- Chapitre quatre -

Nuage de Rose ferma légèrement les yeux en sentant du sang lui gicler sur le visage. Elle soupira en les rouvrant, découvrant son carnage. Elle s'y était mal prise pour tuer sa grive et avait maintenant un liquide écarlate plein la fourrure.

- Mais qu'est ce que tu me fait, par le clan des étoiles !

Rouspéta Patte de Pluie en s'éloignant volontairement de son apprentie, ne voulant pas salir son pelage clair.

- Je me suis loupée.

Elle allait prendre des lunes pour nettoyer ses poils ! Le sang, c'est poisseux et ça colle, et puis ça durcit vite. De plus, sur le pelage principalement noir de Nuage de Rose, ça ne se voyait presque pas et c'était donc deux fois plus dur à enlever.

- J'ai vu ça, oui. Ma pauvre chérie, t'as l'air toute énervée.

Il éclata de son rire habituel, un rire communicatif et hystérique, mais étrangement mignon.

Nuage de Rose ne répondit pas et enterra sa proie, sentant que ses nerfs allaient lâcher à un moment ou à un autre. Pas à cause de Patte de Pluie, à cause de sa putain de famille. Quand ce cas social de Nuage Frétillant avait frappé son mentor (lui laissant une belle marque qui ne partirai pas) quelque soit son degré de stupidité, il avait quand même compris qu'il aurait pas dû faire ça.

Et ce qui s'était passé ensuite rendait Nuage de Rose malade. Elle pensait que ça l'énervait, mais ça la blessait. Croc de Fourmi, en grand frère prévoyant, s'était jeté sur Nuage Frétillant, le cachant à la vue de Vent d'Illusions, qui, tout compte fait, avait plus l'air surpris et agacé que enragé. Cœur de Bulle était venu après, dans son calme habituel et sa lassitude, comme s'il ne s'était rien passé.

Pour Nuage de Rose, il ne s'était effectivement rien passé d'exceptionnel. Mais pour son père, il ne s'était rien passé du tout. « Boh, c'est qu'un gamin, détends toi un peu, Vent d'Illusions. » Et c'était là que le lieutenant avait parut vraiment enragé. Nuage de Rose ne saurait pas décrire la scène entre les deux mâles, mais elle avait eut une impression de malaise, comme si les deux étaient sur le point de se trucider depuis toujours et qu'il y avait enfin un prétexte pour le faire.

Mais les deux étaient retenus par des liens invisibles. Vent d'Illusions par sa compagne, pacifique et angoissée par la violence, et par son image. Il était lieutenant, il n'avait pas le droit de s'énerver. Et Cœur de Bulle avait des enfants, qui le scrutaient à ce moment là et qui ne le verraient plus jamais de la même manière si il commençait à vouloir faire couler le sang de ce satané manipulateur roux.

Mais ça, Nuage de Rose ne l'avait pas vu. Elle avait juste senti la tension entre son père et le lieutenant. Mais ça, encore, elle en avait rien à foutre. C'était quand son frère, le grand, qui choyait cet idiot de Nuage Frétillant et qui montrait ostensiblement sa haine envers elle, l'avait rejetée, qu'elle s'était sentie infiniment ridicule. Elle avait l'impression de pas être à sa place dans sa propre famille, et cette idée lui faisait vraiment peur.

Sa patte s'abattit violemment sur le merle, tranchant sa jugulaire d'un coup net et précis, le tuant brutalement. Si Nuage de Rose n'avait pas été de dos, Patte de Pluie se serait sûrement inquiété de voir la rivière d'émotions grondantes dans le visage de son apprentie qui menaçait de jaillir dans un torrent de douleur et d'incompréhension, qui se traduisait souvent dans des pleurs saccadés, puis dans une fureur hurlante qui se manifestait plus que souvent. Parce que Nuage de Rose était à bout. Vraiment à bout.

