Chapitre 16 : La Sociopathe
" Le jour où tu me verras verser une larme pour toi, c'est que j'aurais raté ma vie. " - Emma
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Rapides et tranquilles en même temps, les pneus de la Volvo donnent l'impression de rouler sur du beurre. Le son des roues qui glissent sur l'asphalte est tout simplement reposant, doux, comme le ronronnement tranquille du moteur. Seuls les arbres qui défilent par la fenêtre me laissent prendre conscience de la rapidité de la voiture...
La forêt est floue.
Je me fige.
- Damen, tu veux notre mort ou quoi ?! Ralentis !
- Y a quoi ?
- Y a une route glissante, des arbres partout et des animaux dangereux !
Référence à l'énorme loup qui s'était planté au milieu de la route et responsable de mon accident. Imagine il revient ? On va finir dans un arbre.
Le gars pouffe de rire en levant les yeux au ciel, inconscient. Mais il m'écoute quand même.
Parce qu'on arrive en ville. Enfin.
Des milliers d'émotions contradictoires m'assaillent simultanément. C'est à la fois bizarre, à la fois merveilleux. Revenir ici... Rentrer à Storybrooke. Punaise. Les rues sont plongées dans le noir total, mais je peux quand même observer les bâtiments toujours aussi blancs, modernes et écaillés, la route toujours aussi neuve, les volets tous verrouillés, les voitures toutes inexistantes. Les réverbères qui s'allument et s'éteignent à mesure qu'on passe devant. L'ambiance toujours aussi calme. Je sais pas à quoi je m'attendais, mais c'est presque rassurant. L'atmosphère si paisible d'une ville fantôme que personne à Boston ne semble connaître... On est vraiment reclus du monde, ici.
Mon chauffeur longe la Grand-rue, passe à l'angle du grand clocher, puis devant l'Auberge Granny, la boutique de Gold... De loin, j'aperçois même Mifflin Street, la rue où vit Henry. Je me demande ce qu'il fait...
Oui, parce qu'à cinq heures du matin, il peut faire plein de trucs, ce gamin.
- Taxi à domicile !, commente Damen en roulant doucement dans la rue endormie, jusqu'au loft d'Elena. T'en as, de la chance !
J'hoche le menton. Avec un faible sourire. Mais je sais vraiment pas quoi faire. Les volets sont fermés, je peux pas savoir si Elena est rentrée ou non... Mais j'ai les clefs. Je récupère mon sac à main et mon chapeau, restés à l'arrière lorsque Bart et Franz m'ont enlevé, et ouvre ma portière. Je mets un pied dehors...
- Qu'est-ce que tu fais ?
Sa voix est presque accusatrice.
- Bah... Je rentre.
- T'attends même pas la Cérémonie des Cadeaux ?
.... Ouaaah, il a un sacré blème, celui-là. Je fronce les sourcils, la main toujours sur la poignée, et j'attends. Damen me demande de fermer les yeux, ce que je peine à accepter. J'ai... plus trop confiance, depuis les toilettes... Ça me fait tellement bizarre d'y repenser ! Je me tourne vers la vitre en me cachant les yeux. Il ouvre la boîte à gants. Ah... Il avait vraiment des cadeaux, en faite. Qu'est-ce que c'est ?
- Tu gardes les yeux fermés, hein ?
- Oui, oui, ris-je.
Damen, en faite, il peut vraiment faire son âge. Ou peut-être plus un an de moins, mais c'est pas un soucis. Il fait ses dix-huit ans. Mais là, en mode "Cérémonie des Cadeaux", il a tellement l'air gamin ! Mais gamin dans le sens adorable, moi j'aime bien. Je l'aime bien, ça va. Il est... gentil. Maintenant.
- C'est facile de deviner, murmure-t-il en déposant quelque chose sur mes genoux, mais bon. Vas-y.
Bon... Il va pas m'embrasser, hein ? Je me décroche de la vitre, yeux toujours fermés, et commence à tâtonner l'objet froid pour deviner de quoi il s'agit. Mes doigts se mettent immédiatement en contact avec la crosse en métal et la gâchette. Je boude.
- T'es dégueulasse d'avoir volé mon arme.
- Ah, ça y est, on utilise les grands mots ! Je te l'ai emprunté, Princesse ; la preuve, je te la rends.
- En tant que cadeau ? Pff...
- Tu me pardonneras bien un jour. Allez !
Il repose autre chose sur mes genoux.
Je touche le... miiiiinuscule petit truc qu'il vient de déposer. Froid aussi. Beaucoup plus petit qu'un pistolet. Très, très petit... Avec une épingle à nourrice au dos... Qu'est-ce que c'est ? Je tâte encore un peu en frottant mes doigts sur les incrustations, passe l'index sur les bords et compte les petites pointe qui s'y trouvent. Il y a... six branches.
...
Damen se remet à rire, sûrement en voyant la tronche que je tire. Éberluée, je pose la main sur mon cœur... Non, je l'avais mise sur ma ceinture. Je cherche... Naaan ! Mes prunelles s'ouvrent en grand devant l'étoile dorée.
- Naaan ! T'as piqué mon insigne ?!
- Je te la rends !, s'esclaffe-t-il face à mon visage complètement fermé.
- Mais quand est-ce que tu me l'as prise ?!
- Au Taj Mahal, quand tu dormais.
Je me fige, choquée. CHOOOOQUEE !! Attendez, je l'avais agrafée à la ceinture de mon short ! Et lui, il... il me l'a volée pendant que je dormais ? Sans le faire exprès, ma tête finie envahie par des milliards d'image où les mains de Damen tripote mes hanches pour me voler l'étoile de Shérif...
Et bam ! Une tarte derrière la tête.
- Aïe !
- Refais plus jamais ça !, le grondé-je en dressant l'index.
Et ce con rit aux éclats.
- Pfeu ! (Je raccroche furieusement mon étoile sur ma ceinture). Humour douteux, très cher.
- Oh, commence pas à dénigrer mon humour alors que tu l'adores.
- Ha ! HAHAHA ! Ça, c'était une belle preuve d'humour, par exemple. Progression rapide.
- La ferme, grognasse-t-il en mettant une pichenette sur mon chignon coiffé-décoiffé. Enfuis-toi, tiens.
Je secoue le menton en souriant, et mon regard incontrôlable se tourne une nouvelle fois vers le sien. Je ne sais pas combien de temps on reste en pause. Pas trop longtemps, j'imagine. Mais ça m'a l'air d'être des heures... M'engouffrer dans son regard, dans ses grands yeux si étranges, si magnifiques, c'est peut-être la première chose que j'ai adoré faire avec ce mongole. Il est vraiment beau, vraiment vraiment... bref. J'incline le visage sur le côté.
- Tes yeux sont plus clairs, observé-je.
Ils sont presque corail... Et des cernes comment à s'étirer sous ses yeux. Serait-ce possible qu'il soit fatigué, en fin de compte ? Fatigué, ou affamé... Peut-être normal ? Il fronce le nez.
