Chapitre 19 : L'Histoire d'une Vie

"Je pense que si Madame le Maire découvre son fils dans cet état, c'est vous qui aurez besoin d'une opération du cœur." - Damen

~~~

Leur terreur. Mon choc.

Le réseau coupé. Le temps qu'on perd.

L'ambulance qui arrive trop tardivement. Damen et Caleb, flottant entre angoisse et désespoir. Les infirmières effrayées qui tentent de stabiliser l'état de Henry ; la pluie torrentielle qui s'abat sur la ville, un vingt-deux juillet ; l'horloge qui tourne ; le sang qui se glace. Et puis il y a moi, hors de contrôle, suffoquant à force de crier.

C'est une cacophonie olympique.

- On doit l'oxygéner !

- Contactez le bureau quatre ! Que le Docteur Whale se prépare à intervenir !

- Il n'est pas disponible !, répond une voix criarde à l'arrière du véhicule.

- HENRY, JE T'EN PRIE, RÉVEILLE-TOI ! LÈVE-TOI,HENRY, RÉVEILLE-TOI !

Une connasse d'infirmière inutile me presse le bras.

- Madame, vous devez nous laisser trava-

- NAN, JE BOUGE PAS D'ICI, COMPRIS ?!

Je la foudroie du regard, hésitant entre lui mettre un coup de tête ou lui faire une clef de bras, mais rien qu'à mon ton je pense qu'elle a pigé le message. Elle rejoint ses collègues, qui s'affairent autour de masques à oxygène et de prise de tension.

Le trajet est très simple ; tant que je les voie gérer la situation, je gueule sur Henry pour qu'il arrête de faire le mort. Dès qu'ils commencent à se ramollir, je gueule sur les infirmiers pour leur rappeler qu'ils ont en charge un enfant dans le coma.

Tout là-dedans est déstabilisant. Je suffoque, je crie, je prie, je dégouline de sueur et d'injures. Un urgentiste doit me répéter à peu près cinq fois la raison pour laquelle les Docteurs Whale et Cullen ne pourront pas prendre en charge le cas de Henry ; ils sont sur une opération à hauts risques. On va devoir se coltiner un apprenti. J'en deviens écarlate.

- Bordel de merde, c'est le fils du Maire ! Vous pouvez pas faire une exception ?! GLANDEZ PAS AVEC VOS YEUX DE POISSON, Y A UN GOSSE A L'AGONIE SUR LE BRANCARD !

Et je ponctue ma litanie de reproches en secouant les membres inertes et livides du petit, comme pour me donner raison.

C'est pas seulement une ambiance morbide et affolée ; c'est la scène la plus terrifiante à laquelle j'ai assisté depuis déjà pas mal d'années. Retour dans les profondeurs sinistres de mon destin bousillé. Après tout ce que j'ai vécu, tout ceux que j'ai perdu, il faut ENCORE que le mal se répète ! Putain, je suis maudite ! On débarque sur les chapeaux de roues à l'hôpital. Damen et Caleb nous ont suivi en voiture ; ils dérapent sur le parking des urgences et me rejoignent dans l'oeil du cyclone.

L'ambulance, mais fois dix.

Avec les curieux, les journalistes, les médecins à l'affût ; visiblement, Damen a préparé notre débarquement. Je réponds à aucune des questions, mon répondeur virtuel redirigeant tout ce petit monde vers mon meilleur ami et collègue. L'attention des infirmières se tend vers Damen. Non, Henry n'est pas tombé. Il ne s'est pas cogné la tête. Il n'a pas fait un putain de vertige de merde. Je commence à me demander si quelqu'un a son bac, ici.

- Mademoiselle Swan, Docteur Ophal, à votre service ; je m'occupe du cas de Henry Mills ; veuillez vous écarter le temps de placer la perfusion.

Tout cela dans un souffle calme, gérant le problème. Je me remets à respirer ; il est un minimum compétent. Ses grands yeux verts m'observent.

- Décalez-vous juste une minute, répète-t-il en observant mes doigts liés à ceux de son patient.

- Vous occupez pas de moi, sauvez-le !

- Je ferai tout mon possible. (Il sort une lampe de je ne sais où et inspecte les yeux du petit.) Pas de réflexes pupillaires. Qu'est-ce qui s'est passé, il a fait un malaise, il s'est cogné la tête ?

- Il a mangé ce truc-là !

Je pointe un doigt menaçant vers le sachet en plastique que Damen tient. Oui, j'ai classé ce chausson aux pommes comme pièce à conviction d'une nouvelle enquête ; et bordel, quelle joie je vais me faire de coller un procès au cul de ce Maire de merde !

La lampe du Docteur Ophal se dirige vers la bouche ouverte du gosse.

- Les voies respiratoires sont dégagées... Il a vomis ? Convulsé ? Il a eu des vertiges ?

- C'est après avoir croqué là-dedans qu'il s'est évanoui ! Faites-le analyser IMMÉDIATEMENT pour déceler la présence d'eau de Javel, d'Arsenic ou tout autre poison !

- Mademoiselle, cet enfant ne présente aucun des symptômes qui suggère la digestion d'une neurotoxine quelle qu'elle soit ; s'il est dans cet état, c'est à cause d'autre chose !, déblatère Ophal, la voix toujours aussi posée dans ce brouhaha de malade. Rappelez-vous ce qui a pu changer ces dernières heures, vous étiez avec lui depuis longtemps ?

- J-Je sais pas, débrouillez-vous, sauvez-le ! Je vous ai tout dit !

- On risque de le perdre !

Un courant glacial me remonte le long de la colonne vertébrale. Pour la première fois en vingt minutes, je lâche la main de Henry. Mes doigts se referment sur le col de ce bouffon.

- S'IL Y RESTE, JE FOUS VOTRE VIE EN L'AIR ! EMMENEZ-LE EN BLOC OPÉRATOIRE ET SORTEZ-MOI C'POISON DE SON VENTRE !

- OK, toi, viens par là, intervient quelqu'un en m'agrippant le bras ; je suis forcée de lâcher Ophal. Stabilisez Henry, et bipez le Docteur Cullen. Immédiatement.

- Il est en opération à cœur ouvert, on ne peut pas tout stopper pour le cas de cet enfant.

- Je pense que si Madame le Maire découvre son fils dans cet état, c'est vous qui aurez besoin d'une opération du cœur.

Et d'un coup d'épaule dans la porte, quelques pas, un tournant en bout de couloir et l'ouverture d'une dernière porte, Damen m'a tirée dans un local d'infirmiers. Wow. J'hoquette.

- Damen, qu'est-ce qu'on peut faire !?

- Tu le sais ! Tu dois tout arrêter !

Ses mains se referment sur mes avants-bras. Fort. Il me fait mal, mais j'en suis à demi consciente, les yeux rivés sur ses prunelles d'un bordeaux sombre. Il m'a coupé la voix.

- Tout... arrêter ?, chuchoté-je.

- Emma, tu sais bien que-

- Où est le Shérif Swan ?, crie Caleb, dans le couloir. J'ai rapporté le sac de Henry !

Le sac ! Il doit sûrement contenir quelque chose qui peut nous éclairer, n'importe quoi, un truc qui peut expliquer ce qui s'est passé ! Docteur Ophal dit qu'il n'y a aucun lien entre le chausson aux pommes et le malaise de Henry... C'est peut-être déjà une bonne nouvelle. Il n'est pas empoisonné... NAN, NAN ! Je secoue fermement le menton. Il faut être stupide pour croire ça ! Il s'est effondré la seconde après avoir avalé ! N'importe quel abruti heureux aurait pigé !

- Respire, me conseille Damen en tirant sur une mèche de mes cheveux, collée à la sueur de mon visage. Et réfléchis.

Réfléchis...

Je décroche la main de Damen de mes cheveux et me rue à l'extérieur. Caleb se retourne vivement, agrippé de toute part par deux agents de sécurité.

- Attendez, laissez-le ! Le sac, Caleb ! Le sac !

- Sur le banc, Princesse !

Je m'y jette littéralement, le temps que Damen donne des instructions à Caleb pour retourner en forêt, délimiter le lieu du crime. Visiblement, on a une nouvelle recrue au poste.

J'ouvre en grand le Eastpack gris qui est allé me chercher jusqu'à Boston, et le vide sèchement sur le carrelage, autour de quelques curieux que Damen fait dégager en vitesse. Il n'y a que deux objets qui tombent au sol, dans un bruit presque sinistre. Un bruit tout simple, qui me perce les tympans. J'en ai le souffle coupé.

Son carnet de l'Opération Cobra. Noir de notes.

Et son... son livre.

Once Upon A Time.

FLASHBACK

- Once Upon A Time, lis-je, puis je me reconcentre sur la route. C'est un beau livre. D'histoires, ajouté-je en me traduisant mentalement le titre.