Elle s'était approchée de ses frères, pour essayer de calmer le plus jeune, qu'elle connaissait le mieux et qu'au final, elle aimait bien. (Ce que lui rendait Nuage Frétillant sans s'en rendre compte)

« Attends, on a pas besoin de toi »

La froideur dans la voix de Croc de Fourmi lui avait fait un gros choc. On avait jamais besoin d'elle (sauf quand il fallait faire le sale boulot. « Nuage de Rose sois gentille, garde un œil sur ton frère »). L'entendre dire ça comme si il parlait à une étrangère, ça lui piétinait l'âme. Croc de Fourmi, le libre Croc de Fourmi qui n'aimait pas les autres et qui se croyait plus fort que tout le monde, n'hésitant pas un instant à remettre en question les autres pour les déstabiliser. Sous sa cape noire de pacifiste faible, il avait une force d'esprit déroutante, et Nuage de Rose le savait. Il savait exactement quoi dire pour faire du mal au gens, même s'il utilisait cette capacité que quand il ne se contrôlait plus.

Croc de Fourmi essayait d'être gentil, mais il allait finir par déraper, en montrant la face de lui même qui avait insulté sa sœur le matin même. Et derrière sa colère et sa douleur (qu'elle n'assumait pas) Nuage de Rose avait peur, juste un tout petit peu.

Radicalement, elle était différente d'eux. Quand Nuage Frétillant n'avait besoin de personne pour s'affirmer, elle se sentait misérable quand son mentor était désintéressé dans ses habituels « Bon travail chérie! ». Donc, le père détendu dans toutes les situations qui en avait rien à faire de ce qu'elle faisait, ça la fissurait lentement et la détachait de la figure paternelle idéale qu'il incarnait. Et puis, elle était pas drôle, elle obéissait sagement en petite apprentie modèle. Même physiquement elle était différente. C'était la seule femelle, et la seule qui avait pas l'iconique pelage de jais.

Son père, ce gros lâche distant, ne disant jamais rien, rigolant comme un con quand c'était le moment mais qui à part ça, ne faisait pas grand-chose. Nuage de Rose avait passé des heures à essayer d'obtenir un compliment, quand elle était petite. Elle faisait des efforts monstres, avançait deux fois plus vite que les autres apprentis, ne dormant pas juste pour réviser des techniques de combat, et tout ça pour que son père hoche la tête machinalement quand Patte de Pluie lui expliquait que sa fille était super douée. Alors Nuage de Rose avait mal et elle allait voir Foudre Blanche, qui était le contraire de Cœur de Bulle. Toujours à l'écoute, motivée, très stressée et soucieuse, un peu trop protectrice et parano, mais toujours très douce et rassurante. En plus, c'était une grande guerrière forte et agile, qui figurait parmi les meilleurs du clan. Et ça, ça avait de quoi faire briller les yeux de Nuage de Rose.

Elle se souvenait encore de sa mère, que les autres avaient oubliée. Nuage de Rose, elle avait pas fait son deuil. Elle avait passé des heures entières à parler avec elle, à se réfugier dans son pelage tigré et à lui confier touts ses tracas, ses problèmes, ses angoisses. Avant, elle était moins colérique, moins impulsive, plus à l'écoute, parce que sa mère agissait comme un calmant, elle se sentait bien avec elle.

La seule chose qui la dérangeait, c'était que c'était sa mère qui l'avait nommée. Et elle lui avait donné un nom aussi ridicule et banal que Petite Rose. Elle ne comprenait pas ce choix qui la blessait et contribuait à son isolement, elle avait l'impression de pas avoir d'importance dans sa famille.

Puis Foudre Blanche était tombée malade à la mauvaise saison. Au début, c'était un petit rhume, rien de bien grave, et puis ça avait fini dans des longues minutes d'agonie dans une litière trempée de sueur. Nuage de Rose avait été là jusqu'au bout, elle avait dormi quelques nuits dans la tanière des guérisseurs, déchirée de ne pas pouvoir se blottir contre sa mère qui était trop contagieuse. Mais dans les derniers instants, Museau de Grêle avait convaincue Nuage de Rose de ne pas regarder quand il lui donnerait des baies empoisonnées.

« ça sera trop douloureux pour toi. Il n'y a plus d'autres solutions, elle souffre déjà beaucoup et tu ne voudrais pas qu'elle souffre encore plus, hein ? Tu vois bien, elle ne peut même plus parler ou manger, il n'y a rien à faire. Dit toi qu'elle a eut une vie géniale et qu'elle a eut la chance de t'avoir comme fille. »

Nuage de Rose était en pleurs. Elle se souvenait du sourire de réconfort de Museau de Grêle avant qu'il emmène le corps brûlant et tremblant de Foudre Blanche au fond de la tanière, là ou Nuage de Rose ne pouvait pas les distinguer. Elle se souvenait de la queue de Nuage de Pivoine sur son dos, et elle se souvenait des respirations sifflantes qui peu à peu avaient cessées, et du guérisseur noir et blanc qui était revenu.

