Chapitre 3 (2) : Quand les perspectives de tensions se font bien réelles
Cyno, lui, se doutait bien qu'il y avait eu une embrouille avec Lina. Et ce n'était pas seulement à cause de son flair de moitié loup-garou, loin de là ; même si ça lui avait au moins permis de constater que l'odeur de la jolie voyageuse n'était plus aussi récente que celles des autres dans le bâtiment d'Asaris. C'était surtout parce que le Baku en larmes dans les bras, c'était la première fois qu'il l'avait. Pas que ça ne lui faisait pas plaisir : son ami était du genre tout doux et confortable, un bonheur pour les amateurs de papouilles. Sauf que bon, le bonheur qu'on pouvait avoir à le tenir contre lui était quelque peu éclipsé par le fait que c'était à cause d'un coeur brisé.
Lui murmurant des paroles apaisantes, il laissa son petit bonhomme se détendre dans ses bras, et finit par soupirer de contentement lorsqu'il lui rendit son étreinte. Là. C'était quand même mieux que de se vider les canaux lacrymaux, quand même, non ?
Attirés sans doute par l'étalage de tristesse du coin, Makhai et Kami se ramenèrent à pas feutrés, et le demi-elfe glissa une question silencieuse à Cyno concernant l'état déplorable de Baku dans ses bras. Ce dernier fit la moue, et, sans laisser échapper le moindre son, forma sur ses lèvres le mot «Lina» et une fort vilaine grimace. Makhai comprit aussitôt, sans doute, le nœud du problème ; mais Kami, qu'on ne pouvait vraiment blâmer après tout, haussa un sourcil avant de demander :
« Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Rien de vraiment préoccupant pour nous, soupira Asura. Lina a simplement décidé qu'elle allait s'éloigner un peu pour un moment. J'imagine que c'est légitime.»
Cyno grimaça. Le ton d'Asura était neutre, mais il avait très bien vu ses poings serrés. Elle, comme Baku d'ailleurs, devaient se sentir responsables du départ de leur amie, sans doute pour des raisons très différentes. Les pauvres... Il allait devoir sérieusement leur remonter le moral, et même si il avait une idée de ce qui pouvait marcher pour Asura, pas sûr que la bonne vieille technique du séjour au lit ne fonctionne sur Baku. Surtout qu'il aurait pas voulu. Franchement, si ce type-là n'était pas ace, Cyno l'aurait pensé gray ou demi, vu le peu d'intérêt qu'il portait à n'importe quel activité sexuelle avec n'importe qui. Et puis de toute façon il n'imposait pas ça aux gens. Jamais.
Bref. Toutes pensées sexuelles mises à part, le sujet principal restait de comment consoler Baku. Surtout maintenant. Il leva les yeux vers Kami, lui jetant un regard d'avertissement sur la portée de ses paroles, mais cette dernière ne le vit pas, ou alors ne s'en préoccupa pas; puisqu'elle croisa les bras, moue curieuse sur le visage.
« Si ce n'est pas si grave, pourquoi il est dans cet état ?»
Les poings de Baku se serrèrent sur le biceps de Cyno, et ce dernier, après un grognement inquiet, s'empressa de lui caresser le dos, dans l'espoir de le détendre un peu. Ce fut Makhai qui s'occupa d'envoyer un coup de coude à sa demi-soeur, accompagné d'un regard rébarbatif, le signe universel du «c'est pas tes affaires fais attention à ce que tu dis.» Asura leva les yeux au ciel, avant de soupirer.
« J'ai dit «pour nous». Certains ont d'autres raisons de se sentir atteints par cette nouvelle. Ce qui amène d'ailleurs un tout autre sujet sur la table.»
Aïe aïe aïe... Oui, Cyno connaissait quelqu'un qui faisait partie du «certains» et qui ne serait pas ravi de cette nouvelle, oh non. Il allait devoir ressortir les protections en ithridium, petites merveilles qui ne l'avaient jamais failli et lui avaient nombre de fois sauvé la vie, lorsqu'il faudrait annoncer le départ de Lina à Mairù Claro. A tous les coups, ça allait lui retomber dessus... Pas qu'il n'avait pas l'habitude de servir de victime collatérale mais Mairù faisait quand même peur, et niveau approche, essayez un peu de faire ami-ami avec quelqu'un qui dans sa rage était bien capable de vous étriper.
