❝ 𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 7 ❞

J'avais les larmes aux yeux, émue au-delà des mots. J'ignorais pourquoi, mais ce récit, empreint de souffrance et d'espoir, m'avait fait l'impression de me retourner l'esprit.

Malgré le fait que je connaissais parfaitement la réponse, je demandai à Fasko d'une voix frêle :

— Emily, elle est... ?

— ... Morte, comme tous les autres. Aucune Flamme n'a survécu à cette bataille.

Je reniflai, et m'efforçai de me reprendre ; ce n'était pas le moment de craquer. Mais désormais, une nouvelle raison c'était ajoutée à ma quête pour sauver Aldaron. Je voulais comprendre, résoudre ce mystère qui s'offrait à moi.

Pourquoi Yvan et Emily avaient-ils disparu du jour au lendemain, pour revenir dix-neuf ans plus tard ?

Les Flammes étaient mon héritage, que je le souhaite ou non. Ils étaient ma famille, je devais « reprendre le flambeau », comme l'avait si bien dit Emily.

Tout d'un coup, être une Flamme ne me paraissait plus si horrible. Même si tout aurait été plus simple si je n'avais pas été seule, ou si j'avais une Flamme à portée de main pour m'expliquer comment gérer ce qui m'arrivait.

Les Flammes, d'aussi loin que remontait l'Histoire du monde, s'en était toujours sorties toutes seules ; elles s'entraidaient et s'entraînaient seules, et avaient bâti le Mur qui séparait Aellaron et Arcalia des contrées lointaines, dangereuses et emplies de monstres terrifiants. Les Flammes avaient non seulement des pouvoirs, mais elles avaient aussi la capacité de réfréner la magie des leurs, ce qui étaient très utiles quand un apprenti ne la contrôlait pas totalement. Comme moi à vrai dire.

Revenant à la réalité, je refermai l'épais livre dans un claquement sec, qui souleva un petit nuage de poussière. Me tournant ensuite afin de faire face à Fasko et Perrit, je déclarai le plus posément du monde, comme s'il s'agissait de quelque chose de tout à fait anodin :

— Alors, comment on fait pour entrer au Palais royal et libérer quelqu'un ?

Un mince sourire étira les lèvres du sage, tandis que son apprenti faisait — toujours — la moue. Au moins l'un des deux me prenait au sérieux.

— Eh bien, répondit Fasko, tu vas devoir correctement te préparer. Être armée, et pas seulement d'un poignard. Tu vas devoir apprendre à utiliser ta magie. Tu peux...

— Je sais ce que je peux faire, le coupai-je.

Ce cours, je le connaissais pas cœur, merci Mademoiselle Mila ! Je pris alors l'air d'une élève modèle récitant sa leçon :

— Tout d'abord, les Flammes commencent par apprendre à utiliser le feu. Par la suite, elles peuvent commencer à apprendre à se téléporter dans des endroits qu'elles connaissent. Enfin, les plus forts sont capables de faire de la télékinésie.

Fasko approuva d'un signe de tête et enchaîna :

— Malgré que tu n'aies pas reçu d'entraînement digne de ce nom, tu me sembles avoir un grand potentiel. Avec du temps et de l'effort, je suis persuadé que tu pourras sans mal déplacer des objets par la force de l'esprit.

Il parut hésiter un peu, puis me demanda :

— Combien de temps penses-tu avoir devant toi ?

— Pas longtemps, avouai-je en me mordillant la lèvre inférieure. J'ignore ce qu'ils peuvent faire subir à Aldaron pendant qu'on parle. Je ne peux pas me permettre de prendre mon temps

— Mais si tu n'en prends pas assez, cela coûtera votre perte à tous les deux.

— Merci de me le rappeler ! râlai-je tout en savant pertinemment qu'il avait raison.

Tout était question d'équilibre, aujourd'hui plus que jamais. Attendre signait l'arrêt de mort d'Aldaron, partir tout de suite à sa rescousse tenait du suicide.

— Tu dois t'entraîner, déclara Fasko comme s'il s'agissait d'une évidence.

— M'entraîner ? grommelai-je. Je vais le rajouter sur ma liste de choses à faire, juste après « sauver Aldaron » et « éviter de faire cramer des gens ».

Fasko eut un sourire en coin.

— Je comprends que ce ne soit pas ta priorité, mais ça le deviendra quand des gardes se dresseront entre toi et ton ami.

Décidée à trouver un compromis, je tentai :

— J'apprends à peine m'enflammer à la moindre contrariété et à maîtriser un peu le feu et je m'en vais. Je n'ai pas besoin de télékinésie, et je peux me passer de la téléportation.

Fasko resta un petit moment indécis, pesant le pour et le contre de la suggestion.

— D'accord, finit-il par approuver avec un léger hochement de tête. Mais, me coupa-t-il en me voyant me lever, tu vas d'abord dormir.

— Je veux réessayer le truc de la boule de feu.

— C'est un ordre.