- Et pas n'importe lesquelles, rectifie-t-il en souriant. Ce sont des histoires vraies ! Tout ce qui est dit dans ce livre s'est réellement passé.

FIN DU FLASHBACK

- Oh !

J'en laisse tomber mon portable. Mes genoux s'affaissent sous mon poids. Je finis par terre, les yeux ronds comme des soucoupes.

- Réfléchis bien, Emma...

Réfléchis...

Encore ce verbe, merde ! Je lève les yeux, le dévisage ; il garde une bonne distance entre nous. Accroupis, il m'observe, m'épie, surveille l'instant où tout se mettra en place dans ma tête. Je cligne des yeux, hébétée.

-Tout ce que tu as vu jusqu'à maintenant... (Sa voix est lourde de sens et d'émotions.) Tout a un lien.

- C'est... C'est...

Fou. Déconcertant. Impossible.

Ma voix se coupe.

Impossible. Exactement impossible. C'est ce qui serait logique de penser, n'est-ce pas ? Je regarde ma main, vaguement consciente qu'elle se tend vers le bouquin en cuir. Tout ce qui est dit dans ce livre s'est réellement passé... Je cille, déglutis, transpire, suffoque.

Et dès que je le prends, tout se met en place.

Le vague souvenir de cette femme au visage luisant de transpiration, les yeux remplis d'amour et de chagrin, qui m'embrasse le haut du crâne avec fermeté. "Au revoir, Emma...".

Des souvenirs incongrus. Impossibles. De son accouchement.

De ma naissance.

Moi, la fille d'une Reine.

Aux lèvres rouges comme le sang, aux cheveux noirs comme l'ébène et au teint blanc comme la neige.

Dans tous les livres d'enfant d'aujourd'hui. Le plus classique des Disney.

FLASHBACK

- Il... Il me prend pour Blanche-Neige. La mère de la "Sauveuse".

Et la femme repart dans un nouvel éclat de rire.

Pas moi.

FIN DU FLASHBACK

Pas moi. Car j'ai compris.

FLASHBACK

Il m'a dit que les choses se mettraient à changer...

Que le temps s'est arrêté. Que les aiguilles ont toujours pointé vingt heures quinze. Je regarde par la fenêtre du premier étage.

Oui, j'étais sûre de ne pas avoir rêvé ; un carillon a bien retentit. Au moment où j'ai pris cette clef, le clocher censé ne pas fonctionner a carillonné. Il est vingt heure seize, maintenant.

Mais tout ceci n'est, bien sûr, qu'une simple coïncidence. Evidemment.

FIN DU FLASHBACK

Oui. Evidemment.

Je me momifie.

Tout est vrai...

Tout... Tout ? Tout. Je pose les yeux sur ces pages. Les Reines, les Royaumes. Cet autre monde, Narnia. Mes parents. Mon passé... Et cette Malédiction.

Tout. Est. Vrai.

- C'est pas du poison..., chuchoté-je, terrifiée, liquéfiée, les yeux exorbités... transformée.

Damen dresse l'oreille. Je pâlie.

- C'est... de la magie.

+++

- MON FILS !

Le cri strident retenti, et tout l'hôpital se gèle en statue de glace, terrifié. Tout le monde observe cette maman tigre rugissant, comme si le monde à part entière était un prédateur susceptible de menacer son bébé.

Tout le monde, sauf moi.

Toujours au sol, je recouvre mon calme en réfléchissant posément (truc que je fais toujours avant de me transformer en tornade). Je repense à...tout. Depuis que je suis ici. Il y a exactement deux mois. Tout ses coups foireux, ses envies précipitées que je quitte la ville, la mort mystérieuse de Graham le jour où il a commencé à dire que les histoires du livre sont réelles, la manie qu'avait cette femme pour faire comprendre à tout le monde que son fils est dingue(si bien qu'il est pris en charge par un psychiatre)...

Tout ce qu'elle a fait. Graham qu'elle a sûrement tué, Sidney qu'elle a licencié, Kathryn qu'elle a enlevée, Elena qu'elle a enfermée, Damen qu'elle a banni par le chantage le plus pitoyable qui soit...

Je lève lentement les yeux. Damen m'observe avec un grand sourire. Que je ne lui rends pas.

Il est heureux que j'ai compris. Je suis furieuse d'avoir compris si tard.

- EMMA SWAN !, aboie-t-elle.

Oh, oui, c'est moi.

- SALE CINGLÉE !

Je bondis du carrelage avec brutalité, et fais enfin face à cette pire ennemie. Elle fait plusieurs pas en arrière, surprise par ma vivacité, avant que je ne la saisisse par le bras. Fort. Je passe devant Damen sans le regarder, tire Madame le Maire dans le local où j'étais un peu plus tôt.

- Bon sang, mais qu'est-ce que...

Ah, pas le temps de causer ; je fracasse cette pute avec une puissance qui ne m'appartient pas sur les casiers métalliques des médecins et infirmiers. Toute la rage accumulée au cours de ces deux derniers mois, toute ma fureur commence à remonter, bouillonner au fin fond de mon puits à émotions, et à mesure que la réalité m'aveugle, je deviens dangereuse, je le sens. Je lui mets un pain dans la gueule, elle crie, je grogne.

Et c'est pas près de finir.

Toute. Ma vie. Pourrie. Est due. A. Cette. Saloooope.

- Arrêtez !, piaille-t-elle en essayant de riposter. Mon fils est-

- Votre fils est MALADE à cause du putain de chausson aux pommes que vous m'avez OFFERT !

Le visage de Regina se décompose violemment, et une réelle terreur s'imprègne de son regard. Une terreur comme je n'en ai jamais vu auparavant. Si ce n'est dans un miroir, peut-être.

- Quoi ?, souffle-t-elle. Il... Il était pour vous...

Je ferme les yeux cinq secondes. Ma gorge se resserre.

- C'est vrai, alors ?

Mes hurlements se sont transformés en chuchotements. Elle se trémousse.

- ... Mais de quoi parlez-

Je la tire et la recogne contre les casiers, le regard noir.

- C'EST VRAI ?!

Regina lit dans mes yeux. Mes yeux "si spéciaux", à ce qu'on dit.Tes yeux, c'est ce qu'il y a de plus vrai chez toi, parce qu'ils sont sincères. Damen avait raison, en disant ça. Regina perd contenance, abasourdie par la situation, par ma détermination, ma rage ; le fait que j'ai enfin compris. Elle laisse lentement sa tête retomber en arrière. De grosses larmes commencent à rappliquer aux bords de ses paupières.

Elle hoche lentement le menton.

C'est un coup de poing supplémentaire, pour moi. Je la lâche, les doigts crispés, blanchis. Je me mets à trembler, mâchoire décrochée. 

- P... P-Pourquoi ? Mais... (Je prends conscience d'une chose terrible.) Putain, Regina Mills, vous êtes malade ! J'ALLAIS QUITTER LA VILLE, BORDEL ! Pourquoi chausson empoisonné ?!

- Parce que tant que vous serez en vie, vous représenterez toujours une menace !, s'étrangle-t-elle dans ses sanglots, aussi furieuse que désespérée.

Une menace ? Moi, une menace ? Contre quoi ? Henry, elle ? Ou...

Sa Malédiction. 

Le... Comment, déjà ? Le "Sort Noir". C'est comme ça que Henry m'a introduit dans son univers. Son monde qui... est le mien.

- Réveillez-le, ordonné-je sèchement, sans pitié. Interrompez votre sortilège.

- C'est impossible. C'étaient les derniers restes de magie dans ce monde. C'est vous que ça aurait du endormir...

- Endormir ?

Ce mot se répercute à l'infini dans mon crâne. Donc, il dort ? Regina reprend contenance en réajustant son col, sa coiffure. BAH OUI ! Toujours être bien présentée, même quand son fils crève dans le bloc d'à côté ! Je la hais de plus en plus, et je pensais pas que c'était possible.

- Vous connaissez bien l'histoire de Blanche-Neige, non ?

Je fronce les sourcils. L'histoire de... Attendez. Elle croque dans une pomme empoisonnée...

Et tombe dans un profond...

Oh. Le chausson aux pommes. Henry ! LA MÊME POMME QUE MA MÈRE !

- La magie est imprévisible, ici, s'explique-t-elle en séchant rapidement ses larmes. Alors il va nous falloir de l'aide. Quelqu'un d'autre s'y connaît très bien et est au courant de tout depuis le début.

- Damen ?

L'espoir qui suinte de ma voix est perceptible. Faites que ce soit quelqu'un que j'aime ! Regina pose un œil méprisant sur moi.

- Vous faites confiance à un vampire ?

- Oh, parce que VOUS, chère humaine, êtes plus apte à gagner ma confiance, peut-être ?

