Chapitre 13 : Retrouvailles

"Plein d'amour et de joie dans le monde ! HOURRA !" - Emma

~~~

 Elle ferme les yeux, éblouie par le flash du premier cliché.

- Tourne-toi sur la droite, lui chuchoté-je en vérifiant la qualité de la première photo.

Elle s'exécute sans un mot... Enfin presque.

- C'est forcément une erreur, Emma.

- Je sais... Enfin, non, je sais rien.

Rien du tout. Absolument rien. Je suis nulle et je ne sais rien. Et je suis fatiguée. Et je comprends toujours pas pourquoi je suis là. Ça m'énerve de me poser tous les jours la même question : "Moi, Shérif ?" Depuis quand les ados sont en mesure de mener une enquête sur une disparition, qui d'ailleurs semble prendre le tournant d'une affaire de meurtre et avec de fortes chances pour que leur colocataire catholique et maîtresse d'école soit impliquée ?

Bordel, cessez ce jeu. J'ai toujours détesté Cluedo.

- Profil gauche, enfin...

Toujours muette, Elena s'exécute. Je n'ai pas envie de savoir comment elle se sent. Physiquement, déjà, elle ne mange ni ne dort depuis pas mal de jours. Mentalement, elle était déjà en stade pré-dépressif avant la première battue pour Madame Nolan. Alors là...

- Tu sais... Je sais que je pourrais peut-être t'innocenter, essayé-je de la rassurer tant bien que mal, prenant le dernier cliché d'elle. Après tout, je n'ai pas reçu les résultats des tests ADN du... (Du cœur. De l'organe. Mais je n'arrive même plus à dire ce mot sans avoir l'image en tête, et sans avoir besoin de courir vers les chiottes.) Enfin, tout peut arriver... Mais comprends que si je ne t'arrête pas, les gens penseront que je fais du favoritisme. Regina aura enfin une bonne raison de me virer, de me remplacer par un pantin qu'elle a à sa botte et qui te condamnera sans le moindre état d'âme. Alors... laisse-moi du temps.

Je me racle la gorge, range l'appareil photo et son trépied, et lui indique...

La cellule.

La mienne (enfin, mon ancienne, quoi). Et de tout ce que j'ai pu vivre depuis mon arrivée dans cette ville maudite, rien n'a été plus difficile que de voir ses prunelles grandes, rondes, marron-verts, abattues, découragées et remplies de larmes lorsque j'ai refermé la porte à barreaux sur elle.

+++


J'ai perdu cinq kilos depuis que je suis à Storybrooke.

Dépitée, je redescends de la balance sans un mot. Enfin vous m'direz, je suis seule à la maison. Ça fait bizarre, d'ailleurs. J'ai encore l'impression qu'Elena est en bas, en pleurs avec sa glace, en pleurs dans son lit, en pleurs devant la porte. Non, là, je l'ai laissé en pleurs sur sa couchette grise et trouée. J'avais sept minutes devant moi pour rentrer, manger et revenir travailler. Mais j'ai perdu quatre minutes à regarder mes cinquante-deux kilos sur la balance. Bon... En trois minutes, je trouve une pomme, une bouteille d'eau, un plaid et disparais du loft. Cette nuit, je dormirais au bureau.

Soutient moral. Je suis tellement quelqu'un de bien. Et en plus, Ruby a démissionné de son pseudo poste de responsable administrative et est retourné à l'Auberge, accueillie par Granny et les clients habitués, tous heureux de la retrouver.

Je suis donc de nouveau seule.

Mardi vingt-neuf juin.


Lendemain de cette nuit horrible. Et cette journée ne s'annonce pas mieux.

- Qu'est-ce qu'elle fait là ?, me chuchote péniblement Elena en désignant la personne présente dans la salle.

Je referme la porte de la super "SALLE D'INTERROGATOIRE". Ambiannnnce !

- Elle a demandé à assister personnellement à l'interrogatoire en tant qu'observatrice extérieure.

Regina hausse un sourcil.

- Et pour s'assurer que je ne fasse pas de favoritisme, ajouté-je dans un grognement.

Dans la salle où j'ai interrogé David la veille, Elena s'installe d'un côté de la table, et je me place en face d'elle, à côté de Regina. Les deux femmes attendent ma petite installation habituelle (ouverture du dossier, feuille et stylo pour ma prise de notes personnelles, et enregistreur). Puis on a pu commencer.

Mes questions défilent sans soucis, et elle répond avec honnêteté, en toute sincérité, puisqu'elle n'a rien à cacher. On pourrait dire que ça a commencé à bugger autour de la troisième question. Mais c'est essentiellement de ma faute.

- Le... (Le cœur. L'organe.) Le... (Comme toujours, ma voix se coupe à ce mot.) Enfin... Est-ce que tu t'es rendue dernièrement sur le lieu où a été retrouvé la boîte contenant le... le...

- Le cœur, siffle Regina.

Ouais, c'est bon, hein ! On a le droit d'avoir des traumatismes, quand même ! Je la fusille du regard avant de revenir à Elena.

- Est-ce que tu es allée au pont à péage, ces derniers temps ?

- Oui. C'est là-bas que je retrouvais David.

- Dans quels buts ?, demandé-je en me levant, me dirigeant vers une armoire dans son dos.

Tout en cherchant la boîte... enfin, c'est horrible pour moi de la reprendre entre mes mains en me disant qu'un organe humain y a été déposé. Mais bon. En cherchant la boîte, donc, j'écoute Elena parler... me raconter des choses auxquelles je ne me serais jamais attendue. Toutes ces semaines de tristesse qu'elle a passé à faire la tête, à se morfondre au lit... Tout devient si clair.

Depuis le début de leur relation, elle et David se retrouvaient au pont pour être à l'abri des regards indiscrets de la ville. Tels des amoureux clandestins, ils ne profitaient l'un de l'autre que très rarement, certains soirs, sur la plage où John Doe a été réanimé par la maîtresse d'école. Le début de tout, en quelque sorte. Je commence à comprendre à quel point ça devait être difficile pour elle, d'avoir le droit d'aimer à certaines heures seulement. De se dire qu'elle est l'amante d'un homme marié fraîchement sorti du coma, et qui est peut-être juste bouleversé. Un beau jour, il réalisera qu'il aime sa femme et pas Elena, qu'il était juste attachée à celle qui l'a réanimé. Mais malgré toutes ces idées, elle a tenu le coup en le poussant à tout avouer ; David ne voulait faire souffrir personne, alors il n'a rien dit. 

Et le jour où il s'est décidé, Kathryn a disparue - quatre jours plus tard, on présage son assassinat...

Et c'est la pauvre Elena qui porte le chapeau. C'est vraiment un déroulement de film mélodramatique.

- Est-ce que tu as déjà vu cet objet ?, demandé-je en déposant l'immonde boîte du cœur en face d'Elena.

Elle fronce les sourcils.

- Oui, c'est mon coffret à bijoux. 

...

+++


La journée est passée comme la précédente. Sans rien à dire. Elena est persuadée que quelqu'un est rentré chez nous et lui a dérobé le coffret à bijoux, mais en inspectant la serrure, je ne trouve pas la moindre trace d'effraction. Je fouille alors notre maison - que dalle. Et...

Toc ! toc ! toc !

Sans réfléchir, je dégaine mon arme. Je suis moi-même surprise par cette réaction, mais elle va sûrement devenir habituelle. Storybrooke n'est plus une petite bourgade tranquille ; si Elena n'est pas coupable, alors un vrai meurtrier se balade encore en ville. Et il n'est pas question que je laisse retomber ma vigilance, sachant que :

1) Je suis censée représenter la sécurité, aux yeux des gens.

