" Ne me sous-estimez pas, Mademoiselle Swan. Vous n'avez aucune idée de ce que je suis capable de faire... " - Regina
~~~
Ma tête... Aaah, c'est horrible. Une journée maudite, ce putain d'anniversaire...
Ploc !
J'ouvre les yeux dans un sursaut. Ploc ! Une nouvelle goutte d'eau tombe près mon oreille. La lumière me rend légèrement aveugle, mais lorsque j'y suis habituée... Bah je veux juste me rendormir.
Un mur couleur chocolat pour trois autres blanc crème. Un grand lit aux coussins infinis. Un bureau surchargé, une bibliothèque colorée, un piano électrique. Une belle penderie couleur taupe. Quelques cadres photos, et une boîte en carton cachée, enficelée, abandonnée sous une table de chevet ; une boîte à souvenirs contenant tout ce qui reste de mon passé. Voilà quel environnement je m'attendais à retrouver. Un univers intime et réconfortant, doux et coloré, qui ne peut être que ma chambre.
Et au lieu de ça, un plafond en béton armé de mauvaise qualité.
Ploc ! Oui, ce plafond est percé. Oui, de l'eau me tombe sur la gueule depuis cinq minutes. Je me redresse en stress, incomprise, déboussolée. Où est-ce que je suis ?! Sol en dalles... Et des barreaux ?! Il y a deux cages à poules qui font office de cellules, et je suis dans l'une d'entre elles. L'autre est habitée par un petit bonhomme chauve et barbu qui sifflote en me dévisageant, l'air hagard.
Vu sa dégaine et l'étiquette qui l'identifie comme étant "Leroy", ce mec doit être agent d'entretient, ou un truc dans le genre. Je me désintéresse de son cas et observe plutôt les alentours. Une couchette crasseuse, où j'ai manifestement passé la nuit... Et quelle nuit, vous m'direz ! En face, un bureau croulant sous la paperasse, un évier, un canapé inutile et une porte vitrée, au fond. Quelqu'un nous a même fait péter l'éternel drapeau des States près de la cellule de Leroy. Juste à côté, un dessin d'enfant accroché au mur. Je m'assieds simplement en plissant les yeux. Oui, il y a marqué quelque chose. Diplôme... du meilleur Shérif de... Storybrooke...
NOOOON !!
Storybrooke ? Sérieux ? Encore bloquée dans cette ville de merde ?! Oh ! Et Clark ?! Il doit crever d'inquiétude, putain ! Je bondis de ma couchette en observant le ciel bleu par la fenêtre. Non ! On est déjà le matin !
- Qu'est-ce que tu mattes, gamine ?
- La ferme !, aboie-je, en furie.
J'attends pas le Déluge pour me jeter au sol en arpentant les moindres centimètres de ma cage. Il faut que je retrouve mon téléphone pour prévenir Clark... Putain ! Bloquée dans un commissariat, quoi ! Et à Storybrooke ! Franchement, j'aurais mal imaginé pire.
- Calmos, y a pas le feu, soupire le bonhomme en roulant des yeux, indifférent face à mon hystérie. Si ça cramait, toute façon, Madame le Maire serait déjà là pour taper une crise comme elle les aime...
Sans l'écouter, je me remets debout et retourne mon lit, angoissée. Vite, vite ! Mon tel ! Il faut que Clark vienne me sortir de là. Qu'il m'aide à m'évader avant qu'un représentant de la loi s'intéresse à mon cas, qu'il me demande mon nom, fasse des recherches... et m'emballe dans le plus joli caca dans lequel j'ai jamais foutu les pieds. Manquait plus que ça, putain mais quelle débile d'avoir foncé dans ce maudit panneau !
- Leroy, je te laisse partir pour cette fois...
Juste Ciel.
Je me fige dans tous mes états, et tourne la tête vers l'entrée. Ma frange a beau être lisse, mon pétage de plombs l'a complètement décoiffée, et elle m'obstrue la vue. Je l'enlève même pas, concentrée sur la voix qui vient de résonner.
- ... mais t'as intérêt à bien te conduire, termine cette même voix d'un ton snobe.
La porte s'ouvre sur un grand brun à barbe de trois jours et veste en cuire. La classe. Il aurait pu rester du côté positif de mon esprit si une insigne que je connais bien ne reluisait pas, agrafée à sa veste...
Calamité. Le Shérif d'hier.
- Oh. Bonne idée, cette cellule méritait une bonne séance de dépoussiérage, ironise-t-il en balayant du regard l'ouragan que j'ai crée avec ma couchette . Bon. (Il attrape un trousseau de clefs pendant à sa ceinture, et se sert de l'une d'elles pour ouvrir la cage de Leroy.) Toi, souris un peu, et évite les ennuis...
Mon compagnon de fortune se poste face à lui. Moqueur, il lui décoche un rictus de psychopathe afin de satisfaire le "souris un peu". Il fait flipper, en vrai.
Je me relève lorsque Leroy disparaît du poste de police, me laissant seule avec le type qui me... regarde avec insistance...
- Bonjour, me salue-t-il.
Pas le temps de faire connaissance, cependant.
- Qu'est-ce que je fais là ?
Emma Swan, ou La Délicatesse pour les intimes. Le Shérif Humbert - Graham Humbert, en fait, car il est suffisamment proche de moi pour que je lise son nom sur l'insigne - sourit simplement, haussant un sourcil amusé.
- Vous n'y allez pas par quatre chemins, vous, observe-t-il simplement.
- Pas le temps. Qu'est-ce que je fais là ?
Mes accents meurtriers ne manquent pas de me frapper. Calmons-nous ; il a l'air gentil et normal, ce Monsieur. Des adjectifs peu communs à Storybrooke.
- Vous êtes en état d'arrestation.
Oubliez ce que je viens de penser.
MAIS C'EST PAS VRAI, MERDE ! C'est quoi ce délire ?! J'ai eu un accident, bordel ! Aaah ça y est, j'imagine déjà le scénario ; ils vont me soumettre à un questionnaire de base, et je vais douiller ma race si j'y réponds pas, mais je peux pas répondre sinon ils vont comprendre que je suis.... pas censée être là. Non, faut que je me casse ! Et où est ce foutu téléphone ?!
- J'ai fait quoi qui légitimerait une arrestation ?, pesté-je, jouant la carte de la connaisseuse des lois pour esquiver les questions désobligeantes.
Ça marche à tous les coups. Graham recommence à sourire. Argh...
- Il semblerait que vous ayez trop bu, hier soir, m'apprend-il, bras croisé dans le dos. Un de mes adjoints vous a retrouvé inconsciente dans votre voiture, encastrée dans le panneau de notre ville. (Il penche la tête sur le côté lorsque je me remémore la voix d'homme qui m'avait parlé la veille. Une demi-seconde après l'accident. Comme s'il s'était tenu dans la voiture, avec moi.) Je parie qu'il était là avant votre naissance. (Euh...? Ah oui, le panneau...) Ça n'a guère joué en votre faveur. Pour ce qui est des... ressentiments qu'éprouvent Madame Mills à votre encontre.
- C'est qui, elle ?!
J'aurais pu mettre un terme à cette conversation avec un simple alcootest. Evidemment, puisque j'étais sobre, hier soir. Mais la dernière phrase du Shérif m'a piquée au vif.
- Vous aviez raccompagné son fils, hier. C'est notre Maire.