- Ce n'est pas de Damen que je parlais.

Je me renfrogne, croise les bras. Bon... Pas de lui ? De Caleb, alors ? Qui d'autre pourrait s'y connaître, en magie ? Ça doit être un sacré perturbé... surtout si Regina semble si bien le connaître...

...

- Gold, lâché-je, crachant presque ce nom.

Bien sûr. C'est évident. Ce vieux bonhomme... Le gars le plus pourri de cette ville, autant voire plus que la timbrée en face de moi... Ça ne m'étonne pas d'apprendre qu'ils sont les deux méchants de l'histoire, ceux qui tirent les ficelles depuis le début. Bon... Si on doit avoir à faire à lui, je préfère me souvenir de qui il était. Henry m'en a déjà parlé. Il avait ce prénom... Roupelfil... Rumpelkin... Non...

- En faite, reprend Regina, son véritable nom est Rumpelstiltskin.


+++


Même dans mes pires cauchemars, je ne me suis jamais imaginée alliée de Regina.

Tout est trop fou, trop tordu à mon goût. C'est encore très neuf, tout ça. "La Méchante Reine" et moi, qui nous dirigeons vers la boutique du "Ténébreux"... Je pense qu'avec le temps, je m'y ferais.

Regina et moi traversons les rues en grillant les feux rouges - je me mettrais des amandes plus tard. Pour l'heure, c'est plus intéressant de profiter du calme pour repenser à toutes les perches que Henry, Caleb et dernièrement Damen ont pu me tendre. Toutes ces choses si logiques... Cette ressemblance frappante entre la Méchante Reine du livre et la Regina, assise à côté de moi, fixant la route.

J'ai vraiment été aveugle.

Et on va tous perdre Henry à cause de ça.

Conscientes toutes les deux de la gravité de la situation, nous n'avons pas échangé un seul mot depuis qu'on est sorties de l'hôpital. Sur notre chemin, les gens s'écartent avec des mines inquiètes. Jamais ils n'ont du voir les deux chefs de Storybrooke aussi déterminées. Ni aussi bizarres. Ce qui ne change en rien mon point de vue.

Je la hais, et elle payera pour ce qu'elle a fait en temps et en heure.

- C'est ici, lâche-t-elle.

- Je sais bien.

Je me gare devant la boutique d'antiquités. A notre entrée, la petite clochette carillonne, comme toujours. Le proprio est là, justement en train de faire du tri dans des fioles posées sur le bord d'une étagère. Pour la première fois, je vois les objets... différemment. Toutes ces pierres, ces tapisseries, ces bibelots... ils doivent sûrement venir de notre monde.

Ouah. Chaud.

Je claque mes paumes sur le comptoir en face de Monsieur Gold.

- Ah !, s'amuse-t-il, réellement enchanté par notre arrivé. Je connais ce regard ! C'est celui d'une personne qui a fini par voir la lumière. Je me trompe ?

Son long sourire stratège et horrible se dessine sur son visage, comme toujours.

- Je n'ai aucune surprise, acquiesce-t-il, répondant à sa propre question. A vrai dire, je vous attendais. Je lisais l'avenir comme le passé, dans notre monde, et je savais que vous viendriez dans ma boutique un vingt-deux juillet. Deux mois après votre arrivée ici. (Il jette un œil dédaigneux vers Regina.) Mais toi, je ne pensais pas que tu serais là.

- Nous avons besoin de votre aide, déclaré-je, impatiente.

- Ça, c'est une certitude, affirme-t-il d'un ton calme en reprenant son sérieux. Il semblerait qu'un mal terrible ait gagné notre jeune ami. Quand on a recourt à la magie, il y a toujours un prix à payer.

Dans ses dernières paroles, il lance un regard froid à Regina, du genre"Je t'avais prévenue, très chère !".

- Ce n'était pas à Henry de le payer !, riposte-t-elle.

- Non, c'était à toi. Mais ça ne s'est pas passé comme ça aurait du. Comme quoi l'avenir peut toujours changer, au contraire du passé. (Il revient à moi.) Demandez à la sœur de votre petit-ami si je me trompe.

Mon cœur se compresse. Je fronce les sourcils, mais ne maîtrise pas les muscles de mon ventre lorsqu'ils s'enroulent les uns autour des autres.

- J-Je n'ai pas de petit-ami !

- Pfeu ! (Nan, il va pas s'y mettre, lui aussi !) Je parle d'Alice Cullen. Elle lit l'avenir. Les vampires sont des créatures incroyables... Ils ont résisté à la perte de mémoire qu'implique la Malédiction, et ils usent toujours de leur don. Comme la télépathie, hasarde-t-il.

Je me fige, hébétée. Alice, voyante ? Et la résistance des vampires contre... la perte de mémoire obligatoire lorsqu'ils sont arrivés dans ce monde ? Quoi ?! Ils vivent ici depuis seize ans en se souvenant de tout ? Sans rien pouvoir faire ? Attendant patiemment que la "Sauveuse" arrive ?

Putain. Certains cas méritent réellement une légion d'honneur. 

Mais l'image de Henry charcuté par sa perfusion me saute dans la tête, et je me rappelle que le temps presse.

- Vous pouvez nous aider ?, reprends-je avec plus de sécheresse.

- Bien sûr. (Smile. Ils me font peur, les smiles de Gold, moi.) Grâce au Véritable Amour, très chère. L'amour est la seule magie suffisamment puissante pour franchir les royaumes et rompre toutes les malédictions ! Par chance, il se trouve qu'il m'en reste un peu, dans un flacon.

- Vraiment ?, s'étonne Regina d'un air incrédule.

Apparemment, ce n'est pas une plaisanterie. Il y a vraiment une fiole d'amour quelque part... Il va falloir que je m'y habitue. Regina balaye des yeux les fioles qui jonchent toutes les étagères.

- Je pensais que la magie était... désactivée.

- Et c'est le cas. Sauf pour ce flacon-là. (Il se tourne vers moi.) A partir des mèches de cheveux de vos parents, j'ai conçu la potion la plus puissante de tous les temps.

- Celle du Véritable Amour, comprends-je.

C'est quoi, ce ton railleur, Emma ? Baf ! J'ai pas l'habitude.

- Et lorsque j'ai crée le Sort Noir, reprend le prêteur sur gages, j'en ai versé une goutte sur le parchemin. En guise de soupape de sécurité.

- La preuve, reprend Regina en croisant les bras, boudeuse. L'amour de vos parents a réussi à passer outre les mailles de ma Malédiction. Malgré les embûches que je...

Vu le regard noir que je lui lance, j'imagine que je suis responsable de son trou de mémoire - elle feigne d'oublier la fin de sa phrase. Que je comprends. Malgré que David et Elena ne se rappelaient plus l'un de l'autre sous le règne de cette Malédiction, ils ont quand même réussi à se retrouver... C'est très beau. Très choquant. Je me mets à suer.

David et Elena. Mes... Mes...

- Vous saisissez ?, s'inquiète Gold, me voyant sûrement divaguer.

Je secoue la tête pour chasser mes pensées. Et en le voyant ouvrir la bouche pour réexpliquer, je reprends :

- Oui oui, j'ai compris. Le fait que vous ayez versé cette potion de mes parents sur le parchemin... C'est à cause de ça, que je suis la... Sauveuse.

Ma voix se termine par un espèce d'étranglement rauque. Hum, hum.

- Elle a tout compris, se félicite Gold.

- Génial ! On peut sauver Henry, maintenant ?

- Bien entendu. Et c'est la raison pour laquelle c'est votre jour de chance ! Je n'ai pas utilisé toute la potion. J'en ai gardé un peu, au cas où.

Je grimace, serre les poings. Il va me rendre dingue.

- Ça, vous l'avez déjà dit, alors on arrête de radoter et on sort le pot de Véritable Amour, s'il vous plaît ! Où est cette potion ?

Il appuie ses avant-bras sur le comptoir et se penche vers moi avec un petit sourire narquois. Graaah, quel comédien, ce type ! 

- La question que vous devriez vous poser n'est pas "Où est-elle?", mais "Comment faire pour la récupérer ?". (Je vais l'étrangler.) Ce ne sera pas facile.

- Ça suffit les énigmes, Rumpelstiltskin !, s'écrie Regina,enragée. Dis-nous ce qu'on doit faire !

- Toi ? Rien. Il faut que ce soit Mademoiselle Swan.

Cette révélation n'a pas l'air de plaire à ma chère et tendre alliée. Elle serre les dents, et je tape du pied, bouillante, furieuse. Il croit c'est l'heure du spectacle, lui ! Jeux de mots, subtilité, sous-entendus... ON VEUT DU CONCRET ! Henry est en danger, putain !

- C'est mon fils, ça devrait être moi !