- C'est fini...

Nuage de Rose éclata, sa rivière explosa dans une plainte grinçante et dans des pleurs salés qui dévalaient ses joues.

- Nuage de Rose ? J'ai dit quelque chose de mal ? C'est fini, l'entraînement est fini, on rentre au camp !

Patte de Pluie s'approcha d'elle, inquiet.

- Non... C'est pas toi, je suis juste super fatiguée...

Heureusement, Patte de Pluie était un peu con et accepta la réponse. Ils se dirigèrent vers le camp dans un silence un peu pesant, Nuage de Rose reniflat en séchant ses larmes.

« C'est fini » Les mots qui avaient cassés l'âme de la jeune femelle écaille de tortue.

Elle regarda le soleil, qui commençait à taper plus fort en ce début de saison chaude, aveuglée par ses rayons brillants.

Au fond des gorges, deux apprentis étaient aussi aveuglés par le soleil. Le plus jeune était tout blanc, et le deuxième était tout noir. Nuage Frétillant avait repris du service et il comptait impliquer Nuage d'Abeille.

- Tu vois, moi j'ai une super idée. On met des plumes dans une proie et je l'amène à mon mentor en signe de réconciliation

- Mais il va être énervé...

- Et alors ! Il le mérite, ce sale connard.

- Ouais, t'as raison.

Nuage d'Abeille était étrangement habité de la même haine pour Vent d'Illusions que son meilleur ami. Sauf qu'il le manifestait bien différemment. Au lieu de faire tout pour lui pourrir la vie, il était juste neutre. Mais si un jour, Nuage Frétillant levait un révolution contre lui (ce qui serait étonnant), Nuage d'Abeille le soutiendrait assurément. Il n'agissait jamais et se contentait de suivre avec une loyauté extrême.

- Va chercher la proie, prend un truc pas trop gros pour pas gâcher, je m'occupe des plumes.

Miaula le jeune mâle noir, ses yeux verts pétillants d'une excitation gargantuesque.

Nuage d'Abeille hocha la tête et observa son ami se précipiter vers la pouponnière, qui était vide et pleine de plumes. Avec un peu d'appréhension, il s'approcha du tas de gibier

Il détailla les proies, fouillant pour ne pas prendre les plus goûteuses. En écartant ainsi la nourriture, il se rendit compte qu'il avait super faim. Le soleil allait bientôt atteindre son zénith. Au fur et à mesure qu'il farfouillait, il était hanté de pensées de plus en plus sombres. Le lieutenant, il le détestait. C'était ce genre de gars qui ne prenait même pas en compte les plus jeunes. Il regardait toujours les apprentis de son regard méfiant et sévère, comme si il pensait que la bande de jeunes félins préparait un mauvais coup à chaque minute de leur existence. Il bousculait les gens, les traitaient comme des moins que rien et ne félicitait jamais personne. Nuage d'Écharde avait déjà conté à quel point son père en avait rien à foutre de lui.

Et Nuage d'Abeille, le mignon Nuage d'Abeille tout blanc, adorable et obéissant, il était frustré de ne jamais être encouragé. Quand il était petit, il voyait Vent d'Illusions comme un héros, fort, autoritaire et beau. Son rêve d'être son apprenti s'était effondré quand Nuage Frétillant avait prit la place. Pendant leur lune de décalage, Petite Abeille s'était rapproché de celui qui était maintenant son plus proche ami, toujours en quête de nouvelles anecdotes sur le grand Vent d'Illusions qu'il admirait tant.

Quand enfin Petite Abeille avait eut son nom en nuage, il avait tout fait pour attirer l'attention du lieutenant. Obsession qui avait vite disparue quand il avait compris que sa figure héroïque n'était qu'un gros con qui jouait de son autorité. Alors il s'était rangé du coté de Nuage Frétillant, qui était en quelque sorte son nouveau héros, audacieux, rebelle et indépendant.

Finalement, il opta pour une musaraigne qui avait l'air de traîner là depuis deux jours.

- Qu'es ce que tu fait ?

La voix familière le crispa.

- Bah euh, on m'a demandé de regarder s'il y avait de la chair à corbeau dans le tas de gibier, et y en a pas, alors je me prend à manger. Parce que j'ai faim et tout...