J'en reste comme deux ronds de flancs, si on peut dire. Cette nouvelle me glace complètement. Mills... Oui, c'est vrai, c'est le nom de la boîte aux lettres de Henry. Sa mère adoptive s'appelle Regina Mills. Elle semblait sympa, hier... Enfin, elle ne cessait de s'excuser au sujet du dérangement qu'a pu me causer son fils. Qu'est-ce que j'ai pu lui faire de mal pour qu'elle éprouve des "ressentiments" contre moi, depuis hier ? Merde sur merde, j'avance dans la vie. C'est dingue.
- Je me fiche pas mal des ressentiments du monde, riposté-je, acide, et un peu blessée aussi, en agrippant les barreaux de ma cellule. J'ai eu un accident à cause d'un loup qui était planté au milieu de la route. J'ai pas bu.
Haussement de sourcil mais perte de sourire. Je vais l'étrangler !
- J'AI PAS BU ! (Essayez de plaider votre cause en étant furieuse...) Vous n'êtes pas censé le savoir, mais les cuites, c'est très peu mon truc. Deuxièmement, si vous me faisiez un alcootest, vous seriez obligé de me croire. Et jusqu'à preuve du contraire, vous n'avez aucune autorisation de me garder enfermée, je me trompe ? (Il se tait, mais un fin sourire commence à étirer ses lèvres. Pff ! Je savais que j'avais raison, de toute façon. Je poursuis sur ma lancée.) Loi Miranda, 1966. Je connais mes droits : vous avez obligation de me les citer avant l'emprisonnement, ce qui n'a pas été fait. Il va falloir m'expliquer en quoi vous êtes le "meilleur Shérif de Storybrooke", Monsieur Humbert.
Et BAM ! Je suis refaite, je l'avoue. La fierté incarnée, je redresse le menton, m'attendant à toutes les critiques. Il sait que j'ai raison. Graham hoche lentement le menton, admiratif. J'adoooore étaler ma science...
- Eh bien... Vous savez vous défendre. Je suis impressionné. Des parents avocats ou dans la police, je parie ?
MDR, c'est un rigolo. Si mes parents étaient avocats, je me trimbalerais pas en Coccinelle jaune poussin de 1996...
- Aucune idée, je les connais pas.
Cette andouille maintient le visage de celui qui ne comprend pas, et au moment où le sens de mes paroles le frappe, le bruit rythmique de talons qui claquent sur le sol retentit au bout de ce que je devine être un long couloir, vu la répercussion lente de l'écho.
Oui, travailler dans la police m'aide énormément.
Bref.
- Graham ! Graham !
Oh, oh. Je reconnais cette voix...
- Henry a encore fugué !, glapit-elle en débarquant en trombe dans le poste de police. Il faut absolument que...
Je pensais vraiment que c'était une mère responsable et plutôt cool, vu son jeune âge. Elle doit à peine taper dans les vingt-huit ans. Et pourtant, son regard maternel très inquiet change du tac au tac à la seconde où il croise le mien. A croire que je suis... je sais même pas, pour vous dire. Mais bon. Je me désintéresse de son minois furibond pour me concentrer sur sa tenue des plus sophistiquée. Tailleur noir, escarpins, veste chic et maquillage léger... A l'instar de la veille, elle est la mannequin, et je suis la pouilleuse de service.
Encore bref. Désolé.
Ses yeux noirs comme la suie dérivent donc dans ma direction lorsqu'elle prend conscience de ma présence.
- Qu'est-ce qu'elle fait là ?, tonne-t-elle avec une lenteur frigorifiante, avançant vers moi d'une démarche de lionne en chasse. Où est mon fils ?!, m'aboie-t-elle juste après.
Bon, ça partait pourtant bien, entre nous. Dommage.
- "Elle", comme vous dites, s'est présentée chez vous comme étant Emma Swan, si ma mémoire est bonne. Alors merci de vous servir de mon nom lorsque vous parlerez de moi, craché-je directement, histoire qu'elle fasse le topo de mon humeur. Et Emma Swan n'a pas vu votre fils depuis qu'elle l'a déposé chez vous hier soir, chère Madame. J'ai un témoin ; ce brave Shérif Graham.
- C'est vrai, elle a passé la nuit ici, me défend-il.
- Henry n'était plus dans sa chambre, ce matin.
L'agressivité naturelle du timbre de sa voix laisse place à une réelle inquiétude. Bon, je vois... OK, je ne l'affectionne pas particulièrement, cette femme. Et j'aime pas les enfants, ni même cette ville, ou mon anniversaire. Mais il n'en est pas moins que la vie d'un gosse est en jeu, là, et peut-être à cause de moi. Qui sait ? Il a peut-être remarqué que je n'ai pas honoré notre rendez-vous à dix heures sous le clocher, alors il est reparti me chercher à Boston... Enfin bon, ne précipitons rien. Le truc, en tout cas, c'est que j'ai sûrement un rapport avec cette disparition. Je me dois de les aider à le retrouver. Ils ne sont pas censés le savoir, mais c'est mon métier.
- Vous avez demandé à ses amis ?, demandé-je alors.
- Il n'en a pas vraiment. C'est un garçon solitaire.
On se demande tous pourquoi...
- Il a un ordinateur ? Vous avez jeté un œil sur ses mails, ses dernières recherches ?
- D'où vous vient cette idée ?
Oula, comment dire... C'est l'heure de la session de mensonges, je crois.
- L'un de mes proches est chasseur de primes. (Mennnnsonge.) Je me joins à lui quelques fois, je m'intéresse aux enquêtes et à leurs méthodes de recherches... Ça me plaît beaucoup. (Son expression se modifie quelque peu. MERDE ! Mais quelle conne je suis.) Euh, rien d'illégal là-dedans, hein ?, les rassuré-je directement, ayant prit conscience de la gravité de mes propos. Je ne suis pas payée, alors je ne suis pas contre la loi...
- Vous recherchez des criminels en cavale tout en étant mineure, et il n'y a rien d'illégal là-dedans ?, blâme-t-elle, suspicieuse.
J'incline la tête sur le côté en croisant les bras. J'ai une bonne idée de répartie, visez-moi ça...
- Rien de comparable à l'arrestation et la garde-à-vue injustifiées d'un individu mineur. N'est-ce pas, Shérif ?
PU-PU-PUNCHLINE !!!
Graham pouffe de rire en croisant les bras contre lui, secouant la tête, amusé par... par moi, je crois. Regina ne sait plus où se mettre. Ses pommettes deviennent rouges en une seconde. Elle est en train de bouillir, c'est sûr.
Quant à moi, je jubile. Mais histoire de ne pas trop faire durer le clash, car mon objectif reste de sortir d'ici au plus vite, j'enchaîne avec une proposition qui devrait me rendre service :
- Eh, j'ai un marché à vous proposer. Ma liberté contre Henry. Respectable, non ?
- Pourquoi pas, acquiesce Graham.
- Il n'en est pas question ! (Mon délire se brise en milles morceaux. Madame Mills, offusquée, dévisage son employé.) Elle ne quittera pas cette cellule !
- Pourquoi, vous avez votre mot à dire ?!, pesté-je en agrippant à nouveau mes barreaux, furieuse.
- Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, je suis le Maire !
- Depuis quand le Maire a son mot à dire dans les affaires de la police ?! Et attendez, surtout, un Maire passe ses journées dans son bureau, en réunion ou en visites. Vrai ou faux ? Moi, j'ai sillonné plus d'un Etat à la recherche de personnes disparues ou en cavale. Et je n'ai jamais échoué, jusqu'à présent. Qui est la plus compétente dans ce domaine, vous pensez ?
- Je ne vous permets pas de...
- Laisse-la aider à retrouver le petit, s'interpose une nouvelle fois Graham, conciliant dans son rôle d'arbitre. Elle sait de quoi elle parle. Je doute qu'elle mente, elle doit vraiment bien s'y connaître. Et les ordis, c'est pas vraiment ma...