Je me rebranche à la conversation. Gold hausse les sourcils.

- Sans vouloir te vexer, c'est elle, la Sauveuse.

- Si c'est si terrible que ça, elle n'y arrivera pas.

- SI !, interviens-je. Y a pas de soucis, je veux juste sauver le gosse !

Regina se tourne vers moi et pose sa main sur mon bras. Aussi bref et normal est le geste, il ne m'empêche pas de lui porter un regard étonné. Ça sent pas bon, les marques d'attention.

- Méfiez-vous de lui, Emma, m'intime-t-elle - et la formulation de mon prénom ne m'étonne que davantage.

- On a le choix ?

Ma question lui fait serrer les dents encore plus fort. Elle se tourne vers Go... Euh, Rumpelstiltskin. C'est dur à concevoir, mais je ferais mieux de commencer à me le représenter comme ça.

- Tu vas me faire croire que tu as conservé une fiole de la magie la plus puissante qui soit, en plus d'être la seule disponible dans ce monde, et que tu vas nous la remettre ?, raille-t-elle, acide.

- Pour sauver Henry, complète l'homme, le regard sérieux.

- Ce n'est toujours pas concevable.

- Peut-être éprouvé-je beaucoup d'affection pour l'enfant qui nous a ramené la fille de Blanche et Charmant. Ton Sort Noir était drôle... les quatre premiers mois. C'est devenu barbant, ma chère.

- Tu mijotes quelque chose ! Pourquoi ?!

Il la fusille du regard, et je passe mes mains sur mon visage en soufflant. Je sens je vais péter quelque chose, là. Je vais mettre un pain dans le comptoir en verre, il va éclater. Bordel, on dirait deux gosses qui se disputent la dernière part de gâteau ! Et moi je suis l'assiette, c'est ça ?

Pourquoi ?, répète Gold, et je lâche un grognement en voyant que ça repart comme en quatorze. Pourquoi ?  Vous n'êtes pas venues me voir pour que je réponde à vos"pourquoi", mais pour que je vous dise "comment"! Et c'est ce que je fais. A présent, si tu voulais bien cesser de gaspiller le temps qui reste à ce pauvre garçon, on pourrait passer à l'action.

- OU SE TROUVE LA FIOLE ?!, m'écrié-je en claquant mes paumes sur le comptoir.

Gold poursuit son regard Scarface avec la Reine. Pfeu ! Elle gardera pas sa couronne invisible très longtemps, lorsque toute cette histoire sera régler. Et dans l'état où j'suis, je peux même leur trancher la gorge sans remords. 

- Auprès de vieilles connaissances. (Ah. Il répond enfin.) Plutôt désagréables, ajoute-t-il sans quitter Regina des yeux.

Nous attendons toutes les deux qu'il crache le morceau, mais il se contente de s'agenouiller derrière son bureau pour ramasser une mallette en bois. Environ d'un mètre de longueur, je dirais. Il la dépose devant nous, sur le comptoir. On va enfin pouvoir commencer...

- Dites-moi, Votre Majesté..., poursuit-il avec tranquillité, notre vieille amie est-elle toujours au sous-sol ?

Regina fronce les sourcils comme si elle ne comprenait rien... Puis peu à peu, une vague d'affolement se déverse sur son visage.

- Non !, s'écrie-t-elle. Espèce d'ordure ! Ne me dis pas que tu l'as laissé avec elle !

- Je leur ai confié avant que tu ne lances la Malédiction. (Il a un petit sourire d'enfant.) Je savais que tu ne résisterais pas à la tentation de les emmener ici. La cachette idéale !

- OH !

Regina se fige de terreur. Et moi, j'essaie même pas de comprendre de quoi ils parlent.

- Tu leur as confié ?! Tu veux dire que Victoria est là aussi ?

- Elles sont jumelles, très chère. De vrais inséparables ! Même dans une grotte dont elles ne sont pas sorties depuis seize ans.

Ouah. Ma mâchoire se décroche. Seize ans dans une grotte ? Je me demande de qui ils parlent. Deux femmes, en tout cas.

- Qu'est-ce qu'il y a dans cette mallette ?, interviens-je, toujours aussi concrète.

Avec un sourire d'excuse, Gold néglige sa discussion et tire sur les petits verrous en or pour ouvrir la mystérieuse boîte. Ouuuh... Joli.

A l'intérieur, sur un coussin molletonné en velours orangé trône une longue et luisante épée en acier. Son manche est plein d'incrustations dorées... Enfin, du vrai or, je pense. C'est une pièce de collection digne d'un musée. Elle a un air médiéval... Wow. 

- Ha ! Là où vous allez, elle vous sera bien utile !, me ricane au nez Regina.

Je ne parviens pas à refréner mon ardeur ; mes doigts vont d'eux-même à la rencontre de cette lame étincelante. Obnubilée, je la quitte même plus des yeux. Elle est magnifique.

- A qui est-ce ?

Gold me couvre d'un regard tendre.

- A votre père.

Wow...wow... Ouah. Encore une fois, mon cœur se contracte avec ébranlement.

Alors j'ai vraiment un père, moi.

Son image s'invite dans mon esprit, mais je la dégage à coups de pieds vénères. Non, je dois pas y penser maintenant. Si je m'écoutais... J'irais les voir... Comme j'en rêve depuis si longtemps... Non, non ! Henry. C'est la priorité.

- La seule des Dix Royaumes de Narnia capable de trancher les membres d'un vampire, ajoute Regina, sa voix louant presque cette arme antique.

Trancher les membres d'un vampire ? ... Oh, ça doit être à cause de leur peau dure comme de la pierre.

- La femme que vous devez affronter a un pouvoir assez spécial, explique Gold : en entrant en contact physiquement avec une personne, elle est capable de s'imprégner de ses pouvoirs et... de son espèce. Disons-le comme ça.

- La sœur de cette femme, Victoria, est un vampire, poursuit Regina. Sachant que votre adversaire ne doit plus avoir de pouvoirs magiques, puisque nous sommes dans ce monde, sa seule défense sera son espèce. 

- Un vampire, renchérit Gold.

- Et pour tuer un vampire, il faut lui arracher les membres et y mettre feu. Et c'est ce que vous allezf aire.

Oula, attendez, WHAT ?! Nan mais halte-la, cousin ! J'en étais restée aux étoiles dans les yeux face à la première possession de mes parents que je découvre, après ma couverture brodée de bébé. Pis là,ils me mettent direct dans le vif du...

Oh.

Je recule de plusieurs pas et me cogne contre une armoire ancienne qui déverse sur moi de fines particules de poussière. Qu'est-ce qu'ils racontent, ces deux concombres ? Une femme capable de copier pouvoirs et espèces par un simple contact physique ? En supposant qu'elle ait touchée sa sœur jumelle, on peut en déduire que... ce sont toutes les deux des vampires. 

QUOIIII ?!

Je vais devoir me battre contre deux créatures blanches et belles, fortes et rapides, dont les yeux changent de couleur et l'intelligence surpasse l'être humain ? Me battre contre deux Damen ?! Aha ! AHA ! Mais j'ai pas un pourcent de chance de revenir vivante, ils sont malades ! 

Surtout que... ce qu'on a omis de me révéler jusqu'à maintenant, c'est... de quoi ils se nourrissent. Ces créatures mystiques...

Mais je pense que je m'en doute un peu.

- Damen ne... Mais je..., bredouillé-je, tétanisée.

- Ah oui, s'agace Gold en se retournant vers Regina. Damen ne la laissera pas y aller.

Quoi? C'est pas ce que j'allais dire !

- Sauf s'il ne le sait pas, le rassure-t-elle avec un sourire stratège.

- Aurais-tu oublié qu'il lit dans les pensées, ma chère ?

- Non, mais à mon avis, il n'a pas accès aux siennes.

PAS ACCÈS AUX MIENNES ?! .... Oh non, c'est bon, je sèche. 


+++


L'histoire en elle-même n'est pas bien compliquée.

Maléfique, la célèbre sorcière de "la Belle aux Bois Dormants" (et j'ai pété un câble psychologique en apprenant qu'elle existait), est liée à toute cette histoire par son charme du sommeil. Celui avec lequel elle a plongé la Princesse Aurore dans un profond sommeil, patati patata... Heureusement que j'ai mes bases sur les classiques.

Regina, aka la Méchante Reine, a procédé à l'échange de ce charme du sommeil contre un certain "Sort Noir". La Malédiction, quoi. C'est Rumpelstiltskin qui l'a crée sous forme de parchemin, comme une recette de cuisine. Maléfique a trouvé l'échange équitable, et Regina a empoisonné une pomme avec le charme  nouvellement acquit. Elle pensait venir à bout de Blanche-Neige grâce à ça, mais... Elle a oublié un léger détail : le charme peut être rompu par un baiser d'amour sincère. Le sauvetage du Prince Philippe sur Aurore s'est répété sur le Prince "Charmant", qui a pu sauver Blanche-Neige.

