❝ 𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 8 ❞
Les jours qui suivirent furent intenses et éreintants.
Fasko semblait avoir programmé chaque seconde de mon emploi du temps. Il me fit suivre un régime alimentaire précis, qui paraissait entièrement calculé, ainsi qu'un apprentissage très strict.
Même si je consacrais une partie de mon temps à rédiger mes connaissances — nouvellement acquises — dans mon carnet — aussi nouvellement acquis —, la plupart de mes journées étaient consacrées à la pratique.
Je me rendis vite compte que mes capacités étaient bien plus élevées que tout ce que je croyais. Je pris peu à peu confiance en ma magie ; désormais, je ne la considérais plus comme un nuisible, mais comme une part de moi.
Mais aujourd'hui était le « grand jour », le jour du départ. Et toute la confiance que j'avais pu gagner durant la semaine écoulée s'était évaporée dans l'air.
Maintenant que je devais partir, j'étais plutôt... contente, que Perrit vienne avec moi. Même si je n'avais pas vraiment sympathisé avec lui — il m'avait surtout ignorée — un peu de compagnie ne me ferait pas de mal.
— Bon, tu es fin prête, décréta Fasko avec satisfaction.
J'étais vêtue de la tenue de ma mère, mes cheveux réunis en une tresse qui tombait dans mon dos. Mon poignard était attaché à ma taille, et je possédais des gants spéciaux, qui ne risquaient pas de brûler et ne me dérangeraient pas au niveau de mon pouvoir. C'était une petite merveille.
Quand à Perrit, il était habillé de vêtements de laine tout simples. Il portait aussi un grand sac contenant armes et provisions.
— Merci pour tout, dis-je à Fasko en lui serrant la main.
Le vieux sage m'avait hébergée, nourrie et entraînée durant une semaine. Je ne pouvais lui en être que reconnaissante. Fasko opina du chef et m'adressa un sourire qui se voulait rassurant.
— Je suis sûr que tu vas y arriver, je crois en toi.
Pour tenter de m'apaiser, je me répétais en boucle le nom des villes par lesquelles nous devrions passer durant notre voyage ; j'avais dû apprendre l'itinéraire par cœur.
Tandis que je poussais le battant de la porte pour partir, Fasko me héla une dernière fois :
— Kyra !
Je me tournai vers le vieux sage, me demandant ce qu'il avait encore à me dire. Peut-être un dernier conseil ? Mais non, sa réponse fut très loin de ce à quoi je m'attendais.
— Tu as intérêt à venir me présenter Aldaron, s'exclama-t-il d'un ton rieur.
Un sourire crispé par l'angoisse étira mes lèvres et j'opinai vaguement en guise de réponse. Puis je sortis du bureau, pour la première fois depuis une semaine.
Ignorant Perrit qui me suivit de près, je fis une dernière fois face à la devanture bleu nuit, me rappelant mon état d'esprit lors de ma première venue. Désormais je savais où aller, je n'avais plus de raisons de m'inquiéter. Pourtant, j'étais tout aussi nerveuse, si ce n'était plus.
Le moment fatidique approchait à grands pas, bien trop vite à mon goût. Il me fallut un petit moment avant de réussir à détacher mon regard de la citation qui m'avait accueillie à mon arrivée :
D'une petite étincelle naît souvent un grand feu
Il ne faisait aucun doute que ces quelques mots concernaient les Flammes et, sans que je sache vraiment pourquoi, ils m'apportèrent une dose de courage et me mirent du baume au cœur.
Je tournai alors les talons et m'engageai dans la rue passante, les mots que Fasko avait prononcés lors de notre première rencontre tournoyant dans mon esprit :
« Les yeux des Hommes s'habituent plus rapidement à l'obscurité qu'à la lumière, au désespoir qu'à l'espoir. N'est-ce pas ? Cela en va de même pour ceux qui sont différents, ceux qui portent cette lumière partout avec eux. Les autres ne s'habituent pas à eux. »
Ces phrases aussi concernaient les Flammes, je n'en doutais plus désormais. Déterminée et pleine d'espoir, j'attendis cependant que Perrit me rejoigne au petit trot.
Je ne m'inquiétais pas de ce que je trouverai au Palais Royal, ni du fait que Perrit risquait de me ralentir ou encore des dangers qui nous attendaient sur la route. J'étais prête à tout pour sauver mon ami.