Il émit un petit grognement, regard anxieux levé vers Asura.
« Il faut vraiment le dire à Mairù ? Ça va pas être bon à annoncer ça... Et puis qui va s'en charger ?
— Pas moi, grommela Baku, qui parlait pour la première fois depuis qu'Asura l'avait repêché devant la porte. Il va encore tenter de me faire la peau.»
Il n'avait pas tort, malheureusement. On ne pouvait pas dire que les Claro entretenaient la plus saine des relations fraternelles, loin de là même : la haine était forte entre Mairù et Baku, et ce n'était pas seulement à cause de Lina. Les deux frères avaient un passif, un passif d'importance que Cyno avait à peine commencé à comprendre et qui pesait entre eux plus lourd qu'un éléphant sur les montagnes hezuriennes. Avec cet élément de compréhension, inutile de rajouter que Baku, dans ce genre de situation, n'était clairement pas le messager souhaité.
Il était cependant bon de voir qu'il semblait avoir repris contenance. Sa voix tremblait toujours, constata Cyno, et il avait encore le visage enfoui dans ses pectoraux, mais au moins, il ne pleurait plus. D'ici peu, il se serait suffisamment calmé pour que Cyno puisse lui proposer une sortie sans crainte qu'il ne la refuse. Tant pis pour ses cours ! De toute façon il n'avait jamais séché depuis le début de sa scolarité, il pouvait bien commencer maintenant ! Les distractions d'abord, les cours ensuite !
Asura aurait sans doute souhaité que Baku s'en charge, vu sa moue. Il était clair que de toute la confrérie, il craignait le moins avec cette annonce. Même si un combat d'envergure se déclenchait, après tout, il pourrait s'en sortit vivant, lui. Mais il fallait respecter sa volonté, surtout que ce n'était pas la meilleure des idées de lui donner cette tâche maintenant, que ce soit auprès de Mairù ou pas. La candidate idéale restait donc Asura, la seule capable de s'en faire obéir un tant soit peu. La sous-chef soupira, avant de se tourner vers Cyno, les yeux empreints de lassitude.
« Nous n'avons pas vraiment d'autre choix que de voir ça à l'arrivée de Mairù. De toute façon, il est en congrès, il ne devrait pas rentrer avant un bout de temps.»
Je me méfierais si j'étais toi, se dit Cyno, en se rappelant du nombre de fois ou il avait fui ce genre de réunions. Elle ne l'avait peut-être pas entendu clamer à tous vents à quel point c'était rébarbatif, mais Cyno lui se souvenait très bien. Il avait même établi un compteur du nombre de fois où il avait rabaissé l'intelligence des autres scientifiques, un autre basé sur à quel point il se plaignait qu'exposer ses théories ne menait à rien, et un dernier sur les lettres des différents organismes de Necrima qui lui étaient adressées. Sans doute des lettres de plaintes. Le genre de trucs qui arrivait rarement en vue d'Asura. Surtout parce que c'était elle qui le traînait à ce genre de réunions.
Un regard en coin de Makhai attira son attention, et il décrocha son regard du sommet de la tête de Baku pour voir que lui et Kami s'étaient un peu éloignés du groupe, et qu'il lui chuchotait quelques mots à l'oreille. Sans doute des explications. Ce n'était pas très correct pour Baku, mais bon Cyno ne pouvait pas vraiment la blâmer d'être curieuse. La seule chose qui l'inquiétait était que ce dernier entende... Il avait quand même une bonne ouïe ce gaillard. Enfin bon. Tant qu'il avait ses bouchons d'oreille, tout irait un tant soit peu correctement... Eh, une minute. Qu'est-ce qui frottait contre sa peau, au niveau du poing de Baku ?
Il se crispa. Zut zut zut ! Il n'avait pas pensé à vérifier ! L'œil écarquillé, il remua frénétiquement sa longue queue dans la direction de Makhai, cherchant à attirer son attention et à bien lui faire comprendre que DANGER, sauf que trop tard, Baku venait de relever la tête, et dardait sur les deux indiscrets un regard froid. Dans ses prunelles habituellement bleues se mêlaient une touche d'un écarlate presque sanglant. Zut.
«Si vous voulez parler dans mon dos, lança-t-il à l'adresse de Makhai et Kami qui venaient de se figer net, faites-le au moins de manière discrète, ce serait sympathique...»