J'ouvris la bouche pour protester, mais le regard de Fasko m'en dissuada. Le sage me désigna une porte derrière le bureau et, me forçant à ravaler ma fierté, je m'en approchai.

En la poussant, je découvris une chambre sobre mais pratique, avec un lit simple, une table de chevet et un placard. Je pris soin de déposer le poignard de ma mère — que j'avais entre-temps récupéré — sur la table de chevet, à portée de main. Puis j'accrochai les pochettes et bandes de cuir qui composaient ma tenue dans le placard.

Après cela, je m'effondrai toute habillée sur le lit, et m'endormis en un instant.




Dès que j'ouvris les yeux, je sus que je rêvais, il ne pouvait en être autrement.

Immédiatement, j'eus peur ; mon dernier rêve ne s'était pas très bien passé. Cependant cette fois-ci, cela me semblait très différent. Un songe anodin ? je n'y croyais pas.

Angoissée, je me mis à chercher ce qui clochait. Je me trouvais dans une épaisse forêt, qui me rappelait celle de mon village natal. Juste à côté de moi, un torrent gigantesque rugissait, projetant de l'écume en tous sens. Quelques gouttes froides m'atteignirent, mais cela ne me fit pas réagir.

Le bruit tonitruant de l'eau assourdissait tous les autres sons, et cela m'effrayait. Soudain, mes craintes furent noyées par un détail que je remarquai enfin : une paire d'yeux bleus me fixaient depuis l'ombre.

M'approchant de quelques pas, je découvris que ce regard cobalt appartenait à un jeune homme d'une vingtaine d'années. Blond, yeux bleus, visage impassible, habillé d'un costume noir.

Comme je l'observais avec attention, il tourna les talons et s'enfuit en courant, s'enfonçant plus profondément dans la forêt. Je m'élançai sans hésiter à sa suite. J'avais le sang qui tambourinait contre mes temps, mon cœur battait à la chamade. Un mélange de peur et d'adrénaline m'électrisait.

Soudain, alors que je tentais toujours de rattraper le jeune homme, les bois se mirent à tournoyer autour de moi. Je chancelai, prise de vertiges. Une voix résonna dans mon esprit. J'avais l'impression qu'elle me déchirait le cerveau, me grillait les neurones.

Je me mis à hurler de toutes mes forces, autant pour me réveiller que pour chasser cette voix, qui s'insinuait, vicieuse et inquisitrice, dans mon esprit. Les mêmes mots étaient répétés en boucle, de plus en plus fort et sur l'air d'une comptine pour enfants de mauvais goût :


Fille du feu, fille Flamme

Enfant des cieux, sans rigolade

Sauveur, protecteur, obéissant, aimant

Les Flammes indispensables !


Tout d'un coup, les cris cessèrent comme ils étaient venus. En revanche, ils furent remplacés par des hurlements qui me parurent bien pires.

Aldaron.

Des images de lui se succédaient dans mon esprit, toutes plus horribles les unes que les autres. N'ayant aucun moyen de savoir si ce que je voyais était réel ou représentait le fruit de mon imagination, j'étais condamnée à observer mon meilleur ami de toujours subir d'atroces tortures durant ce qui me parut une éternité.

Mon impuissance face à ce cauchemar me dévorait, me rongeait. J'étais plongée dans une lutte intérieure pour me réveiller.

Enfin je réussis à échapper à ces images, alors que ses agresseurs envoyaient des décharges électriques à Aldaron tandis que je restais là, impuissante.



En ouvrant les yeux, je m'attendais à hurler, à me redresser d'un coup et à me débattre. À la place — et c'était sûrement plus terrible —, j'étais pétrifiée dans mon lit, un filet de sueur coulant sur ma tempe gauche. Mes poings étaient serrés si fort que mes ongles avaient formé des marques en croissant de lune au creux de mes paumes.

Il me fallut plusieurs secondes avant de pouvoir bouger de nouveau, et encore un peu plus avant de remarquer mes joues trempées de larmes. Pourtant, aucun sanglot ne déchirait ma poitrine. Comme si quelque chose en moi s'était brisé, était... mort.

Terrifiée par cette réflexion, je me levai en vitesse, faillis sortir de la chambre mais m'arrêtai au dernier moment, la main sur la poignée. La pièce dans laquelle je me trouvais n'avait aucune fenêtre, et je n'avais aucun moyen de savoir l'heure qu'il était. Or si Fasko et Perrit étaient réveillés, je n'étais pas sûre d'être capable de les affronter.

Toutefois je n'étais pas prête à essayer de me rendormir. Au contraire, il me fallait quelque chose sur lequel me concentrer, pour rester éveillée.

Je me plaçai donc dos au mur, afin d'avoir un point d'ancrage et quelque chose qui m'empêcherait de m'effondrer au sol en cas de chute.

Intensément concentrée, je plaçai mes mains parallèlement, en face de mon visage, les paumes l'une vers l'autre. Les doigts écartés, suant sous l'effort, je me représentais une boule de feu entre mes mains.