Un coup d'œil horripilé suffit à le faire taire au milieu de sa phrase. Si les regards pouvaient tuer... Oh, pauvre Graham.
Me craquant les phalanges, je les regarde l'un et l'autre en attendant qu'une décision soit prise. Regina a l'air à bout - elle n'en peut déjà plus, de moi. Normal, je gagne à tous les coups.
Graham se saisit de son trousseau de clefs, éveillant un sourire de satisfaction sur mon visage. Que la chasse commence.
+++
- Tiens, tu l'avais laissé dans ma voiture.
Sans un mot, ou ne serait-ce qu'un regard - une réaction, en tout cas - Henry récupère Once Upon A Time, le livre que je lui ai ramené. Je m'assieds à côté de lui, les jambes dans le vide. J'essaie de rester calme, mais c'est le Carnaval de Rio, dans ma tête.
Il est presque quinze heures. J'ai réussi à retrouver le petit en un délais de deux heures, et le ventre vide ! Une belle histoire à raconter à Clark en rentrant. Même si cette chasse à l'enfant était longue et fastidieuse...
D'abord, un arrêt dans la Maison Mills. L'architecture extérieure et le vaste jardin n'étaient finalement qu'un avant-goût de l'intérieur, juste somptueux. Des pièces immenses, un mobilier de luxe, une décoration ultra sophistiquée où chaque élément semble être mis en scène... et où rien ne semble avoir bougé depuis un bout de temps. J'avais l'impression d'entrer dans la suite d'un hôtel de luxe où tout est disposé au millimètre près, et j'en suis presque venue à douter du fait que deux personnes vivaient ici. L'intérieur révélait à la fois les goûts de luxe de Regina et la rigidité du cadre de vie qu'elle semblait imposer à son fils... "Montre-moi où tu vis, je te dirai qui tu es.". En l'occurrence, la maison comme la femme sont d'une beauté froide indéniable.
Mais nous n'avons pas fait un crochet par le lieu de vie du Maire pour que je m'improvise psychologue d'intérieur. J'ai consulté l'ordinateur de Henry et en ai extrait des informations plutôt intéressantes, comme un achat récent sur le site QuiEstTaMaman.com. Si Regina était décontenancée par cette découverte, elle n'a pas pour autant ralenti mes recherches.
Le paiement a été réglé via la carte de crédit d'une certaine Elena Blanchard. Shérif et Maire la connaissent ; c'est l'institutrice de Henry. Donc vers treize heures trente, nous nous sommes rendus à l'unique école élémentaire de Storybrooke.
Voici le souvenir que je garde de la femme douce et très gentille qui nous a accueilli alors que ses élèves revenaient de la cantine. Elena Blanchard, ou la bonté incarnée, d'après moi. C'est elle qui a offert Once Upon A Time à Henry, prétendant que ce bouquin lui redonnerait espoir. Je trouvais ça chou, qu'une institutrice vienne en aide si personnellement à son élève. Elle était si douce... Et pis t'as Regina qui a poussé sa gueulante (j'ai alors compris de quelle genre de crise parlait Leroy le matin-même), hurlant qu'un ancrage strict dans la réalité est tout ce dont un enfant a besoin. Et cette intervention est venue confirmer tout ce que son orgueilleux logis m'avait soumis comme hypothèses...
Regina s'est ensuite retirée, et j'ai pu commencer une discussion décontractée avec Mlle Blanchard. Je l'ai interrogée sur le choix du livre. De ce que j'ai pu en voir, il n'avait pas eu que de bonnes répercussions sur Henry ; je rappelle qu'on parle d'un enfant convaincu que tous les habitants d'une ville appartiennent à un autre monde. Mlle Blanchard a repris ma question autrement. Elle m'a expliqué que si nous connaissions tous les contes de fée revisités par Walt Disney, c'est parce qu'ils nous aident à appréhender le monde dès notre enfance. C'est tout ce qui semble convenir à un enfant soumis à des règles strictes au quotidien, comme c'est le cas pour Henry.
Conclusion : j'adore cette hypothèse et celle qui l'a émise. Elena Blanchard doit mieux connaître Henry que sa propre mère, c'est terrifiant. Et c'est d'ailleurs l'institutrice qui a deviné où il était.
Oui... J'ai rejoint un enfant perché sur un château de bois près de la plage. Clark ne le croirait pas.
- Je pensais que si je te ramenais ici avec moi, les choses se mettraient à changer... que la Bataille Finale commencerait.
Ce sont ses premiers mots, et certainement les plus fous qu'il m'ait jamais dit. Quoique le "tU eS dAnS lE LiVrE" peut facilement rivaliser...
- Les grandes batailles, c'est pas mon truc, soupiré-je, les yeux perdus dans l'océan.
- Si ! Tu es là parce que c'est ton destin ! C'est toi qui va rétablir les fins heureuses !
Dans mon état normal, je lui aurais craché dessus, limite. Il ne m'a causé que des galères, et c'est pas fini. Mais je suis trop fatiguée et affamée pour jouer le caïd.
- Conneries, conneries, conneries...
- Arrête avec tes gros mots et tes airs de méchante rebelle. Au fond, t'es pas comme ça.
- Mais il raconte quoi, lui ! (Je le fusille du regard.) Arrête de parler comme si on se connaissait, parce que c'est pas le cas.
- SI !
- Et comment ?
- Comme ça, c'est tout. Si t'arrives pas à comprendre que tu appartiens au livre, je peux pas en dire plus. (Il se met sur ses deux pieds, me laissant paumée et agacée.) Allez, ramène-moi à la maison, pour cette fois. Et reste à Storybrooke encore une semaine.
- Ouais, va sentir des fleurs, ouais.
- T'ES HORRIBLE AVEC MOI !
J'éclate d'un rire franc, et franchement, ça me dépasse.
On continue à se chamailler tout le long du trajet jusqu'à chez lui. Comme la veille, Henry s'enfuit vers sa chambre. Je reste plantée sur la chaussée, Regina laisse partir son fils sans rien lui dire. Un énorme soulagement éclaircit son visage à l'instant où elle l'a vu apparaître. Peut-être qu'elle ne me croyait pas capable de lui ramener le petit. Je suis contente d'avoir réussi, en tout cas.
- Je vous remercie, fait-elle en s'approchant à pas mesurés.
- Y a pas de quoi.
Regina sourit en descendant gracieusement du perron pour me rejoindre. Ouuh, je sens l'embrouille d'ici...
- Ecoutez, je ne voudrais pas qu'il y ait de mal entendu entre nous.
Bingo... Trop épuisée pour riposter, je me contente de rester toute ouïe à ses remarques, aussi agaçantes peuvent-elles être. Regina n'attend pas :
- Vous semblez être appréciée par Henry. C'est plaisant à voir, mais je vous rappelle que je ne suis pas responsable de vous. (Paf ! Dans tes dents, Emma.) Mon fils traverse en ce moment une passe assez difficile, celle que chaque enfant doit un jour traverser pour briser le lien qui le lie aux contes de fée et à son imagination. Grandir, c'est difficile. Henry a besoin de moi pour ça. Je sais que mon métier ne me laisse pas de répit, mais... j'aime mon fils. Je le soutiendrai quoi qu'il arrive, et c'est avec mon aide, et non la vôtre, qu'il réussira à être recadré convenablement. (Madame Mills s'arrête juste en face de moi, le regard foudroyant, les lèvres pincées.) Henry ne s'immergera plus dans votre vie, je peux vous l'assurer. Alors veuillez en faire autant de votre côté. (Pause.) Quittez Storybrooke sur-le-champs. Sans quoi je devrai vous régler votre compte, et ce quoi qu'il m'en coûte.
