Chapitre 2 (2) : De la famille dans une pochette surprise

Un coup de poing dans le mur envoya valser des éclats de pierre. Lui fit écho un grincement de métal et un petit cri de douleur, alors que Lina se tenait le poing gauche, le visage crispé par une douleur qui cette fois n'avait rien de mental.

Un père venant d'ici. Quatre frères et soeurs. Et pire que tout, Asura au courant, sacré nom du Créateur. Elle ne pouvait donc faire confiance à personne dans ce bâtiment de merde ? Quoi, après on allait lui dire qu'il était écrit sur les saintes tablettes du Créateur qu'elle était on ne savait quel prophète et qu'elle et Mairù devaient se marier et faire des enfants pour préserver le Créateur savait quelle stabilité de l'Empire...

L'idée lui provoqua un ricanement, en même temps que des sueurs froides coulaient dans son dos. Mairù marié à elle, il y avait de quoi trembler. Et l'idée qu'il lui fasse des marmots la faisait rire. Son espèce était on ne peut plus stérile. Baku lui avait même confié un jour qu'il n'était même pas sûr que son frère disposait bien d'organes génitaux en état de marche. Il avait toujours été une vraie énigme pour le corps médical après tout, en plus d'être une vraie énigme pour elle. Mais contrairement à ce qu'en pensaient la plupart des médecins, pour Lina, Mairù Claro était un mystère auquel il valait mieux ne pas toucher.

Se tenant le poignet, elle remonta dans sa chambre en catimini. Elle ne voulait parler à personne, et encore moins répondre à des questions sur ce qu'il en était de la grande révélation d'Asura. Pff. Grande révélation ses fesses. Comme si le fait qu'elle ait autant de frères et soeurs, que son père soit un incapable idiot même pas en mesure de se faire connaître à elle, et qu'elle était au final rien qu'un nom sur une liste cachée dans le bureau de la sous-chef méritait autant de mise en scène.

Son poing vola à nouveau dans le mur alors que la pensée venait tout juste de se formuler dans son esprit. Cette fois, les doigts métalliques de sa prothèse ne supportèrent pas la force mise dans le coup, et elle vit une de ses jointures éclater, laissant couler d'entre ses rouages un mélange de sang et d'huile. Les messages retransmis à ses nerfs ne se faisaient pas agréables, et le cri de douleur qu'elle avait réussi à retenir au premier assaut sur la pierre d'Asaris passa ses lèvres avec une force qu'elle n'avait pas souhaitée. Au cri se substitua un juron. Elle n'avait vraiment pas besoin d'attirer l'attention maintenant... A coup sûr tout le monde allait se précipiter sur elle, l'envahir de questions et elle n'aurait jamais de moment pour elle.

Mais en fait de la foule endiablée qu'elle avait redouté de voir, ne passa la porte du hall que Baku, un air inquiet sur son visage rond. Il s'était changé et avait remis sa tenue habituelle, un simple pantalon de toile bleue accompagné d'un haut rayé ; et, à en juger par la légère crispation de ses sourcils, pour lui non plus, il n'était plus temps à la fête. Raiju avait dû faire sortir Mairù. Sans doute ce dernier lui était-il tombé dessus, ravi d'avoir encore l'occasion d'embêter son frère détesté. Ou peut-être l'avait-il bombardé de questions en se voyant libéré plus tôt qu'envisagé. Allez savoir.

Elle avait envie de le repousser, de lui dire d'aller voir ailleurs, sacré nom du Créateur. Mais toutes ses ardeurs belliqueuses s'évanouirent au moment où son ami lui prit la main, examinant sans mot dire l'état de sa prothèse. Son sourire faible acheva de la convaincre que tout compte fait, elle voulait bien de Baku à côté d'elle.

«Tu ne l'as pas épargnée, fit ce dernier d'un ton doux. La jointure s'est déboîtée.

— Tu peux réparer ça sans demander à Al ?