- Si tu veux pas faire de cauchemars, on s'expliquera plus tard. En plus, tu tombes de fatigue.
- Toi aussi, l'Insomniaque. T'as intérêt à dormir dès que tu rentres !
Par excès de gentillesse, je lui concède un clin d'œil avant de m'extraire de la bagnole. Je peux plus l'encadrer, cette Volvo. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie dedans...
- Si je rentre, chuchote-t-il pour lui-même en enclenchant la marche arrière.
Je me retourne directement.
- Hey ! (Je cours du côté conducteur. Il stoppe ses manœuvres en me regardant sans comprendre.) Tu rentres chez toi, là ?
Il hoche lentement le menton en gardant mains et regards posés sur son volant. Je pose les mains sur le rebord de la fenêtre et le regarde avec insistance.
- Tu me mens pas, d'accord ?
Il accepte de tourner sa tête vers la mienne. Hm... On est un peu près, là, non ? Un faible sourire illumine son magnifique visage.
- On se voit au poste demain, promet-il.
Ouah... Comment il a su que... ce qui m'inquiète, c'est qu'il retourne à Boston... ? Il est fortiche, celui-là. Je me redresse en souriant, relevant un pan de mon chapeau, et tourne les talons. Il démarre. Il s'en va. Je rentre ; la porte était déverrouillée. Ça ne ressemble pas à Elena d'être si peu prudente. Je passe discrètement ma tête dans l'entrebâillement, et...
Une bouffée de soulagement m'envahie. Elle est là. Elle va bien.
Assise sur un des tabouret élévateur, elle souffle sur la fumée qui flotte au dessus de sa tasse de chocolat chaud. A la cannelle, deviné-je. Elle pousse un petit soupir nostalgique en regardant par la fenêtre, puis elle repose sa tasse.
- Je n'ai même pas faim..., se parle-t-elle toute seule en commençant à remballer furieusement des croissants et des pains aux chocolat dans un sachet en papier.
Elle prend son dej à cinq heures ? Un grain dans son crâne, quoi.
- MOI, SI !, crié-je à la cantonade en ouvrant grand le battant.
Elle sursaute par la surprise et tourne vivement la tête vers moi. Ses grands yeux marrons-verts se mettent à luire sous le coup de l'émotion.
- Emma ?
D'un coup, c'est comme si je revivais. La lumière tamisée du salon, l'ambiance chaleureuse, mon petit cocon propre et douillet qui n'attendait que nous pour pouvoir exister. Elle, qui vient de quitter les barreaux. Moi, qui reviens d'un incroyable séjour... Je retrouve toute mon énergie. Je balance mon sac à main sur le canapé, me débarrasse en vitesse de mes sandales, les bras grands ouverts, un visage illuminé.
HOME SWEET HOME, BORDEL !
- Comment ça va donc, Madame la Meurtrière ?!
Un long sourire lui fend le visage, et ses pommettes hautes se soulèvent encore plus. Elle éclate de joie.
- Emma !
Et bondit de son siège, et cours dans ma direction, et me sourit si fortement, et me plonge dans les bras. Si joyeuse, si soulagée, si heureuse de me revoir. Je la serre contre moi sans réfléchir, juste guidée par ma joie commune.
PDV Omniscient
Il se fissure. Comme une déchirure qui remonte et traverse, transperce, agresse l'immense édifice. Par cet acte anodin, ce petit serrage dans les bras, Emma s'ouvre à une personne. Une seule. Enfin... Tout à l'heure, aux toilettes, elle n'est pas restée insensible non plu. Et en comptant Henry et Ruby, on peut donc parler de quatre personnes. Damen, Elena, Henry, Ruby. Une petite famille avec qui elle peut tout faire.
Ça y est. La preuve véritable qu'elle a changé. La preuve qu'elle est capable d'aller de l'avant. La preuve qu'elle met de côté son passé douloureux.
Elle serre Elena si fort contre son cœur que même l'institutrice en est éberluée. La fissure remonte. Tout doucement, avec du temps, le mur finira par s'écrouler.
PDV Emma
Le lendemain, dix-sept heures
Eh bah. Il date, celui-là.
Après Elena, c'est le premier storybrookien que je croise. Sur le trottoir du Café Granny, il s'est installé sur sa moto, elle-même sous un arbre, les jambes croisées sur le guidon et le dos contre le tronc tandis qu'il astique son casque de motard en sifflotant. La belle vie.
- Tout est bien dans le meilleur des mondes, on dirait, commenté-je en passant près de lui.
Il cesse d'astiquer et de sifflet en levant les yeux, la bouche en "O" comme s'il allait poursuivre sa mélodie. Puis un petit sourire charmeur s'invite sur ses lèvres. Ah, on le retrouve !
- Quand le Shérif est en ville, tout va bien, oui !, acquiesce-t-il sans plus me regarder, concentré sur sa tâche.
- Mon absence était si dure ?, m'étonné-je avec une secrète culpabilité en tirant une chaise de la terrasse jusqu'à coté de lui.
Ouais, je suis d'humeur à me taper la discute, cet après-midi. Je me suis réveillée il y a une heure, Elena est en courses, et j'ai encore quelques minutes de pause avant de reprendre mon job. Calm down !
- Oh, on a survécu !, ricane-t-il en me regardant enfin (le mec ben concentré dans son astiquage, vous voyez). Mais bon. C'est quand même mieux quand il y a un représentant de la loi en ville.
- Deux représentants, rectifié-je. J'ai un associé.
- Ah ? Qui est l'heureux second ?
L'heureux second qui a bien accepté de revenir bosser au commissariat, pas vrai ? "On se voit au poste demain."... Je retiens ! Il a pas intérêt à me faire le même plan que pour la soirée de naissance de ma filleule !
OH ! MA FILLEULE ! Faut que je la vois, Marraine indigne !
- Il s'appelle Damen Cullen, lui réponds-je juste. Il doit être dans le coin, alors vous pourrez... le... voir...
Je cesse peu à peu de parler en observant Caleb Sumpter qui s'est figé comme une statue sur sa selle. Au moment où j'ai prononcé le nom de Damen, l'éponge avec laquelle il lave son casque a frotté et dérapé un peu trop fort. Elle grince.
Il lève lentement la tête vers moi, et l'étincelle d'amusement habituelle que j'y décèle est remplacée par... quelque chose de... d'inquiétant. Qui me fait peur. Les yeux noirs de Caleb ne me lâchent plus.
- Comment vous l'avez appelé ?, me redemande-t-il en traînant les syllabes comme un prisonnier tire ses chaînes.
- D-Damen... Cullen, bredouillé-je, paniquée par la couleur olivâtre que prend sa peau d'ordinaire si mâte. Quoi ? Que... enfin, vous le connaissez ?
- Oh, fait-il en regardant un point en face de lui. Oh... Oh.
- Caleb, sérieux ! Il se passe quoi ?
Je secoue ma paume devant ses yeux. Ils restent vagues.
- Caleb ! Ah mais il a pas changé, en faite, hein ! CALEB SUMPTER !