Et c'est sur ces mots inqualifiables de malveillance et gonflés de menaces qu'elle regagne son perron, claque la porte sur mon visage hébété, et que la pluie vient couronner le tout.
Qu'est-ce qui vient de se passer, là ?!
+++
J'en ai ma claque, putain de merde !
Je débarque en furie sur l'allée d'une grande maison au style inconnu. Une pancarte trône au-dessus de la porte d'entrée ; « Granny, Lits et Petits-déjeuner ». Une auberge. Rien que ça ! J'avance sous la flotte, mes Airmax déversant un demi litre d'eau à chaque pas. Ras le cul, de cette journée ! Je me réveille en taule, je cours les rues à la recherche d'un gosse que je connais depuis la veille, je me fais écraser par le talon princier de l'autre tocarde de Maire, je pars dans la forêt à la recherche de ma bagnole toute cabossée, je découvre que je peux même pas rentrer à Boston avec tellement elle est dégommée, je RETOURNE à Storybrooke en faisant un crochet au poste de police pour réclamer mon téléphone, et c'est seulement lorsque Graham me dit qu'il ne l'a pas que je comprends que ce PUTAIN DE PHONE est resté dans la voiture - oui, celle dans laquelle j'étais une demi heure plus tôt.
Fait chier ! Et le temps de merde s'est gentiment assorti à mon humeur.
Sans frapper, j'ouvre la porte à la volée et m'avance dans l'auberge de Granny. La chaleur m'enveloppe directement, moi qui suis bonne à passer dans une essoreuse industrielle. J'ai assez d'eau de pluie imbibée dans les vêtements et les cheveux pour sauver l'Ethiopie, sérieux. Mes chaussures émettent des "skouik !" à chaque pas sur le plancher. Je me poste devant le comptoir, ruminant mon malheur.
- Tu es sortie hier, et tu vas encore sortir ce soir ?, émet une voix rauque de vieille femme, au loin.
- J'aurais dû partir à Boston !, rétorque une autre.
- Oh ! Excuse-moi d'avoir eu une crise cardiaque ! Loin de moi l'envie de retarder tes plans !
Après quoi une fille de deux ou trois ans de plus que moi descend de longs escaliers en bois, vêtue (ou nue) d'un haut qui en laisse trop apparaître, et d'une bande de tissue qu'elle a du prendre pour une jupe. Bottines à talons aiguilles et bracelet à épines sont au rendez-vous. Une escort-girl gothique ? Derrière elle, une vieille femme fripée au chignon blanc décoiffé se dresse de tout son long - ou de tout son court - devant les escaliers qu'elles viennent de descendre.
La mamie grimace suite aux paroles de l'autre, qui sont restées en suspens.
- Excusez-moi ?, m'interposé-je, à un moment.
La vieille - Granny, sans doute - se tourne vers moi.
- Bonjour. Je voudrais une chambre.
Eh oui, c'est triste à admettre, mais je n'ai pas le choix. Je crève la dalle, mais pire que tout, je suis vraiment fatiguée. L'accident d'hier, la nuit sur un matelas de mauvaise qualité et toutes les tensions que je me suis mangée, ça m'a juste vidé d'énergie. Et j'ai la flemme de retourner seule dans la nuit vers ma voiture pour récupérer mon téléphone. Désolé, Clark, mais tu devras encore un peu patienter avant d'avoir de mes nouvelles... Je préfère ne pas imaginer sa réaction lorsque je rentrerai. Ouah, comment il va m'arracher la tête. Mais bon, si j'ai bien compris les messages qu'il m'a envoyé hier, j'étais morte d'avance...
- Vous êtes sûre ?!
La voix portante de la grand-mère m'arrache de mes pensées. Elle me dévisage. Euh.. je suis plus beaucoup sûre, du coup, là...
Comme il est trop tard pour prendre la fuite - et pourtant, qu'est-ce que j'aurais pas donné pour disparaître... - j'acquiesce lourdement, sourcils froncés.
- Oh, d'accord !, s'écrie-t-elle en s'approchant du comptoir où je suis affalée, sans grâce. Vous voulez une chambre avec vue sur la forêt ou vue sur la place ? Il y a un supplément pour la vue sur la place, mais si vous me réglez tout maintenant, je ne vous le compte pas.
Oula ! Ouuuula ! Elle va trop vite. Trop de bruit, trop de rapidité. Faut me prendre avec des pincettes, là. Je ressemble à une baleine échouée sur une plage. Et j'ai au moins deux centimètres de crasses sur la peau. Abattez-moi, pitié... Et elle parlait de quoi, la Granny ? Régler des trucs ?
Régler... Régler avec des sous ?! ...
MAIS QUELLE CONNE ! Je me pointe mains dans les poches, en princesse à servir, tranquille ! Bah non, le monde marche pas comme ça. Écrasée par le poids de ma bêtise, je reste tête dans les bras, honteuse. La grand-mère attend ma réponse, et je lui offre d'une voix plus que pâteuse :
- Ooh, laissez tomber... J'ai même pas d'argent sur moi. Tout est dans ma voiture.
- Votre voiture ? (Ébahissement. Ils sont choqués pour rien, ici.) Et elle est où, votre voiture ?
- Dans la forêt. J'ai eu un accident.
Silence. Elle semble méditer mes paroles. Derrière moi, un son de talons retentit ; la Barbie Girl de tout à l'heure.
- Vous êtes blessée ?, s'inquiète-t-elle.
Certainement à cause de mon manque d'énergie. Je me redresse lentement, les coudes sur le comptoir, et secoue la tête.
- Je crois pas, non.
Echange de regard entre la grand-mère et la jeune fille. La vieille hoche le menton.
- Bon... Oh, et puis tant pis, hein ! Ce n'est pas comme s'il pleuvait des clients... (Je fronce les sourcils.) Je vous offre la chambre.
- Oh. C'est gentil, merci.
Eh non, pas de cris de joie ni de hourras. Je suis vraiment une loque sans énergie vitale. Un lit et une douche dansent ensemble la salsa dans ma tête. Qu'est-ce que je donnerais pas pour une bonne douche, pensé-je.
- Votre nom, s'il vous plaît ?
Je me frotte les paupières. Un registre poussiéreux aux pages jaunies est ouvert face à la vieille dame. Un vrai grimoire de sorcière ! L'absence de clients qu'elle vient d'évoquer m'étonne un peu moins...
- Swan, croassé-je en la regardant prendre note. Emma Swan.
- Emma ? Quel joli prénom.
Je sursaute et me retourne d'un bond. La personne qui m'a complimentée est un grand homme au visage beau mais sévère, aux cheveux mi-court coiffés et soyeux. Il arbore un sourire en coin charmant, un smoking gris requin et des chaussures cirées. Éblouie, je me demande ce qu'un type de son rang fiche dans le bled qu'est Storybrooke. Il doit avoir la petite cinquantaine.
- Merci, souris-je en revenant à l'aubergiste.
Cette-dernière tend un rouleau de billets à l'homme sans plus me prêter attention, les lèvres serrées et le regard plus ferme.
- Tout y est, Monsieur, lui assure-elle, l'air dur et plus sec.
- Oh oui, c'est vrai. Merci, Granny.
Il lui répond sans me quitter du regard et finit par récupérer la liasse de dollars, frappant le sol de sa canne luxueuse – que bizarrement, je n'ai pas remarquée plus tôt.
- Je vous souhaite un bon séjour parmi nous... Emma.