— Sûrement. Viens à l'infirmerie.»

Elle appréciait énormément le fait qu'il n'ait pas posé la question de ce pourquoi elle ne voulait pas voir Al maintenant. Plus encore la douceur de ses gestes alors qu'il l'emmenait, avec le plus de discrétion dont il était capable, vers l'infirmerie d'Asaris. Sa présence s'en faisait d'autant plus indispensable. Et pas parce qu'elle devait remettre en place le doigt artificiel qu'il avait aidé à concevoir.

Ils rentrèrent dans la pièce tapissée de blanc, et Baku se rendit aussitôt derrière le lit le plus éloigné de la porte, avant d'en tirer le rideau de coton. Lina l'y rejoignit alors qu'il réunissait son matériel, quelques outils à côté de coton et de bandages. Il la laissa s'asseoir avant de prendre sa main gauche entre ses doigts et de se mettre à l'ouvrage. Le matériel de réparation de prothèses glissa doucement sur son doigt alors que de la magie de soin, une énergie toute douce et réconfortante, se répandait dans sa blessure.

La prothèse qui remplaçait son avant-bras gauche était un peu particulière, même dans un monde comme celui d'Hindiale ou les blessures et les membres en moins étaient monnaie courante parmi les voyageurs. En effet, elle n'était pas seulement métallique. Il s'agissait plutôt d'une prouesse d'Al et de Baku, accompagnés par les travaux de nombreux savants et dirigés par Asura, pour lui apporter des sensations les plus proches possibles d'un vrai bras. Ses doigts se pliaient comme avant. Elle pouvait sentir l'armature métallique de la prothèse se contracter à chaque fois qu'elle sollicitait ce qui fut un jour les muscles de son avant-bras droit. Ses nerfs étaient connectés au métal grâce à un sort combiné de Baku et d'Al. Et le sang y circulait comme si il s'était agi d'un vrai bras. De fait, elle oubliait parfois qu'elle avait au bout de son membre gauche un élément métallique qui ne se réparerait pas de lui-même, dont elle devrait prendre soin. D'où les coups de poing répétés dans le mur.

Et évidemment comme toute prothèse elle nécessitait des examens et des révisions régulières de la part d'un médecin.

Dans un sens, tant mieux si elle faisait sa révision maintenant.

« Mairù a été très surpris de se retrouver libéré plus tôt que prévu,» soupira Baku, détournant l'attention de Lina de ses soins. «Il a fait un certain vacarme pour savoir où vous étiez, Asura et toi. Il a fallu que quelqu'un explique la situation, et j'ai été le seul à pouvoir le faire. Tous les autres tremblaient de peur. Même Raiju n'en menait pas large, à vrai dire.»

Lina n'était pas tellement étonnée. Rares étaient ceux qui pouvaient se tenir dans la même pièce qu'un Mairù énervé sans trembler. Même si Asaris l'acceptait facilement dans la même pièce que les autres, au plus petit signe d'énervement, chaque membre fonçait dans sa chambre, sortait les boucliers en ithridium et priait pour que ça finisse bien. De fait, ça finissait le plus souvent sans effusion de sang ; mais même si la plupart des cas étaient sans danger pour la confrérie, on ne pouvait oublier les quelques situations restantes.

Elle grommela, préférant ne pas répondre. Honnêtement maintenant, tout ce qui l'importait était de ne pas le voir se pointer dans l'infirmerie. Elle avait assez à gérer sans rajouter la créature supérieure sur son dos.

Son regard se tournait vers Baku, qui continuait de réparer sa prothèse. Il avait fait glisser la jointure de son majeur dans son emplacement dédié, et se consacrait maintenant à la reconnection de ses terminaisons nerveuses. Comme d'habitude, il parlait peu, concentré sur son travail, et ne laissait échapper que quelques mots concernant l'état de son bras gauche. Des banalités, en un sens, vu le nombre de fois où ils avaient eu cette conversation. Elle laissa son corps se détendre. Tant mieux si il ne posait pas de questions, elle n'aurait pas supporté son indiscrétion. C'était à croire qu'il comprenait parfaitement ce qu'elle ressentait.