Asura grimaça, et un regard réprobateur à l'adresse des deux concernés les fit taire pour de bon. Cyno approuvait l'initiative. Ce n'était pas le moment de l'énerver, stop, il avait déjà suffisamment de problèmes sans rajouter une enquête du Conseil des Chefs parce qu'ils avaient senti une activité magique dangereuse de sa part ! C'était déjà assez pénible comme journée sans lui rajouter le rappel que les vieux politiques le suivaient à la trace jusque sur ses sautes d'humeur... Il resserra sa prise sur le dos de Baku, assez, il l'espérait, pour le maintenir stable, tandis que sa supérieure se redressait et englobait tout le monde d'un mouvement de bras, accompagné d'un œil froid.
« Ca suffit. Nous avons mieux à faire que de nous entredéchirer, que je sache ! Il sera déjà suffisamment pénible d'annoncer ça à Mairù sans que vous en rajoutiez !
— M'annoncer quoi, chérie ?»
Comme si un malheur ne pouvait pas arriver seul ! Il fallait que sur le pas de la porte se tienne le propriétaire de cette oh si douce voix qui venait de faire sursauter la pauvre Asura prise au dépourvu, le principal problème de la journée, Mairù en personne ! Accoudé sur l'encadrement de la porte, les dents serrées et les yeux écarquillés, le maître de la magie et créature la plus redoutée d'Azilis voire même d'Hindiale entière fixait Asura avec une étincelle particulièrement inquiétante dans ses yeux turquoise. Elle soutenait son regard, certes, et Makhai et Kami se réjouissaient sans doute qu'elle paraisse aussi calme. Mais Cyno, lui, voyait bien ses poings serrés sur sa robe, et les tics qui agitaient ses doigts.
Lui aussi était mort de peur, comme toujours lorsqu'il se retrouvait face à Mairù dans pareille situation. Mais il se contenta de serrer Baku contre lui et de fixer, du coin de l'œil, le principal danger de la journée. C'est ce que faisait un ami après tout. Il protégeait les siens. Sans montrer sa peur, de préférence.
La tâche s'annonçait ardue, car Mairù avait largement en lui de quoi terrifier quelqu'un. Maître de la magie de ce cycle, ce qui signifiait un sacré niveau de pouvoir, il concentrait aussi les titres de salopard obsessionnel et de pire grand frère de l'histoire, et Cyno en avait vu passer des mauvais grands frères. Longiligne, presque aussi grand que Cyno qui était pourtant d'une taille suffisamment importante pour que le nez de Lina arrive au niveau de ses abdominaux, il était aussi pâle que son vis-à-vis avait la peau sombre et ses cheveux comme ses yeux étaient du même turquoise étincelant d'énergie. Il portait encore sa blouse, qui recouvrait une simple tenue composée d'un haut à manches courtes et d'un pantalon de toile, accompagné de bottes ouvertes aux orteils, mais ce qui se remarquait le plus chez lui, c'était son bras droit, qui n'avait plus la moindre parcelle de peau sur lui. Il ne s'agissait plus que d'un gros tas d'énergie qui prenait la forme d'un membre, et Cyno savait très bien que son propriétaire pouvait largement le modeler à sa guise. Le privilège d'être détruit de l'intérieur sans doute...
Lui et Baku se ressemblaient beaucoup, à bien des égards. Même silhouette, même couleur de peau, même traits doux, bien que le visage de Baku soit bien plus arrondi que celui de son frère. Une légère barbe de quelques jours ornaient leurs deux visages, et même leurs couleurs principales se ressemblaient, toutes deux tournant autour des nuances de bleu. Difficile d'imaginer, cependant, au regard plein de haine que venait de lancer le petit frère à son aîné, qu'ils étaient réellement de la même famille.
Ce fut Asura qui interrompit la bataille de regards, de même que la contemplation de Cyno qui sans s'en rendre compte avait laissé son regard dériver vers les facettes les plus dangereuses de son camarade. Mairù se tourna aussitôt vers elle. Sans ciller, elle soutint son regard furieux.
« Viens t'asseoir.»