J'arque un sourcil. Mon nom a été prononcé avec une montagne de sous-entendus. J'hoche vaguement la tête, il en fait autant, puis s'éclipse dans la fraîcheur de cette journée interminable. Je fixe silencieusement la porte lorsqu'elle se referme sur lui, mais ma curiosité est trop forte. Je me tourne vers l'aubergiste.
- C'est qui, lui ?
- Monsieur Gold, me répond Barbie Girl en se rapprochant. C'est le propriétaire.
- De l'auberge ?
Granny et elle se lancent un regard qui ne m'échappe pas.
- Nan, soupire gravement la vieille femme. De la ville entière.
J'entrouvre la bouche, stupéfaite par cette révélation. Un espèce de malaise plane entre ce Monsieur Gold et les deux femmes. Je me demande bien pourquoi – il avait l'air poli et gentil... courtois. Comme Regina au premier abord, remarquez... Et on a vu ce que ça a donné.
- Vous pensez rester combien de temps ?
Une nuit, me dis-je.
- Une semaine, réponds-je.
QUOI ?! Non, Emma !
Je me mets à hurler, à frapper, à insulter le monde dans les confins de mon âme. Pourquoi, merde ?! POURQUOI ?! Non ! Je veux rentrer à Boston avec Clark ! C'est sûr, lui, il va me tuer... sauf si je me suicide avant. Je devrais même pas exister ! Je suis malade ! Pourquoi je compte rester dans cette ville chelou dont le Maire me déteste ? Juste pour les beaux yeux du gosse que je trouve le plus cinglé de la Terre ? Ma parole, mais c'est moi, qui aie un grain !
- Parfait, répond nonchalamment Granny avec une esquisse de sourire.
Elle se met à griffonner dans son grimoire, puis sa main se lève vers une clef en bronze suspendue au mur. Lorsqu'elle me la tend, j'hésite. La clef est pleine de gravures étranges, de fioritures... Rien n'est simple ni normal, ici. Même les clefs paraissent tout droit sorties d'une BD ou d'un livre pour enfant. C'est à se demander ce qui me pousse à la saisir, le regard coupable. J'affaisse les épaules. Tombée dans le piège de Henry...
- Votre chambre est au premier étage, couloir de droite, à côté de la fenêtre. Bienvenue à Storybrooke, Mademoiselle Swan.
Je fronce les sourcils. La voix basse de Granny a résonné bizarrement, à cause d'un carillon sourd qui a retenti en même temps. Je n'y prête pas plus attention. Épuisée, je tourne les talons en montant à l'étage, sous les cris hystériques de Barbie Girl qui demande à Granny de regarder par la fenêtre. Elle l'a appelé « Mère-grand ». Vous y croyez ? Moi, ça m'a claquée pour le reste de la soirée.
Je monte de cinq ou six marches dans les escaliers qui mènent aux chambres de l'étage, puis me déchausse. Une main tenant mes Airmax, l'autre glissant sur le mur, je traîne des pieds jusqu'à l'étage avec de nouvelles suppositions bizarres en tête. Les paroles de Henry me reviennent – celles qu'il a prononcé la veille.
Ouais, je m'en souviens. C'est flippant.
FLASHBACK
- Il n'est que huit heure écart ?
- Vingt-heure quinze, me reprend l'autre prestement en me rejoignant dans la contemplation de la bâtisse. On a du bol, c'est presque la même heure que sur ma montre... (Il m'expose son petit poignet sous les yeux.) Regarde, il est vingt heure, en vrai.
- Aaah.
- Ouais, je n'ai jamais vu cette horloge fonctionner.
J'hoche vaguement le menton en restant fixée sur le clocher.
- C'est compréhensible. Elle a l'air ancestrale. Repeinte... mais ancestrale.
Il secoue la tête, désapprobateur de mon hypothèse. [...]
- En fait, elle a toujours pointé vingt-heure quinze, sort-il, le plus sérieusement du monde. Ici, le temps s'est arrêté.
FIN DU FLASHBACK
Puis tout à l'heure...
FLASHBACK
- Je pensais que si je te ramenais ici avec moi, les choses se mettraient à changer... que la Bataille Finale commencerait.
FIN DU FLASHBACK
Oui, Henry est beaucoup plus ancré dans ses histoires que ce que je croyais. Pire que tout : il confond la réalité avec le mythe. Son psy est pour lui sa Conscience, Jiminy Cricket. A tous les coups, sa mère est la grande méchante de l'histoire. Et vu le surnom que Barbie Girl a donné à Granny, à savoir "Mère-Grand", je parie que Henry va les prendre pour des personnages du Petit Chaperon Rouge. Il voit partout des points communs entre le faux et le vrai, et s'il ne met plus de distance entre son imagination et la vraie vie... il va finir en asile.
Il m'a dit que les choses se mettraient à changer...
Que le temps s'est arrêté. Que les aiguilles ont toujours pointé vingt heures quinze. Je regarde par la fenêtre du premier étage.
Oui, j'étais sûre de ne pas avoir rêvé ; un carillon a bien retenti. Au moment où j'ai pris cette clef, le clocher censé ne pas fonctionner a carillonné. Il pointe vingt heure seize, maintenant.
Mais tout ceci n'est, bien sûr, qu'une simple coïncidence. Evidemment.
+++
- Je... Non, Clark, je peux pas.
Je lui balance la même phrase depuis une demi-heure, comme une folle.
- Mais nan mais les gens sont toqués, t'as l'autre folle de Maire qui t'attend limite avec une hache entre les dents, un gosse complètement barge qui te suit partout, et toi tu veux rester ?!, me réprimande-t-il dans l'oreille, fou furieux par ma décision. T'as dis qu'ils sont tarés, alors rentre, Emma !
- Mais c'est justement pour ça, que je reste !
Je coupe le haut-parleur avant que sa nouvelle tirade ne me perce les tympans.
C'est vrai. Je resterai ici sept jours uniquement parce que cet endroit est dingue. J'y ai longuement réfléchi depuis que je me suis réveillée, et ça doit être la meilleure chose à faire. Je ne peux pas me résoudre à abandonner Henry - surtout lorsqu'il nourrit de grands espoirs à mon égard. OUI, c'est un enfant. OUI, sa mère veut ma mort. OUI, ce plan est totalement incohérent avec ma haine de cet endroit. Mais... Des souvenirs d'enfance refont peu à peu surface. Trop de choses que je ne peux pas nier, ou ne serait-ce qu'oublier. Je dois aider Henry coûte que coûte. C'est le Pacte des enfants de Stases. Soudés jusqu'à la fin. Henry et moi n'étions pas à l'Orphelinat en même temps... Mais on y a vécu quand même. Je me sens obligée de l'aider et de le soutenir dans son monde de malades mentaux. Eh puis, un petit tour dans une ville de fous me changera de ma routine ennuyeuse au poste, à Boston.
Mais évidemment, ma décision dépend de cette promesse faite aux enfants de la Maison Stases. Je n'en ai jamais parlé à Clark. Il ne comprendrait pas.
- Clark, détends-toi. Respire.
Il prend une lourde inspiration.
- PUTAIN, EN TROIS ANS, C'EST LA PREMIÈRE FOIS QUE TU ME DIS CA, EMMA ! ILS T'ONT FAIT UN LAVAGE DE CERVEAU, OU QU-
Bip ! Je lui raccroche au nez. Lorsqu'il se lance dans un raisonnement hors de contrôle et qui ne laisse pas de place au débat, le reste de la Terre a tout intérêt de s'écarter poliment et de le laisser dans son délire. C'est lui qui m'a autorisé à couper court à la conversation lorsqu'il est dans cet état.