Il ne répond pas, la bouche entrouverte de stupéfaction. Puis ses yeux récupèrent leur joie et leur narquoiserie quotidienne. Il secoue la tête avec un faible sourire et se tourne vers moi.
- J'ai remarqué que vous aimiez beaucoup mon prénom. Je me trompe ?
- Bordel, qu'il est con.
Tandis qu'il rit aux éclats et que je m'en vais, ma chaise dans les bras, je me rends compte que le Café n'a jamais été aussi plein ! Je traverse la porte, impatiente de revoir les têtes des habitants.
Et toutes les discussions s'arrêtent.
Wow. Le Shérif qui rentre dans le Saloon. J'adore !
Et ça part dans tous les sens.
Jeunes et vieux, habitués ou petits nouveaux, tout le monde me hèle ou m'invite à sa table avec de grands moulinets de bras, me saluant, prenant de mes nouvelles, demandant où j'étais passée alors que la ville avait tant besoin de moi. Mon sourire veut dire : "J'ai été kidnappée par le fils de votre médecin préféré au compte du Maire, puis on a parié des sous au Casino, j'ai été menottée au lit, un pervers m'a fait une proposition bizarre en ville, on a failli crever sous les balles d'un malade mental, j'ai rencontré une pétasse de quarante piges dans un club de vacances, j'ai soupçonné Damen d'être un mutant, ce qui explique notre dispute dans un Cottage de jeunes mariés, puis j'ai fini la soirée en boîte, menacée par deux bookmakers irlandais se servant de moi comme appât pour capturer Damen, ado ruiné qui m'a embrassé dans les chiottes, m'a ramené à vous et n'a pas réfléchit à la manière dont Regina prendra la nouvelle de notre retour !" Ah, quel beau séjour ! Une vraie balade de santé !
Je me glisse sur un tabouret au comptoir, à côté de Leroy. Il me reconnaît instantanément.
- La délinquante !
Je le fusille du regard.
- L'ivrogne !, grognassé-je sur le même ton. Je pensais que tu restais fidèle envers les vieux potes.
- Tu veux dire entre potes qui ont déjà roupillé sur les couchettes du commico ?
- Exactement. Je suis déçue, là.
Il secoue la tête en souriant, puis me commande une omelette et du bacon grillé. Comment ils e doutait que je venais prendre mon petit dej à dix-sept heures ? Je le remercie du regard en piochant deux tranches de pain dans le panier mis à la disposition des clients. Pas le temps de croquer dedans, par contre.
- OH, LA PRINCESSE ! NOTRE SHÉRIF BG ADORÉE !
Et là, y a deux bras qui jaillissent de nulle part et qui s'enroulent autour de mon cou, qui me font basculer en arrière, et la même voit qui crie et rit... c'est assez terrifiant.
- Ruby, tu m'étrangles !
- CHÉRIE, T'AS PERDU DES JOUES, QUOI ! Tes grosses joues toutes rondes ! (Elle me pince mon... reste de joue. Je grimace.) Mais t'as encore bronzé ! Qu'est-ce qui t'es arrivé ?!
- Ça promet, commente quelqu'un derrière elle.
Malgré ma posture qui me permet de voir le monde à l'envers, je réussie à reconnaître les jambes de Sumpter. Le motard jette des billets sur le comptoir et me paye un Milkshake. Quoi ? Qui lui a vendu la mèche ?
- C'est du favoritisme, se lamente-t-il, subjugué par le déni de la clientèle. J'arrive avec vingt dollars et on m'ignore alors que elle... C'est le chapeau de cowboy qui fait la différence ? Parce que si c'est le cas, je peux me ramener clope au bec avec mon casque sous le bras, y a pas de soucis.
- T'as pas l'insigne, mon pote !, ricané-je, et Ruby m'autorise enfin à me rasseoir. La cour des grands est sur la lune ; toi, t'es resté au puits à souhaits. (Haussement d'épaules nonchalant.) Retente ta chance dans quelques générations !
- Elle est réveillée, aujourd'hui !
Reniflement piteux. Il balance trois dollars supplémentaires sur le comptoir avant de disparaître. Les plus proches de la scène éclatent de rire, ou m'applaudissent. CALMOS, LES AMIS ! Caleb est génial, j'aime bien blaguer avec lui. Là, on jouait ; c'était pas une manière de se défier, ou je ne sais quoi. Il en est conscient ! ... J'espère !
Je fronce le nez et mords enfin dans mon pain à la noisette. Ruby pose ses fesses sur le tabouret d'à côté.
- Alors ?, quémande-t-elle en posant les coudes sur le comptoir et sa tête sur sa joue, comme si j'étais sur le point de lui raconter la plus tendre des histoires.
J'aime bien Ruby. Et sa simplicité. J'avale ma bouchée avec un grand sourire.
- Un verre de jus d'oranges, s'il te plaît !
- Mais nan, ça on s'en fout ! (Euh... Pas moi ?) Je veux savoir ce que tu fichais avec Damen Cullen. DAMEN, QUOI ! Bon Dieu, je l'ai à l'oeil depuis que je le connais, et j'ai jamais pu décocher un rendez-vous, et toi... (Elle tire sur une boucle de mes cheveux.) Crois pas que je sois jalouse ! Maintenant, j'ai Will, et il est ce qui me convient... MAIS TOI, T'ES UNE VEINARDE !, ajoute-t-elle en hurlant presque, et j'ai juste envie de la baffer, sur l'instant.
- A croire on s'est marié, quoi ! Il m'a juste kidnappée.
- Ouaaah !
- Il m'a foutue dans le coffre de sa bagnole.
- Alors ça, c'est hot !
Elle a rien compris à la vie, celle-la. J'éclate de rire lorsque Granny La Bipolaire passe derrière le bar et fait glisser devant moi l'omelette et le bacon que Leroy vient de me payer. Bipolaire, parce que même si la gentille grand-mère se répand en paroles adorables sur mon retour, Ruby se paye les foudres d'une gérante débordée. Alors, sous l'oeil vigilent de Granny, elle m'écoute en faisant la vaisselle. J'ai eu le temps d'avaler mon omelette, au moins.
- Et alors ? Ensuite ?, s'impatiente-t-elle.
- Mmmh... Mon jus d'oranges ?
- Rho, Emma ! (Je vois qu'elle va me le servir à contre-coeur. Quelle pourrie gâtée ! Je ris encore.) Raconte !
- Bah... Trop long d'expliquer pourquoi on a fini à Boston, mais j'ai continué l'enquête de Kathryn Nolan même là-bas. Je pensais être sur la piste du vrai meurtrier parce que notre voiture s'est faite fusiller en pleine route, mais...
OK, vu la gueule qu'elle tire, va falloir tout recommencer. Je soupire, coupe ma tranche de bacon, et...
- Shérif Swan !
Je me retourne directement. Plusieurs clients se penchent vers les fenêtres pour voir ce qu'il se passe dehors. C'est d'ailleurs le Docteur Whale qui m'a alerté. Et ce n'est que maintenant que les bruits me viennent. Une grosse engueulade. Avec des voix que je connais.
