Tu pètes les plombs et tu n'arrives pas à réfléchir correctement !

- Je ne PEUX pas réfléchir lorsqu'elle est là, Damen !, lui hurle-je en me demandant si cette voix aigu et dérayant par la fureur est la mienne. Tu peux pas comprendre, à la fin ? Sa présence me perturbe ! J'ai pas pu dormir normalement depuis qu'on est de retour. Elle m'obsède ! Elle me hante ! Je te jure que c'est elle !

Je finis par me taire, épuisée par mes cris. Mon cœur bat trop rapidement, je tremble de partout et, à mon grand étonnement, des larmes se sont mises à couler. Ce doit être plus de fatigue et de colère que d'autre chose.

Il m'administre un nouveau regard laissant entendre qu'il doute sur certains points concernant ma santé mentale. Puis il se radoucit légèrement en levant les yeux au plafond. Sans me regarder, il dit :

- Elle ne sera bientôt plus qu'un vague souvenir.

J'hausse les sourcils. C'est bien lui, ça : des phrases qui ne veulent rien dire ou qui ont des sens cachés. Il tient ça de son père.

En tout cas, s'il suggère qu'on la tue, je l'épouse direct.

- Qu'est-ce que tu entends par là ?, demande-je néanmoins en arquant un sourcil.

Il semble dorénavant quelque peu réticent à parler. Il est nerveux : il se jette d'une jambe sur l'autre, croise les bras dans le dos en manque d'assurance, regarde n'importe où sauf moi...

- Tes parents avaient l'intention de t'en parler, mais ils pensaient que tu le prendrais mieux si c'était moi qui te l'annonçais... (Il lève ses yeux noirs vers moi en se grattant la tempe.) Je crois que tu devrais t'asseoir.

- Dis-moi.

Tout dans ma posture laisse penser que je n'ai pas l'intention de m'asseoir. J'ai les mains sur les hanches, le regard presque fou, mes larmes ont disparut. On s'observe ainsi durant de longues minutes... de très longues minutes.

Puis :

- Pendant qu'on était à New York, ils se sont battus contre un géant. Il venait de Narnia, et Cora l'a kidnappé pour qu'il plante des haricots magiques et qu'il les cultive. Après, les choses ont...

- Attends, attends, attends, le stoppe-je en dressant mes paumes face à lui. Tu dis qu'il y avait un géant à Storybrooke ?

- Il a rapetissé. Il est de la taille d'un humain normal, et il s'est allié avec tes parents.

- Qu'est-ce que ça a à voir avec les Laurens ? Tu comptes lui demander de les écrabouiller ?

Intérieurement, je souris. Quand on voit ce qu'ils m'ont fait endurer, les voir finir sous une semelle de chaussure de mon monde serait exaltant. Vive la justice !

Il fronce les sourcils en me jaugeant derechef.

- J'ai parlé de culture de haricots magiques, ou c'est juste que t'as pas les pieds sur terre ?, s'enquiert-il en haussant la voix.

- Je pige que dalle !

- On va la faire courte : ton père et ta mère prévoient de retourner à Narnia. Cette semaine.

« Oh » est la seule chose qui parvient à franchir mes lèvres.

Je ne bouge pas. Je ne comprends pas. Je ne saisis pas.

Je le dévisage simplement.

J'ai l'impression d'avoir été plongée sous l'eau. Derechef, la sensation d'avoir du coton dans les oreilles se manifeste. D'un seul coup, c'est comme si tout cessait d'être : je n'arrive plus à réfléchir, à penser, à respirer. Seuls quelques mots ont encore du sens.

Storybrooke. Haricots magiques. Narnia.

Je tremble. Je tremble comme une feuille. J'ai froids, je brûle, je suis fatiguée, j'ai envie de vomir, de pleurer, de crier. Je ne peux plus penser. Trop dur. Trop compliqué. Trop. Trop. Là, c'est trop.

Storybrooke, haricots magiques, Narnia.

Départ. Papa, Maman, Damen, moi et Storybrooke. Départ d'ici, de mon monde. Adieu, la Terre. On part. Bientôt. Cette semaine.

On part. Je pars. Je pars vivre à Narnia. Cette semaine.

- Oh, purée, souffle-je.

Rajouter le mot « purée » à mon vocabulaire immédiat est une prouesse sans égale.

Je le contourne sans lui prêter la moindre attention en regagnant la sortie, le cœur au bord des lèvres. Je lui ai piqué ses clefs de voiture en douce. Je m'enfuie vers la porte d'entrée.

Dans le jardin, je croise quelqu'un.

Rosalie.

Je la calcule pas. Pour vous dire dans quel état je suis !

Je me précipite sur la Volvo, saute vivement sur le siège conducteur et mets le contact. Je ne mets pas de temps à démarrer. Ça fait vraiment bizarre de conduire. Ça fait longtemps. Maintenant, je me rends compte que j'ai perdue toute ma force et mon indépendance, avec ce con. J'avais un métier, une bagnole, des horaires et des principes. Maintenant, c'est à peine si je me rappelle du papier peint du commissariat, je n'ai pas tenu un volant depuis des mois et je pleure toute la journée à cause d'un garçon. J'vous l'dis, les gars, ça brise les principes. Faut croire que les miens n'étaient pas assez rigides.

Au bout de quelques minutes, je débouche enfin de la forêt pour atterrir sur la route. Je suis encore entourée d'arbres, mais la ville doit être à moins de dix minutes. Et ma maison à quinze minutes, peut-être... J'étouffe un grognement désapprobateur. Je ne veux pas rentrer chez moi. Pas maintenant. J'ai envie d'oublier ce que je viens d'apprendre, envie de me vider la tête. Et le bon moyen, c'est de ne plus pouvoir réfléchir.

Ma dernière expérience en matière d'alcool s'est révélée... désastreuse. La technique que j'emploie donc est légèrement différente.

Je mets la musique à fond.

J'ouvre en grands toutes les fenêtres, monte le volume du poste à son maximum et me mets à crier comme une gogolle. Je vous jure que ça marche - la chanson qui me viole littéralement les tympans m'aide à sortir de mes idées. Pour profiter au maximum de cette sensation, je prends un virage serré en dérapant - je ricane - et fonce sur une voie qui me conduit au port cinq minutes plus tard. J'appuie sur le champignon et me laisse submerger.

Dans une semaine, les Laurens n'existeront plus. Ni cette voiture.

Dans une semaine, je serais loin de mon monde. Loin de chez moi.

Dans une semaine, je serais à Narnia.


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