Chapitre 29 - elle ne devait pas mourir


La chaîne se cale sur un jeu télévisé dégradant. Les méninges de Paul se tranquillisent, ses pensées se cicatrisent un peu.

Il repense d’un coup aux bribes de la conversation de Fanny qu’il a entendues le matin des obsèques d’Emilie. « …  elle ne devait pas mourir… ». De qui et avec qui parlait Fanny en prononçant ces paroles ?

Parce que c'était forcément elle qui avait prononcé ces mots. Serait-ce possible qu'elle ait parlé d'Emilie ? Parce qu'Emilie ne devait pas mourir, non, pas d'une fracture du fémur. Son décès est incompréhensible, anormal, d’ailleurs le cerveau de Paul ne peut l’accepter et le réfute. Il bascula à nouveau le goulot de la bouteille vers lui. Le torrent d’eau de feu carbonisait sa trachée, mais la brûlure le soulageait. C'était sa punition d'être en vie alors que son Emilie n’était plus.

Ainsi, il se laissa engourdir doucement au milieu de ce trop plein de malheur.

Le guignol-animateur, avec son mini micro coincé derrière son oreille, se joue du candidat mal à l’aise devant l’œil fourbe des caméras qui le jettent en pâture aux téléspectateurs. Là encore, l’audimat. Quelle gloire en retire-t-il ? Comme les autres. Il restera encore quelques années à présenter cette émission qui le discrédite au nom de la race mais l’exhausse au nez de ses patrons. Pauvre de nous, condamnés à nourrir ces rigolos jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un décide de mettre fin à ces fanfaronnades avilissantes.

La rasade euphorisante encourage le zapping de Paul. Sur une autre chaîne. Ses yeux ne distinguent plus.

Attablés autour de micros des costumés-cravatés parlent de sport. Ça y est, les rois de la pédale s’expriment sur la difficulté à rester en tête, les entraînements toujours plus durs, les séances toujours plus rudes. Aucun mot par contre sur les stupéfiants ingurgités…

Il se moque de la mauvaise foi des ces camés à la moralité télévisuelle douteuse et dont l’irréprochabilité est de plus en plus mise en doute, juste trop souvent, bien longtemps après qu’ils aient gagné leur plus belle course. Il en va de même pour les quelques footballeurs indécents qui exhibent leur bêtise et n’hésitent pas à jouer avec l’impunité qu’ils croient avoir gagnée au Mercato. Mais eux aussi jouent leur crédibilité et se risquent dans la cour de la "civilisation du paraître". Le mépris est sous jacent. Et les trop nombreux réseaux sociaux vont blackbouler les naïfs irresponsables. Car il est désormais impossible d’échapper à l’œil qui veille et qui dénoncera leurs faux pas. L’arme des services secrets descend dans la rue, elle est à la portée de tous. C’est la rançon de la gloire pour la vedette spontanée et le petit lait pour le pauvre humain ordinaire qui se débat avec sa poignée d'euros par mois.

Cette pensée renvoya Paul à son employeur. Depuis ce jour de congé où le téléphone a hurlé trop tôt par la voix d’un commandant de gendarmerie, il n’avait pas un seul instant pensé à contacter son boss. Ce n’était plus le moment. Il le ferait demain. Avant de terminer sa bouteille il griffonna sur un post-it «Appeler Marc».

Sa main dut appuyer encore sur les petits boutons noirs de la télécommande, mais le cerveau ne répondait plus. Paul cuvait son élixir et il n’avait même pas entamé le Calva !

Ce fut sa deuxième nuit de léthargie télévisuelle.

Mais cette fois, aucune sonnerie trépidante ne vint le réveiller. Il émergea de lui même et son œil se figea sur les images surannées de la veille.

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