Folle de rage, Regina est retournée chez Maléfique et a récupéré de force son Sort Noir (il y a eu baston, à mon avis), puisque l'échange n'était plus acceptable pour elle. Elle est donc retournée chez elle et, après maintes tentatives, sa Malédiction abouti enfin...

Caractéristiques : elle a figé dans le temps un Royaume tout entier, et envoyé une bonne partie des habitants dans un autre monde... Le notre. Les ensorcelés de Storybrooke ont vécu seize ans avec de faux souvenirs, oubliant leurs véritables identités... Bref, c'est exactement ce que Henry m'a raconté depuis qu'on se connaît.

Le problème (pour Regina), c'est que cette Malédiction peut être rompue. C'est moi, la "Sauveuse" (c'est tellement con, comme titre), qui dois récupérer la potion de Véritable Amour pour... je sais pas quoi faire avec, en tout cas, mais ça devrait sauver tout le monde. SAUF QUE, notre Regina est une grande joueuse ! Elle a emmené à Storybrooke sa nouvelle meilleure ennemie, Maléfique ! Et Gold SAVAIT que Maléfique était en rogne contre Regina, puisqu'elle lui a volé le Sort Noir... Alors la clef de toute cette histoire, la potion qui doit tout arrêter...

Bah ce con, il l'a confié à une sorcière prisonnière depuis seize ans dans une grotte. Avec sa sœur. 

Des vampires qui n'ont rien pour se nourrir. 

Et moi, mon travail, c'est d'aller les voir keep cool, récupérer ma potion d'amour, et me casser en sifflotant - mais vu qu'elles me laisseront sûrement pas faire, je vais devoir les massacrer à coups d'épée paternelle. 

Bordel.

- Il est là, déclare platement Gold.

Mon cœur se resserre à ces mots, et je lance un bref coup d'œil dehors. En effet, la Volvo de Damen se gare derrière la voiture de patrouille, sur le trottoir de la boutique. Je le fixe sans bouger, mais quelqu'un me pousse vers la porte.

- C'est le moment d'y aller, très chère !, me réveille-t-il, un peu trop brutal psychologiquement.

Je secoue la tête, paralysée, les yeux plantés sur la fenêtre. Damen sort de la voiture, insouciant, ou même joyeux. Je l'étais aussi lorsque je lui ai envoyé un texto qui le priait de me rejoindre ici. Mais... maintenant que je le vois, je trouve le plan de Gold complètement... impensable.

- Je peux pas lui-

"Mentir." Mais Gold plaque sa main sur ma bouche avant que je finisse ma phrase. Je sens les anneaux frais de ses bagues sur mes lèvres. Le brocanteur place un index sur sa propre bouche, puis tapote son oreille. Ah oui, Damen est un vampire. Sens aiguisés... Il peut nous entendre, d'ici.

- A plus tard, sourit-il en ouvrant la porte, me foutant littéralement à la rue.

Ça sonnait plus comme un "bonne chance", mais je n'en fais rien. Le cœur en lambeaux, je me tourne sur la droite.

Et paf ! Une tempête de rire et de joie me fonce dedans, me serrant fort contre lui, tournant comme un enfant sacré Roi de la Galette. Je suis mi-rire froissé, mi-choc. Damen enjoué ! Damen tendre qui fait des câlins ! J'ai jamais vu ça de ma vie. Un bon point pour nous - visiblement, Regina a raison. Il ne serait pas dans cet état de bonheur s'il pouvait lire mes pensées.

- Ah, Emma !, s'exclame-t-il en repartant d'un rire d'enfant. 

Il me repose fugacement sur le sol, et je force un sourire à se former sur mes lèvres. Gênée, je me décale et quitte ses bras froids. Si tu savais ce que je m'apprête à faire...

- T'as réussi, murmure-t-il fièrement, loin d'être démonté par le rouge qui me brûle les joues.

Quoi qu'il m'observe en inclinant la tête sur le côté. Il sourit.

- T'as réussi, et en plus tu rougies. C'est adorable.

- "Adorable" n'est pas du tout approprié dans ta phrase, ricané-je en secouant le menton.  Et "réussi" non plus. 

- Bah si...

- Non, je n'ai fais que vous croire. Mais la Malédiction est toujours là.

- C'est vrai...

Il réfléchit quelques secondes, le temps pour moi de contempler son si magnifique visage. C'est vrai qu'il ne ressemble à personne d'autre... A les voir, lui et sa famille, on comprend immédiatement qu'il y a un décalage entre eux et le commun des mortels. Tant de beauté, d'expressions révélées ou bien cachées suivant leurs humeurs, tant de mystères dans la perfection de leur espèce... Et dire que je vais en attaquer deux. Voilà tout le problème de ma mission : Damen ne me laissera jamais y aller seule. Il faut que je le garde à distance de moi pour... briser ce Sort Noir. 

Donc je dois lui mentir.

- Je t'ai fais peur, dans la forêt, souffle-t-il, le regard perçant.

Je me reconnecte en clignant des yeux.

- Hein ? Non. Non, ça m'a fait du bien de... voir la vérité en face. (Sourire forcé.) Tu t'es montré assez persuasif. Ça m'a aidé à croire en... tout ça.

- Donc tu n'as... tu n'as... (Il semble hésiter à m'en parler.) T'as pas peur de moi ?

L'image d'un être furieux brisant un tronc d'arbre par un coup de poing me revient en mémoire. J'attends de ressentir quelque chose autre que de l'amertume pour ma Mission Trahison, mais... Je n'ai que ça en tête.

- T'aimerais bien que je te craigne...

Ma voix se teinte peu à peu d'un accent joueur.

- ... mais ça marchera pas !, triomphé-je en haussant les sourcils avec fierté.

- Oh, je saurais te faire changer d'avis...

Son accent menaçant me fait frémir. On se met à rire.

- Et sinon, qu'est-ce que tu faisais chez Gold ?

Et je perds mon début de bonne humeur.

OK... OK. Visiblement, il peut pas du tout capter ce qui me passe par la tête, Regina a raison. Reste à savoir s'il va me croire... Normalement, le plan de Gold devrait fonctionner. Je déglutis en battant des cils, et me jette à l'eau.

- Alors, en faite, il-

- Hors de question.

Merde.

Je me raidis complètement... comme lui, en faite. Droit comme un I, Damen me lorgne de l'oeil le plus fâché qui soit. Nan... Arrêtez, quoi ! Me dites pas qu'il peut... Nan, ça va tout faire capoter, sinon ! Déstabilisé, je cherche une issue de secours...

- Qu'est-ce qu'ils t'ont demandé de faire ?!, grogne-t-il brusquement.

OUUUUUF.

Je me mords les lèvres pour m'empêcher de soupirer. Non, il ne lit pas dans ma tête. Je me suis faite une frayeur pour rien. Reste zen, Emma ! C'est le moment de vérité. Mon comportement sera très bas - je chute dans mon estime personnelle - mais j'arriverais à me pardonner. C'est pour Henry, que je fais ça. Le temps presse, il est en danger, et la Malédiction a assez duré. Pas trop le choix, il faut dire.

- Je dois les aider à créer une potion, annoncé-je en jouant avec une mèche de mes cheveux. 

Pas du tout convaincu, il croise les bras en s'appuyant contre ma voiture, le regard furibond. Merde, merde, merde... Je me redresse, histoire de donner une maigre impression de confiance en soi. Emma Swan de Boston, casse-pieds bornée et charismatique, je te somme de réapparaître !

- Tu mens, tranche-t-il.

Hm. Ça avait le mérite d'être clair. Essayons de le prendre par les sentiments. 

- Tu ne me fais pas confiance ?

- Hm... Pour ce qui est de ta propre sécurité, non. Tu es capable de partir en mission suicide.

- Je risque rien, je serais avec Regina et Gold !

Il hausse un sourcil, et un petit sourire en coin s'immisce sur ses lèvres parfaites. Bah quoi ? ... Euh, ah. AH ! L'antiphrase est drôle, c'est vrai. Depuis quand ces deux psychopathes sont synonymes de la sécurité ? Pfeu pfeu.

- Il n'y a même plus de magie à Storybrooke, poursuit Damen en relevant le nez, sûr de ses arguments. T'es sûre qu'ils ont dit qu'ils vont préparer une potion, et pas un potage ?

Quel gosse. Je projette mes boucles dans mon dos et pose mes mains sur mes hanches. Avec lui, je suis obligée d'avoir une allure confiante, sinon il me croira jamais.

- Nan, ils parlent bien d'une potion. Gold a gardé une fiole de Véritable Amour. Je vais essayer de la réactiver, en quelque sorte. C'est elle qui va servir à rompre la Malédiction.