Les yeux sévères de sa mère le toisait. Ombre du Framboisier, de son nom, était une chatte presque fantomatique tellement le blanc de son pelage était éclatant. Nuage d'Abeille tremblait toujours devant elle. Elle avait une force naturelle, une élégance et une prestance dont il n'avait pas hérité.

Elle était belle, Ombre du Framboisier, mais personne la voulait. Elle n'était pas sympa du tout toujours silencieuse et froide, ne prenant jamais part aux débats et ne donnant pas son opinion. Depuis qu'elle avait fait l'erreur de tomber amoureuse de l'infidèle Patte de Pluie, elle avait ce statut de veuve trahie et brisée qui ne disait plus rien. La seule chose qui la tracassait encore, c'était son fils. Nuage d'Abeille, qu'elle avait nommé en honneur à sa mère, ce petit gringalet pas toujours très blanc, apeuré par tout ce qui bougeait, et suivant aveuglément ce stupide garnement tout noir.

Dans sa famille, il y avait toujours eu une espèce de pression de la réussite qui n'avait pas quitté Ombre du Framboisier. Sa mère, l'illustre Danse du Pollen (les nom en du étaient une tradition pour les femelles, que les chefs consentaient à appliquer pour ne vexer personne), elle même fille de cheffe, répétait toujours à la Petit Framboisier de trois lunes qu'elle devait se trouver un loyal compagnon, avoir des enfants et mener sa famille en meneuse fière et aimante. À son frère, Petit Enflammé, Danse du Pollen récitait le discours inverse, en lui disant de devenir un bon guerrier et de trouver une forte femelle à laquelle se soumettre.

Ombre du Framboisier n'avait pas réussi. Elle n'avait pas montré une image fière de sa famille, en décidant de sortir avec un sauvage, un rebelle du nom de Nuage de Pluie. Toujours en train de faire des conneries et de Suivre Nuage de Genêt, une brute épaisse. Et la Nuage du Framboisier qui venait de perdre sa mère, elle était tombée amoureuse. Avec cet idiot, elle avait eu une relation filante, intense, parsemée de courses sous les étoiles et de fous rires. Mais le rêve s'était vite arrêté quand elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte, pensant qu'il allait sauter de joie.

Il n'avait pas sauté de joie. Son visage s'était décomposé et il avait bredouillé ça :

« Ah, tu vois, je voulais te dire un truc aussi. Hum, Ombre du Framboisier, ma relation avec toi m'a fait prendre conscience de quelque chose de très important. Je suis homosexuel. Voilà voilà sinon pour le gosse c'est cool je t'aiderais si tu veux ! »

Ombre du Framboisier avait toujours mal quand elle repensait à ça. Elle savait que depuis le clan des étoiles, Danse du Pollen la regardait et était très déçue. Le pire dans tout ça, c'était que son frère avait complètement réussi. Moustache Enflammée, en bon guerrier, s'était retrouvé avec la femelle parfaite, Fleur de Mousse. Ah, et cette jolie et forte femelle avait un frangin elle aussi, qui s'appelait Patte de Pluie. Ombre du Framboisier la détestait autant qu'elle la jalousait. Elle aurait dû être comme elle, indépendante et liée avec un gentil mâle conciliant, une ribambelle d'enfants aux pattes tous bien élevés et sages. La féline blanche était juste fatiguée et furieuse d'être réduite à la ratée de la portée, comme Patte de Pluie l'était dans sa famille. Elle était cette chatonne promise à un bel avenir qui avait tout gâché et qui maintenant, était misérable face à son frère qui réussissait médiocrement.

Moustache Enflammée était toujours gentil avec elle, lui proposait son aide et ne s'énervait jamais. Son frère était parfait et elle était ridicule, à s'occuper de son fils unique et à constamment empêcher son ex-compagnon de lui souffler des idéaux violents et rebelles (Bat toi, Nuage d'Abeille, soit pas un faible et écoute ton instinct!), ce qu'elle n'arrivait pas vraiment à faire parce que Nuage d'Abeille finissait toujours par entendre les idées de son père mieux que celles de sa mère.

- C'est bien. Ne fait pas de bêtises et soit gentil, mon fils.

Lui dit elle froidement devant son air suspicieux et apeuré.