Ce dernier soupira mais obéit, s'affalant dans le canapé dans le silence le plus total. Cyno s'écarta un peu, entraînant avec lui Baku. Makhai et Kami, qui ne s'étaient toujours pas assis, reculèrent de quelques pas. Seule Asura ne bougea pas de sa position initiale. Sans doute parce qu'elle était en face de lui, et qu'il la regardait avec une certaine insistance, l'air de se demander pourquoi tant de manières. Baku grogna, et Cyno lui jeta un regard d'avertissement. Le concerné leva les yeux au ciel, sans doute pour montrer qu'il ne provoquerait pas son frère. Cyno l'espérait. Il l'espérait très fort.
Le laissant s'installer correctement, il dirigea de nouveau son regard sur Mairù, puis sur Asura. Cette dernière jeta un rapide regard vers les autres, mais ce fut imperceptible : Cyno eut tout juste le temps de voir ses prunelles bleu roi croiser la sienne avant qu'elle ne revienne sur Mairù, le visage toujours aussi calme.
« Il y a des nouvelles...
— Eh bah alors, quoi ? Va droit au but, tu veux, j'ai pas qu'ça à faire moi.»
Asura se crispa un peu, tandis que Baku émettait un grondement. Cyno, de son côté, fit la moue. Tant pis pour l'annonce douce, visiblement il fallait larguer les renseignements de manière directe et bien violente... Aïe aïe aïe.
Mairù attendait toujours, les yeux fixés vers sa supérieure, la lueur la plus mauvaise jamais vue sur son visage dans le regard. Et ce n'était pas peu dire, connaissant Mairù ; même si Cyno ne se rappelait pas d'un seul moment où c'était Asura qu'il avait fixé comme ça. Cette dernière lui lança un regard de mépris, avant de reprendre.
"Si tu me laissais parler, tu le saurais peut-être. Lina est partie, et les indices qu'elle nous a laissés montrent que ce sera pour longtemps."
La queue de Cyno se raidit d'un coup sec. Makhai se mit à se ronger les ongles avec frénésie, et Kami se décala lentement derrière le dos de son grand frère. Bonne idée, sans doute. Parce que la soudaine tension magique que l'on pouvait ressentir jusque dans ses os ne lui disait rien de bon, à Cyno. Ce dernier jeta un regard d'avertissement à Baku, qui fixait son frère avec toujours la même haine sur le visage, alors que ledit frère venait de se lever, d'un bond, vrillant sur Asura un regard empli d'incrédulité.
« C'est une blague, j'espère !»
La sous-chef soupira, avant de remettre une mèche en place derrière son oreille et de redresser ses lunettes, qui avaient glissé sur son nez.
« Je dois dire que je considère ta réaction toute entière comme étant une blague. Tu n'es pas censé connaître Lina mieux que tout le monde ici ? À moins que ce ne soient que des vantardises ? Parce que si c'était le cas, tu saurais qu'il est très peu habituel de la trouver en mission seule à cette période de l'année.»
Ouch, celle là, il allait pas s'en relever. Dans une autre situation, Cyno aurait applaudi la fantastique répartie d'Asura, et aurait peut-être poussé un ou deux hululements de soutien, mais en l'occurrence, disons qu'il avait moyennement envie de se faire vaporiser par une entité folle de rage. Entité qui venait d'ailleurs de contracter les poings et de montrer les dents, envoyant une gerbe d'étincelles dans l'air du côté où son bras était constitué de pure magie. Cyno se serra contre Baku, Makhai s'enfuit en vitesse vers l'escalier principal du hall avec Kami sur les épaules, et le demi loup-garou crut même voir Asura reculer dans son fauteuil, les mains tremblotantes. Mais ce n'était sans doute qu'une illusion, parce qu'Asura ne montrait jamais sa peur.
Enfin même si elle ne montrait pas sa peur, pour Cyno son malaise était apparent. Mairù avait quand même un regard très pénétrant, sans mauvais jeu de mots. Et le maintenir pendant plusieurs secondes sans vaciller était un exercice très difficile, même pour la meilleure sous-chef de confrérie du multivers entier et même d'au-delà. Ses dents crispées et ses yeux plissés montraient la difficulté de l'exercice qu'était celui de soutenir le regard énervé de la créature la plus puissante du monde. Créature la plus puissante du monde qui s'arracha un grognement sourd, presque incompréhensible, les poings toujours aussi serrés :
« Et vous n'avez rien fait pour la retenir, bordel de merde ?!?»