— Aldaron, nous voilà, murmurai-je tout bas pour moi-même.
⁂
La première journée se passa presque aussi bien que cela était possible. Le ciel était d'un bleu azur, quelques nuages blancs filaient à l'horizon, mais rien ne semblait présager une dégradation du temps. Le seul bémol était la température, un tout petit peu trop élevée pour pouvoir vraiment savourer les longues heures de marche.
Si Perrit n'était guère gêné grâce à ses légers vêtements en laine moi, avec ma tenue de cuir parcourue de bandes de tissus épaisses, fut rapidement trempée de sueur. Cependant ce ne fut pas moi qui fut la première à me plaindre, mais mon camarade de route, qui répétait régulièrement :
— On peut faire une pause ? J'ai soif.
Ou encore :
— On peut s'arrêter un peu ? Je meurs de faim.
Mais ce qui m'agaçait le plus, c'était ses ahanements incessants ponctués de « j'ai chaud » épuisés, comme s'il était à bout de forces. Mon instinct ne m'avait pas trompée ; il n'aurait pas dû venir avec moi.
Même si j'avais largement l'énergie de continuer, nous dûmes nous arrêter tôt ce soir-là, au moins deux bonnes heures avant la tombée de la nuit. Nous nous trouvions alors dans une sorte de petit pré tranquille et silencieux, décoré d'un puits en pierre tout simple, envahi de quelques branches de lierre.
Nous pûmes ainsi remplir nos gourdes et monter le camp à l'ombre des arbres, le temps que la chaleur diminue. Cependant ce ne fut pas le cas, et l'atmosphère fut bientôt étouffante, même à l'abri du feuillage des arbres.
Je fis un effort pour détendre l'atmosphère, me sans que ce ne pouvait qu'arranger les choses, et commençai à interroger Perrit :
— Alors, d'où tu viens en vrai ?
Le jeune garçon me lança un regard étonné, et prit quelques instants avant de me répondre :
— D'un petit village, tu ne dois pas connaître. Et toi ?
— Cuniæ, fis-je en ouvrant le grand sac contenant nos provisions. Tu ne dois pas connaître non plus
Je me mis à chercher de quoi préparer notre dîner. Nous avions pas mal de nourriture à faire cuire, mais je n'avais nullement envie d'allumer un feu. Même si cela ne m'aurait pris qu'un instant, il faisait déjà assez chaud comme ça.
À la place, je sortis donc un sachet de fruits secs, des lanières de bœuf séché et des biscuits secs. Concentrée sur ma tâche, je n'avais pas remarqué l'air étonné de Perrit, qui ne m'avait pas quittée des yeux depuis que je lui avais dit d'où je venais.
— Eh bien quoi ? lâchai-je sèchement. Qu'est-ce que j'ai dit ?
— C'est juste que... je viens du même village que toi. Cuniæ.
Je restai quelques instants immobile, sous le choc. L'idée que Perrit vienne du même endroit que moi ne m'avait jamais traversé l'esprit, et pourtant... Je ne savais pas quoi lui dire, une tonne de questions se bousculait dans ma tête, sans que j'arrive à en prononcer une seule.
— Mais, comment... ?
Un mince sourire apparut sur le visage de Perrit, pour la première fois depuis que je l'avais rencontré.
— En fait, je viens de Cuniæ, mais j'en suis parti à mes quatre ans. Ma famille était très pauvre, c'était des fermiers. Fasko m'a fait une faveur en m'accueillant. Il m'a donné l'opportunité de devenir quelqu'un.
Désormais, je voyais mon camarade de route sous un nouveau jour, inattendu. Mes épaules se relâchèrent et un mince sourire apparu sur mon visage. J'étais plus que jamais contente qu'il soit ici, avec moi. Je me sentais détendue en sa présence, ou du moins plus que je l'étais auparavant quand je devais parler avec lui.
— Tiens, fis-je en lui tendant un biscuit au fromage.
Perrit m'adressa un regard chaleureux. Il semblait s'être transformé du tout au tout lui aussi, passant du garçon impassible — voire froid — à celui sympathique.
— Tu peux réchauffer ça ? me demanda-t-il, un morceau de viande cuite et froide à la main.