Je balance le vieux combiné de l'aubergiste sur la commode vide de ma chambre. Je soupire. Non, les engueulades, j'aime ça seulement lorsque c'est moi qui les créée intentionnellement. Dans le cas présent, tout est parti de travers. D'un simple appel visant à le rassurer sur mon état de santé, une dispute a éclaté, et ça m'agace. Je prends ma douche en ronchonnant, peu fière. C'est vraiment pas de bol pour Emma. En sortant de la douche, je m'enroule dans une serviette. C'est le moment que choisit je ne sais qui pour frapper à la porte...
- Euh... Entrez pas !
Je me cache dans la salle de bain en tendant l'oreille. J'y crois pas ! Le grincement habituel de la porte de ma chambre se fait entendre. Merde !
- J'AI DIT : "ENTREZ PAS" !, aboie-je, glacée.
- C'est moi, Ruby.
Oh ! Barbie Girl ! Je reconnais sa voix. Rassurée, je glisse un œil dans l'entrebâillement de la porte de la salle de bain. La fille se tient à l'entrée de ma chambre, une corbeille de linges dans les bras. Elle arbore aujourd'hui de longs cheveux noirs lissés, une jupette de la taille d'une ceinture, et un tee-shirt sans manches si court qu'on l'aurait confondu avec un soutif. Tenue traditionnelle, il faut croire. Elle tourne ses yeux vers moi en souriant.
- Il fait chaud, tu trouves pas ?
Je me mordille les lèvres pour réprimer un rire. Oui, vu sa tenue, c'est l'heure d'aller à la mer.
- Je t'ai apportée quelques fringues, s'explique-t-elle en déposant la corbeille sur ma commode. J'ai cru comprendre que tu resteras une petite semaine avec nous, alors je te file quelques vêtements de rechange.
Mes yeux ne la lâchent plus. Elle est venue pour me prêter des vêtements ? A moi, une étrangère ? C'est vraiment généreux.
- Ce n'est qu'une infime partie de ma garde-robe, précise-t-elle avec un clin d'œil.
Ses propres fringues ? Alors là, je suis pas prête de l'oublier. Attendrie, je lui souris gentiment. C'est pas une escort girl, en fait. C'est une gentille fille.
- M-Merci, bafouillé-je, touchée par son intention.
- Je t'en prie ! Bon, je dois y aller. Mère-grand doit m'attendre en bas.
Elle m'adresse un coucou de la main avant de quitter la pièce. J'attends, je souris, je serre les poings...
Et une fois qu'elle est partie, EXPLOSION ! Je plonge dans la corbeille, abandonnant ma serviette au beau milieu du tapis.
Je sors une brassée de vêtements et l'étale sur mon lit. Ciel, tant de sapes pour une seule meuf ! On dirait une boutique ! Et y a des trucs vraiment jolis, là-dedans. Courts, transparents, mais jolis. Essayons de faire au mieux pour ne pas choquer les esprits. Vu le soleil qui cogne là dehors, j'enfile le short en jean le plus long que je trouve - genre, pas taille culotte, je suis raisonnable - un haut blanc tout simple et un gilet beige. Tout ça avec mes airmax blanches, je pense que je reste potable.
Je range le linge inutilisé dans la commode, et balance mes vêtements sales de la veille dans la corbeille. Je vais laisser le tout devant la porte de ma chambre avant de quitter l'auberge. Granny descendra tout ça dans la lingerie. Je fais ensuite mon lit, retourne nettoyer ma salle de bain avant de démêler et coiffer mes cheveux. Je m'arrête au beau milieu de ces étapes pour débrancher le téléphone de la chambre. Justification : Clark ne cesse de me harceler. Il mérite des coups, lui.
On refrappe.
- Entre, vas-y !
Ruby a du oublier quelque chose.
La porte s'ouvre lentement dans un grincement sinistre. Je me tourne avec un grand sourire... et le perds presque immédiatement.
- Bonjour, Mademoiselle Swan. Vous auriez pu me demander, pour le tutoiement.
Merde. Elle veut quoi, celle-la ?
Regina brandit un petit panier rempli de pommes rouges, et sans demander l'autorisation à qui que ce soit, elle s'introduit dans ma chambre. Sur la liste des gens dont j'aurais pu attendre la visite, elle est en dernière position, genre loin derrière Homer Simpson et Jésus-Christ.
- Vous saviez que le Red Delicious est le plus vigoureux des pommiers ? Il peut supporter des températures inférieures à moins vingt degré et continuer à pousser.
Ses lèvres rouges et bien dessinées me sourient.
- J'en ai un depuis que je suis enfant. Et je dois dire, ajoute-t-elle en me tendant une pomme, que je n'ai jamais goûté quelque chose d'aussi délicieux que le fruit qu'il produit...
Je la toise sans un mot. ALERTE PSYCHOPATHE ! ALERTE PSYCHOPATHE ! Je m'approche avec méfiance, me saisissant de la Red Delicious.
- Merci...
- Considérez ça comme un cadeau de départ, nuance-t-elle en me tendant tout le panier, et sa prétendue bonne humeur disparaît en un clin d'œil. Visiblement, vous n'avez ni argent, ni nourriture. Je me suis dit que j'allais me montrer charitable. Le trajet jusqu'à Boston risque d'être long, à pieds...
Une voix remplie de sous-entendus. Comme quoi j'ai tout intérêt à me casser d'ici. Je souris narquoisement en croquant dans la pomme.
- Mmmh, tout compte fait, j'ai décidé de rester... Mais merci quand même, hein !
Je tends les bras avec un long sourire, mais - et comme je m'y attendais - Regina plaque le panier contre elle, sourcils froncés.
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, rétorque-t-elle. Henry est déjà assez mal comme ça, et votre présence risque de le perturber.
Alors voilà pourquoi son Altesse Impériale s'est déplacée de son château, un panier de pommes dans les bras ? Parce qu'elle veut que je quitte son Royaume au plus vite ? Ouuuh, mais je ne suis pas réputée pour faire plaisir aux gens, moi ! C'EST BALLOT !
- Avec tout le respect que je vous dois, le fait que vous m'ayez proférées deux menaces en moins de douze heures me donne on ne peut plus envie de rester, sifflé-je narquoisement.
- Depuis quand les pommes sont-elles une menace ?
- Je suis capable de lire entre les lignes. Tout ce que je veux, c'est m'assurer que tout ira bien pour Henry, et qu'il n'ait plus de raisons de venir me chercher jusqu'à chez moi.
- Tout ira bien, soyez tranquille. (Elle parle si sèchement, miam ! Je l'ai agacée !) Ses petits soucis vont s'arranger. Il est pris en charge, à ce niveau-là.
Je mets mes mains sur les haches et pianote dessus.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
Elle me regarde en affaissant les épaules, telle une observatrice de l'imbécillité pure. Mais vas crever, sombre folle !
- Ça veut dire qu'il est prit en charge par un psychiatre ! Je gère la situation.
J'avale un éclat de rire horrifiant. Ah mais oui ! Archie, le rouquin à dalmatien ! Putain, bah vu la santé mentale du psy en question, je crie bonne chance au gosse...
- Faites-moi confiance. (Elle sourit mauvaisement.) Je suis adulte. Et puis, une seule d'entre nous sait ce dont Henry a besoin...
J'hoche la tête en souriant. Au jeu des tournures de phrases, elle a trouvé son égal.
- Oui, je commence à croire que vous avez raison sur ce point-là, affirmé-je avec un immense sourire.
A son regard, je vois qu'elle a compris l'ironie de ma réponse.
Elle bouillonne.
- Il est temps de vous en aller, me conseille-t-elle.
- Sinon quoi ?
Je m'amuse comme jamais. Aussi, l'audace de cette femme est alléchante, moi qui aie l'habitude de côtoyer des gens rapidement désorientés pas mon caractère. Ça fait du bien, de se lâcher un peu. Oui, j'adore jouer les sales gamines.
