Chapitre 1 : Une étrange affaire

Lorsque Paige Harrow, au volant de sa voiture, enclencha son clignotant pour tourner à un carrefour, elle fut aussitôt arrêtée par un barrage de police. Elle abaissa sa vitre quand une femme en uniforme, qui affichait un air arrogant, s'approcha de la portière.

— Cette zone est momentanément interdite d'accès, mademoiselle. Je vous demanderai de bien vouloir faire demi-tour.

Les lèvres de Paige se pincèrent, tandis que sa main se contractait sur le levier de vitesse. Elle n'était pas réputée pour sa patience, et voici qu'on lui faisait perdre son temps, alors que la situation s'y prêtait le moins. Son visage au front large et dégagé, avec des pommettes saillantes et un nez pointu, trahissait son autorité naturelle. Ses cheveux châtains, retenus en une queue-de-cheval, lui donnaient une expression plus sévère encore.

— C'est l'un de vos collègues qui m'a contactée en me demandant de venir ici dans les plus brefs délais, expliqua-t-elle, agacée. Mon beau-frère et mon neveu ont disparu.

— Oh, vous êtes la sœur d'Allison Baker ? Toutes mes excuses, vous pouvez passer.

La femme donna un coup de sifflet strident et deux officiers se hâtèrent de déplacer la barrière qui condamnait la route pour permettre à Paige d'avancer avec son véhicule.

Elle ne prit pas la peine de se garer convenablement et abandonna sa voiture à côté de celles de la police, au nombre de trois. Étant donné qu'elle n'avait pas à redouter un vol, elle n'hésita pas à laisser les clés sur le contact avant de sortir de l'habitacle.

Elle repéra vite son aînée, assise à l'arrière d'une ambulance. Allison, en état de choc, s'égosillait à s'en casser la voix. L'infirmier qui lui parlait s'efforçait de l'apaiser, mais il aurait tout aussi bien pu s'adresser à un sourd que cela n'aurait pas eu plus d'effet.

— Pardon ! s'exclama Paige en écartant du bras quelques policiers pour se précipiter vers Allison. Excusez-moi !

Elle franchit la distance au pas de course et s'engouffra dans le véhicule de secours où se trouvait sa sœur. Cette dernière était blafarde, malgré son teint hâlé. On avait dû lui donner une tasse de café qu'elle avait renversée sur elle, car la blouse médicale qu'elle portait était maculée de taches brunes.

— Que s'est-il passé ? demanda Paige.

Elle s'accroupit et prit les mains d'Allison entre les siennes pour les presser fermement. Celle-ci hoquetait, frissonnait et paraissait incapable de prononcer un mot. Sa cadette en profita pour observer les alentours, où officiers et laborantins s'affairaient. Inquiète, elle s'enquit :

— Où est Jane ?

— A-Avec la p-police. C'est p-pour ça que j-je t'ai fait venir. J-Je voudrais q-que tu gardes un œil s-sur elle.

— Mademoiselle, intervint l'infirmier, je m'apprête à administrer un sédatif à votre sœur. Je pense qu'elle a raison, vous serez plus utile auprès de votre nièce.

— D'accord, mais est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce qui est arrivé ? interrogea Paige. On ne m'a pas donné de détails, au téléphone.

— Allez voir l'inspecteur Wild, c'est lui qui se charge de l'enquête. Il répondra à toutes vos questions. C'est un petit homme trapu avec une abondante moustache et une vieille veste marron. Vous ne devriez pas avoir trop de mal à le reconnaître.

Paige remercia son interlocuteur pendant qu'il plongeait l'extrémité d'une seringue dans un flacon, embrassa Allison sur le front en lui tapotant l'épaule dans un geste qui se voulait encourageant, puis se lança à la recherche de l'individu que l'on venait de lui indiquer.

Bien que sa description ne soit pas des plus communes, distinguer un homme en particulier dans la marée humaine qui s'agitait autour d'elle ne fut pas une sinécure. À plusieurs reprises, Paige se renseigna auprès des policiers qu'elle croisait. On finit par lui désigner un cinquantenaire en costume, debout sur le perron.

— Inspecteur Wild ? appela-t-elle.