Une minuscule flammèche flottant dans l'air finit par apparaître, et je sentais déjà ma force faiblir. Mais me remémorer Aldaron torturé suffit à me donner l'énergie nécessaire pour poursuivre. La flammèche gagna en ampleur, et je m'efforçai de la compacter en une boule de feu.

Les battements déjà affolés de mon cœur s'accélérèrent encore, je tremblai de tous mes membres. Mais cela ne m'empêcha pas de poursuivre, mettant toutes mes capacités dans cet exercice.

Cependant la boule de feu finit par disparaître, je me sentais vidée de mon énergie. Au même instant, alors que je jurais intérieurement, on toqua à la porte de la chambre, et je lançai d'une voix forte :

— Entrez !

Perrit ouvrit la porte et glissa sa tête à l'intérieur. Il me salua d'un signe de la tête et me tendit une pile de fins livres. Devant mon regard ahuri, il m'expliqua :

— Fasko a pensé que tu aimerais voir ces bouquins. Ce sont des livres d'apprentissage, qui se trouvaient dans la bibliothèque du refuge des Flammes.

Intéressée, je m'emparai des livres, remerciai Perrit à mi-voix, et le regardai refermer la porte. Je m'asseyai ensuite sur le lit défait et détaillai les précieux objets que je tenais entre mes doigts. Chaque livre avait été soigneusement relié, tous avec une couverture de couleur différente. Il y en avait une petite dizaine en tout, chacun devait faire une centaine de pages.

J'attrapai le premier de la pile, avec une couverture d'un vert chatoyant, qui me rappela avec un pincement au cœur nostalgique le vert des feuillages de chez moi. L'écriture était d'un noir légèrement luisant, comme si l'encre était encore fraîche.

J'ouvris le livre au hasard, poussée par ma curiosité, et lis les premières lignes de la page devant mes yeux :


« La technique de Bāla est une des techniques les plus élémentaires à enseigner aux Flammes, dès que celles-ci ont appris l'Elenchos.

Cette technique ancestrale se base sur la magie du feu, et demande de la rigueur et de la concentration, afin de créer une boule de feu qui flotte dans les airs. Avec de l'entraînement et de bons enseignements, il est également possible d'apprendre aux Flammes à jeter leurs boules de feu directement sur leurs ennemis, voire de les faire flotter à plusieurs mètres d'elles. »


Ce court texte contenait nombre de mots que je ne connaissais pas, à commencer par la fameuse « technique de Bāla » et « l'Elenchos ». Pourtant cela me donna juste envie de poursuivre mes recherches, sans pour autant m'effrayer.

Je trouvai un certain côté ironique à la situation : moi qui n'avais jamais aimé étudier, voilà que je me plongeais dans des livres de mon plein gré !

Je passai toute la matinée à lire, feuilletant les livres les uns après les autres, les parcourant en diagonale. Petit à petit, je commençai à amasser une quantité de connaissances à laquelle je ne m'attendais pas. Pour ne rien oublier, je demandai un carnet à Fasko — qui m'en fournit un sans discuter — et notai tout ce qui me semblait utile.

Ainsi, j'avais noté quelques-unes des techniques concernant la magie du feu. Même si je n'apprenais pas toutes à les maîtriser avant mon départ, les connaître me semblait déjà un bon point.

Ce fut la faim qui me fit arrêter mes recherches. Mon estomac gronda, me ramenant brusquement à la réalité.

Je laissai donc tomber la pile de livres colorés afin de sortir de la chambre, pour la première fois de la journée. Je trouvai Fasko penché sur son bureau, au-dessus d'une liasse de papiers à l'aspect ancien.

Quant à Perrit, il n'était nul part en vue. Cependant, cela ne me perturba pas, je n'avais rien à faire des vas et viens de « l'apprenti » du sage.

— Dans une semaine, marmonna Fasko sans lever les yeux de sa paperasse.

Une étincelle apparut dans mon regard.

— Une semaine ? Ça veut dire que je pourrai partir dans sept petits jours ?

— Tu sais, tu n'es pas prisonnière !

Un rire rauque échappa à Fasko, qui redressa enfin la tête.

Je sentais l'espoir revenir en moi : une semaine, c'était un délai. Peut-être trop long, mais avec une date butoir. C'était déjà ça.

— Perrit est parti acheter quelques fournitures pour votre départ, m'expliqua Fasko.

— Notre départ ?

— Oui, Perrit part avec toi. Il veillera sur toi.

— Perrit ? dis-je, ma voix partant dans les aiguës.

Un ricanement moqueur m'échappa. Même si je ne formulai pas ma pensée tout haut, je n'en pensais pas moins. Face au voyage qui m'attendait, Perrit ne me serait pas d'une très grande aide. Cependant, je n'étais pas en position de protester.

— Ok, mais je vais avoir besoin de votre aide.

Fasko sourit et m'adressa un clin d'œil complice.

Et mon entraînement commença.

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