- Je vois pas comment, s'entête-t-il.

- Gold n'a pas voulu tout m'expliquer dès le départ. C'est encore tout neuf pour moi, alors... inutile que je me mélange les pinceaux. On va y aller en douceur, et au fil des étapes, je t'écrirais. Lorsque la potion sera réactivée, on s'en servira dans un lieu spécial pour rompre la Malédiction. (Il fronce les sourcils. Lieu spécial ? Y a intérêt que l'histoire du brocanteur tienne la route.) Enfin tout ça, ça sera avec Gold et Regina. Ils vont me coacher pour éviter que je détruise la ville, plaisanté-je en haussant les épaules.

Damen réfléchit. Enfin, le verbe "bouillir" devrait être plus approprié. Il me détaille de haut en bas, cherchant, creusant, fouillant, dératisant la profondeur de mon regard pour y déceler la moindre trace de mensonge.Tes yeux, c'est ce qu'il y a de plus vrai chez toi, parce qu'ils sont sincères... Oh, Seigneur. Je détourne mon regard. 

- Et qu'est-ce que tu suggères ?, finit-il par craquer.

Ouuuuf. Il a pas prit ça pour un abandon.

- Que j'y aille.

- Et je pourrais être présent ?

Les yeux toujours ailleurs - en l'occurrence sur la route - j'avale difficilement ma salive. Ça alors... Damen veut venir. Il veut être là pendant que je m'occuperais de cette soi-disant réactivation magique du Véritable Amour. Pour s'assurer que je ne lui mente pas ? Ou bien pour... me protéger ? De quoi, de la magie ? Ou de mes deux coachs personnels ? Enfin bref.

- Ça sera pas possible, planté-je sans le regarder.

- Alors tu le feras pas.

- Je suis encore libre de faire ce que je veux.

- Moi aussi, et je t'en empêcherais.

Je ferme les yeux et soupire. Quel emmerdeur... surprotecteur. C'est sûr et certain, même le meilleur des mensonges n'en viendra pas à bout. Je vais devoir... jouer.

Première flèche.

- Tu réalises que si je réussie à réactiver cette fiole de magie, on pourra tous retrouver notre monde d'origine ? Narnia ?

- Rien à foutre, fulmine-t-il.

Je pince les lèvres. C'est surprenant que je me souvienne du nom de cet endroit. Mais bon, c'est pas le plus important : il va toujours pas me lâcher la grappe. Je plante sévèrement mes yeux dans les siens. On est tous les deux bras croisés, droits comme des piquets, prêts à l'affront. Enfin... j'y vais à reculons, perso.

Bon. Prenons-le par les sentiments, encore. 

Seconde flèche.

- Laisse-moi faire. Aie un minimum confiance en moi, ça fait plaisir. Et Regina tient trop à Henry pour risquer de le perdre en s'en prenant à moi... Elle marche dans mon sens. T'as pas à avoir peur.

Il me fusille du regard en serrant les mâchoires. Et il secoue la tête.

Enfoiré. Je le déteste, là. Il me force à... ruser, tromper, chercher le pire des stratagèmes pour qu'il cède. C'est vraiment bas de ma part, et de la sienne. Je fais mine de baisser les yeux sur le trottoir. Mes bras croisés retombent mollement le long de mon corps, et je respire un grand coup. La crédibilité m'oblige même à serrer les dents pour paraître encore plus bouleversée. Et comme je m'y attendais, il se trémousse, mal à l'aise.

- Emma...

Je secoue fermement la tête, et lorsque je la relève, ma vue est floutée. Oh la vache ! Je savais pas que je savais faire ça ! Les larmes me montent exprès aux yeux... C'est vraiment étrange. Je suis pas habituée. Mais pour qu'il me laisse... Aller, il le faux.

Troisième flèche.

- OK, j'y vais pas.

Il paraît décontenancé. A la fois pour ma mine, à la fois pour mes paroles. Je pince les lèvres, au bord des pleurs.

- T'as raison, Damen. J'ai rien à faire là-bas, je devrais pas y aller. C'est mieux de laisser crever Henry, et rester bras croisés dans son canapé en attendant que Regina passe une nouvelle fois à l'action. Je me demande quel crime elle est déjà en train de préparer - faudrait pas que la ville s'ennuie, après tout. Ouais, tu remontes dans mon estime sévère, là. Pas mal.

- Mais Emma (Il commence à s'approcher de moi.), faut pas que tu-

- Nan !, m'écrié-je en levant les mains comme pour me défendre. Nan c'est bon, je te dis, j'ai compris.

Je me déteste. Je me déteste de lui faire ça. Je... me hais.

Furieuse contre moi-même, mais je feigne que cet énervement est dû à lui, je sèche rapidement mes larmes avant de recroiser les bras, tête baissée, enragée. Je sens son regard tellement lourd que de vrais larmes vont finir à rappliquer.

Il se tait au moins deux minutes entières. Je ferme les yeux.

Je sais que j'ai gagné.

- Je te jure, Emma...

Je vois ses pieds avancer vers moi. Je n'ose même plus le regarder.

- S'il t'arrive quelque chose de tordu...

Des doigts froids et blancs se glissent sous mon menton et le relèvent sèchement. Mes prunelles plongent immédiatement, comme elles en ont pris l'aise depuis un bout de temps, dans les siennes. Vu ses sourcils, il est très en colère. Tant pis. En plus, il termine même pas sa phrase. Je retire mon menton de sa prise et le défie du regard.

- Il va rien m'arriver.

La vérité, j'essaye de me convaincre, là...

J'hoche une dernière fois le menton, comme pour lui assurer de manière muette que tout se passera bien. Puis je me retourne et regagne la porte de la boutique pour rejoindre les deux sorciers. Jusqu'à ce que quelqu'un me touche l'épaule. Ah, qu'est-ce qu'il est forceur ! Je tourne un visage furieux vers le sien.

Pas le temps de commencer ma phrase.

Furibond, il attrape presque brutalement mon visage et le hisse vers le sien sans se soucier du reste de la planète, forçant mes pieds à se mettre sur leurs pointes. Et durant les trois secondes les plus courtes de ma vie, ses lèvres glacées retrouvent durement le goût des miennes.

Je suis encore obligée de penser "Non." avec férocité pour ne pas laisser déborder mes larmes.


+++


Une sorte de cadre apparaît, s'élevant du sol pour occuper toute la largeur du passage, et des machines souterraines se mettent à vrombir aussitôt, terrifiantes. C'est lorsque les portes s'ouvrent que je pige : ce n'est pas un passage secret, mais une pauvre cage d'ascenseur rouillée.

- Bien, dit Regina. Allez-y.

- Après vous.

- Il faut que quelqu'un actionne le monte-charge d'ici. (Elle désigne le manche bizarre qu'elle a à la main.) C'est moi qui vais vous faire descendre. De plus, ajoute-t-elle avec un regard malicieux, c'est vous qui avez l'épée.

Dans la boutique, elle et Gold parlaient d'une "grotte" où sont enfermées Victoria et Maléfique, les jumelles vampires qui possèdent ma potion... Mais là, en plein cœur de la bibliothèque municipale, je voyais mal ce qu'on va faire. 

Jusqu'à maintenant.

Je passe ma tête dans l'ascenseur pour regarder l'endroit où elle compte m'envoyer. Noir et froid, c'est tout ce qui me vient à l'esprit... Quoi que non. Il y a aussi "vampire" et "dangereux". Je le sens pas du tout.

- Je suis censée vous faire confiance ?, raillé-je péniblement en la pointant de mon nouveau jouet - l'épée magnifique de mon père. Qui me dit que vous n'allez pas me faire descendre en Enfer ?

- C'est un peu ça, en effet, mais vous avez pris votre décision. Et, si je puis me permettre, tout est de votre faute. (Mes yeux deviennent XXL.) Si vous aviez eu un peu plus de bon sens, vous vous seriez rendue compte que les histoires de Henry étaient réelles, et il n'en serait pas là.

Je ris.

- HA, C'EST LA MEILLEURE ! Les gens de "bon sens", comme vous dites, ne croient pas en la magie ni aux contes de fée, et ils ne cuisinent pas non plus des pommes empoisonnées pour endormir des adolescents. Alors que les choses soient claires, "Votre Majesté" : si je fais ça, c'est uniquement pour sauver le petit, et s'il est malade, c'est uniquement à cause de vous. Vous êtes la seule responsable de tout ce désastre, Regina, et il va falloir que vous cessiez de vous cacher dans votre tour d'ivoire en repoussant la réalité. Assumez vos actes, et qu'on en finisse.

Je l'écarte de mon chemin avec le revers de la lame de l'épée, et j'entre dans la petite cabine peu esthétique de cet ascenseur abandonné. On se lance les regards les plus glacials de la banquise.