- Merde.
J'empoigne en vitesse mon chapeau, me le plante sur le crâne et file vers la sortie. Les voix montent d'un ton.
- Commence pas à balancer des conneries parce que ça va m'énerver, et toi-même tu sais jusqu'où j'peux aller, Caleb !
- De quoi il parle ? On se connaît ? C'est toi le premier qui m'a regardé de travers, et toi-même tu sais que j'aime pas ça, "Damen" !
Enragés, les deux gars se cognent presque torse contre torse et se repoussent sauvagement au même moment.
- TOUCHE-MOI ENCORE, SALE CHIEN, ET TU VAS VOIR CE QUE J'TE-
- EH BAH VAS-Y !, fulmine Caleb en ouvrant grands les bras. Bas-toi !
Fichtre, mais qu'est-ce que ceci qui vient au jour ?
- Hey !, m'interposé-je direct, on baisse d'un ton, et son taux de testostérone en même temps. OK ?
En bon petit flic, je me cale entre eux, qui se séparent sans attendre. Je détaille du regard le visage de Caleb ; furax comme je l'ai jamais vu. Je savais même pas qu'il pouvait être furax ! Je l'ai jamais vu comme ça, et il fait peur. Il me couvre d'un regard incendiaire. Et je dirige le mien vers Damen.
...
Là, c'est un truc de malade.
Ils arrêtent de s'épier avec toute la haine du monde. Ils se connaissent donc. Depuis longtemps, d'après ce que je viens d'entendre. Mais rien de tout ça n'est le plus choquant. Ce qui me fait baisser mollement les bras, le visage décomposé, ce sont leurs yeux.
Les prunelles de Caleb noires comme l'onyx ne m'étonnent pas.
Ce sont celles de Damen... Noires aussi.
Qui me rappellent qu'on a des tas, et des tonnes de choses à se dire.
+++
- C'est réglé, maintenant, alors oublie tout.
- Y a absolument rien de réglé, si tu veux savoir. Rien du tout.
Énervé, il tourne la tête vers la vitre de la Volvo en m'ignorant avec soin. Ouais, on est de retour dans cette fichue bagnole. Afin d'éviter les conflits, je me contente de regarder par la fenêtre.
Arbres flous. Grr.
- Ralentis, soupiré-je machinalement.
- La prochaine fois, t'iras à pieds !
Il grognasse encore, mais m'écoute quand même. Je pince les lèvres. C'est gentil, ça ; du Damen tout craché. Sec sans raisons valables alors que j'endure tout sans rechigner. Notre discussion qu'il reporte sans cesse, son lien avec Caleb Sumpter, les arbres qui défilent à deux cent à l'heure... Purée, je suis tellement trop gentille avec lui. J'ai perdu de la fermeté.
- La vie n'est pas un long fleuve tranquille pour tout le monde, Emma, dit-il après quelques instants, comme si son explication pouvait pardonner son comportement. T'as pas besoin d'entrer dans les détails de ma vie, et donc de mes problèmes.
- Et Caleb fait partie de ta vie ou de tes problèmes ?
- Je veux pas t'entendre prononcer son nom.
Prononcer son nom ? On en est à ce point ? Je le fusille du regard en croisant les jambes avec mépris.
- Débile, va !
Il n'ajoute rien, hashtag la super technique du "NeRienDirePourNePasLaTuer". Sauf qu'elle perd de son emprise sur moi, vu que je fais exactement la même. Alalah, si cette technique n'existait pas et que les regards pouvaient tués, on serait deux cadavres asservis...
Parce que c'est bordel de marrant, n'empêche, le fait que Caleb devienne pâle comme un linge lorsque je lui annonce que Damen bosse au commissariat ! Et on se bidonne de rire quand on assiste au clash Damen VS Caleb dans la cours de Granny, prêts à s'étriper sur place ! MAIS LE MEILLEUR, c'est quand le Damen me sort que "c'est réglé, maintenant, alors oublie tout" ! Oui, Emma, no soussay ! Hakuna Matata ! JE SUIS PAS NÉE HIER, MERDE !
Bref, bouillonnant de rage, je garde le silence tandis que Damen se gare sur le parking de l'hôpital. Et le voir tendu, crispé, énervé contre moi... J'sais pas pourquoi, mais ça crée un petit flash dans ma tête. Je percute qu'on ne s'est même pas dit bonjour. Je n'ai même pas eu le temps de savourer le fait qu'il ne soit pas retourné à Boston. Même pas eu le temps d'être... heureuse qu'il soit là. Il nous a foutu d'emblée dans la merde. Encore.
- Des fois, tu me saoules tellement...
Il coupe le contact en levant ses yeux - noirs, putain, j'y crois à peine - vers moi. J'ai lâché ma phrase d'une petite voix complètement... désespérée. Dégoûtée qu'il... que ce con ne pense pas que... Argh, bordel ! Je sors avec empressement de la Volvo, et me mets quasiment à trottiner vers les portes de l'hôpital. Quel... quel connard ! Putain, il me retourne la tête, je sais même pas pourquoi je me vexe pour un rien, ou pourquoi ça me blesse tellement qu'il... qu'il se foute de ce que je ressens ! Merde, quoi ! Je... ARGH.
- Me dis pas que tu pleures.
Je tourne mon visage dans sa direction - il est à ma droite, marche à ma vitesse, et a l'air choqué. Enfin, moins, maintenant que mes yeux secs le poignardent cordialement. Je mets direct les choses au clair :
- Le jour où tu me verras verser une larme pour toi, c'est que j'aurais raté ma vie, pestiféré-je.
Et sur ces nobles paroles, je pénètre dans la salle d'attente où j'ai l'impression de passer ma vie (avec la Volvo et le commissariat), traverse l'allée de chaises et de tables à magazines et atteins la paroi vitrée qui nous sépare des lits des malades. Dont LA malade que tout le monde croit morte depuis des semaines. LA fameuse malade pour laquelle j'ai travaillé nuits et jours, du soir au matin...
Kathryn Nolan.
Recroquevillée sur son flanc droit, elle paraît plus menue et fragile que jamais. Elle a énormément maigri, ses cheveux ternes, son visage creux... Mais un léger sourire fait frissonner ses lèvres. Les yeux toujours clos, elle murmure :
- Vous êtes de retour, tous les deux...
Une voix à fendre le cœur. Je lance un bref regard à Damen... NON, MERDE ! On est censé être fâché ! Rha, la poisse ! Contrôle tes yeux, purée ! Je me ressaisis en m'intéressant à nouveau à la malade. Elle était si énergique, débordante de joie de vivre... Mon Dieu, mais qu'est-ce qu'on a du lui faire ?
- On ne voulait pas vous déranger, Kathryn. On reviendra quand vous serez réveillée.
- C'est déjà le cas, restez !
- Vous devriez vous reposer, ça ne me dérange pas de... (Mes yeux balayent ses bras. Plein de cicatrices, de griffures.) Je... Ouah.
- C'était très explicite, commente Damen.