2) Je fais partie des seuls à croire qu'Elena est innocente, ce qui rend ma peau plus ou moins en danger. Car déculpabiliser celle qui est derrière les barreaux revient à porter le doute sur ceux qui sont en liberté. Et c'est très facile pour n'importe qui de venir zigouiller une ado qui vis seule, alors...

- Qui est là ?!, aboyé-je, en position des flics d'NCIS.

- Moi !

Génial, la réponse. Mais je reconnais sa voix. Rassurée, j'ouvre la porte et Henry débarque en trombes. Et direct, je referme à double tours. On sait jamais qui se cache dans la cage d'escalier...

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Ça ressemble à la première fois qu'on s'est vu, hein ?, rayonne-t-il en ignorant ma question. Et vu que le cours était pas intéressant, je suis venu te voir.

- T'as école ?

- Non, je suis malade.

Mais oui, mais oui. Ses yeux sont contaminés par un sourire gigantesque, ses joues sont rouges et ses cheveux brillants.

- Faux, déclaré-je.

- Vrai, persévère-t-il. La remplaçante ne reconnaîtra pas mon écriture, donc c'est vrai.

- Tu as rédigé ton propre mot d'absence ? HENRY !

- Oh, ça va, hein. Y a plus important.

Et bien sûr, il nous sort son très cher book.

A claquer, cet enfant. Je m'allonge à côté de lui, passe mes mains sur mon visage. Une bonne douche bien chaude, voilà ce qui me ferait du bien. Pour une fois qu'il y a rien à faire nulle part, je vais peut-être même m'autoriser le luxe de...

Dormiiiir !

- Mademoiselle Blanchard est innocente, et c'est très important pour l'Opération Cobra.

- Henry. Je te le répète, ce n'est pas l'Opération Cobra, là. C'est la vraie vie.

- Même chose.

Je secoue la tête. Il me fatigue.

- OK, abandonné-je. T'es malade, Elena est innocente, j'ai finis ma journée de boulot. Fais tes recherches.

- Qu'est-ce que tu veux ?

- Euh... Ben, je sais pas encore, avoué-je en me creusant la tête. Tout ce qui sort de l'ordinaire, je suppose.

- Mmmm...

Sans une remarque supplémentaire, Henry lève les yeux vers le plafond et les baisse sur le sol, regarde à droite et à gauche en pinçant les lèvres. Mais oui, je suis persuadée qu'en restant les fesses sur le lit, il va trouvé des indices ! Pff, flemmard de première. Et il sèche les cours, en plus. Sans avenir !

Déjà agacée, je quitte le lit et me dirige d'un pas traînant vers la cuisine. Flemme de faire un Milkshake. Je suis pas mieux que lui, en fin de compte. Pas grave : je vais me servir un bon verre de jus d'oranges sans pulpes, y mettre deux glaçons et une paille, me prélasser devant la télé, prendre ma dou-

- J'ai trouvé quelque chose !

Je grince des dents.

- La bouteille de jus d'oranges, j'espère, grognassé-je en la cherchant des yeux dans le frigo. Me dis pas qu'il en reste plus !

- Viens voir, Emma !

Roulant des yeux, je me retourne. Et fronce les sourcils. Plus personne sur le lit.

- Bah t'es où ?

Je quitte le côté cuisine et me plante au milieu du salon. Deux petites jambes dépassent de sous la table basse. Henry en sort et tire la grille d'aération au-dessus de laquelle il s'était penché. Ah, pas bête.

- J'avais oublié de jeter un œil dans...

- Y a quelque chose !, me coupe-t-il. Regarde !

Je le rejoins et l'écarte de mon passage, puis tire la table vers le centre du salon. Vu que tous les rideaux sont tirés, la lumière met mal en évidence le contour d'un objet. Mais j'arrive quand même à percevoir quelque chose. Je tends une main douteuse dans le conduit et en sors une chose rigide enveloppée dans... Non, c'est juste... Ah.

Un tissu poisseux.

- Pas mal ! Tu viens de mettre la main sur ce qui bouchait la clime ! Merci, Sherlock !, me moqué-je en balançant le truc à la lumière.

Je me mets à ricaner en secouant la tête.

- Arrête de te moquer ! T'as même pas regardé s'il y a quelque chose dedans !

Quel con. Il va toujours tellement loin, lui. Je retourne sous la table, replace la grille d'aération à sa place. Et un tintement me fait redresser la tête. Punaise, il fout quoi, encore ? Je ressors à plat ventre et me retourne.

Il tient un pan du tissu et l'a levé, faisant tomber un objet au sol. Il reste fixé dessus.

- Henry, je t'ai dis de...

Je récupère le tissu. Et à peine ai-je le temps d'assimiler ce que je vois, à peine ai-je le temps de réaliser que c'est un couteau, à peine ai-je le temps de voir la lame sanglante que Henry me tombe évanouit dans les bras.

+++


- On a retrouvé l'arme du crime.

Je déglutis nerveusement et ferme les yeux, incapable de les reposer sur le sachet que je tiens à la main.

- Je vais le mettre dans le local des pièces à conviction, ajouté-je. Tout à l'heure.

Dégoûtée, je balance la chose loin de moi. Elle atterrit sur le canapé collé à la cellule d'Elena, et cette dernière bondis le plus loin possible des barreaux. Elle reste fixée sur le sachet quelques instants, imaginant déjà les contours du couteau à l'intérieur. Elle finie dos contre le mur et se laisse glisser jusqu'au sol, au bord des larmes.

- Je sais même pas où se trouve le conduit d'aération dans ma chambre, chuchote-t-elle.

Sa voix tremble. Je sais toujours la faire sourire, moi, c'est d'un comique !

Je laisse mollement mes bras retomber le long de mon corps. Qu'est-ce que je peux faire ? Qu'est-ce que je peux lui faire ? Ma promesse de la faire sortir d'ici perd de sa crédibilité à chaque minute. Les preuves s'accumulent d'heure en heure contre Elena. Je m'approche lentement de sa cellule et attrape les barreaux, comme si c'était moi la prisonnière. Et en effet, je le suis : prisonnière d'une enquête que je ne résoudrais peut-être jamais...

- Moi, je te crois toujours, lui assuré-je, histoire de la faire déstresser un peu. Mieux : je te connais. Je sais que tu serais incapable d'envisager une chose pareille, et je ne laisserais personne te soupçonner bien longtemps. (Mensonge.) Mais ça va être difficile, car je dois trouver des preuves qui pointent dans une direction qui n'est pas la tienne, et... là, c'est tout l'inverse.

- Tu me l'as déjà dis !, s'agace-t-elle, à bout de nerfs.

Je lui retourne un regard doux et compatissant. Je peux pas lui en vouloir. Elle est en train de mourir de fatigue et de stress.

- Tu devrais peut-être prendre un avocat, proposé-je.

- Excellente idée !

Je me raidis et me retourne, en sursautant, car bien évidemment, ce n'est ni elle ni moi qui avons parlé. Comme s'il était présent depuis le début de notre conversation, Gold se tient debout devant le porte-manteau où trône mon chapeau, les mains sur sa canne, avec un sourire de requin. Toujours là quand il y a de l'embrouille.

- Qu'est-ce que vous faites là ?, lui lance Elena.

- Je suis venu vous proposer mes services. Je sais me montrer très persuasif. Demandez à Mademoiselle Swan.