- Et n'oubliez pas que s'il m'arrive quoi que ce soit, Damen le saura, ajouté-je avec un visage dénué d'humour. Tout le monde le saura, et tout le monde se battra pour avoir votre tête. Alors que je réussisse ou non, votre règne est terminé, Madame la Méchante Reine.

Elle me décoche son sourire le plus faux et referme la porte du monte-charge. Bon. J'ai été clair, au moins.

Ma descente vertigineuse débute alors.

Très lentement et avec tranquillité, je descends dans les Entrailles de la Terre, prête à tout. Vraiment tout. Je sautille d'un pied sur l'autre, mon sang pulse dans mes artères, je manie l'épée avec une aisance encore récente. Plus je m'enfonce, plus il fait sombre. J'ai le temps de repasser en revue tous les moments cultes de ma misérable existence. Bordel... Il commence à faire froid, hein. Reverrais-je un jour le ciel ? Vais-je réussir ? Il le faut, pourtant. Si je gagne, Henry sera sauvé, la Malédiction levée. Quitte à me sacrifier pour qu'ils réussissent, je n'hésiterais pas une seule seconde. Ma vie ne pèse pas grand-chose dans la balance de la nature. Une Emma Swan en moins... Qu'est-ce que ça représente ? Je pense qu'il y aura quelques personnes attristées par ma mort : Damen, Henry (s'il survit), Elena, David, Ruby... Mon Dieu, mais est-ce que je les reverrais un jour ? Et Clark ? Mon pauvre Clark qui me croit heureuse dans un endroit tout à fait normal...

BROUMCRRR !

Lorsque l'ascenseur touche enfin le sol, le choc m'ébranle, et je manque de me casser la figure. Ça peut tuer des gens, cette connerie-là ! Purée, il fait tellement noir que je vois que dalle.

Mon rythme cardiaque accélère en deux secondes.

Bordel de merde... Elles peuvent être n'importe où... Je brandis mon épée à deux mains, terrifiée. Qu'est-ce que j'fais ?! Tout en haut au-dessus de ma tête, un petit point lumineux m'observe. On est si bas que ça ?! Je suis littéralement dans les Entrailles de la Terre, ma parole.

Ma vue commence à s'accoutumer à la pénombre. Mmm, je vois. Une espèce de caverne enfumée. Je tâte en tremblant la ceinture de mon jean jusqu'à tomber sur ma lampe torche. Je l'allume difficilement - je la fais tomber deux fois - et projette sa lumière rassurante sur les rochers qui m'entourent. OK... Ambiance vampirique au rendez-vous, je vois le truc. Je respire un bon coup et me décide à sortir de l'ascenseur. Un pas, deux pas...

A la lueur de ma torche, je devine quelque chose... qui n'est pas une pierre. Y a des reflets.

Je m'approche en balayant de lumière l'objet... imposant. C'est quoi, ce truc ? Un long et large bloc de granit surplombé d'une sorte de couvercle en verre brisé... 

Bordel. 

Un cercueil de verre.

Je dois faire un bond de deux mètres en arrière, choquée, et me cogne contre une paroi qui fait mal - pas en pierre, je le devine tout de suite. C'est beaucoup plus fin et léger. Je me retourne en transe, l'épée pointant partout à la fois. Je suis rentrée dans quoi ? Un mur en carton ? Je mets un petit coup de pied dedans. Ah oui, c'est pas solide. Une pièce secrète, si ça se trouve. Je prépare ma semelle à donner un vrai bon coup de savate, et le mur cède.

Mes yeux sont immédiatement éblouis par la lumière.

Je bas des cils en fouettant l'air de mon arme. Moyen de protection inefficace, mais ça me rassure le temps que je m'habitue à... toute cette lumière. C'est vraiment grand, ici. J'entre dans une espèce de salle ronde. On dirait une crypte... 

Ambiance vampirique, le retour.

Trois flambeaux sont suspendus de part et d'autre sur les murs de pierres. Mais on voit rien. On entend juste... des hurlements. Ça semble provenir de ce truc. Je reste fixée sur une sorte de bille lumineuse, grosse comme un pamplemousse et posée sur un oreiller en velours. Qu'est-ce que c'est ? Et qu'est-ce que ça fiche là ? J'avance à pas feutrés en regardant autour de moi. Ni sorcière, ni vampire à l'horizon. Bon. Je me poste devant l'espèce de... Ouais, on dirait une boule de cristal. A l'intérieur de laquelle des images défilent. Comme si c'était une télé.

Trop cool. Je m'agenouille devant.

Les hurlements à glacer le sang reprennent, me laissant pantoise. Dans un immense lit médiéval, une femme rejette la tête en arrière et crie à s'en faire saigner les poumons. Un homme la serre contre lui en lui murmurant que tout va bien se passer...

Seigneur.

Elena. David. Elena les cheveux longs ! ... BLANCHE-NEIGE !

- Je ne peux pas... avoir mon bébé maintenant !, s'étrangle-t-elle, haletante, dégoulinante de sueur malgré la femme qui éponge son visage toutes les trente secondes.

Un nain apparaît, ramenant une bassine d'eau sur la commode près du lit. David... euh, Papa... Le Prince Charmant ? BREF ! Il se tourne vers le nouveau venu.

- Faites quelque chose, Prof !, ordonne-t-il, la voix teintée de peur.

- Il n'y a plus rien à faire...

- Quoi ?!

BAM ! Le bruit fait sursauter les petits personnages, et moi avec. Un vieillard débarque dans la pièce, et il peine à se faire entendre à cause des hurlements de Blanche-Neige. Elena... Ouah.

- Ça y est ! L'Armoire est finie !, tonne-t-il, le visage transpirant mais plus inondé de bonheur que de sueur.

Tous les visages semblent se réjouir, si ce n'est celui d'Elena-Neige. ARGH ! Elle continue à pousser des cris déchirants, douloureux. David commence à la soulever, mais Prof l'en empêche. Il répète sa phrase d'un peu plus tôt :

- Il n'y a plus rien à faire, Votre Majesté.

La servante d'à côté continue à rafraîchir le visage de sa Reine. Bordel. J'ai jamais assisté à quelque chose de dingue à ce point-là. Le visage du Prince se décompose.

- Blanche doit aller dans l'Armoire !, s'entête-t-il, choqué par son valet.

Prof secoue la tête.

- Le travail est trop avancé : on ne peut plus la déplacer.

- Mais...

Horrifié, Charmant se tourne vers sa femme. Et y a que maintenant que je comprends. Que c'est... Que...

Ouah.

J'assiste à... A l'accouchement d'Elena. Ma naissance... Putain.

- Mais l'Armoire ne peut contenir qu'une seule personne !

- NON !, rugit la future mère en se tortillant de douleur, serrant son ventre, secouant la tête, comme une vraie enragée. NON ! Mon bébé !

- Nous n'avons plus le choix, ma Reine : poussez !

- NON ! Emma !

Je porte mes mains à mes lèvres, choquée, bouleversée. Les larmes me montent automatiquement aux yeux, mais là, ça n'a rien d'étrange. Personne n'est capable d'assister à ça sans frôler l'évanouissement, c'est impossible.

Elle... Elle se retenait d'accoucher... Pour moi.

Elle devait sûrement aller dans cette Armoire magique encore enceinte, et me mettre au monde sur Terre... Et elle m'aurait élevée. Ma mère m'aurait élevée en me racontant mon passé, me parlant de mon père, de mon Royaume... Et à mes seize ans, elle m'aurait emmenée à Storybrooke pour vaincre Regina. Oui, elle est là, l'histoire qui aurait dû se passer. C'est ce qu'ils voulaient faire. 

Tout aurait du se passer comme ça, si je n'avais pas été si pressée de naître...

Après quelques minutes de travail supplémentaire, j'apparais enfin. Un sourire crétin se fiche sur mes lèvres. Olala, j'étais toute petite ! Et je poussais déjà des cris de fous sous le regard tendre de mon père. Elena éclate en sanglots tout en riant, et Prof me baigne dans la bassine qu'il a ramené plus tôt. La servante l'aide à me nettoyer en essuyant ses yeux.

Et une fois enveloppée dans une jolie couverture blanche brodée de mon nom, on me remet enfin à mes parents. Waaah. Ma couverture ! Je peine à croire que c'est vraiment elle.

- Oh, Emma..., chuchote-t-elle en m'embrassant les deux joues et la tête malgré mes pleurs.

Charmant embrasse Blanche, puis son bébé, puis encore son bébé. Et son bébé, aussi. Je souris comme une débile. Ils m'aimaient, c'est certain... Ils m'aimaient tellement ! Putain, je vais pleurer... Non !

- Mais l'Armoire, elle est... (Blanche fixe son mari, les yeux vides.) Elle n'est faite que pour un...