L'intéressé tourna vers elle une tête joufflue à la chevelure frisée. Il descendit les quelques marches qui le séparaient du trottoir pour la rejoindre. La jeune femme lui tendit une main qu'il serra brièvement.

— Mademoiselle Harrow, je présume ? C'est moi que vous avez eu au téléphone, tout à l'heure. D'après votre sœur, vous étiez l'unique personne à contacter.

— C'est exact. J'habite dans le centre de Chicago, il ne m'a pas fallu longtemps pour venir jusqu'ici. Pourriez-vous m'éclairer à propos de la situation, s'il vous plaît ?

Paige faisait preuve d'un sang-froid admirable en dépit de son jeune âge – elle avait à peine vingt-six ans, quoiqu'elle en paraisse davantage – et de la gravité des évènements. Seuls les spasmes de son corps trahissaient sa nervosité, qu'elle devait à l'angoisse.

— Madame Baker est sortie ce matin avec sa fille pour aller faire des courses. Une routine, d'après ce que j'ai compris. À son retour, son mari n'était plus là. Au début, ça ne l'a pas interpellée plus que ça, jusqu'à ce qu'elle constate aussi l'absence de son fils.

— Ils sont peut-être partis en catastrophe pour une raison ou pour une autre. Pourquoi avoir mobilisé tant d'hommes ? Garrett est quelqu'un de responsable, il...

— Avez-vous le cœur et l'estomac solides, mademoiselle Harrow ? l'interrompit Wild.

— Je crois que oui. Pourquoi ?

— Dans ce cas, suivez-moi. Vous allez comprendre par vous-même.

Paige emboîta le pas à l'inspecteur qui repartait déjà vers la maison et pénétra à l'intérieur dans son sillage. Elle ne nota rien d'anormal, à l'exception de la foule d'officiers présents. Rien n'avait changé depuis qu'elle avait dîné ici, la semaine précédente.

— Ah !

Ce cri d'effroi échappa à Paige lorsqu'elle rattrapa Wild, qui s'était immobilisé à l'entrée du salon. Les traits de la jeune femme se décomposèrent face à la vision d'horreur qu'elle avait sous les yeux. Cette odeur de ferraille nauséabonde, ces éclaboussures écarlates... D'où venait tout ce sang ?

Comme elle était d'une nature difficilement impressionnable, il lui en fallait plus pour tourner de l'œil, mais Paige comprenait désormais mieux l'état de panique intense auquel Allison était en proie. Elle-même, agrippée au chambranle, ne s'était jamais sentie aussi mal.

— Je... Je crois que j'en ai assez vu, lâcha-t-elle d'une voix blanche.

— Je vous raccompagne jusqu'à la sortie.

Elle pouvait marcher normalement, mais Wild insista pour la soutenir par le bras tandis qu'ils traversaient le hall en sens inverse. La respiration saccadée, Paige ne fut pas mécontente de retrouver l'air frais.

— C'est affreux..., souffla-t-elle. Qu'est-ce qui a bien pu se passer là-dedans ?

— C'est la question que nous nous posons tous, mademoiselle Harrow. Nous avons effectué quelques prélèvements qui sont en route pour le laboratoire, où ils seront analysés. Nous saurons bientôt s'il s'agit du sang de votre beau-frère et de votre neveu, comme nous le craignons.

— Vous pensez que... que quelqu'un a pu leur faire du mal ?

— J'allais justement vous le demander, affirma Wild. Votre sœur n'était pas en état de me répondre, alors j'espère que vous, vous pourrez me renseigner. Connaissez-vous des gens susceptibles de leur en vouloir ? Ont-ils des ennemis ?

Paige ne s'accorda qu'une seconde de réflexion. Elle n'avait pas besoin de plus de temps pour savoir ce qu'elle allait dire.

— Non, bien sûr que non. Ils s'entendent bien avec le voisinage. Garrett a un bon poste à Chicago, en tant qu'informaticien. Il peut sûrement faire des envieux, mais il ne gagne pas une fortune pour autant. Je ne crois pas qu'ils aient jamais eu d'histoire avec qui que ce soit.

— Et le fils ? Ethan ?

— Il n'a que douze ans.

— Si vous saviez, mademoiselle, le nombre de gosses de cet âge qu'on attrape en même temps que des trafiquants de drogue...