Minute.

Qu'il comprenait parfaitement ?

Un terrible doute monta dans son esprit, et elle dégagea son bras des mains d'un Baku pris par surprise. L'angoisse de la trahison était revenue, la prenant aux tripes, annihilant toute trace de détente qu'elle aurait pu laisser s'installer dans son organisme. Son médecin leva les yeux vers elle, les sourcils froncés, la bouche pincée par une sincère inquiétude ; pour elle, ou pour lui ?

« Tu savais ? »

La question sembla le prendre au dépourvu, et non pas parce qu'il avait l'air de cacher quelque chose. Au contraire, sa moue se fit circonspecte, et il s'éloigna un peu d'elle, lui laissant un semblant d'espace. Il reposa ses outils, avant de demander, d'un ton hésitant :

« Savoir quoi ?

— Que Makhai et Niall était mes frères, que j'avais deux autres soeurs et que mon père traînait ici avant que j'arrive. »

Au jugé de sa tête, elle avait touché un point sensible. Donc, il était au courant. Allez savoir pourquoi, cela lui faisait encore plus mal que l'idée d'Asura lui ayant caché ça durant des années. Ils n'étaient pas censés tout se dire ? Est-ce qu'il ne connaissait pas tous ses petits secrets ? Et elle avait quand même partagé suffisamment de choses avec lui pour se croire digne de confiance tout de même !

Baku ne chercha cependant pas à se défendre. Il prit une profonde inspiration avant de soupirer.

« Je dois être honnête avec toi, Lina. Effectivement, je savais que ton père venait d'ici, du moins je m'en doutais un peu vu que vous avez le même nom de famille. Difficile de te faire croire le contraire sachant que je suis né à la confrérie. Mais pour ce qui est de ta pléthore de frères et soeurs, non, je ne savais pas. Je crois qu'Asura était la seule au courant sur ce point.»

Son air désolé était empreint de sincérité, et son expression semblait supplier Lina de le croire. Cette dernière devait bien avouer avoir encore ses doutes. On lui avait, après tout, bien assez menti pour aujourd'hui. Mais elle prit le parti d'accepter ses paroles comme la vérité, parce que de toute façon, qu'est-ce qu'elle pouvait faire d'autre ? Elle découvrirait bien assez tôt si il avait été honnête ou non.

Un grommellement s'échappa de ses lèvres, et elle rendit à Baku son bras, sur lequel il recommença à travailler en silence. Sauf que cette fois, c'était elle qui parlait.

« J'ai l'impression qu'on m'a menti toute ma vie alors que je ne suis là que depuis trois ans... C'est assez désagréable comme sensation là. Et puis merde, c'est ma famille, quoi. Ça coûtait rien de me le dire, si ?

— Pas sûr, Lina, fit Baku, haussant les épaules. Le gars qui te sert de père est un sujet assez sensible pour les archives de la confrérie, et je suis presque sûr qu'Asura craignait que ta réaction soit violente quel que soit le moment de l'annonce.

— Pourquoi elle l'aurait été ?

— Bah, pour les mêmes raisons qu'aujourd'hui. Je sais pas, tu ressentirais quoi si t'arrivais dans un endroit totalement inconnu, et que des gens que tu connais ni d'Abdias Ier ni de Faëlis l'Eveillée ne t'expliquent qu'ils connaissent ton paternel et tes origines ? Non seulement c'est un beau début de quête cliché, mais en plus ça remue pas mal, non ? »

En soit, il n'avait pas tout à fait tort. Mais au point où elle en était, Lina n'avait aucune envie de démarrer une quête pour savoir qui était son père. C'était le contexte actuel qui donnait à l'information tout son potentiel pour la blesser, considérant que ça faisait trois ans qu'on lui cachait ça. Ce n'était même pas que le sujet n'était jamais arrivé sur la table. Elle se souvenait d'une période où, comprenant qu'elle appartenait à une toute autre espèce que l'humaine, elle s'était demandé d'où elle venait et pourquoi ses origines prenaient racine ici, à Hindiale. Mais non, on lui avait délibérément caché cette information.