Hm, hm, explicite. Je le foudroie du regard. Kathryn se met à rire.
- Allez, restez, ça fait toujours plaisir d'avoir un peu d'agitation autour de soi. Attendez que je me redresse, sourit-elle en essayant de s'asseoir.
Pouh, elle est si maigrichonne que je crains qu'elle ne se brise un membre en se relevant toute seule ! Chacun d'un côté du lit, Damen et moi la tirons avec délicatesse jusqu'à ce qu'elle soit assise. Mon acolyte bombe son coussin dans son dos, et je lui sers un verre d'eau. Car elle doit avoir des tonnes de choses à raconter, alors...
- Vous êtes donc de retour dans la police ?, s'étonne Madame Nolan en croisant ses mains sur son ventre.
- Officiellement depuis aujourd'hui, oui.
- Et vous voulez que je vous raconte ce qui m'ait arrivé ? (On hoche la tête. Je lui tends son verre d'eau.) Eh bien je ne le sais pas moi-même.
....
D'accord. Un brin d'humour, j'imagine.
- Je ne me rappelle de rien, ajoute-t-elle.
Ouaw.... Ouah.
- Même pas une odeur, un visage... ?, tenté-je, le tout pour le tout.
- Rien. Rien du tout, Emma. C'est le néant, et c'est très frustrant... Le Docteur Cullen - il est chargé de mon dossier - m'a fait une prise de sang ce matin qui révèle que j'ai été droguée.
- Mais vous vous rappelez peut-être de ce qui s'est passé avant ?, espère Damen, dialectique.
Ah, pas bête ! Je n'aurais pas pensé à lui demander, et c'est pourtant un point fort de l'Affaire Kathryn Nolan. Qui l'a kidnappée, où elle fut séquestrée, ce sont des questions qui peuvent être réglées après celle-ci : comment en est-elle arrivée à là ? Car le grand flou de l'affaire, c'est le début.
- C'est assez flou, mais oui. J'avais décidé de quitter Storybrooke, mais j'ai eu un accident à la sortie de la ville. (A ce moment-là, j'étais avec Caleb Sumpter au puits à souhaits, et David m'avait appelé parce qu'il avait retrouvé la voiture de Kathryn au milieu des bois.) J'ai suivi la route pour rentrer, mais... (Elle déglutit.) Enfin... Quelqu'un m'a prise et m'a jetée dans un coffre...
Elle pâlit à mesure que les souvenirs lui reviennent. Je m'en veux de lui faire subir ça... de remuer le couteau dans la plaie. Mais ce n'est pas la première fois, et on ne pourra pas clore l'enquête sans attraper le coupable.
- Vous n'avez pas vu la voiture ?, réessaye Damen.
Je le regarde de biais. Il est archi concentré sur Kathryn, il réfléchit, il pose des questions... Concerné à deux mille pour cent. A croire que c'est lui, le Shérif. Heureusement qu'il fait bien son travail, en tout cas, parce que je me sens pas dans... Ouais. Bizarre à dire, mais je me sens pas dans mon élément... Je me sens bizarre, en faite, comme si cette affaire me... touchait personnellement. C'est ultra bizarre, quoi. Psychique.
- Non, soupire Kathryn en réponse. A vrai dire... A partir de là, je n'ai plus revu le jour.
- What ?!
L'exclamation a fusé d'elle-même, jaillissant de la bouche de Damen comme une balle de pistolet.
- Enfermée dans le noir pendant des semaines ?
Je me sens pâlir.
Enfermée... Dans le noir...
Quelques images traversent mon esprit. La cave, les pommes de terres pourries, les rats, l'humidité, l'odeur, et... ce qui c'était passé juste avant... ARGH, NON ! Non, je... Pas besoin de me rappeler de... Oh, Seigneur. Elle a vécu la même chose que... Oh, putain !
- On me nourrissait, nuance cependant Kathryn. On ne me parlait jamais mais là où j'étais, je trouvais toujours une sorte de Tupperware dans lequel il y avait toujours de la nourriture. Il y avait de l'eau, aussi. Mais vu que j'étais dans le noir, je n'essayais pas de m'aventurer ailleurs.
- Et ensuite ? Comment vous avez fui, on vous a relâché ?
Elle penche la tête à droite et à gauche en pinçant les lèvres.
- Hum... Disons oui et non, en faite... Hier, une porte que je n'avais jamais vu s'est ouverte, et je m'y suis précipitée automatiquement. Elle donnait sur la forêt. Je ne me suis même pas retournée, de peur de voir que j'étais poursuivie.
Plongé dans son récit, Damen ne fait attention à rien d'autre. Je tombe assise sur une chaise, couverte de sueurs froides. Des bribes d'images s'aventurent devant mes yeux ; je secoue fermement le menton pour les chasser.
- J'ai ensuite couru dans les rues et ma tête s'est mise à tourner. Comme par hasard, il n'y avait personne. C'est juste à un moment, lorsque j'étais vraiment trop fatiguée, que je me suis effondrée au pied d'un arbre, et Ruby sortait les poubelles de l'Auberge. (Elle sourit à ce souvenir.) Je suis désolée de dire ça, mais le hurlement qu'elle a poussé en me voyant m'a tellement rassuré que je me suis évanouie de fatigue !
- C'est naturel que Ruby ait hurlé, interviens-je, c'est elle qui a retrouvé votre cœur. (Pause.) Enfin du coup, ce n'était peut-être pas le votre...
- J'aime bien le "peut-être", dit Damen avec un grand sourire.
Mes yeux se tournent d'instinct vers les si... Rhaaaa, merde, je m'en fous, on n'a qu'à pas être aussi spaces l'un avec l'autre ! M'en fous, je décide qu'on est plus fâché ! Comme ça j'ai le droit de le regarder. Pfeu.
Et... Depuis quand les médecins nous ont-ils rejoins ? Ils se sont fait bien discrets.
Les Docteurs Whale et Cullen se sont installés sur le lit d'à côté, ils devaient sûrement écouter l'histoire de Kathryn. Je les salue, ils me le rendent avec de charmants sourires. Damen abandonne le chevet de Kathryn pour se placer près de son père... Eh, mais attendez ! Ils ne se prêtent pas d'attention particulière, ils regardent Kathryn... Ça veut dire qu'ils ne viennent pas de se retrouver. Damen est donc retourné chez lui cette nuit. Il m'a écouté ! Une petite pointe de fierté me fait sourire un peu trop longtemps, jusqu'à ce que Whale prenne la parole.
- Oui, en effet. Nous ne savons plus d'où sort ce cœur, acquiesce-t-il.
- On est en train de cuisiner tous les infirmiers pour savoir lequel d'entre eux a falsifié les résultats, poursuit Carlisle Cullen.
- Attendez, vous voulez dire que... quand j'ai disparu, vous croyiez que j'étais morte ?
Je pose un regard plein de pitié sur celle qui a parlé. Ma pauvre Madame Nolan, si vous saviez !
