De retour dans la salle de garde, le professeur Eluard croisa une grosse femme aux cheveux longs et détachés, ce qui était rare car, dans ce service, tant les soignants que les visiteurs étaient soumis à des règles strictes en matière d’hygiène pour protéger les patients des microbes et des maladies nosocomiales.

L’infirmière, qui était chargée de la distribution des tenues spéciales aux visiteurs, cru bon de signaler au médecin qu’elle avait déjà vu cette femme qui s’était assise un moment au chevet de Mademoiselle Duchêne, peu de temps avant que tous les appareils ne bipent et signalent l’arrêt cardiaque.

Le médecin s'arrêta un instant, il paraissait étonné de cette remarque car les seules personnes qu'il avait pu voir autour du lit d'Emilie étaient ses parents et son petit ami.

Paul ne pouvait abandonner cette main frêle. Il lui semblait que de la réchauffer éviterait qu’elle ne se vide de toute activité. Les heures défilaient. Comme promis, le docteur Eluard, vint chercher Paul à la fin de sa garde.

Afin d’aider le jeune homme à mettre un terme à sa difficulté à quitter le corps sans vie d'Emilie, Eluard le raccompagna jusqu'à l'entrée de l'hôpital.

Dehors, la nuit recouvrait l’établissement de son manteau sombre. Paul apprécia cette chape obscure qui masquait son allure abattue et ses épaules chargées de malheur. Que faire maintenant ? Il était perdu.

Emilie s'en était allée, l'abandonnant, emportant avec elle le fondement nécessaire à sa survie. Elle avait été sa colonne vertébrale et sans elle, il n'était rien. Il n'avait plus rien à quoi se raccrocher. Elle disparue, c’étaient tous ses repères qui s’évanouissaient avec elle.

Il s’égara dans l'opacité jusqu’à une heure avancée de la nuit. Ses errances le trimbalèrent dans des quartiers qu’il n’avait jamais fréquentés. Mais il n’avait plus peur de rien. De toute façon, il ne pouvait plus rien lui arriver, la pire chose de son existence venait déjà d’anéantir sa vie.

C’est le froid et la faim qui lui firent rejoindre son appartement. Leur appartement. Qu’allait-il faire maintenant, tout seul dans ce cocon douillet, où tout ce qu'il voyait ou touchait lui rappelait Emilie ?