Oh ça, ce n'était pas la chose à dire ! Baku venait de se crisper et de lâcher un juron dont on se doutait de l'endroit où il l'avait appris (vu sa meilleure amie, rien d'étonnant à ce qu'il développe son vocabulaire), avant de lancer d'une voix sifflante, bras croisés et regard furieux vrillé sur son grand frère :
« J'en sais rien, qu'est-ce que tu as fait, toi ? Tu l'as arrêtée avec tes discours éloquents ? L'as-tu seulement croisée sur le chemin de ton stupide congrès ?»
C'était de pire en pire. Cyno voyait bien qu'Asura se retenait d'intervenir violemment, et lui-même ne pouvait pas faire grand-chose à part essayer d'insuffler un peu de calme à son ami, dont l'énervement paraissait grimper de minute en minute. Mais il était drôlement bien placé pour savoir qu'il ne calmerait pas Baku comme ça. Pas maintenant qu'il était lancé, pas alors qu'il y avait Mairù dans la pièce et que son état psychologique était bien malmené par une succession de mauvaises nouvelles. Il ne restait plus qu'à espérer ne pas voir surgir le Conseil à l'improviste et cette journée pourrait encore être sauvée...
Se penchant au point que leurs visages n'étaient plus séparés que par dix petits centimètres, Mairù siffla à la figure de son frère avec toute la haine qu'il pouvait :
« Oh toi, tu es mal placé pour me faire la morale, fils de pute. Qu'est-ce que tu fous encore ici ? Je te croyais déjà parti à sa recherche, vu que tu es si dévoué à son bien-être...
— Tu me cherches ? Tu veux que je te fasse encore ravaler tes conneries ?
— Assez ! »
Cyno n'eut que le temps de voir Asura se lever d'un bond, les mains tendues en avant. Deux secondes plus tard, un violent choc d'os contre énergie retentissait dans l'air, suivi des deux hurlements, un de surprise et un de douleur, des deux frères dont elle venait de précipiter les crânes l'un contre l'autre. Solution extrême mais justifiée, puisqu'ils cessèrent de se défier du regard pour regarder Asura, offusqués ; énervement qui ne put durer longtemps, vu que sur le visage de la sous-chef se dessinait un regard terrifiant à calmer même les dieux. Baku se recroquevilla aussitôt sur lui-même, silencieux, conduisant leur supérieure à relâcher la prise sur sa touffe blanche ; mais Mairù n'eut pas la même chance. Cyno pouvait voir les ongles parfaitement manucurés d'Asura lui gratter le cuir chevelu, à se demander si elle n'allait pas lui laisser des marques. A supposer qu'elle ne lui arrache pas ses cheveux avant.
Elle souffla les quelques mèches blanches restées entre ses doigts, avant de lancer :
« Je ne vous ai pas réunis pour vous voir encore démolir le hall principal, tous les deux, mais pour trouver une solution ! Alors vous redescendez d'un cran en testostérone, pitié, et vous cessez de me casser les pieds, sinon je vous jure que ça va très mal se passer !»
Baku déglutit. Ses yeux qui viraient tout doucement au rouge depuis le début de cet entretien reprirent leur changement de couleur dans l'autre direction, suffisamment pour rassurer Cyno sur l'absence de visite du Conseil. Et au moins, il avait cessé de défier Mairù du regard. Ce dernier, aussi puissant qu'il fût, pouvait difficilement continuer un combat si il était seul sur le ring ; encore plus si l'arbitre suprême le regardait avec les mêmes yeux froids que dardait Asura sur lui en cet instant. Il finit donc par se rétracter, murmurant un juron fort violent dont, là, on pouvait se poser des questions sur la provenance. Cyno soupira de soulagement. Une crise de passée, et pas des moindres vu l'expression pleine d'autorité d'Asura.
Cette dernière poussa un profond soupir, avant de se rasseoir et de reprendre.
« Bien ! Donc, pour en revenir à notre problème...»
Oh, ce que Cyno aurait aimé que Baku ait remis ses bouchons d'oreille, juste pour que l'insulte murmurée, d'un ton très bas, par Mairù passe inaperçue. Mais c'était trop demander au Créateur, de toute évidence : Baku venait de se lever, les poings serrés et les dents crispées.
« Je crois que je vais faire comme Lina avant de me remettre à commettre des meurtres. Puisque visiblement monsieur a décidé de me mener la vie dure, je pars la chercher ! Autant que je fasse quelque chose plutôt que de rester enfermé ici !»