D'un coup, on entend des hurlements qui se répercutent dans les autres pièces - du château, je me doute bien. Des bruits de bataille, de meubles bougés, de vaisselles brisées. 

- Notre plan a échoué, mais au moins, nous sommes ensembles, assure le Prince en serrant sa petite famille contre lui.

Ayant déjà vu David au bord des larmes, je reconnais son visage. Blanche secoue la tête. Elle est livide, les yeux révulsés.Mais qu'est-ce qu'elle va...

- Non... Tu vas la cacher. Tu vas la mettre dans l'Armoire !

- Tu as perdu l'esprit ?!

- Non !, s'exclame-elle, et elle redresse férocement son visage de folle vers lui. C'est la seule solution !

- Tu ne sais pas ce que tu dis !

- On n'a pas le choix, elle reviendra ! On doit avoir confiance en elle, elle nous retrouvera ! Il faut le faire, il faut qu'elle ait toutes ses chances... (Sa voix se brise, bouleversée par l'émotion.) Même si on doit...

Elle secoue la tête, incapable d'en dire plus. Les larmes de mes parents tombent ensembles sur mon petite crâne et ma couverture. Elle m'embrasse fermement le front.

- Au revoir, Emma...

Et sans attendre l'accord de son mari, elle m'enfourne dans les bras de l'intéressé en détournant son regard, prête à éclater en sanglots.

Et c'est tout.

La boule de cristal s'éteint dans la seconde en reprenant sa couleur blanche naturelle. Bordel de merde. J'avais oublié que... 

Des applaudissements lents et dénués d'émotions retentissent dans mon dos.

- Très touchant...

Mes doigts se crispent autour du manche de l'épée, et j'essuie en vitesse les larmes qui menaçaient de déborder. Je me retourne, le visage cinglant.

Immobiles comme deux statues, les deux créatures aux peaux anormalement blêmes me sourient toutes les deux, l'une à la crinière rousse et désordonnée, l'autre aux cheveux couverts par une sorte de carapace noire surplombée de deux grosses cornes. 

Toutes deux avec des tenues médiévales sans intérêt, mais avec des yeux d'un rouge si clair qu'il en est presque livide.

Seigneur Dieu.

- Victoria a pensé qu'il serait assez charitable de notre part de vous montrer un moment fort de votre existence... Votre Altesse, m'annonce Maléfique - j'ai tilté grâce aux cornes - d'une voix grondante, cassante, sèche. Une gentillesse à remercier, vous ne croyez pas ?

Je recule de quelques pas afin de mettre le plus de distance possible entre elles et moi, mais ma mégarde me fait percuter la boule de cristal. Qui roule, et se brise au sol.

Oups.

- Petite maladroite, rétorque la rouquine.

Sa voix à elle est piquante et douce à la fois, comme celle d'une gamine peste. Mais je... me fous de sa voix, en faite. Mes yeux les quittent accidentellement, le temps d'observer le truc au sol. Il y avait un flacon dans la boule... Il contient un liquide marron.

....

C'est pas... C'est... C'est pas la potion, par hasard ?

- Votre arôme est... sucré, chuchote Maléfique avec gourmandise.

Elle inspire profondément et bloque complètement sa respiration, les yeux révulsés... comme si c'était trop douloureux. Putain, elle veut me bouffer. Je les pointe de l'épée de mon père, la rage au ventre, à la fois terrifiée et confiante.

- N'approchez pas, leur ordonné-je.

- Rangez cette arme, me conseille Victoria avec un sourire crispé - sûrement à cause de mon odeur. 

- Elle ne suffira pas pour nous deux. Elle ne me suffira pas, à moi seule !

L'étranglement de Maléfique me fait frémir.

- Regina descendra pour s'assurer qu'il n'y a pas mort d'homme, la rassure la rousse. Si elle meurt, le charme sera rompu et nous serons libres.

Les deux sœurs se regardent d'un air entendu et hochent le menton. 

Mais l'instinct de survie est trop puissant. 

Je me baisse en deux secondes, m'empare de la fiole et la glisse dans ma poche. Et je me mets à sprinter vers la sortie comme une dingue. Y a plus de membres de vampires à couper, dans ma tête, y a juste l'ascenseur et la fiole marron toute pourrie que j'ai dans les bras.

Quel bordel. Mais...

Faisons preuve d'honnêteté.

Je n'ai jamais réfléchis à la manière dont j'allais mourir. Malgré que l'acheminement catastrophique de ma vie aurait dû aboutir à ce genre de pensées morbides, j'y ai échappé. Et de toute façon, je ne pensais pas avoir l'esprit assez dérangé pour imaginer ce genre de fin.

La réalité a dépassé l'imaginaire, il faut croire.

Durant une infime seconde, quelque chose de dur et de froid - un pied ou une main - frappe mon épaule. Le choc est terrible et se répercute dans tout mon corps.

Putain.

Je suis bien consciente que rien de tout cela n'aurait du m'arriver, si je n'étais pas partie pour Storybrooke. Et pourtant, aussi terrifiée que je sois, je n'arrive pas à regretter ma décision. Peut-être parce que je sais que, lorsque la vie vous fait don d'un rêve qui dépasse toutes vos espérance, il serait déraisonnable de pleurer sur sa fin... Ou bien juste parce que je crois aux actes de courage qui poussent une personne à venir en aide à une autre, au détriment de sa propre sécurité. 

Mais ce scénario nécessite seulement de deux personnages. Le Sauveur et le Sauvé.   

Dans cette histoire, je suis la Sauveuse, et les Sauvés regroupent une bonne centaine de personnes qui croient en moi et qui me soutiennent sans le savoir eux-mêmes. Mais quel est le but de tout cela ? De leur faire savoir qu'ils m'aiment ? Non, j'en doute.

Alors je comprends. 

Si je ne les sauve pas eux, je me sauve moi...

....

Cool. Vu que je n'ai aucune importance, ça m'arrange bien.

Ma tête heurte le sol avec une violence déconcertante, et les morceaux de verre de la boule de cristal s'enfonce dans mes bras et m'écorche le visage. Ouah, j'ai traversé toute la pièce ?! J'étouffe un grognement en me redressant sur un coude. La potion... Je tends la main vers mes fesses pour la sortir de ma poche.

Merde. Oh non.

J'observe le liquide rouge qui coule le long de ma main, et que je sens également sur ma joue. Putain, non !

Victoria m'observe avec des prunelles cuisantes de soif. Je suis blessée, saignante et sans défense dans une pièce souterraine, enfermée avec deux vampires qui n'ont rien bu depuis seize ans.

J'entends leurs grognements de prédateurs. Sauvages et cinglants.

Je les vois m'approcher. Je les dévisage, paralysée. Choquée. Blessée. Qu'est-ce que je fais ?! ... Je sors ma potion. Qu'est-ce que je fais, putain ?! Je la secoue, crie, grogne alors que les deux femmes ricanent. Le liquide marron change de couleur.

...

Quoi ?

Je secoue, encore et encore. Bordel ! Ça devient rose ! Ça devient fluo ! Ça active la magie ! Putain, je fais quoi, je fais quoi ?! J'ouvre le bouchon et, sans réfléchir...

Je bois.

Le liquide frais et sans goût me traverse la gorge au moment où l'une des deux malades vient l'agripper. Ses doigts se resserrent pour me faire vomir - ou bien juste pour me tuer.

Et ma tête se prend un mur.

- AH !

Encore.

- PUTAIN !

Et encore. Elle me cogne, mesurant sa force pour ne pas me faire crever trop vite. Un cri étranglé retentit, et je remarque avec un temps de retard qu'il s'agit du mien. Du sang se met à couler le long de ma nuque à mesure que Maléfique enfonce mon crâne dans la roche. Je vois blanc. Et je ne peux absolument pas respirer.

Mais j'arrive à penser. Je me demande à quoi les gens pensent, avant de mourir. 

Tout ce que vous devez savoir de moi, c'est que je m'appelle Emma. J'ai seize ans. J'ai... beaucoup souffert. Mais je me suis battue. Et ça n'a pas suffit...

Pas mal... Comme présentation... Hm... J'étouffe, là. Là, ça devient chaud... Je... Au moins... J'ai avalé la... la...

Elle me lâche, et je respire à peine cinq secondes avant de m'écraser contre un mur, et atterrit au sol. Le peu d'air récupéré par mes poumons est expulsé automatiquement. Cette cinglée vient de m'envoyer promener contre un mur.

Je n'essaie même pas de me relever. Je toussote, j'ignore mes blessures, je me concentre sur les quelques gouttes de magie qui ont sombré dans mon ventre. Elles ne l'auront pas.

Je n'ai pas peur.

Je les attends.

C'est avec un sourire narquois que les deux jumelles s'approchent de moi pour me tuer.



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