Sur ces mots, elle s'éloigna, encore plus désespérée de comment tournait son fils, son dernier espoir, qui n'était décidément pas promis à un avenir glorieux.

Nuage d'Abeille reprit son souffle, soulagé qu'elle n'ait pas posé plus de question. Sa mère, ultra croyante et construite sur la base d'idéaux strictes, voulait qu'il soit comme elle le voulait, ne lui laissant pas vraiment de choix.

Il pris sa musaraigne dans la gueule et fonça vers la pouponnière, où Nuage Frétillant attendait, un petit tas de plumes devant lui.

- Ah bah enfin, t'en a mis du temps !

Il posa la proie. Ça faisait une éternité qu'il n'avait pas posé les pattes dans la pouponnière. La tanière semblait ridiculement petite comparé à ses souvenirs, et affreusement vide et silencieuse. Quand il était chaton, il y avait des reines et d'autres enfants qui faisaient constamment du bruit, donnant vie à la cavité plongée dans une semi obscurité agréable. Maintenant, c'était mort, mais intact. Les nids étaient toujours là, confortables et biens garnis (la transition à la tanière des apprenti lui faisait encore mal au dos), et une lointaine odeur lactée flottait dans l'air.

- J'ai croisé ma mère...

- Oh. Bon, on va essayer d'ouvrir ce que tu m'a ramené.

Nuage Frétillant s'agaça en observant que Nuage d'Abeille jetait des coups d'œil nerveux vers l'extérieur, sa jolie fourrure blanche légèrement hérissée sur sa nuque.

- Détends toi, personne va venir ici, et sûrement pas ta mère.

- Mais je suis détendu ! D'ailleurs, comment tu vas faire pour ne pas mettre du sang partout ?

- Chais pas.

Le jeune mâle noir commença alors à se concentrer sur sa tâche. Il comprit alors qu'ouvrir une musaraigne n'était pas chose simple. Il fit une simple petite entaille sur le cou du rongeur et des gouttes de sang vinrent perler sur sa griffe. Il était donc exclut de demander à Nuage d'Abeille de le faire, car son pelage était immaculé. Et, étrangement, le sang ressortait vachement sur le blanc.

- Euh, ça va être dur de faire ce que tu veux faire.

Fit justement observer l'apprenti pâle.

- Oui. Sinon, j'ai une idée. On peut fourrer les plumes dans sa bouche directement.

- Dans la gueule de Vent d'Illusions ?! Mais t'es taré !

S'étrangla t'il.

Nuage Frétillant éclata d'un ricanement railleur qui donnait l'impression d'être un rire forcé.

- Mais non, triple idiot, celle de la souris !

Nuage d'Abeille s'empourpra légèrement, avec une certaine mesure de soulagement derrière sa honte. Il détourna la tête.

- Oh, elle a honte, la ptite abeille ?

Miaula Nuage Frétillant, son visage tordu dans un demi sourire de malice. La ptite abeille en question, il adorait l'embêter, le voir s'énerver et piailler comme une petite fille. Mais en vrai, il tenait à lui avec la même force que si c'était son frère.

- Non ! Et arrête de m'appeler comme ça !

Nuage d'Abeille, lui, il aimait moins ça, mais au fond, l'attention que lui donnait son camarade le touchait. Elle était bizarre, leur amitié. Le petit chat tout blanc de bonne famille, timide et soumis, ami avec le voyou de service, l'emmerdeur aux proches désordonnés et libres.

Mais, ils avaient un point en commun.

La liberté. Tout deux rêvaient de sortir de leur chaînes, de leurs limites imposées. Bien sûr, ce n'était pas la même chose. Nuage d'Abeille voulait se délivrer de sa mère, ce fantôme blanc aux yeux de faucon, toujours sur son dos à critiquer ses actions. Nuage Frétillant voulait se débarrasser de son mentor, le lieutenant roux à la voix manipulatrice, qui le retenait de faire ce qui lui plaisait. Et ça, ce désir de liberté, ça les unissait, les rapprochaient, parce qu'ils se comprenaient sans n'avoir rien à dire, la présence de l'un rassurait l'autre.

- Mais moi, j'aime bien ce surnom ! Ptite abeille, ptite abeille ! Tu rougit sous ta fourrure, idiot.

Alors que les deux se chamaillaient joyeusement, il y en avait une qui avait quelque chose de moins léger sur le cœur. Nuage de Rose, deux oiseaux dans la gueule et un visage fermé.