Elle haussa les épaules. Ça avait peu d'importance maintenant, mis à part le fait qu'elle ne pourrait plus faire confiance à Asura aussi facilement. Mais elle avait sérieusement besoin de réfléchir.

« Il y a quelque chose qui te préoccupe, Lina ?

— Eh, ça fait beaucoup à encaisser là, rit-elle. Laisse mon petit cerveau assimiler ça tranquillement si tu veux pas qu'il arrive une connerie.

— La connerie, elle est déjà arrivée. Ma fête est ruinée, rends-toi compte !

— Oh ! Espèce de goujat sans-coeur, comment oses-tu te comparer à ma propre douleur ! »

Cet échange n'avait rien de sérieux et Lina le connaissait bien assez pour le savoir, mais ça ne l'empêcha pas de faire glisser sa main valide dans son dos pour empoigner l'instrument de ses représailles. Le rire de son ami résonna dans l'infirmerie alors qu'elle le frappait avec un des coussins de son lit, aux lèvres des hurlements de guerre joueurs et des insultes que tous deux savaient plaisantines. Et comme rares étaient ceux qui se laissaient martyriser à coups de polochon, une riposte en entraîna une autre, et bientôt ils étaient là à se poursuivre dans toute la pièce, terribles armes à plumes serrées dans leurs poings, le visage déchiré par un immense sourire et les bras levés devant eux pour parer les féroces attaques de l'autre.

La bataille ne dura que quelques minutes, le temps que Lina n'éclate complètement un oreiller sur la tête de Baku et qu'il ne se rende, étalé au sol, pour le bien de son domaine. Mais cela lui était bien suffisant pour laisser de côté, quelques instants, ses affaires familiales nouvellement trouvées.

Elle lui laissa le temps de recréer un oreiller tout neuf entre ses mains avant de l'aider à se relever, toujours hilare et les restes de son arme encore serrés dans sa prothèse. Baku, après avoir jeté un oeil à cette dernière, se remit à rire.

« Moi qui allait te demander de faire des tests de fonctionnement, je vois que ce n'était pas nécessaire ! La prochaine fois, essaie juste de ne pas te servir de ma misérable personne pour faire des essais de résistance, d'accord, Lina ?

— Je promets rien. Allez, debout, lavette, je sais que je peux te tirer toute seule mais j'ai pas envie ! »

Sur ces mots et contredisant ses paroles pleines d'entrain, elle ramena à elle la main qui serrait le poignet de son ami, et ce dernier se redressa d'un coup, surpris par le surplus de force qu'ils avaient mis tous les deux dans sa traction. Leur poids combiné, basculé en arrière, manqua de faire perdre l'équilibre à Lina, mais elle connaissait trop bien cette combine de la chute pour la mettre encore en application : Son pied gauche recula, prenant appui sur le carrelage de l'infirmerie, et le seul à perdre en stabilité fut Baku, qui manqua de s'effondrer contre son torse. Ce qui provoqua, évidemment, encore plus d'hilarité.

Il fallut un peu de temps à Lina pour calmer son rire, mais lorsqu'enfin ses épaules cessèrent de se secouer de façon incontrôlable, elle se remémora les évènements de la journée, et la certitude qu'elle allait avoir à réfléchir s'imposa dans son esprit.

Elle laissa filer Baku qui se remit en appui sur ses pieds, avant de remettre un tant soit peu en place ses vêtements froissés et désordonnés par les deux batailles successives et lui lancer :

« Bon ! Merci pour la prothèse, moi, je retourne dans ma chambre. J'ai des trucs à penser.