- Nan, on me demande rien, à moi, dis-je en croisant les bras. J'ai pas d'avis.

- Et ce n'est pas un tord, quelques fois, m'accord-t-il en avançant dans la salle. J'ai suivi votre affaire de près, Mademoiselle Blanchard, et je suis persuadé que vous seriez bien avisée de me prendre pour avocat. Immédiatement. Je pourrais vous faire sortir de là dans de brefs délais.

- Entendu.

Je fais un blocage, même pas sûre d'avoir bien entendu.

 Elle peut pas accepter en deux secondes... AVEC GOLD ! Ah non non non non non, jaaaamais de la vie, hooors de question ! Je lui confierais jamais mon dossier ! Nan mais... ELENA ! Elle dort ou quoi ?! GOLD ? Avocat ? Depuis quand il est avocat, d'ailleurs ? Non, je refuse, c'est mort, c'est catégorique ! Je fais les gros yeux à la détenue.

- Elena ! Mais t'es...

- Laisse, Emma. Il peut nous aider.

- En effet, acquiesce l'interpellé.

- Pas du tout ! Avec vous, c'est toujours tordu... On ne sait jamais à quoi s'attendre !

Il accueille la critique avec un haussement de sourcil et un sourire radieux. L'air de dire "Ah, on ne sait jamais à quoi s'attendre, hein ?". Et dans un silence de mort, il met une pichenette sur mon étoile de Shérif. Histoire de bien me rappeler d'où elle vient.

Saloperie...

Je passe une main moite sur mon visage, de mon front à mon menton, exaspérée.

- Vous, alors...

- Merci beaucoup, jeune fille. Maintenant, si vous voulez bien nous laisser seuls, avec l'autorisation de Mademoiselle Blanchard. J'aimerais m'entretenir avec elle. Pour qu'elle soit rassurée.

Elena hoche la tête. OK. Je me fais littéralement virer de mon bureau. 

Dépitée et sans rien à redire, je tourne les talons et abandonne mon amie avec l'ennemi de mon ennemie, qui est le meilleur de mes ennemi et devenu désormais un allié de taille. A ce qui'p.

Comprendra qui voudra.

Ils discutent de longues minutes, et lorsque je suis enfin autorisée à retrouver Elena, elle paraît nettement plus rassurée. Moi, pas. Cet homme est-il ou non digne de confiance ? Absolument pas. Il est peut-être le seul de qui je me méfie le plus dans cette ville, mais une chose qu'il a avoué à Elena me perturbe car il a raison sur ce point.

Regina tente de nous jouer un de ses sales tours habituels, et Gold est un de ses adversaires principaux - avec moi en second plan.

Ainsi, nous devrions avoir besoin de lui. Vraiment. Sans que cela ne nous coûte quoi que ce soit, je l'ai deviné toute seule. La première dette que j'ai eu envers Gold était le rendu de son aide contre Regina. Il est en train de remplir sa part du marché, quoi. Peut-être que je devrais relativiser et souffler un peu. Et puis, je peux pas chercher des preuves qui sauveraient Elena, chercher des preuves qui inculperaient quelqu'un d'autre, prendre la défense d'Elena, attaquer quelqu'un d'autre en justice et m'occuper des petits soucis de la ville, tout cela en même temps. Je reste humaine. Et surtout ado. Mais dix heures de sommeil quotidiennes me semblent si lointaines...

Et David débarque au poste en réclamant un tête-à-tête avec la détenue.

- Dix minutes, grogné-je.

Une nouvelle fois, je referme mon bureau derrière moi.

Je continue de réfléchir.

Il est logique de supposer que Regina y est pour quelque chose. Depuis mes premiers pas dans la ville, j'ai toujours remarqué avec quelle froideur, quelle méchanceté elle s'adresse à Elena. Une véritable rage, une haine brûlante, cuisante, bouillonnante comme si mon amie avait commis quelque chose dont seule le Maire était au courant et dont seuls ses mots déplaisants et ses stratagèmes maléfiques lui permettaient de s'en rincer l'esprit. Donc, que ce soit par rivalité, par débilité ou par jalousie, ou quoi que ce soit d'autre encore, Regina n'aime pas Elena. C'est un fait, rien d'autre n'est à ajouter. Elle l'a déteste, elle me hait, elle hait Gold.

Elle est derrière tout ça, ou je ne m'y connais pas.

Je frappe mon chapeau de cowboy pour qu'il se fixe plus fermement sur ma tête, car je vais courir. Je dois trouver Gold, qui vient de sortir du commissariat, avant qu'il ne s'éloigne trop. Je m'inquiète de ne rien trouver qui soit susceptible de libérer Elena. Les résultats du laboratoire confirment qu'il s'agit du cœur de Kathryn - donc désormais d'une affaire criminelle. Tout comme celle qui est en ce moment derrière les barreaux, je suis juste persuadée à mille pour cent que Regina tire les ficelles. Et je dois me rendre à l'évidence : elle m'a devancé sur tous les plans.

Je suis donc obligée de modifier mon accord.

- Attendez !, crié-je.

Je place ma main sur mon flanc gauche, sujette à un horrible point de côté, puis boitille vers Gold en grimaçant. Par chance, il m'a entendu, reconnu et s'est arrêté sur le trottoir juste en face de sa boutique.

- J'ai besoin... de votre aide !

Un sourire sarcastique se dessine sur ses lèvres.

- Vraiment ?

- Vraiment.

Je souffle sur ma frange humide de sueur et m'arrête devant lui.

- Je vous crois sur le fait que Regina soit à l'origine des ennuis d'Elena. Mais je suis incapable de le prouver.

- Et en quoi puis-je vous être utile ?

Je lève les yeux au ciel et retire ma main de mon ventre.

- Vous le savez très bien. On a passé un accord. Votre aide contre la mienne.

Il semble ravi.

- Quel acte d'humilité, me fait-il remarquer. Je suis admiratif. Vous avez raison de vous méfier. C'est une femme dangereuse. Très dangereuse. Mais je crains de ne pas comprendre quelques choses. (Il me regarde dans les yeux et incline la tête sur le côté.) Si notre accord est déjà passé, que voulez-vous tirer au clair ?

- Dans notre accord, vous deviez juste m'aider à m'en sortir. M'aider à gagner pour que je puisse rentrer bredouille à Boston... Mais maintenant, je veux juste qu'elle perde. (Il arbore un visage surpris.) Pour venger tout ceux à qui elle fait du mal depuis tellement d'années. Elena, Graham, Henry et tous les habitants de cette ville. Je veux qu'elle perde !

Un long sourire machiavélique lui déforme le visage. Je prends ça pour une réponse.

+++


C'est radieuse et enchantée que je me promène ensuite dans ma ville, mon trousseau de clefs tournant à mon doigt et mon insigne fièrement mise en valeur par les éclats du soleil.

Henry et Elena ont été mis au courant de notre stratagème pour renverser Regina. Ils sont ravis. Même Elena semble plus heureuse que jamais, malgré son manque de liberté. En plus, c'est vrai que pour une détenue, elle n'est pas vraiment dans le mal : le matin s'est installée une routine, celle de voir débarquer David les bras chargés de viennoiseries sortant tout juste du four de Granny, laquelle nous les fait à moitié prix. J'ai pris la liberté de lui rapporter son oreiller fétiche et une couverture plus épaisse que le drap sale et troué que Regina m'a ordonné de lui laisser dans la cellule. Et toutes heures où Henry a la possibilité d'être avec nous, il s'installe sur le canapé juste à côté d'elle et lui lit des histoires de sa vie, lorsqu'elle était encore la belle Blanche-Neige héritière du Quatrième Royaume de Narnia.