Derrière elle, son mentor, Patte de Pluie. Le matou gris perle la suivait avec un peu de nonchalance, tandis qu'elle filait dans la descente pour rejoindre le camp.

- Eh, va te reposer, choupette, t'as l'air vachement sur les nerfs. C'est bien ce que tu m'as fait aujourd'hui.

- Merci.

Elle jeta ses proies sur le tas de gibier et respira un grand coup.

- Je rejoins les autres, je viendrais te chercher si j'ai besoin de toi ! Bon travail, ptite fleur !

Sur ces mots, Patte de Pluie lui adressa un sourire avant de rejoindre le groupe de mâles qui mangeaient ensemble.

L'apprentie écaille gronda inaudiblement avant d'observer du coin de l'œil son frère passer devant elle, une musaraigne dans la gueule.

Ce n'était pas une musaraigne comme les autres, c'était une musaraigne fourrée aux plumes de saison. Enfin, pas vraiment de saison, parce que les nids garnis de plumes traînaient là depuis des lunes. Nuage Frétillant essayait vainement d'effacer le petit sourire en coin qui pendait à ses lèvres, parce qu'il savait que Vent d'Illusions le remarquerais et serais encore plus méfiant. Il s'engouffra dans la tanière du guérisseur, où il avait vu le lieutenant entrer.

Nuage de Rose n'y prêta pas une grande attention et prit une proie dans le tas. Enfin, elle s'apprêta à le faire quand une figure noire se planta devant elle.

- Nuage de Rose ! Je t'ai cherchée partout ! C'est pas le moment de manger, je t'avais dit de surveiller Nuage Frétillant, et maintenant il doit encore être en train de faire une connerie !

- Oui, et bah mon mentor voulais m'emmener chasser.

Croc de Fourmi se tenait là, voulant se donner l'air menaçant. Nuage de Rose n'en faisait qu'à sa tête, et ça le fatiguait. C'était une apprentie de dix lunes, qui n'avait pas les mêmes responsabilités qu'un adulte. Elle aurait pu rester avec son frère, mais elle avait choisi de ne pas le faire, sans aucun avis préalable, juste par la force de sa volonté enfantine. Malgré l'incompréhension qui le traversait, il resta le plus calme possible.

- C'est pas une raison... Tu aurais pu refuser, non ? Et puis, la famille est plus importante que l'apprentissage.

La femelle sentit des pics de colère la transpercer, mais elle se crispa pour se maîtriser. Croc de Fourmi, lui sortir que la famille était plus importante que l'apprentissage, alors qu'il était détestable avec elle ? C'était une blague.

- T'es bien gentil, mais c'est ton avis, pas le mien.

Le mâle noir explosa, ce qui n'était pas très visible car seule son ton et son vocabulaire changea.

- Je me contrefout de ton avis. Je t'avais demandé de surveiller ton frère, et tu as préféré filer. Tu aurais pu attendre pour ta précieuse partie de chasse. Je vais te dire la vérité, Nuage de Rose. Les conneries de Nuage Frétillant m'importent peu. C'est sa sécurité. Il ne voit pas les limites qu'il est sur le point de franchir, et ça va mal finir pour lui. Je croyais que tu étais assez maligne pour comprendre ça, mais apparemment non.

Nuage de Rose se laissa submerger par sa fureur qui réchauffa son sang et banda tout ses muscles d'une énergie nouvelle et douloureuse. Il parlait de Nuage Frétillant gentiment, mais elle, c'était une gamine stupide et désobéissante.

- Tu inverses les rôles, je crois. C'est pas moi qui pourrit la vie de mon mentor, qui le blesse et qui profite de toutes les autres occasions pour faire chier le monde. Je ne fais pas ça, à ce que je sache.

- Sale... Sale gosse orgueilleuse !

L'insulte avait fusé comme une tempête aux oreilles de Nuage de Rose. Croc de Fourmi continua, son joli visage déformé par de la rage et de la volonté de lui faire entendre raison. Elle avait tort dans cette histoire, elle se trompait. Elle critiquait les actions de son frère mais ne faisait absolument rien pour que cela cesse.

- Tu as tort, Nuage de Rose, tu es distante et froide, tu ne t'impliques pas dans notre famille, tu n'essaie même pas de te rapprocher de ton frère, tu préfères mener ta petite vie comme si de rien n'était. Alors tu vas te calmer, parce que si il y a une fautive, c'est bien toi. J'ai même plus l'impression que tu sois ma sœur, pour te dire.