- Votre ADN correspondait à celui du cœur qu'on a retrouvé. (Elle a la bouille de l'incomprise... OK, je m'y colle !) Bon, je vais vous expliquer : on a retrouvé un cœur enterré sur la plage du pont à péages dans le coffret à bijoux de Mademoiselle Blanchard. Et chez elle, j'ai trouvé un couteau de chasse caché dans notre conduit d'aération, et... Enfin, tout portait à croire qu'elle vous avait assassinée. Elena a passé des semaines derrière les barreaux.
- Un coup monté pour rien, souffle mon acolyte.
- Mais qui pourrait avoir l'idée monstrueuse de faire tout ça ?!
J'hausse les épaules. Si on avait la réponse, tout irait bien vite...
- A mon avis, songe Damen méthodiquement, vous n'étiez pas visée. On s'est servi de vous pour faire du mal à une autre... A mon avis, c'est après Elena Blanchard que votre ravisseur en avait.
Mmmh. C'est certain, même. Piteuse, j'hoche lentement le menton avec une mine triste. Je me demande vraiment qui... qui a assez de pouvoir pour séquestrer une femme loin des habitations de la ville, assez d'argent pour faire falsifier des tests ADN, assez cruel pour créer des montagnes de preuves contre la véritable victime de l'histoire : Elena.
....
- OH !
Je me lève d'un bond de ma chaise, complètement dégoutée de moi-même, de ma mollesse, de... BORDEL ! Ah nan mais je suis une grooooosse bouse, de pas avoir fait le lien plus tôt !C'est quand même pitoyable de pas avoir pigé !
Du pouvoir, de l'argent, de la cruauté ? Quelqu'un qui me surveillait, me mettait des bâtons dans les roues, qui appuyait la défense de David tout en veillant à ce que le sort d'Elena soit scellé ?
- Bordel.
- Il t'arrive quoi, toi ?, s'inquiète Damen, s'étant rapproché de moi. T'es devenue toute pâle, d'un c-
- Viens, on doit y aller ! (Je le tire par le coude vers la sortie.) Viens !
- Où ?
Une énième fois encore, mes yeux se plantent sévèrement dans les siens, sans faire passer un autre message que toutes ces émotions qui me submergent. Haine, fatigue, dégoût, tristesse, et le souvenir de toutes ces semaines de travail inutile alors que la réponse est évidente... Ça m'horripile.
- On va rendre une petite visite à Madame le Maire, tu veux ?
+++
Et COMME PAR HASARD, Regina est introuvable !
Mais l'aller vers sa maison a porté ses fruits tout de même. On a croisé quelqu'un, en train de sortir de chez lui pour sa séance chez le Docteur Hopper... Henry ! Il m'a tellement manqué, ce gamin. Il m'a fait un gros câlin en me revoyant, et... Enfin, ça fait plaisir, de voir qu'il reste super attachant, et démonstrateur de sentiments alors que je suis... pas comme ça, moi. Enfin, pas câline. Plus sèche, peut-être, mais je ne l'en aime pas moins. Il le sait, je pense. Ah, sale tête ! Il sait tout ce que je pense, toute manière. Mais bon, trêve de plaisanterie. J'ai regagné seule le commissariat en priant Damen de faire un tour avec le petit.
Pour trouver un plan, j'ai besoin de calme. Trouver un plan qui obligerait Regina à dire la... vérité...
- Purée, susurre-je, étonnée que le manège se reproduise.
La porte de mon bureau était déverrouillée avant que j'arrive. Comme le jour où Damen est revenu à Storybrooke... sauf qu'il est en balade avec Henry. Alors qui...
- Qui est là ?, aboyé-je en claquant la porte derrière moi.
Pff, pourquoi j'ai demandé ça alors que je connais déjà la réponse ?
Comme je m'y attends depuis deux secondes, car c'est toujours à la dernière minute que tout semble évident, je la trouve installée dans le canapé à côté de la cellule, jambes croisées, belle et propre dans une tenue blanche et noire comme elle les adore. Ses yeux me transpercent dès que les miens l'effleure.
Je balance sèchement mon sac sur mon bureau sans la quitter des yeux. Elle reste inexpressive.
- Félicitations, Shérif. (Sa petite voix mielleuse qui m'a tellement pas manquée...) Votre enquête a pris un tournant important, et vous aurez les explications que vous attendez.
Je me contente de croiser les bras.
- Mais avant toute chose, reprend-elle en se levant, je vous demanderais de tout écouter jusqu'à la fin pour comprendre enfin ce qu'il se passe.
- Oh, mais tout à fait. Vous devez avoir beaucoup de raisons pour av-
- Sidney, tu peux entrer, maintenant.
Hum... Pardon ?
Je la dévisage, bouchée bée, et me retourne. Comme s'il avait tout écouté de la petite conversation, le vieux Sidney Glass apparaît à la porte de mon bureau et y pénètre d'un pas timide et craintif, les mains dans le dos et les yeux bas.
Il nous rejoint au centre de la pièce. Le Maire imite ma posture en croisant également les bras et le regarde.
- Dis-lui ce que tu m'as dis, le prie-t-elle.
Je pressens déjà la douille, là... Sidney se tourne vers moi avec réticence.
- C'est moi qui ait enlevé Kathryn Nolan...
Ouais, c'est bien ce que je pensais. Ma mine se refroidie nettement.
- J'avoue tout, poursuit-il dans un soupir, théâtralement, comme si le poids de ses remords était devenu trop lourd. Je l'ai enlevé et l'ai emmené dans le sous-sol d'une maison au bord du lac, et j'ai payé un technicien du labo de l'hôpital pour falsifier les résultats de l'analyse...
Regina dresse, méticuleuse, son index.
- Et l'autre chose ?
- Ah oui. J'ai... (Sa peau déjà sombre se teinte de rouge.) J'ai emprunté un des passes de Madame Mills et j'ai dissimulé le couteau dans votre appartement...
- Mes clés, s'agace le Maire en tournant la tête vers moi. Je me sens personnellement trahie par cet abus.
Je hoche la tête en souriant à la bonne femme, comme si j'étais en entier accord avec tout ce qui vient d'être dit. Mais la réalité est toute autre.
- Depuis mon renvoi du journal, j'ai un avenir en miettes, s'explique le prétendu coupable : en retrouvant une femme kidnappée, j'aurais été vu comme un héros, serais devenu la clé de la plus grosse affaire qu'aie connue cette ville... J'aurais récupéré mon boulot, on aurait fait des livres, des films pour raconter cette histoire... (Il secoue le menton, se ressaisit.) Enfin je sais bien que maintenant, tout ceci parait insensé...
Ah ouais. Ah ouais... Ça prend des proportions inimaginables. Damen aurait hurlé de rire en entendant tout ça.
- C'est vous qui êtes insensé, m'énervé-je en levant les yeux au ciel. Toute cette histoire est complètement inventée !