Bref ; quand bien même mon amie est-elle en prison, le moins que l'on puisse dire, c'est que d'autre sont plus à plaindre.

Je m'habille hâtivement d'un short noir, un haut en dentelle blanc, me plante le chapeau sur le crâne. Je dégrafe ensuite mon insigne de la veste en cuire pour la mettre sur... Aller, ma ceinture, on va dire. Ça fait classe ! Oui, parce qu'il fait maintenant trop chaud pour se pavaner en veste. ALLÉLUIA, Mère Nature a compris qu'on est en été.

Dansante, je traverse les rues sous les yeux de Regina, qui accompagne Henry à l'école. Ha ! Ça, c'est la remplaçante d'Elena qui lui a dis que son fils sèche les cours, et elle l'escorte pour s'assurer qu'il ne me rejoigne pas au poste. Quelle mère modèle ! Je les rejoins en quelques enjambées.

- Bonjour Regina ! Salut, Henry !, les salué-je en marchant au rythme du Maire, c'est-à-dire en trottinant presque.

Elle garde les yeux fixés sur l'horizon.

- Qu'est-ce que vous voulez ENCORE, Mademoiselle Swan ?

- Oh, mais rien du tout. Je tenais juste à vous informer que l'affaire n'avance pas.

- Merveilleux ! Maintenant, prévenez-moi lorsqu'elle avancera, réplique-t-elle sèchement. Bonne journée.

- A vous aussi ! On se voit plus tard, Henry !

Et je commence à traverser la route pour rejoindre le commissariat, sous le "Hors de question !" que Regina crie. Faisons genre de ne rien entendre ! YOUHOU ! Oui, j'ai la joie de vivre - faut bien se satisfaire des petits plaisirs de la vie, surtout en des temps si difficiles. Alors sourions, nous sommes en bonne santé et le menu du jour chez Granny, c'est LASAGNES ! 

Lorsque j'arrive à la porte du poste de police, je vois par transparence - le haut de la porte est en vitre - la cellule où Elena se tient debout, tout sourire. Eh bien voilà ! Elle a prit le pli !

- Salut, la compagnie !, lancé-je joyeusement en sortant de mon sac à main les clés du bureau.

- Oh ! Tiens, salut Emma ! Tu vas bien ?

- Très bien, même ! I AM PEACEFUL ! 

J'insère la clef dans la serrure en jetant un coup d'œil aux sandales qu'elle m'a offerte et demandé de porter aujourd'hui. 

Elle va être contente.

- Plein d'amour et de joie dans le monde ! HOURRA !

Elle éclate de rire face à mon trop plein d'enthousiasme. Elle... Et quelqu'un d'autre. Et c'est à ce moment-là que je remarque que la porte est déjà déverrouillée.

- Euh.. Elena ?, dis-je en l'ouvrant. J'ai pas fermé la porte, hier ?

- Si, si, m'assure-t-elle, son sourire d'ange radieux prenant de l'ampleur. Mais quelqu'un avait les doubles.

- QUI ?!

Je claque la porte derrière moi et m'enfonce dans mon bureau, furibonde. Et là.... 

Eh bien, là.... Eh bien, là...

Mes clefs tombent au sol dans un tintement de ferrailles. Ma mâchoire se décroche. Mon estomac également.

Jambes croisées avec aisance, Damen tourne la tête vers moi avec un subtile, doux et épicé sourire en coin narquois. Normal.

- Salut, Emma. Ça fait un baille.

+++


Il est là. Il est devant moi. Il a changé. Il est de retour. Il est dans le commissariat. Il est devant moi. Il est là. Il est de retour. Il a changé, mais il est devant moi. Il est là. Il est de retour. 

Il est là.

Ses cheveux sont plus courts que la dernière fois que je l'ai vu, mais les couper leur a rendu leur brillance naturelle et a mis un terme aux boucles dorées qu'il avait. Ils sont juste ondulés, maintenant, ce qui le rend plus adulte. Il a aussi grandi, et son visage est toujours aussi beau et parfait. Il a un peu changé, mais positivement. Mais le principal, c'est qu'il est là. Il est devant moi.

Il est de retour.

Complètement chamboulée par cette nouvelle, je m'appuie au bureau, me baisse, récupère mes clefs. On ne se quitte pas des yeux. Je me relève. Je suis choquée.

- Salut, Damen.

Le sourire d'Elena s'estompe, et ses doigts se décroche lentement des barreaux qu'elle tenait jusqu'à présent. Et en parallèle, il est là, détendu, les bras le long du dossier du canapé. Comme un gamin qui reviendrait à la maison après plusieurs semaines d'absence. Damen laisse échapper un petit ricanement qui doit se vouloir ironique.

- Comment vas-tu ?

... C'est une question piège ? 

- Bien. Et toi ?

Il prend une profonde inspiration.

- Super !

Son exclamation hérisse les poils de mes bras.

Le silence s'installe, lourd, sec. Elena gagne sa couchette et s'enterre sous couettes et oreillers. Seuls ses yeux luisants me sont désormais visibles, ainsi que les deux bras pliés en face d'elle. Je déteste l'ambiance.

Damen sourit.

- Belle journée, déclare-t-il.

Les lèvres toujours légèrement ouvertes, je jette un coup d'œil par la fenêtre. Le ciel est bleu, Henry est à l'école, la carcasse de Kathryn Nolan pourrie quelque part dans le Maine et les tremblements de mes membres et de ma voix ne cessent pas. A part ça, oui, c'est une journée parfaite pour manger un plat de lasagnes chez Granny. Mais voyez-vous, là, maintenant, je n'en ai pas très envie.

Mes yeux se détourne du ciel et retombe sur ceux de Damen, énigmatiques. Oui, il vient de là, le problème. Au-delà de sa présence, je sens qu'il attend quelque chose. Je le ressens. Parce que... Enfin, il est parti depuis des semaines à Boston ! Carlisle Cullen, son père médecin, m'a dit qu'il bossait comme chasseur de primes au poste de Clark Swan - c'est-à-dire mon poste. Et... Il revient. Un beau jour, il se pointe, s'installe sur le canapé du poste, me parle du beau temps.

Je ne réponds pas.

- Tu as l'air en forme, dit-il joyeusement en se levant (mon Dieu qu'il a grandi !) et marche çà et là dans la pièce. Aussi belle que le jour où on s'est séparé. Tu te rappelles ?

Je grince des dents. Oh oui, que je me rappelle. "Je dépose Graham et je reviens." Et comme une conne, je l'ai attendu. 

Il sourit. Il s'en souvient, et pire : il a du deviner que ça m'a fait de la peine. Il sait que je l'ai attendu.

A présent, c'est sûr, je n'ai rien à espérer de bon. Et c'est avec déception que je réadopte les vieilles habitudes : celles de me braquer, de me méfier de chacun de ses mots. Aucune confiance. Je le fixe sous la visière de mon chapeau, plissant les yeux.

- OK, Damen. On se fend la poire avec toi.

- A ce point ?

- Je comprends absolument pas ce que tu es venu faire ici, mais moi, je bosse.

Et sur ces nobles paroles, je lui tourne le dos et commence à m'installer à mon bureau. Enfin, c'est ce que je voulais faire. Mais je n'ai pas le temps de retirer ne serait-ce que mon charmant couvre-chef : sa voix résonne à nouveau.