Regina s'avance d'un pas et rapproche son visage si près du mien que nos deux nez vont presque se toucher.
- Ne me sous-estimez pas, Mademoiselle Swan. Vous n'avez aucune idée de ce que je suis capable de faire.
Mais quelle barge ! Ses menaces entrent dans mon oreille et sortent par l'autre. Jouant le même jeu qu'elle, je redresse le menton en la poignardant du regard, venimeuse, enflammée, mais souriante. Je frétille. J'ai hâte. C'est intéressant de faire face à une personne aussi sûre d'elle. Mais une chose est sûre, elle ne m'impressionne pas. M'opposer à cette femme va divertir mes journées pour la semaine à venir. Un sourire horripilant aux lèvres (je me claquerais moi-même si e me voyais, je le sais), j'incline la tête sur le côté.
- Bonne journée, Madame le Maire. La sortie est derrière vous.
+++
Journée de merde. Comme hier.
Au début, je pensais que c'était prometteur. J'avais bien entamé la matinée, après tout. Bon sommeil, bon réveil. Hors-mi la visite surprise de Mills, ça se passait plutôt bien. Et puis je suis descendue dans le salon de l'auberge. La grande pièce à vieux canapés et bibliothèques poussiéreuses est reliée par un couloir au Café Granny, qui donne sur l'autre façade de la bâtisse. Je me suis installée au bar, entre deux clients qui prenaient leurs petits-déjeuner. Un pot mis à la disposition des gens contient des pailles. J'en ai piquée une et jouais avec en attendant qu'on vienne prendre ma commande. Puis, en feuilletant le journal local, je tombe sur ça.
- "Une inconnue détruit un panneau historique", lis-je en passant un doigt sur la photo de ladite inconnue.
MOI, PUTAIN ! Moi en première page !
Mais où est-ce qu'ils ont trouvé cette photo ?! Attendez, y a un bâtiment derrière... L'école de Storybrooke. OH ! Quelqu'un m'a pris en photo hier, sans droit d'image, alors que je sortais de l'école de Henry ! MAIS C'EST QUOI, CE BORDEL ?! Je me sens épiée par des paparazzis, là. C'est dégueulasse ! Violation de vie privée ! Putain, je pourrais tous les faire poursuivre en justice, quoi. Je continue de lire l'article qui me concerne. Ça va, je suis rassurée. "Orpheline" , "Boston" et "délinquance" reviennent plusieurs fois, mais le contenu de l'article en lui-même est assez vide. Celui qui a écrit ça semble chercher des infos, mais en manque cruellement. Je souris simplement. Retracer mon passé, c'est une cause perdue. Je l'ai trop bien caché. Personne ne sait d'où je viens, et c'est mieux comme ça.
Soudain, on pose une tasse devant moi. Je lève les yeux. Ruby m'observe, les joues dans les paumes, les coudes sur le comptoir. Elle vient de m'offrir un chocolat chaud à la cannelle et des biscuits.
- Petit dej gratis, sourit-elle en me regardant, amusée. Tu fais de bonnes affaires, toi.
- Merci, c'est gentil.
- Oh, j'aimerais dire que c'est moi qui te l'offre, mais ce serait mentir. (Elle baisse d'un ton en jetant un coup d'œil discret derrière moi.) Tu as tapé dans l'oeil d'un client, je crois...
Oh, shit. Quel taré sur mon dos, encore ? Le cœur lourd, je me retourne craintivement...
OH, SHIT.
Qui s'attendait à tomber sur ce bon Shérif Graham, assis à table, un chocolat identique au mien posé face à lui, et le même journal déplié sur les genoux ? Sans oublier son sourire en coin charmeur et le sourcil arqué qu'il m'envoie lorsque nos regards se croisent ?
Tu parles d'un cadeau.
Sans un mot adressé à Ruby, je glisse de mon tabouret, récupère le chocolat et pars le poser sur la table de Monsieur Humbert, lequel feigne la surprise à mon arrivée.
- Ah ! Vous avez décidé de rester, visiblement, sourit-il de toutes ses dents.
Mmmh, ne nous précipitons pas, amigo.
- Vous êtes très observateur. C'est un atout pour un Shérif.
- Bonne nouvelle pour le secteur touristique... mais mauvaise nouvelle pour les panneaux de la ville.
Je perds mon sourire - qui était faux, de toute manière. A ras du sol, son humour.
- Euh... C'était une blague. Rien de personnel, hein ?
- Oh, et quelle blague, n'est-ce pas ! (Il remarque mon sarcasme.) Merci beaucoup pour le chocolat chaud, et je suis étonnée que vous sachiez que je les prends avec de la cannelle parce que très peu de gens aiment ça, mais sachez aussi que je suis restée pour des raisons personnelles, liées plus ou moins à Henry, et Henry seulement. De plus, malgré votre... jeunesse évidente, on va dire, je vous rappelle que je suis mineure. On doit ressortir toutes les peines encourues par la pédophilie, ou vous voyez de quoi je parle ?
Ses yeux se plissent furtivement. Puis Graham s'adosse au canapé, rejette sa tête en arrière et part d'un rire qui fait tourner toutes les têtes du Café dans notre direction. Hérissée, j'attends qu'il s'en remette.
- Improvisation ?, s'étouffe-t-il en reprenant lentement ses esprits. Ou vous avez préparé ça ?
- L'improvisation est le seul domaine où j'excelle, Chef Humbert.
- Faux : vous savez aussi vous défendre.
- J'excelle pas pour autant.
- Mais quand même davantage que beaucoup d'adultes très éloquents. Vous feriez presque le poids face au propriétaire du Café. (Il ne me laisse pas le temps de comprendre de qui il s'agit avant de lancer la suite.) Et le coup du chocolat n'est pas de moi.
Ah oui, le proprio de l'auberge et du Café. Ce Monsieur Gold... Le gentleman qui m'a complimenté sur mon nom, hier. Je pourrais lui tenir tête ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Cet homme a l'habitude de faire baisser les regards sur son passage ? Voilà pourquoi Granny le regardait de travers...
...
Attendez, quoi ?! Comment ça, le chocolat n'est pas de lui ?! Heurtée, je fronce les sourcils à l'instant où une tête émerge du canapé voisin.
- C'était de moi !
Je crois... Non, je suis certaine que je rougis jusqu'à la racine des cheveux. Arquage sourcilien du côté de Graham Humbert. Je fulmine en dévisageant l'intrus de la conversation, soit mon véritable admirateur. Pourquoi suis-je étonnée ?
- T'as pas école, toi ?, lui lancé-je, agacée.
Toute cette belle tirade pour rien ! Je roule ma dignité en boule dans ma poche.
- Si. Accompagne-moi.
Henry descend de son fauteuil et vient se poster près de moi. Je l'observe avec mépris. Il a fumé quoi, encore ? Me donner des ordres dès le matin avec six ans de moins que moi ? Quelle ironie.
- Tu t'es cru où, petit ?
- Eh, ici, c'est pas Charleston. Suis-moi.
MAIS J'AI JURÉ QU'IL S'Y CROIT ! Et le pire, c'est que je l'écoute en souriant.
Ma pauvre Emma, t'as perdue tes ovaires avec ton téléphone, hein.
+++
Si Ruby ne m'avait pas offert ce Milkshake à la fraise, je crois que j'aurais saturé depuis une demi heure.
- Je dois à tout prix te parler du sort que ma mère a jeté. Il faut le rompre, et vite ! Heureusement, j'ai un plan. Etape n°1 : Identification. J'ai décidé d'appeler notre mission l'Opération Cobra !