— Pas lui. Il est bien trop intelligent pour s'abaisser à ça. Il a été trois fois champion d'échecs dans sa catégorie et il pratique la natation à haut niveau. Laissez-moi vous dire ceci, inspecteur : la famille de ma sœur est une famille modèle.

Wild sortit un calepin de la poche intérieure de sa veste et griffonna quelques mots à la hâte. Le silence s'installa entre eux, jusqu'à ce que Paige le rompe en s'enquérant :

— Est-ce que vous avez une idée ?

— Pour être honnête, en vingt-cinq ans de carrière, je n'ai jamais vu un cas similaire. M'est avis qu'il y a eu dans ce salon une scène d'une rare violence.

Les muscles du visage de Paige se contractèrent à l'écoute de ces paroles, avant de se relâcher pour lui rendre son impassibilité habituelle. Jamais elle n'avait été aussi heureuse de posséder une excellente maîtrise d'elle-même, un trait de caractère que Wild ne manqua pas de remarquer.

— J'admire votre courage, mademoiselle Harrow. Peu de gens seraient capables de garder leur calme en de telles circonstances.

— Seriez-vous en train de me suspecter, inspecteur ? répliqua-t-elle, sur la défensive.

— Ce n'était pas mon but, rassurez-vous, même s'il faut n'écarter aucune piste. Nous sommes face à une affaire particulièrement complexe.

— Pensez-vous qu'il y ait une chance pour que Garrett et Ethan soient encore en vie ?

Tout en s'informant, Paige jeta un regard anxieux en direction de l'ambulance où l'infirmier avait obligé sa sœur à s'étendre après lui avoir injecté le médicament destiné à l'apaiser. Allison ne supporterait jamais de perdre son mari, et encore moins son fils.

— Comme je vous l'ai dit, tout ceci est assez particulier, répondit Wild. Nous pouvons d'ores et déjà éliminer la théorie du cambriolage, car aucun objet de valeur n'a été dérobé. En ce qui concerne un éventuel... meurtre... Nous ne sommes pas en mesure d'infirmer cette hypothèse, mais s'il s'agit effectivement de l'œuvre d'un assassin, je ne vois pas l'intérêt d'avoir fait disparaître les corps alors que les murs sont couverts de sang.

— Donc... Il est probable qu'ils aient simplement été blessés, puis kidnappés ?

— C'est fort possible, mais je ne veux pas non plus vous donner de faux espoirs. En tout cas, un élément me conforte dans cette idée-là.

— Lequel ? interrogea Paige.

— Votre sœur part tous les samedis faire ses courses à la même heure, et emmène toujours sa fille avec elle. N'importe qui est susceptible d'avoir eu connaissance de cette habitude et a pu en déduire que le champ serait libre pour agresser votre beau-frère et votre neveu. Pourquoi s'en prendre à la moitié de la famille seulement, me direz-vous ? Pour que l'autre moitié puisse payer une rançon.

À peine l'inspecteur Wild eut-il achevé sa phrase que l'un de ses collègues l'appela. Il s'éloigna de Paige, qui profita de cette interruption inattendue pour mettre de l'ordre dans ses pensées. Si Garrett et Ethan avaient juste disparu, la situation n'était peut-être pas aussi critique qu'elle semblait l'être.

— Veuillez m'excuser, déclara Wild en revenant vers elle.

— Des nouvelles ?

— Non, mais des avis de recherche sont actuellement diffusés dans tout l'État. Il n'est pas exclu que quelqu'un les ait aperçus.

— Qu'en est-il des voisins ? N'ont-ils rien remarqué de suspect ?

— Les interrogatoires ne sont pas encore terminés, mais pour le moment, ils n'ont rien donné d'utile. C'est à se demander si nous n'avons pas affaire à des fantômes.

— Des fantômes ? releva Paige. Vous pensez donc qu'ils sont plusieurs ?

— Là encore, je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, mais par expérience, j'ai du mal à croire qu'une personne seule ait pu faire disparaître un adolescent et son père de manière assez discrète pour ne pas attirer l'attention sur elle.

Paige acquiesça et Wild fouilla l'une de ses poches, à la recherche d'un petit rectangle de papier cartonné qu'il lui tendit.