- Tu bosses ? (Il soulève hautainement le menton, mains sur les hanches.) Moi aussi.

Pourquoi je pressens la douille, là... Changeons de sujet ! Vite, changeons de sujet avant de s'embourber dans des sables mouvants inexistants ! T'façon, il va bien finir par repartir. Je vois pas pourquoi je me mets dans des états pareils.

- J'ai appris que tu travaillais dans la police de Boston, dis-je en croisant les bras, m'adossant au bureau, feignant l'indifférence.

Il hausse les sourcils avec un sourire stratège.

- Tu as cherché des infos sur moi ?

Ça, c'est tout lui.

- Absolument pas.

- Tu t'intéresses à moi ?

- Je n'ai pas pensé une seule seconde à toi, planté-je sèchement, les yeux durs.

Énorme mensonge, évidemment. Il n'a l'air pas le moins du monde vexé. Puis il tourne la tête vers Elena. Revient vers moi. Son sourire s'élargit comme s'il avait lu dans les pensées de mon amie.

- Menteuse.

- Oh, pitié, arrête ça !

- Arrêter quoi ? On discute normalement, là. Comme deux êtres civilisés. D'ailleurs... (Il s'approche de moi... Qu'est-ce que je fais ?!) Moi aussi j'ai eu des infos sur toi...

Et il met une pichenette sur mon insigne. 

- ... Shérif, poursuit-il, railleur. Mais comme tu le sais, le monde de la police est vaste. Pas besoin d'une étoile pour travailler, tu te doutes bien. D'ailleurs, je suis en pleine mission, là.

Je ne dis rien.

- Et même si je suis désolé de te dire ça, s'excuse-t-il en s'adossant également au bureau, épaule contre la mienne.

Je frissonne à ce contact. J'avais oublié que sa peau était si froide.

- Et crois moi si je te dis que je suis désolé, mais...

On reste fixé droit devant nous, sans observer l'autre. Mes doigts s'agrippent au rebord du bureau.

- Je dois t'emmener en taule.

Mmmm. Je vois.

Je mets un temps à assimiler ce qu'il vient de dire. Le temps que ça rentre dans mon oreille, que ça atteigne mon cerveau... Et que mon cerveau retranscrive l'information. Tout ça, ça met... du temps. De l'énergie, même. Je suis épuisée par ce qu'il vient de dire. Bizarre, comme sensation, non ?

Ma bonne humeur du matin s'est réellement volatilisée.

- Tu peux répéter ?, sifflé-je, sur mes gardes.

C'est fou, mais ma voix tremble. Elle tremble de rage. La rage que j'accumule depuis que je suis ici et qui va lui éclater à la gueule, si ça continue.

- Je dois t'emmener en taule, Emma.

- Et maintenant, soyons sérieux ?

- Je suis sérieux.

- T'es pas sérieux.

Je sens sa tête se tourner vers moi, ses grands yeux - bordeaux, je le devine - me regarder. Je reste concentrée sur la cellule vide droit devant moi. Et Elena reste muette dans celle d'à côté.

- Qui t'as donné cette idée ?, reprends-je sans jamais le regarder. Sidney Glass ? Regina ?

- Ou ce bon vieil Etat du Maine !

Ce n'est cependant ni son contact à proprement parlé lorsqu'il empoigne mon bras, ni la froideur de sa peau qui me fait bondir en fureur loin de lui, avec un frisson glacial qui parcoure ma colonne vertébrale à la vitesse de la lumière. Je suis juste dévastée par ce qu'il vient de dire. 

- Arrête, le préviens-je en levant la main, comme prête à lui en foutre une.

La froideur de son regard me fait comprendre qu'il n'en a pas l'intention. Elena pousse un piaillement qui se veut être une défense. Damen tend à nouveau la main pour attraper mon bras et m'embarquer ; je gifle ses doigts.

Là ça y est, il a réussi à me mettre en rogne.

- Ne me touche pas, OK ?! Tu t'es cru où, là ? T'imagines vraiment que j'vais te laisser m'emmener où que ce soit ?

- Non, pas où que ce soit. Juste en taule, plante-t-il.

C'est drôle. Putain, mais c'est d'une drôlerie !

- Et pour quel motif ?

- Ecoute, Emma. Pour éviter qu'on se prenne la tête, je t'accorde une avance de dix secondes en souvenir du bon vieux temps.

...

PDV Damen


Aaaaah, c'est tellement bon, Seigneur !

Je reste bien droit devant elle, mains sur les hanches, et observe avec une attention amusée ses réactions. C'est si drôle ! Y a pas une caméra de surveillance, dans le coin ? Parce que je veux les images ! On doit se fendre la poire devant des rediffs pareil !

Déjà à son entrée, quand elle m'a vu, le coup du "je fais tomber mes clefs à cause du choc" m'a fait péter les plombs - heureusement que je sais cacher mes émotions, parce que là, c'était partie pour une demi heure de rire. Et au fur et à mesure que mes questions badines se succédaient, je la voyais se mettre sur la défensive... comme à l'ancienne. Au fond, elle a pas changé. Les dix minutes avant son arrivée, Elena me disait qu'elle s'est calmée, assagie, et qu'elle a mûrie. 

Y avait qu'à la placer face à moi pour que la vraie Emma revienne. La nerveuse. Celle qui gifle les doigts des gens qui essayent de lui empoigner le bras. Mais je ne m'énerve même pas : c'est une opportunité d'être payé pour lui faire péter les plombs.

- Tu crois pas que c'est gentil de ma part ?, me félicité-je gaiement. 

- Je crois surtout qu'il y a quelqu'un de taré entre nous deux, et c'est pas moi, réfute-t-elle immédiatement.

Derrière nous, Elena se met à rire. OK, on arrête la mise en scène comique. J'aimais bien, c'est dommage. Je me dresse de toute ma taille en croisant les bras - une tête et demi en dessous de moi, la brunette ne dit plus rien.

- Dix, commencé-je à compter.

- Hein ?

- Neuf.

- Attends, tu veux dire que...

- Huit.

- Tu crois réellement que je vais...

- Non, je crois juste qu'il y a quelqu'un qui va en baver, entre nous deux, et c'est pas moi, la coupé-je avec un sourire mauvais. Sept.

- Emma, vas-y, ne t'occupes pas de moi !, lui ordonne Elena, ne sachant pas trop si c'est une blague ou un truc du genre. Cours !

- Six.

Le temps d'un instant, elle relève la tête vers moi, ne comprenant pas ce qu'elle doit faire. J'en profite pour admirer ses traits qui m'ont certes manqué. Ses traits énervés. Je les préfère. Le froncement de ses sourcils tout fins, ses grands yeux verts qui pétillent de fureur, et ses lèvres pincées. Elle les pince toujours quand elle est furieuse.

Lèvres pincées, donc, la boule de nerf quitte la pièce en courant.

C'est là que ça va devenir drôle.

PDV Emma


- Déjà fatiguée ? On n'a fait que six parties, pourtant !

Les bras sévèrement croisés, adossé au mur devant moi, Damen ne laisse apparent aucun signe de faiblesse que n'importe qui devrait avoir après un effort. Ni joues rouges, ni sueur, ni respiration heurtée. C'est comme s'il m'avait attendu là depuis tout à l'heure.

C'est pas ce qui s'est passé, pourtant.