Peut-être que Henry commence réellement à me connaître, pour réussir à m'amadouer. Mais ça ne marche pas que dans un sens ; je sais désormais comment faire pour qu'il me foute la paix. J'ai juste à l'écouter, et proposer quelques idées de temps à autres. Ça passe crème... D'ailleurs, ce Milkshake est délicieux.
- Cobra ?, fais-je, sirotant mon dessert. Y a aucun rapport avec les contes.
- Justement ! C'est un nom de code pour induire en erreur la Méchante Reine. Pour la mettre sur une fausse piste !
- Alors si je comprends bien, tous les gens d'ici sont des personnages de contes, mais ils sont pas au courant...
Nous traversons la route en voyant de loin Monsieur Gold et un petit barbu discuter de manière assez houleuse... Hum, pas n'importe quel petit barbu, d'ailleurs. C'est Leroy, mon voisin de cellule. Déjà dans les embrouilles, celui-là...
- Exactement ! Ils sont ensorcelés. Dans cette ville, le temps s'est arrêté... jusqu'à ce que tu arrives.
- C'est pourquoi ils n'ont pas de souvenirs de leur ancienne vie, renchéris-je.
- Oui, ils ont tous de faux souvenirs que le sortilège a créée, mais ces souvenirs sont trop superficiels et faibles. Demande à n'importe qui de te raconter sa vie, et tu verras. Gros blanc assuré !
Je lui souris simplement, à la frontière de la moquerie et de l'amusement réel. Franchement, ses histoires tiendraient presque la route. Et même si elles sont irréelles, ça fait plaisir de les entendre. Il y croit tellement qu'elles semblent animées. C'est comme regarder un bon film. Chose que je n'ai pas faite depuis un bail.
- Donc, depuis des décennies..., essaie-je de résumer.
- Seize ans. Tout s'est passé le jour de ta naissance.
Casse-pieds, celui-là.
- DONC, depuis SEIZE longues années, exagéré-je en lui frottant les cheveux, provoquant son hilarité, ces personnes ignorent leurs véritables identités, ne vieillissent pas et ne peuvent pas quitter Storybrooke, tout ça à cause d'une Malédiction lancée par la Méchante Reine qui leur a fait perdre la mémoire. Méchante Reine qui n'est autre que le Maire de cette ville, ta chère et tendre maman.
Henry lève des yeux brillant de bonheur vers moi.
- Tu vois... t'as tout compris.
- Merci, je suis pas conne, non plus.
- Arrête avec tes gros mots. Et c'est pour ça qu'on a besoin de toi, Emma. Tu es la seule qui puisse nous sortir de ce pétrin, puisque tu es la fille de deux grands héros.
AH ! Là, ça promet d'être drôle...
- Et qui sont mes parents, alors ?, risqué-je en battant des cils.
- Blanche-Neige et le Prince Charmant. (Je regarde carrément à son opposé pour cacher mon visage déformé par le rire que je retiens. Il m'aura à l'usure, bordel.) Tu es la seule capable de sauver leurs Sujets. C'est toi, la Sauveuse. Tu m'écoutes, au moins ?
- Oui, oui. Et de quel monde ils viennent ?
Une énième question pour qu'il déblatère en me laissant rire en paix.
- De Narnia. C'est un monde féerique divisé en Dix Royaumes qui étaient égaux avant, et gouvernés par les Rois et Reines que tu connais aussi bien que moi. Par exemple, Blanche-Neige et Charmant vivaient dans le Quatrième Royaume depuis que le Sort du Sommeil Éternel de la Méchante Reine avait été rompu. Comme dans l'histoire de Blanche-Neige et les Sept Nains, quoi. Et maintenant, on a un super avantage, parce que ma mère ne sait pas que tu es la Sauveuse, puisque j'ai déchiré la fin du livre : la partie qui parle de toi !
Il s'arrête de parler et de marcher. Ce n'est que là que je réalise que nous sommes arrivés devant l'école. Tout heureux et gonflé de fierté, Henry jette son sac Eastpak au sol pour en sortir Once Upon A Time. Il l'emmène partout, ou quoi ? Quelques pages pliées en deux dépassent du livre. Il s'en empare, referme le sac, me les tend. Je lui fais tenir mon Milkshake le temps de regarder.
- Au début, le héros ne veut jamais croire qu'il en est un, renchérit-il. Mais c'est normal. Ça ferait une mauvaise histoire, sinon. Tu ne crois pas ?
Ses deux petites pupilles grises me détaillent avec un éclat admirateur. Quel enfant. Il en manque pas une.
- Garde ces pages, lis les tranquillement et fais très attention. La Reine ne doit surtout pas les voir. C'est trop dangereux. Si jamais elle découvre qui tu es... (Silence. J'attends la suite, moi. Y aura une bagarre ? Il soupire.)... ça finira très mal, conclut-il avec la mine grave. Mais bon, au moins, tu es de mon côté ! Rendez-vous à seize heures trente sous le clocher. Je savais que tu finirais par me croire !
Et tout joyeux qu'il est, Henry récupère son sac, me rend mon Milkshake et s'enfuit vers la cour.
- Crétin d'enfant ! Et qui t'as dis que je te croyais, hein ?!, lui cris-je, horripilée.
- Pourquoi tu serais encore là, sinon ?
Le sale mioche. Il marque un point, sur ce coup-là. Je l'observe s'éloigner en souriant à demi. J'aime pas les enfants, non...
Je les aimais pas du tout.
Comme quoi tout peut arriver... Non, pourquoi je pense à ça ?! Conneries !
- Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu aussi heureux.
Je sirote à nouveau mon Milkshake en me tournant vers la gauche. Oh ! La trop gentille Madame ! Je suis contente de la revoir. Elena Banchard, l'institutrice de Henry. Elle me sourit, ce qui a pour effet de soulever ses petites pommettes adorables. Elle incline la tête sur le côté.
- Oh, vous savez, j'ai pas fait grand chose, mesuré-je, gênée.
- Vous êtes restée, et ça lui suffit, visiblement. Sa maman sait-elle que vous êtes encore là ?
Glups.
- Oh ça oui, elle le sait, raillé-je avec une soudaine envie de m'armer d'un couteau de chasse. D'ailleurs, d'où elle sort ? Elle est carrément odieuse ! Comment elle a pu devenir Maire ?
Elena pince les lèvres dans une mimique juste trop chou. Elle semble réfléchir à ma question.
- Regina est Maire depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, et personne n'a osé se présenter face à elle. Elle inspire à tout le monde une sorte... Hum... Disons, de crainte. Et je me demande si je n'ai pas aggravé la situation en donnant ce livre à Henry. Maintenant, ajoute-t-elle en affaissant les épaules, il l'a prend pour la Méchante Reine de Blanche-Neige et les Sept Nains...
Alors elle est au courant ? Ce n'est pas étonnant. Henry a dû se confier sur sa relation conflictuelle avec sa mère, et comme avec tout sujet de conversation, il a dû dériver sur ses histoires.
- Et vous, pour qui il vous prend ?, demandé-je, par simple curiosité.
Mesurons l'ampleur des dégâts...
Elena se mordille la lèvre et fronce derechef les sourcils, un sourire malicieux sur le visage. Elle me questionne du regard, l'air embêté. Ow. C'est si chaud que ça ?
- Je ne rirai pas, promets-je.
Pour donner de la consistance à mon propos, je mime la fermeture de ma bouche. Elle pouffe de rire.
- Il... Il me prend pour Blanche-Neige. La mère de la "Sauveuse".
Et Elena Blanchard repart dans un nouvel éclat de rire.
Pas moi.
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