— Voici ma carte. Si une information ou un détail, aussi insignifiant soit-il, vous vient à l'esprit, n'hésitez pas à me contacter. Comme je vous l'ai dit, il ne faut rien laisser de côté.

— Je n'y manquerai pas, assura la jeune femme.

Elle prit les coordonnées de l'inspecteur, puis il tourna les talons. Paige le regarda s'éloigner, tout en portant sa main libre à sa tempe. Elle commençait à avoir mal au crâne à cause de toute cette cohue. Peu sociable, elle n'avait pas l'habitude d'une telle agitation.

Elle aurait aimé s'asseoir un moment à l'écart, à l'ombre de l'un des arbres qui décoraient le trottoir, mais il lui fallait encore retrouver Jane. Elle l'avait entraperçue alors qu'elle cherchait l'inspecteur Wild, avant que la fillette ne sorte de son champ de vision, masquée par deux policiers.

— Tata !

Paige n'eut guère de difficultés à localiser sa nièce une seconde fois. Sitôt qu'elle la vit, le visage de l'enfant se fendit d'un sourire et elle lâcha la main de la femme en uniforme qui la surveillait pour se précipiter vers sa tante. Celle-ci s'agenouilla sur l'asphalte tiède tout en écartant les bras, afin que Jane puisse se nicher contre elle.

— Je suis contente que tu sois là, couina-t-elle de sa petite voix flûtée. Je comprends rien à ce qui se passe ! Maman m'a dit de monter dans ma chambre, tout à l'heure, mais c'est un monsieur qui est venu m'en sortir. Quand je lui ai demandé où elle était, il a parlé d'une ambulance. Elle est malade ?

— Non, ma chérie. Elle a juste besoin de se reposer un peu.

Paige déposa un baiser affectueux sur le front de Jane pour la réconforter, puis indiqua d'un regard à la policière, en léger retrait, qu'elle pouvait les laisser seules. La fillette serait en bien meilleure compagnie avec sa tante qu'auprès de parfaits inconnus qui la mettaient sûrement mal à l'aise, timide comme elle l'était.

— Qu'est-ce que tous ces gens font chez nous ? interrogea-t-elle, la moue boudeuse, les bras croisés sur son buste.

— Leur présence est nécessaire, expliqua Paige. Je comprends que ça puisse te perturber, mais ils sont là pour vous aider.

— Nous aider ? Comment ça ? On n'a pas besoin d'aide.

— Ton père et Ethan ont... Ils ont disparu.

— Disparu ? Où ça ? s'enquit Jane avec la candeur qui la caractérisait tant.

— Je l'ignore. Tu m'as bien raconté, une fois, que tu avais perdu l'une de tes poupées et que tu l'avais retrouvée une semaine plus tard dans ton coffre à jouets, n'est-ce pas ? C'est la même chose pour eux.

— Ah bon ? Ils ont été victimes d'un sortilège de la sorcière des nuages ?

Paige dut prendre sur elle pour ne pas soupirer. Il était normal, à l'âge de sa nièce, de s'inventer de telles histoires, car elle n'avait pas la maturité adéquate pour saisir la gravité des évènements. Elle secoua la tête, avant de tapoter doucement celle de Jane.

— Oui, c'est ça..., finit-elle par approuver. C'est à cause de la sorcière des nuages. Elle les retient sûrement prisonniers quelque part, mais comme ton père est très fort et ton frère très intelligent, ils s'échapperont vite de son cachot.

Paige tenta de paraître convaincante lorsqu'elle prononça ces mots. Ce ne fut pas une réussite, mais Jane sembla quand même rassurée. Elle ne doutait apparemment pas de la capacité de sa famille à faire face aux pires situations. Sa tante, elle, aurait aimé pouvoir se montrer aussi sereine.

***

La nuit était tombée sur Memphis. Une berline noire aux vitres teintées parcourait les rues, les phares éteints. Le moteur n'émettait pas un bruit et seul le crissement des pneus sur la chaussée permettait de deviner son approche dans l'obscurité, tandis qu'elle roulait en direction du sud.