Six parties, il a dit. Ça doit être ça. La première : j'ai couru comme une furie jusqu'en bas des escaliers du commissariat... et j'ai du stopper net lorsque je l'ai découvert assis devant les porte, jouant avec un revolver, sourire aux lèvres. J'ai même pas eu le temps de me demander comment il est arrivé là qu'il s'était remis à compter, et le manège s'est répété six fois. En dix secondes, j'ai pu me cacher devant chez moi, vers Mifflin Street... 

Il m'a toujours retrouvé. Normal : cette ordure connaît la ville par cœur.

- Pourquoi tu fais tout ça ?, hoquette-je, cherchant à récupérer un maximum d'air pour calmer les points de côté qui me valent cette position, à moitié allongée dans la rue.

J'attends une réponse, et il me la donne :

- Dix.

- Ah nan c'est mort ! La ferme !

- Neuf.

OK, y a rien à faire.

+++


Quelques minutes plus tard, heureuse à un point inimaginable, les yeux agrandis par l'espoir, je me mets à boitiller vers le parking vide où seuls deux taxis jaunes rompent la neutralité de la zone. Je trottine vers eux malgré la fatigue. On peut dire que je suis assez sportive, un petit peu, mais mes nuits passées à me crever les yeux sur des documents de l'Affaire Kathryn Nolan me reviennent en boomerang dans la face.

- Taxi ! Taxi !, crié-je avec de grands signes.

En marchant, j'ouvre mon sac à main et regarde dans mon porte monnaie. Je ne sais pas encore dans quelle direction je veux me diriger, mais tant que je suis loin de Damen, tout ne se passera que bien. Peut-être que si j'allais chercher David... Ou alors Caleb Sumpter et sa moto ? Il passe ses journées chez Granny. Avec Henry... Ce qui inquiète autant Regina que moi, même si j'ai été légèrement rassurée par la conduite simple et agréable du jeune homme. Il est chevaleresque, gentleman comme Gold, sympathique et blagueur. Il pourrait peut-être m'aider à fuir.

Ou pas.

A cinq mètres de moi, une Volvo rutilante d'une couleur chocolat au lait dérape violemment. J'étouffe un cri, surprise.

- Monte dans la voiture !

- Va te faire, ouais !

A bout de nerfs et de souffle, je cours vers les taxis. C'est moi où ils semblent encore plus loin à mesure que je m'approche ? Le soleil me frappe, c'est clair.

La Volvo me barre le passage, et son conducteur en descend. Il s'arrête devant moi en pointant le ciel...

De son revolver.

- Baisse ce jouet, aboyé-je en l'esquivant.

Il se replace devant moi. Je m'arrête et le foudroie du regard. Ses yeux bordeaux ne me quittent plus.

- Quoi ?! Tu vas tirer sur moi ?!, lui gueulé-je dessus, furibonde.

- Mais non !

Ah. Bon bah je le contourne, rejoins les taxis à deux mètres.

- Je vais tirer sur le chauffeur !

What ?

Lorsque je me retourne vers ce malade, un véritable danger public, il pointe son arme sur le gars installé derrière le volant. Avant que je n'ai le temps d'éclater de rire ou de les rassurer, le cliquetis des portes qui se verrouillent et les cris des deux hommes dans les deux taxis me glacent le sang.

- NON MAIS T'ES MALADE ! Faut pas dire des trucs pareils, espèce de mongole ! Et vous, ouvrez ! (J'essaye de forcer la poignée, mais tout est clos.) Ouvrez ! Il va pas le faire ! (Je frappe les vitres.) MAIS OUVREZ, BORDEL ! Je suis le Shérif Swan ! 

Le chauffeur secoue la tête et les mains en poussant des cris, terrifié. Le sourire de Damen est énorme.

Mais quel enfant. Quel enfant ! Se comporter de la sorte, c'est tellement immature et dangereux. Il sait ce que ça représente, une arme ? Qu'elle soit factice ou réelle ? Des gens meurent à cause de ça ! Et il suffit pas toujours d'appuyer sur la gachette pour finir avec ce résultat.

- Tu veux jouer à ça, hein ?, le défie-je, révulsée par ce que je vais faire. OK. 

Il m'en laisse pas le choix, après tout.

M'apprêtant à lui formuler de jeter son arme, je porte mes deux mains à ma ceinture. L'une pour les menottes, l'autre pour mon revolver. Je cherche. Tâtonne...

Je baisse les yeux.

- C'est ça que tu cherches ?, me demande Damen en jouant avec son... MON arme !

Il explose d'un rire machiavélique. Dépassant la méchanceté de Regina : il est pire que méchant, là. Il est cruel. Contre moi ! MOI ! Je lui ai jamais rien fais de mal !

- Vas-y. Rigoles, sac à merdes.

Il m'obéit.

- Pff !, m'énervé-je en tirant sur la poignée de porte - toujours fermée.

- Ah ! Alala ! Ah, excellent ! (Ce con applaudit, s'essuie une larme invisible.) Très drôle ! Allez, redevenons sérieux : la voiture.

- Non... je... écoute, je pense qu'on..., bredouilée-je en me creusant les méninges pour trouver une issue de secours. Hum... On peut toujours discuter, quand même ! Histoire de savoir ce que "l'Etat du Maine" me reproche pour vouloir mon incarcération.

- Très bien, accepte-t-il directement.

Il s'approche alors de moi, mais je ne recule pas. Il serait trop heureux de voir que je le crains. Statique, je reste plantée sur place jusqu'à ce que la pointe de ses chaussures touche la pointe des miennes. Toujours fixée droit devant moi, c'est-à-dire sur son torse. Un peu plus bas que son cou - il a vraiment grandi, cet enfoiré.

Je déglutis. Trop de proximité après deux heures de retrouvailles mouvementées, ça me... perturbe.

- Tu veux me dire quoi ?, demande-t-il, tout à fait sérieux.

Je risque un coup d'œil un peu plus haut : pas de sourire, pas de cruauté, juste lui. Il me regarde droit dans les yeux, et sa question semble sincère. Peut-être qu'il veut vraiment savoir ce que je veux lui dire. Peut-être que là... Allez, testons.

- J'adore les Milkshake. (Prise de confiance : je me lâche.) Et si j'avais un Milkshake dans la main, là, maintenant... Je crois que je te l'enverrais à la gueule. Sale con.

Ses grandes prunelles d'un bordeaux sombres et merveilleux ne trahissent aucune émotion. C'est fou ce qu'il est beau, celui-là. On dirait qu'on lui a fait un lavage de cerveau, mais il est tellement séduisant, inspire le malaise...

Un petit sourire moqueur se dessine sur ses lèvres.

- Eh bien c'est noté, commente-t-il.

Puis il se baisse, enroule un bras autour de mes genoux et me balance sur ses épaules. J'y comprends plus rien ; lorsqu'il se remet à marcher, je lui déverse un torrent d'injures et de coups. Mon estomac se tord, gêné et fou furieux. C'est un mix assez douloureux, croyez-moi.

Et pouf !

Je finis dans le coffre de sa Volvo.

+++


- Allez. C'est bon. J'en ai assez de jouer. Tiens.

A contrecœur, je lui tends cinquante dollars. Un échantillon de mes quelques économies. Il les observe un instant, puis m'observe moi.

- REGARDE LA ROUTE, ABRUTI !

- Qu'est-ce que c'est ?

- Ça s'appelle une rançon ! (Je suis tombée bien bas.) Tu me déposes là, sur le trottoir, n'importe où, et tu me fiches la paix.

Si seulement c'était si simple.