— Tu m'appelles si ça ne va pas, hein ?

— Toujours, promit-elle en se disant qu'il y avait bien des manières d'aller mal. Allez je file. Va jouer avec tes cadeaux.

— Pas le temps ! J'ai cours demain, je dois réviser mes sortilèges de réparation des os... Non pas que j'ai besoin de ce genre de sortilèges mais bon, mes profs sont intransigeants !»

Le sourire de Lina revint sur ses lèvres alors qu'elle sortait. Elle était contente d'apprendre qu'il suivait sans trop de mal les études de magie de soin en vigueur à Necrima. Après l'horreur que ça avait été pour que le Conseil des Chefs n'accepte ne serait-ce que de le faire sortir du bâtiment... Elle se souvenait très bien des négociations infernales qu'Asura avait menées pour lui reconnaître le statut d'étudiant normal et lui donner un laissez-passer permanent en dehors de son propre chez-soi. Elle avait toujours pris à coeur la vie de chacun de ses subordonnés, se souvint Lina alors qu'une réunion particulièrement hargneuse lui revenait. Son sourire disparut. Est-ce qu'elle avait vraiment cru la préserver en la protégeant de cette vérité ?

Bah. De toute façon, qu'est-ce que ça changeait. Tout ce qu'elle avait réussi à faire c'était perdre sa confiance.

« Perdue dans tes pensées ?»

La voix la fit sursauter. Ce n'était pas la voix de Baku, ni celle d'Asura, ni celle d'aucun de ses... frères et soeurs. Non, cette voix bien plus grave et empreinte d'ironie ne pouvait appartenir qu'à une seule personne, une personne dont elle avait bien pris soin de demander l'enfermement en ce 17 kaptos 2996, pour éviter qu'il ne gâche la fête, mais aussi pour qu'elle n'aie pas à le voir.

Elle ne se retourna même pas, ne laissa pas ce frisson qui menaçait de courir sur sa nuque se révéler à son interlocuteur. Elle se contenta de soupirer, avant de grogner de la voix la plus hostile possible un petit « ça ne te regarde pas.» Le concerné eut un léger rire. Elle pouvait encore sentir son regard vrillé sur son dos.

« Si tu le dis. De toute façon j'ai jamais pu le sentir le vieux schnoque.»

Et elle, elle n'avait jamais pu le sentir lui. Alors si il voulait bien mettre les voiles et la laisser tranquille... Surtout qu'elle savait fort bien ce qui allait suivre. Elle connaissait le monstre qui se tenait derrière elle. Trois ans suffisaient largement à comprendre son mode de pensée.

« Besoin d'une petite vengeance ? Je sais que tu te débrouilles très bien pour mettre les cons à terre mais si tu veux t'en débarrasser définitivement...»

Sauf qu'elle n'aimait pas du tout l'idée du «définitivement».

Appliqué à des gens qu'elle ne connaissait pas, ça ne l'aurait sans doute pas dérangée. Si elle n'avait pas été gênée par l'idée d'envoyer quelqu'un laver son linge sale à sa place, elle l'aurait laissé partir déchiqueter son... Son géniteur en petits morceaux, cela l'aurait même plus ravie qu'autre chose. Mais là on parlait de ses amis, de ses proches, de gens qu'elle connaissait depuis trois ans et dont même si ils l'avaient blessée, elle n'imaginait pas sa vie avec eux dans l'Autre Lieu. Et si elle lui avait dit que la principale cause de son affliction était Asura qui lui cachait des choses. Est-ce qu'il aurait été capable d'aller tuer son amie de toujours ?

Elle ne se retourna pas, n'alla pas faire l'acte qui la démangeait, à savoir filer une baffe monumentale à l'importun pour le punir d'avoir seulement envisagé l'idée. Elle se contenta de hausser le ton, les poings serrés et la mâchoire crispée, seuls témoins de la colère qui venait de l'envahir.