- J'ai des plans chez moi pour localiser le sous-sol en question, se défend-il, malgré que s'avouer auteur d'un enlèvement n'est pas la meilleure des défenses. J'ai les clés de la maison chez moi, vous irez vérifier ! Il y a une échelle pour descendre dans le sous-sol, et il y a des empreintes partout, les siennes et les miennes. Mais j'ai pris soin d'elle, ajoute-t-il lentement pour s'efforcer de paraître convaincant.
Loupé.
Je garde un regard meurtrier planté sur l'homme qui me fait face tandis que Regina soupire, les yeux également sur Sidney.
- Cet homme est psychologiquement déséquilibré et fou à lier, ça saute aux yeux. Il n'est plus lui-même depuis quelques temps.
- En effet, plus lui-même du tout. Tant et si bien que ses paroles ont l'air d'êtres celles d'une autre !
Et je ne vise absolument personne, évidemment. Je me tourne avec une rigueur désappointée vers Madame le Maire. Piquée au vif, elle me décolle son regard le plus méprisant.
- Vous êtes tellement persuadée d'avoir raison que vous êtes incapable de voir la vérité lorsqu'elle sonne à votre porte, geigne-t-elle.
Euh, précisons que la vérité n'a pas sonné à ma porte, mais s'est plutôt introduite chez moi avec le passe du Maire pour planquer un couteau de chasse qui allait valoir la prison à perpétuité pour Elena, vous voulez ?
- Suivez-moi dans le couloir, Regina, la prié-je (mais c'est plus un ordre) en sortant moi-même, écœurée.
Attendez, non, je parie que... Je jette un œil derrière moi. HA ! HAHA, je l'ai pas manqué : presque imperceptiblement, Regina prend soin de poignarder Sidney du regard si cruellement... Il se contente de fermer les yeux, et la femme me rejoint. Oui, elle lui fait comprendre qu'il n'a pas réussi à paraître convaincant. Bordel de merde, j'arrive pas à croire qu'elle soit capable de tant de choses, cette sorcière ! Une vraie plaie, une garce, une cinglée ! Kidnapper une femme, la séquestrer si longtemps, tout ça pour essayer de briser la vie d'une autre, et faire porter le chapeau à un troisième personnage ! Des complots, du hors-la-loi, tout ça pour sa gueule ? Une ville entière angoissée, les gens qui ne se font plus confiance, son fils prêt à se mettre en danger pour m'aider à comprendre une enquête complètement... illogique ! J'ai passé des nuits blanches à crever mes yeux sur mon PC pour rassembler les éléments ; Damen a été contraint de quitter sa famille pour satisfaire les ordres de Sa Majesté... Qui est-ce qui va porter sa putain de paire de kiwis pour l'arrêter ?
Moi ?
Moi toute seule, ou moi avec le soutient inexistant de Gold ; dans tous les cas, c'est à moi de le faire.
Dans le couloir, les mains dans les poches de sa combi-short, elle me dévisage en attendant la suite. Qui ne devrait pas peiner à sortir. Quand on accumule pendant des semaines, le moment où ça pète, c'est facile d'avoir des arguments. Même si tout est mélangé. Mais commençons calmement, parce que je refuse de m'énerver dès le début... Un peu trop tard, mais tant pis.
- J'avais jamais entendu un bobard aussi gros.
Voix mesurée. Ça va. Je me contrôle pas trop mal.
- Vous avez tord de le voir ainsi.
- Pourquoi Sidney ?, demandé-je néanmoins. Pourquoi ce pauvre homme ? Et répondez-moi vite car je vous connais, et je sais que vous êtes celle qui tirez les ficelles du jeu afin que personne d'autre ne gagne. Mais je vais me mettre à jouer différemment. (J'avance d'un pas par phrase.) Je me moque de ce qui vous arrive. Et je me moque de ce qui peux m'arriver. Ce qui m'importe, c'est ce qui arrive aux autres. A cette pauvre Kathryn, à mes amis, à Henry.
- Je ne-
- Non, laissez-moi parler !
Si elle commence à me couper toutes les cinq secondes, ça va trop pas le faire, là. Elle se tait en me lorgnant d'un sale air.
- Vous êtes une sociopathe, Regina. (Elle hausse les sourcils face au terme choisi.)
Vous savez aussi bien que moi que les gens d'ici ont confiance en moi et qu'ils se fichent de mon jeune âge ; vous savez que Gold est de mon côté, que ni Sidney ni Elena ne sont impliquées dans la disparition, et si on remontait les précédentes affaires, vous savez très bien que Damen n'a pas quitté Storybrooke de son plein gré (Elle se trouble à ce moment-là.) ; vous savez que la mort de Graham Humbert n'a rien de naturelle ; vous savez que Henry n'a pas sa place près de vous.
Et cette dernière déclaration est la claque qui m'assure son silence jusqu'à ce que j'en ai finie avec elle. La mâchoire de Regina se décroche, et elle ne cherche même pas à reprendre contenance. Le silence est tel que j'entends même des bruits, à l'extérieur. Je regarde par la fenêtre ; Damen et Henry sont dans la rue, avec des glaces.
- Vous faites du mal aux gens qui m'entourent ; c'est déjà assez déplaisant comme ça. (Je reviens à elle.) Mais le pire, c'est que vous faite du mal à votre propre fils. Et ça, je peux pas l'accepter, que ce soit en tant que son amie qu'en tant que Shérif.
Mmmh... Elle m'écoute, elle m'observe, elle ne dit rien. Elles sont belles, mes menaces, mais qu'est-ce que... comment je finie la phrase ? Je me dépêche de réfléchir. Si je commence, je dois terminer... Mais sans me précipiter. Là, je parle d'un enfant. Je peux pas faire de faux-pas, surtout si c'est Henry...
Alors, si sa mère adoptive qu'il ne porte pas tant que ça dans son cœur a une si mauvaise influence que ça, qu'est-ce qu'il me reste à faire ?
- Je ne le confierais pas à long terme aux services sociaux, mais s'ils peuvent s'occuper de lui le temps que je lui trouve une vraie famille, je le ferais. (Je me redresse bien droite.) Je vais... (Ça... Ça peine à sortir, ça fait si longtemps que je... que je n'ai pas... J'avale ma salive.) Je vais vous retirer la garde de... mon frère.
+++
- Quoi ?
J'en laisse tomber mon verre d'eau au sol, qui se brise dans des milliers d'éclats blancs, noirs et verts – la tasse à imprimés vache d'Elena. Zut.
Damen se raidis sur son siège.
- Tout ça pour ça, soupire-t-il en roulant des yeux.
- Damen, est-ce que tu es sérieux ?
Il ne me regarde pas pendant un certain temps. Pesant certainement le poids de ses paroles. Puis ses yeux noirs comme l'onyx se plantent sur mon visage, aussi secs que doux, aussi familiers qu'inhabituels. Il a les yeux de Caleb, de Regina, et ça me froisse.
Il incline le visage avec une mine sarcastique :
- Je suis on ne peut plus sérieux, ma chère.
Sa phrase favorite, je crois. Si j'avais une deuxième tasse dans les mains, elle aurait rejoint la première.
Attendez un peu, on rembobine.