Je pourrais le faire flancher. Peut-être. On sait jamais, après tout ; j'ai bien réussi à me faire sortir du coffre. Simulation d'une crise d'angoisse, ça marche à tous les coups. Il avait presque l'air inquiet (manquerait plus que je crève, et il se trouverait dans de beaux draps). Surtout qu'il a été dernièrement vu à Storybrooke muni d'un revolver volé, alors c'était chaud pour lui... 

- Alors ?, espéré-je en agitant les billets sous son nez.

Damen ne bouge pas d'un pouce et reporte son attention sur la route. 

- Je pourrais me raviser, m'impatienté-je, agacée de me vendre comme ça.

Enfin, techniquement, c'est encore pire : je m'achète. 

- Te raviser ?, pouffe-t-il finalement en levant les yeux au ciel. Chérie, je gagne cinq mille dollars et la gratitude éternelle d'une personnalité très importante si je ramène ton joli minois aux flics de Boston. Fais un rapide calcul et range-moi tes billets Monopoly, please.

- Ah oui ? Cinq mille dollars pour quelqu'un "d'important" ? C'est ce qui est le plus "important", maintenant ? Tout ce qu'on a traversé ensemble, c'est où, hein ?  

- Nulle part, grognasse-t-il.

Je renifle piteusement, dégoûtée.

- Bah tu devrais y faire un tours, à Nulle Part. Histoire de te souvenir qui je suis.

Dépitée, je me renfonce dans mon siège et regarde à nouveau la route humide où nous roulons. Puis subitement, on la traverse en entier. La forêt d'Allony.

On atteint son extrémité. Ce qui veut dire qu'on a quitté Storybrooke.

On est à Boston.

C'est un choc, il faut dire. Les rues, l'ambiance, les gens, les cafés-concerts, les grattes-ciel, l'océan, tout : à croire que je suis partie dix ans. A croire que je reviens dans ma vraie patrie, mon pays d'origine. Boston, la Grande. Petite différence entre Storybrooke, la ville grise et vide...

Et Boston ! BOSTOOOON !

- Cinq mille cinq cent, proposé-je tout à coup.

Un bref silence s'ensuit. Très bref.

- Cinq mille cinq cent quoi ?

Je souris sans dévier mon regard vers le sien, toujours concentrée le quartier dans lequel il roule. A la limite de West End, à mon avis ; s'il était sorti de la forêt un peu plus au Nord, je l'aurais vu. Mon quartier. Mon Charlestown.

- Cinq mille cinq cent dollars et la gratitude éternelle... d'Henry, trouvé-je - premier nom qui m'ait venu à l'esprit. Tu sais, le gamin que tu aimais tellement, AVANT. A moins qu'il soit aussi à Nulle Part ?

- Expliques-toi, me coupe-t-il sèchement.

Je comprends que mon exagération dans le dernier mot porte ses fruits. Pfeu ! T'façon j'ai trouvé avec quoi conclure un accord pour rentrer, alors tant mieux. 

On passe devant le Pick Up, un Café devant lequel je passais souvent et bien avant ma rencontre avec Clark.

- On va aller dans un Casino très connu d'ici, expliqué-je. Et même si j'aime pas ça du tout, on va jouer. Et remporter la somme de cinq mille cinq cent dollarsEt ensuite, enfin, tu me redonnes ma liberté. Je passerais sûrement voir Clark... et après, je retournerais à Storybrooke. Et tu auras la gratitude éternelle d'Henry. Tu sais, le gamin que tu...

- Oui, je sais, et me mets pas les nerfs en pelote, Princesse, parce que c'est pas le jour !, fulmine-t-il en serrant le volant un peu trop fort.

Fière de moi, je l'ignore. Manquerait plus que ça, qu'on fasse dans la dentelle ! Il est venu me capturer, me kidnapper, m'enlever, me retirer de toutes mes responsabilités ? Il m'empêche de poursuivre ma vie si tranquille, mets pause à mon Affaire non réglée, laisse Elena livrée à elle-même au poste ? Je vais pas lui faire de cadeau. Trop bonne, trop conne.

- Marché conclu ?, grincé-je en croisant les jambes, sûre de mon coup.

- Qu'est-ce qui te fait croire qu'on va réussir ?

Plissant les yeux avec un sourire stratège, je me caresse les joues avec les billets. Il se retient de dire quoi que ce soit et regarde une énième fois la route, mais plus le temps passe, plus mon regard se fait pesant et brûlant sur lui. Il papillonne plusieurs fois des cils dans ma direction, se reconnectant sur la route à l'instant même où nos yeux se croisent. Mais je décèle dans les siens une vague exaspération personnelle. Que j'ai déjà vu chez lui. Tellement de fois.

- Et t'y gagne quoi ?, soupire-t-il finalement.

Long à la détente.

- Ma li-ber-té ! 

- Mmmm.

- Alors ?

- Mmmm... T'as pas intérêt à t'enfuir.

Et il prend un virage à droite, puis dépasse une pancarte annonçant la présence du "Casino Taj Mahal" à cinquante mètres. J'entends déjà les rires des parieurs et vois les lumières du Casino.

Très étrangement, je l'avoue, ce n'est que lorsque Damen me détache - oui, Monsieur m'a menotté à la poignée de porte durant le trajet - et me fait sortir prudemment de sa voiture que je remarque que la nuit est tombée. Déjà. Mais c'est vrai que je suis allée au commissariat très tard, aujourd'hui.

Ses yeux luisent dans le noir. Je secoue le bras qu'il empoigne.

- C'est bon, tu peux me lâcher, je vais pas m'enfuir !, m'énervé-je.

- Tu sais que je te rattraperais ?

Sa voix est calme et taquine. Enfin ! 

- Je sais surtout que je t'ai promis de ne pas partir, alors je ne partirais pas.

- Mmmm... Impressionnant.

- Non, y a rien d'impressionnant, c'est juste naturel et normal. Une promesse est une promesse. Bon, bref, le temps passe. (Je jette un œil à ma tenue dans la vitre. Convenable, si ce n'est quelques mèches de cheveux qui s'échappent de mon chignon.) On rentre en tant que Monsieur et Madame Robert, on joue les-

- Tu viens de nous marier, là ?, s'esclaffe-t-il.

Je ferme mes poings pour m'empêcher de lui tirer les cheveux.

- FRÈRE ET SŒUR !

- OK ! OK ! Frère et sœur Robert. Cinq mille cinq cent dollars. Ton enquête. Je crois que j'ai pigé.

- OK, répété-je plus doucement, rassuré. OK... Let's go.

- Attends.

Il s'arrête dans la rue, et je me stoppe à mon tour. Puis il tire mon haut à dentelle de mon short - je l'ai rentré dedans - pour pouvoir cacher mon insigne avec. Pas bête. Je le remercie du regard, et on reprend la route.

Nous dépassons deux ivrognes se soutenant mutuellement pour avancer, incapables de le faire seuls, et traversons les vingt mètres qui nous séparaient de l'entrée du Casino. Comme je m'y attendais, il y a du monde, ce soir. Je n'ai jamais rien oublié de cet endroit ; les tables de jeux, les organisateurs, les responsables, les parieurs, les joueurs, l'assistance, la concentration, le bonheur, la déception... Tout y est mêlé. 

Je me raidis légèrement en passant devant une jeune fille plus nue que vêtue. Ruby a, à côté, une garde-robe de sainte d'Eglise. La fille passe ses doigts dans ses longs cheveux blonds, et pose ses yeux sur moi. 

Automatiquement, je me crispe, détourne le regard, mets mes lunettes de soleil. 

- Y a quoi ?, s'interroge mon "frère" de soirée - il ne manque rien, celui-là !