« Mêle-toi de tes affaires, Mairù. Si j'ai besoin de ton aide, ce qui arrivera sans doute le jour de la Destruction, je te la demanderai. Donc d'ici là tu es un gentil garçon et tu vas bien te faire foutre, compris ?»

Le concerné eut un rire, presque franc, presque honnête, si Lina ne se souvenait pas de sa proposition malsaine de quelques secondes avant.

« C'est noté, puce, c'est noté.»

Elle ne voulait pas en entendre un mot de plus.

Elle laissa le monstre derrière elle alors qu'elle se dirigeait vers sa chambre, sans doute d'un pas plus rapide qu'elle l'aurait voulu. Ce n'est qu'une fois la porte refermée derrière elle qu'elle sentit ses épaules se relâcher, et que son corps lui fit prendre conscience d'à quel point elle avait contracté ses muscles.

Réfléchir. Oui, elle devrait réfléchir, sans doute, mais dans la situation actuelle, ça allait être compliqué. Makhai et Niall n'avaient de toute évidence pas eu besoin de la même réflexion. Si elle descendait au dîner de ce soir, elle allait sûrement les voir discuter avec les deux nouvelles comme si rien ne s'était passé... Comme si elles avaient toujours été dans la famille. Ce n'était pas inhabituel, un accueil des nouveaux aussi décontracté, mais là, Lina n'avait pas la même perception des choses. Et puis, elle allait devoir aussi réfléchir à ce qu'elle pardonnerait, ou non, à Asura, et voir l'air coupable de cette dernière n'aiderait pas à une mise au point objective et saine pour son propre esprit.

Un rire et un bruit de cavalcade retentirent devant sa porte, et elle tendit l'oreille pour mieux discerner les responsables de pareil tapage. Deux voix ne tardèrent pas à se détacher des coups sur les murs et du verre brisé, deux rires qui détonnaient un peu avec l'agressivité des bruitages. Ceux de Raiju et de Selky, qui visiblement jouaient à se courser. Elle se doutait bien que c'était Raiju qui explosait, une fois encore, tous les vases sur son passage. L'adolescente n'avait jamais eu grande considération pour son environnement, sans doute une des raisons pour lesquelles elle se prenait les pieds dans le tapis bien plus souvent qu'il ne l'était normal, même avec sa maladresse notable. Ce qui la surprit, par contre, ce fut la troisième voix qui suivait les deux idiotes, une voix rieuse qu'elle ne parvenait pas à situer, mais de qui elle pouvait très bien deviner la provenance.

« Vous cassez toujours tout lorsque vous jouez à chat ici ?

— Oh s't'eu plaît, commence pas à faire la moralisatrice, Phoebe ! Lui répondit, le ton hilare, Raiju. C'est plus marrant quand il y a des obstacles ! »

Selky émit un petit cri de protestation, mais la voix, que Lina pouvait désormais relier à la plus âgée des deux nouvelles... soeurs, se mit à rire, on bon gros rire confortable qui en disait long sur son intégration immédiate à la confrérie. Raiju avait été de toute évidence très rapide à accepter la nouvelle dans son cercle, sans quelconque rite d'initiation ou période de méfiance. Et même si là, c'était Raiju, il y avait fort à parier que les autres feraient pareil. Même Baku, qui avait tendance à la suivre dans à peu près tous les drames amicaux, finirait par tenter de la convaincre de reconnaître les deux filles comme ses soeurs.

Ils étaient dans le vrai, elle s'en doutait un peu. Mais avec autant de pression, il y avait fort à parier qu'elle n'y arrive pas comme ça. Elle allait devoir prendre un sérieux recul si elle voulait pouvoir profiter de la vie parmi les siens comme avant. Et pour ça, il n'y avait pas trente-six solutions.

Elle se saisit de son stylo et ouvrit son journal à une page libre, avant de commencer à écrire.

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