Quoi quoi quoi ? Mais mais non mais Cyno n'était absolument pas d'accord ! Lina était déjà partie, Baku n'allait pas s'y mettre aussi ! Dans ce genre de situation il fallait rester soudés ! Et puis en plus elle allait revenir non ? On parlait de Lina quoi ! Mais évidemment, il ne put s'exprimer. Soit parce que les mots refusaient de sortir à côté de Mairù, soit parce qu'Asura venait de prendre la parole à sa place.
« Baku, notre accord passé avec le conseil des chefs stipule très clairement que justement, tu dois rester ici. Autant pour ta sécurité que la nôtre, et celle du peuple. Sois raisonnable, je te prie.
— Sois raisonnable ?!? Je pense que me barrer avant de céder à la rage est parfaitement raisonnable au contraire ! Je connais mes limites niveau gestion de ma colère et je sais très bien que je ne tiendrai pas plus de trois jours avec ce connard à tentacules !»
Le concerné eut un petit sourire railleur, qui envoya un frisson dans le dos de Cyno.
« Au plaisir de ne jamais te revoir, fils de pute à sa maman.»
A ce niveau là, ce n'était plus de la colère qui animait le visage de Baku, mais une rage meurtrière. Le genre de coups de sang qui portait bien son nom. Cyno se prépara à bondir en travers de son chemin, mais en fait de provoquer son frère en duel, Baku se contenta de tourner les talons, et se précipita dehors, sans paquetage ni même rations d'urgence. Pourtant Cyno savait très bien que son ami ne repasserait pas les portes de la confrérie de sitôt.
Il se leva d'un bond pour courir à sa suite, mais une main ornée d'ongles manucurés le stoppa dans son élan. Asura. Un regard vers sa sous-chef révéla sa mine consternée ; sans s'en rendre compte, Baku venait de lui ajouter encore plus de travail. Pourtant, elle le laissait filer. Cette femme était bien trop altruiste pour son propre bien, et l'expression était à prendre au pied de la lettre.
En un sens, il comprenait pourquoi. Lina était l'une des rares personnes qui arrivait à calmer totalement Baku après ce genre de coups de colère, et sans elle, Mairù risquait de devenir invivable. Le choix de séparer les deux frères était un choix on ne peut plus stratégique, et Mairù était bien plus dangereux lâché dans la nature que son cadet. Seulement...
« Il est parti sans rien, lança Cyno, le ton marqué par l'inquiétude. Pas de nourriture, pas de vêtements de rechange... Ça va aller ?
— Une fois son coup de colère calmé, soupira Asura, il récupérera bien assez de maîtrise sur soi pour se rendre à Necrima. Là-bas, la Création lui fournira tout ce dont il a besoin pour des voyages dans des terres plus éloignées. Et il a toujours sa montre au poignet. Si besoin, je suis persuadée qu'il l'utilisera pour venir nous demander de l'aide.
— C'est ça ! Soit il va revenir la queue entre les jambes au bout de trois jours, soit il reviendra pas du tout ! Au fond, j'avoue ne pas savoir laquelle des deux options me fait le plus plaisir ! »
.... Quel sans-coeur. Franchement, Mairù aurait pu éviter ce genre de réflexions moisies. Deux départs à la suite, ça allait déjà suffisamment marquer Asura sans qu'il en rajoute ! Cyno aurait bien aimé répondre, mais il n'était pas sûr que l'entité se soit totalement calmée. Et puis, Asura était bien en mesure de se débrouiller seule. D'ailleurs, elle venait de le relâcher, après avoir pas mal fait crisser ses ongles sur son crâne.
« Toi, je te prierais de faire silence. Si tu deviens aussi insupportable qu'aujourd'hui je n'aurai pas d'autre choix que de te cloîtrer définitivement dans ton laboratoire !»
La menace fit effet, apparemment. Mairù venait de marmonner, du bout des lèvres, une excuse réticente mais qui semblait néanmoins sincère. Rassuré sur la montée de la tension dans la pièce, Cyno se tourna vers la porte. Deux départs, de deux de ses amis les plus proches. Tous les deux des personnes très capables, en mesure de se débrouiller seules à l'extérieur. Et qui auraient une petite chance de se retrouver, en plus. Cela n'aurait pas dû l'inquiéter à ce point.
Alors pourquoi il avait ce mauvais pressentiment ?
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