- Je... réfléchis. 

- A quoi ?

- A "est-ce que ça serait pas mieux de sortir"...

- Pourquoi ?

- Je connais ces gens, dis-je en tournant suspicieusement la tête autour de moi. Et ils me connaissent. J'ai aidé à arrêter un grand parieur ici, il y a quelques mois, et tous les regards étaient braqués sur moi. Donc ils savent qui je suis. Ils nous laisseront pas jouer.

- Parce qu'ils savent que t'es mineure ?

Grrr... IL A LE CHIC POUR TOUT COMPRENDRE, LUI ! On peut rien lui cacher ! C'était pas si simple à deviner, pourtant ! Il tape consciencieusement mon chapeau, un geste qui se veut moqueur et rabaissant.

- T'en fais pas. Tu es avec un grand.

- Un grand con, ouais.

- Quand j'y réfléchis, j'ai quand même deux ans de plus que toi ! Tu me dois le respect.

- Le respect t'emmerde !

- Ce qu'elle est agaçante ! Allez - toute façon, personne ne lèvera le petit doigt contre toi. C'est moi qui vais jouer.

Pas faux, pas faux. J'hausse le menton en désignant des escaliers de marbre qui conduisent au -1.

- On doit aller en bas, déclaré-je. Ici, c'est les Premiums. Ils jouent des millions. Nos cinquante dollars, à côté...

Il lève la tête et découvre enfin les lustres en cristaux accrochés au plafond en dalles de marbres, puis tourne la tête comme je les fais un peu plus tôt, remarquant la moquette soyeuse, les alcools chers et de qualités, les tenues vestimentaires de l'assistance... On est tout deux habillé chic, mais rien de comparable avec ces millionnaires.

En le guidant à travers la foule, il profite de cet instant où les rancœurs et les tensions sont mises de côté pour prendre des nouvelles de son père et de la population. A mon grand étonnement, il s'intéresse également à mon enquête.

- Kathryn Nolan est morte, annoncé-je tristement en resserrant ma prise sur mon sac à main. On descend là, au Spice Road.

Il se fige dans les escaliers électriques.

- On a retrouvé son... dans le coffret à bijoux d'Elena, coupé-je, sur la plage du Toll Bridge. Le pont à péage où John Doe a été retrouvé, tu te souviens.

- David, rectifie-t-il.

- Oh, c'est bon. J'aime bien John Doe aussi.

- Non, je veux dire... David ? Il tient le coup ?

- Ah. Euh, ben... Les premiers jours ont été difficiles pour tout le monde, mais après ça s'est légèrement calmé. De façade, parce que la ville est toujours sous tension... C'était pas vraiment le moment pour enlever leur Shérif, ajouté-je sur le ton de la critique.

- Donc sur quoi porte ton enquête ?

Je tourne vivement la tête vers lui. Déjà pour sa question stupide, mais aussi parce que je suis certaine qu'il change de sujet parce qu'il commence à se sentir coupable de mon enlèvement. Enfin bon, peut-être que je me fais des films aussi.

- Tu penses qu'Elena est une meurtrière ?

- Ben non !, s'offusque-t-il, choqué par mes paroles.

- Pourtant, c'est dans sa boîte à bijoux qu'on a retrouvé le... le... (Le cœur. L'organe.) Hum, et c'est dans sa maison que j'ai retrouvé le couteau de chasse qui a servi à... hum...

- Très expressif, tout ça.

- Je te l'écrirais. Mais je... j'arrive pas à...

Je me tais vainement ; c'est le moment de descendre de l'escalator. Damen garde le silence, en compréhension à mon horreur de raviver des souvenirs si dégueulasses. 

- En faite, tu veux prouver son innocence ?, résume-t-il d'une voix calme et rassurante.

- Il le faut.

Il n'a pas le temps de répliquer car, déjà, j'ai sauté sur le premier organisateur qui me passait sous la main. Je lui demande une table de Craps où la partie a commencé tardivement, et nous donnons les noms de Robert à un responsable. Très vite, nous sommes conduits à notre plateau de jeux. Et...

- Qui est Lanceur ?, s'enquiert l'organisateur, un homme d'une trentaine d'année à la peau pâle et aux cheveux blonds.

Je note que le Docteur Cullen est mille fois plus beau que lui.

- Moi, se propose Damen, s'emparant des dés. Cinquante dollars sur la ligne de passe.

WHAT ?! Il parie tout d'un coup ? Mais si il perd ? 

- Nouveau Lanceur : cinquante sur la ligne, enchaîne rapidement l'organisateur, ne me laissant pas le temps de répliquer.

Des jetons de couleurs différentes sont placés sur le plateau. Damen a un sourire espiègle et malin, tel un enfant devant un puzzle qu'il connait sur le bout de doigts et qu'il est chargé de compléter devant une ribambelle d'adultes qui n'y sont pas parvenus. Moi, à côté, j'essaie de m'abriter des regards susceptibles de me reconnaître. J'ai... non, ça ne s'appelle pas mentir. Mais j'ai omis de lui dire la vérité sur les raisons pour lesquelles ces gens peuvent me reconnaître... et c'est mieux comme ça.

Bref, cachée derrière mes lunettes de soleil et mon chapeau, j'essaie de surveiller de loin le déroulement de la partie de Craps.

- T'es dans ton élément, j'espère, lui glissé-je.

- Mais oui, sœurette !, ricane-t-il en me tirant par l'épaule à côté de lui.

AAAH MAIS NON !

- Damen, à quoi tu joues ?, protesté-je en essayant de me recacher.

- Là ? Au tennis, pourquoi ?

Je lève les yeux au ciel, et il éclate de rire. Un enfant ! Il a pas changé, au fond !

- Lanceur, veuillez lancer, demande l'organisateur.

- Sans soucis !

Tout le monde nous fixe, impatients de voir comment ça va tourner. Et sans que je m'y attende, on me présente des dés sous les lèvres. Je louche dessus sans comprendre.

- Souffle.

Souffle. Il croit que ça marche comme ça ? C'est des dés magiques ? Je lève des yeux moqueurs vers lui.

- Tu veux quoi, là ?

- Souffle sur les dés !

- Oh, pitié...

- Allez, Em : souffle !

Em. Pas Emma : il a dit "Em". C'est un surnom, à mes yeux. Et les surnoms, ça se donne quand on a une relation amicale... ou autre. 

- Lâche-moi un peu, Damen...

- Emma... ? Ton enquête, Henry...

Je souffle directement sur les dés.

- Quel chiffre jouez-vous, Lanceur ?

- ... T'es bien arrivée le vingt-deux à Storybrooke, hein ? Alors un deux !, annonce-t-il fièrement.

Il secoue les dés avec un long sourire et les lance. Je tourne les yeux vers lui. Un deux... pour moi ? Pourquoi ? Je me pose cette question lorsque tout le monde crie, jette les bras en l'air, applaudit Damen. 

On vient de gagner cent trente dollars.

A l'instant où un faible sourire éclaire mon visage, mon acolyte s'empare de mon chapeau... ME DÉCOIFFE, et me le remets en riant ; je lui frappe l'épaule en vengeance, tente de recommencer mon chignon, mais il me vole mon élastique. Alors je garde les cheveux détachés, et je profite de cette soirée de rires et de blagues. 

Comme si le temps entre notre dernière rencontre et maintenant n'avait jamais existé.






































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