Nuage d'Abeille regardait la scène de loin, sur le seuil de la pouponnière. Il se sentait touché par la violence de l'échange. Sa mère se précipita vers lui, l'air agacée.

- Qu'ils sont malpolis, à se disputer comme ça, en public... J'espère que tu ne diras jamais rien d'aussi vilain, mon fils.

Elle était dégoûtée par la familiarité de leurs mot, avec quelle brutalité ils se les jetaient l'un sur l'autre, hors de toute mesure. On lui avait toujours appris à mesurer sa colère et à ne pas s'énerver, elle devait toujours rester calme pour obtenir ce qu'elle voulait. On est plus conscient quand on maîtrise ses émotions.

Nuage de Rose sentit ses yeux se mouiller une deuxième fois de larmes. Elle hurla, tellement fort qu'elle aurait pu briser ses cordes vocales.

- TU TE FOUS DE MA GUEULE?! C'EST VOUS QUI ME METTEZ DE COTÉ, C'EST VOUS QUI ME TRAITEZ COMME UNE SOUS MERDE ET QUI ME RABÂCHENT QUE JE NE SERT A RIEN. ALORS NE VIENS PAS M'EXPLIQUER QUE C'EST MOI QUI NE FAIT PAS D'EFFORTS, PARCE QUE CA RAJOUTE DE LA DISTANCE ENTRE NOUS. NE VIENS PAS ME DIRE QUE JE N'EN FAIT QU'A MA TÊTE PARCE QUE J'AI PASSE MON ENFANCE À CHERCHER DE LA RECONNAISSANCE ET DE LA PROXIMITÉ ! ET DEVINE QUOI ? J'AI AUCUN DES DEUX, ALORS ÇA VA CINQ MINUTES MAIS SI VOUS ARRÊTIEZ DE VOUS VOILER LA FACE EN CHOYANT NUAGE FRÉTILLANT , VOUS VERRIEZ PEUT ÊTRE QUE VOUS ÊTES DES CONNARDS QUI ME LAISSENT DE COTE ET QUI NE VOIENT QU'EN MOI UNE GAMINE ÉNERVÉE ET FROIDE ! Je nE SuIS pAS çA, je SuIs PluS que ça...

Sa voix se brisa dans des sanglots. Fleur de Mousse, en mère de famille respectable, se précipita vers elle et lança un regard concentré de haine et de désapprobation à Croc de Fourmi. Il était timbré, celui là, à insulter sa petite sœur comme ça. La pauvre était anéantie, et avait du se montrer en spectacle devant tout le clan. Nuage de Rose, pour la femelle gris bleu, était un peu comme une fille. C'était une amie très proche de ses filles, alors elle l'aimait beaucoup et la voir comme ça, le pelage poisseux de sang et de larmes, la ravageait.

Nuage de Prêle et Nuage de Prune se hâtèrent à la suite de leur mère et raccompagnèrent leur amie dans la tanière des apprentis. Celle ci pleurait, accrochées au deux femelles qui la recouvraient de mots rassurants.

- Ça va aller, Nuage de Rose, maman va lui régler son compte.

- Tu connais ma mère, il va regretter d'avoir osé te parler comme ça.

Nuage de Rose s'affala dans son nid, séchant ses larmes et imaginant déjà son frère venir s'excuser platement, poussé par la mère de ses compagnes de tanière.

Fleur de Mousse fit face à Croc de Fourmi, attendant une réponse. Tout son esprit vibrait de savoir qu'es ce qu'il pourrait bien dire, ce bon à rien désagréable qui passait son temps à traîner dans le camp en félicitant son voyou de frère. Incapable de se battre, sortant des belles paroles pour s'amputer de toutes responsabilités, riant aux éclats en blaguant gentiment avec les autres. Il était bien gentil, mais c'était pas un adulte, contrairement à ce qu'il affirmait. Il était loin d'être un adulte.

Mais avant qu'il ait pu soumettre une réponse, Nuage Frétillant sortit en courant de la tanière du guérisseur, suivi par Vent d'Illusions qui avait l'air particulièrement agacé. On aurait même pu dire qu'il était vraiment en colère.

Ce jour là, Nuage de Rose ne reçut point d'excuses de la part de son frère.

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