— Tu sais, rétorquai-je en levant les yeux au ciel, tu as un truc qui s'appelle les allumettes. C'est pratique aussi !
— Tu sais, il y a un autre truc pratique, ça s'appelle la magie du feu.
Je levai de nouveau les yeux au ciel et mis ma main à plat, la paume tournée vers le haut. Perrit déposa la viande au creux de ma main, et je sentis une douce chaleur envahir mes doigts. Chaleur très différente de celle que je pouvais ressentir auparavant. Désormais elle était moins forte, moins brûlante même pour moi. C'était une sensation douce et réconfortante.
Une fois la viande réchauffé, je la lançai à Perrit qui l'attrapa en plein vol et la mit directement dans sa bouche.
Je croquai une amande et me laissai tomber sur le dos, les yeux posés sur les étoiles. Perdue dans mes pensées, je ne pouvais m'empêcher de me demander si Aldaron, où qu'il soit, pouvait voir ces mêmes étoiles.
⁂
Le lendemain, je me réveillai à l'aube. Une lumière grise et diffuse illuminait les alentours. Perrit dormait profondément à plusieurs mètres de là. L'esprit étonnamment léger, je le réveillai en lui secouant l'épaule. Après un petit déjeuner prit sur le pouce, nous reprîmes la route.
Cette seconde journée de voyage fut tout particulièrement atroce, et j'eus moi-même du mal à ne pas me plaindre. Les rayons que le soleil dardait sur nos épaules rendaient notre respiration difficile et notre avancée précaire. D'autant plus que nous devions avancer sur un long chemin de terre qui n'offrait guère de protection contre la chaleur étouffante, il n'y avait aucune ombre à l'horizon.
En fin de matinée, alors que le soleil était à son zénith, nous prîmes la décision de rester sous le couvert des arbres jusqu'à la tombée de la nuit, où nous progresserions à la lumière de la lune. Cela nous ferait perdre un temps précieux, mais ce serait toujours mieux que de s'évanouir à cause de la chaleur.
Seulement voilà : dans « couvert des arbres », il y a « arbres ». Cependant la parcelle de forêt dans laquelle nous nous étions abrités la veille au soir était loin derrière nous, et une succession de villages semblait se succéder à l'infini, que ce soit à droite ou à gauche du chemin sur lequel nous étions.
— Une préférence ? me demanda Perrit, visiblement à bout de forces.
Je haussai les épaules, moi-même épuisée. Sans prendre la peine de parler — afin de ne pas gâcher le peu de salive qui restait dans ma bouche sèche — je tournai à gauche et descendit une légère pente avant d'entrer dans un village inconnu.
L'endroit était charmant et pittoresque, mais semblait aussi très ancien. Toutes les rues étaient pavées et les minuscules maisons faisaient figure de jouets pour enfants, avec leurs murs en bois et terre séchée et leur toit de chaume.
Avec la chaleur étouffante qui régnait, c'en était presque inquiétant : la moindre flammèche et tout s'embraserait en un instant.
Cette réflexion m'arracha un frisson, et j'enfonçai mes mains dans mes poches afin de ne pas prendre le moindre risque. Je n'avais pas intérêt à perdre le contrôle ici.
Il nous fallait maintenant trouver un lieu où dormir, mais le village ne semblait pas posséder d'auberge et les habitants nous évitaient comme si nous étions dangereux. Visiblement, ils n'avaient pas l'habitude d'avoir affaire à des étrangers.
— Où sommes-nous ? murmura Perrit.
J'aurais bien été incapable de répondre à cette question ; je n'avais aucune idée du village dans lequel nous nous trouvions ; il ne faisait pas partie de la liste initiale des endroits qui auraient dû nous servir d'escale.
— Tant pis pour la chaleur, répondis-je tout aussi bas. Allons nous-en d'ici.
Heureusement pour nous, les rares habitants qui se trouvaient dehors étaient bien trop occupés à se cacher loin de nous pour avoir ne serait-ce que l'idée de nous arrêter. Sans un mot, tout de même effrayés, Perrit et moi nous éloignâmes au maximum de cet endroit, qui de charmant était passé à lugubre.
Résignés, nous nous arrêtâmes à distance respectueuse du village. Nous nous assîmes au bord de la route et burent l'eau tiède de nos gourdes à petites gorgées.
Le reste de la journée promettait d'être terriblement long.
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