Mes menaces terminées, j'ai quitté d'un air de vainqueur le commissariat. J'ai rejoins Damen et Henry. Le petit est allé chez son psy, je suis rentrée chez moi avec mon... collègue, ami, ça dépend des jours ? Bref. On est seuls. Elena est avec David ; pas de chances pour qu'elle rentre avant dix-neuf heures. Je tiens donc le meilleur moment qui soit pour pouvoir ENFIN mettre les choses au clair ! Ses yeux bordeaux, puis rouges, puis noirs ? Je ne le vois jamais manger, ni boire, ni dormir ? Cette manie de comprendre ce que les gens pensent, comme s'il était... télépathe ? Et ce quatre-quatre noir qui aurait du me tuer, mais qu'il a repoussé de la main ; et sa vitesse, lorsqu'il donne l'impression de s'évaporer ; et sa facilité à me pister comme un chien de chasse ? Ça date, ce sont des vieux dossiers, des choses limites périmées qu'il a du espérer que j'oublie. Mais chaque fois que je dors, je revis ces événements paranormaux qui me font croire que Damen Cullen est plus qu'humain, et...
Et maintenant que je m'apprête à lui en parler, il... Il me propose de rencontrer sa famille ?
....
- Qu'est-ce que tu redoutes ? Parle-moi franchement. Viens, viens t'asseoir, souffle-t-il en indiquant le canapé du salon, lui-même se levant de son siège.
Je le suis des yeux lorsqu'il part s'installer sur la banquette. Il est si grand, et lorsqu'il marche, c'est d'une manière si agile et délicate, comme un danseur. Et il est si beau... Bordel. Je reste debout bien droite, et je le regarde seulement. Nos yeux se croisent.
- Viens avec moi, me redemande-t-il tout ce qu'il y a de plus charmant.
Sa voix n'a jamais été aussi douce, dépourvue de mauvaises intentions. C'est presque étrange. Je serre et desserre les doigts en le rejoignant sur le canapé. Non... Avant même de commencer à en discuter, autant dire que ce sera non ! Je commence à connaître Carlisle, le père de famille, mais c'est tout. Je ne connais pas leurs noms, ni où ils vivent, ni leurs âges, ni ce qu'ils font dans la vie... En faite, tout ce que je sais, c'est qu'ils sont sept. Damen, ses parents, deux frères et deux sœurs.
- Vas-y : dis-moi ce qui te dérange.
- C'est pas si facile...
Je baisse les yeux sur mes genoux et joue avec mes doigts. On reste assis à trente centimètres de distance.
- Parle, répète-t-il, sans s'impatienter.
Mmmgrrrragh, purée, je sens mes joues commencer à... Damen se met à rire. Rha, ça y est ! J'en étais sûre. Je déteste quand ça fait ça... Je sens mon cœur commencer à accélérer la cadence. Pour faire le change, autant le défier : je lève les yeux droits vers les siens.
- Je suis quoi, pour toi ?
Ha ha : rien de mieux pour le faire taire.
Son immense sourire s'efface progressivement, et il reste muet comme une tombe dix secondes, environ. Il réfléchit.
- Euh... Bah, je sais pas. Je suis quoi, moi, pour toi ?
- C'est ce que j'essaie de savoir depuis qu'on se connaît, ris-je en haussant les épaules.
Il sourit légèrement, tout en se creusant les méninges. Puis un éclair d'amusement traverse ses prunelles. Le bout des doigts sur le menton, il tourne son regard vers le sien. Ça y est, je sais ce qu'il va sortir... Je prie d'avance pour que mes joues baissent la température, parce que là...
- C'est à cause de ce qui s'est passé dans les toilettes, c'est ça ?
Je détourne le regard et rebondis sur carrément autre chose :
- Je veux juste que tu m'expliques pourquoi tu veux me faire rencontrer ta fam-
- Réponds-moi ; c'est bien à cause de ça ? Parce que je t'ai embra-
ARGH ! C'est automatique : je plaque ma paume sur ses lèvres pour le faire taire. Il paraît surpris, mais d'autant plus amusé par... mais qu'est-ce qu'il me saoule ! Je fronce sévèrement les sourcils, les yeux dans les yeux.
- Il ne s'est rien passé dans ces toilettes, planté-je sèchement, durement, pour être sûre que les choses soient claires.
Et je regrette aussitôt ces paroles.
Si. Si, il s'est passé quelque chose, et j'ai ressenti la meilleure sensation de toute ma vie. Comme si je défiais des lois que je me suis moi-même crée. Une part de moi qui se serait rebellée contre... moi-même. Et ça m'a fait du bien, à ce moment-là, et je refuse de l'oublier. Mais... Je veux que lui, il oublie. Qu'il ne se fasse pas de films... Je... Il retire ma main de ses lèvres, mais ne la lâche pas pour autant.
- S'il ne s'est rien passé, tu acceptes du venir chez moi demain ?
Mmmh. Il est fin d'esprit, j'avais oublié. Il a perçu le malaise. Je refuse qu'il me considère comme... Plus que ce qu'on n'a certainement jamais été : des amis. Si c'est là l'état de notre relation actuelle, j'aime autant que ça ne change pas. Histoire de... m'habituer.
- Oui, je veux bien, consentis-je en abaissant les paupières. Mais à une seule condition.
- Tout ce que tu voudras.
J'avale ma salive. Relève les yeux vers les siens. Ils sont incandescents.
- On devra avoir cette fameuse discussion que j'attends depuis si longtemps.
- C'est d'accord, accepte-t-il directement, tendant sa main droite alors que la gauche tient toujours la mienne. Après ta visite.
- Marché conclu, terminé-je en lui serrant l'autre main.
+++
Damen rentre vers vingt heures. On a passé toute la fin d'après-midi et le début de soirée ensemble. Pas trop à rigoler, mais surtout à discuter de lui, de moi, de l'Affaire, de choses et d'autres. Des bagatelles. Avant le grand show.
Je monte les escaliers qui me conduisent à ma chambre. Car même si la discussion est pour demain, j'ai l'intention de rassembler mes idées sur mon ordi. Que j'ouvre sur mon lit.
Aucune nourriture. Aucune fatigue. Peau blanche et glacée, dure comme de la pierre. Des yeux rouges, une rapidité, une intelligence, un charisme, une force qui dépassent des aptitudes humaines.
Je réfléchis. Je me relis.
Aucune nourriture. Aucune... fatigue...
...
Ma tête tourne. C'est l'effet secondaire du choc ? Ou... Non. Nan, j'arrive pas à croire que je me mets à penser à ça ! ... Si ?
Peau, yeux, physique, psychique... Tout est celui d'un... Oh. MAIS NON ! Non. Je suis fatiguée, c'est tout. Ma fatigue me fait même ouvrir une page Google. Je la fixe sans rien comprendre.
- Damen, Damen, Damen... Le mystère sera bien levé un jour ou l'autre, susurré-je pour moi-même.
Dans un petit clic, je place mon curseur sur la barre de recherches.
Et j'y tape un mot. Un seul.
"Vampire".
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