Le véhicule ralentit aux abords d'une zone industrielle remplie d'usines désaffectées, peu fréquentée à cause de son insalubrité, puis s'arrêta. Le conducteur coupa le contact et ouvrit la portière. Mince et âgé, il possédait une cascade de cheveux blancs filandreux qui pendait le long de son dos voûté. Sa coiffure était toutefois moins saugrenue que la tenue qu'il portait.

Il avait revêtu une sorte d'uniforme ou de combinaison. Le vêtement semblait être constitué de latex, une matière des plus incongrues, surtout sur un homme aussi vieux. Il recouvrait l'intégralité du corps et, sous le reflet argenté de la lune, paraissait coloré d'une bande verticale orange, cernée par deux autres, de teinte grenat.

Un second individu, à l'habit identique, quitta l'habitacle pour se diriger vers l'arrière de la voiture. Il passa son bras à l'intérieur, comme s'il cherchait quelque chose sur la banquette, et finit par tirer un jeune garçon hors de l'automobile. Il avait l'air intimidé, mais il suivit celui qui le tenait sans rechigner alors qu'il l'entraînait en direction des bâtiments vétustes.

L'enfant se distinguait de son escorte par son allure, car il n'arborait pas d'uniforme, seulement un jean rapiécé à la mode et un T-shirt uni, sous une veste de sport.

Leur destination finale était une construction qui se différenciait des manufactures à l'abandon, bien qu'elle soit implantée parmi elles. Elle formait un carré parfait et était haute d'une dizaine d'étages. Les murs épais, percés de multiples fenêtres, ressemblaient à ceux d'une forteresse imprenable. L'unique accès à l'intérieur semblait être la double porte, maintenue fermée par un boîtier de sécurité électronique qui scintillait dans la nuit.

Le vieil homme, malgré son grand âge et son corps chétif, fut le premier à atteindre l'entrée. À l'aide d'une carte magnétique qu'il inséra dans une fente, il fit apparaître un clavier numérique sur lequel il pianota un code secret. Son majeur fut visible durant une fraction de seconde, révélant une étrange chevalière ornée d'une améthyste ovale.

Les deux battants se déverrouillèrent et ces singulières personnes au comportement des plus intrigants disparurent de l'autre côté, comme englouties par des mâchoires d'acier.

Une aura de mystère émanait de ce bâtiment, mais ce n'était rien à côté de celle que dégageait la silhouette qui n'avait rien raté de la scène. Tout ceci aurait paru suspect à n'importe qui, mais pas à elle.

Depuis le toit d'une usine voisine, tapie dans l'ombre d'une cheminée, Rachelle Smith avait observé tout ce qui s'était passé en contrebas. De là, elle avait une vue imprenable sur la rue par laquelle la voiture était arrivée, ainsi que sur l'entrée de cet étrange immeuble dans lequel les trois individus avaient pénétré.

Rien n'avait changé depuis son départ pour le Japon, quelques mois plus tôt. Ils étaient toujours aussi prudents et se croyaient parfaitement maîtres de la situation. L'idée que quelqu'un ait pu percer leur secret ne les effleurait sans doute même pas.

Rachelle n'était pas comme les autres, raison pour laquelle elle était parvenue à démêler les fils d'une affaire où tant de gens avaient échoué avant elle. Certes, il lui manquait des éléments essentiels pour comprendre précisément ce à quoi elle était confrontée, mais en dépit de cela, elle en savait plus que quiconque.

Elle abaissa ses jumelles infrarouges, ce qui ne rendit pas sa figure plus visible. Un bandeau sombre entourait ses yeux, attaché par un nœud solide à l'arrière de son crâne. Elle portait elle aussi une tenue spéciale, mais qui n'avait rien à voir avec celle des hommes qu'elle épiait. La sienne se composait d'un keikogi noir, ce qui la rendait presque invisible dans la nuit.

Comme il ne se passerait plus rien d'intéressant, Rachelle décida de ne pas s'attarder plus longtemps dans le secteur. Avec souplesse, elle se laissa glisser le long d'une corde jusqu'au sol. Elle n'eut ensuite qu'à tirer fermement dessus pour faire tomber son kaginawa à ses pieds, où la terre molle étouffa le son de sa chute.

Sans être totalement infructueuse, son observation ne lui avait rien appris de vraiment utile. Rachelle ne retiendrait de sa soirée que le fait qu'il venait d'y avoir une nouvelle victime.

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