❝ 𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 6 ❞

Voilà, c'était dit. Je ne pouvais plus faire demi-tour. Même si à vrai dire, je n'en avais nullement envie.

Cette magie avait gâché ma vie, et je trouvais que cela représentait un bon compromis pour ne pas gâcher celle d'autres personnes.

Fasko se leva en silence, et s'éloigna. Il passa une porte et disparu dans ce que je devinai être une petite remise, me laissant seule avec Perrit. Ce dernier me regardait de son air tranquille, le visage dénué d'émotion.

— Alors comme ça, tu es spéciale, dit-il.

Ces paroles n'étaient pas une question, alors je haussai les épaules.

— Apparemment.

— Ça doit être chouette.

Un rictus étira mes lèvres. Chouette ? J'aurais donné n'importe quoi pour me débarrasser de mes pouvoirs ! Mais au lieu de hurler sur le jeune homme, je rétorquai calmement en agitant mes doigts sous son nez.

— Si tu les veux, je te les donne avec grand plaisir !

Perrit esquissa un mouvement de recul, comme s'il craignait que je ne l'attaque. Cela me fit lever les yeux au ciel, et je me désintéressai de lui pour reporter mon attention sur la porte par laquelle Fasko avait disparu.

Le sage revint peu de temps après, et se raidit en passant le seuil de la porte. Ses yeux indéchiffrables passèrent de Perrit à moi, pour ensuite effectuer le même trajet en sens inverse. Il devait sentir la tension qui alourdissait l'air.

Fasko se remit en marche sans faire aucun commentaire, et déposa un livre sur son bureau. Mais ce livre n'avait rien de classique. Il possédait une épaisse couverture en cuir noir, avec des pages jaunies par le temps.

En suivant mon regard interrogatif, Fasko m'expliqua :

— Ce sont les rapports des Flammes des cinquante derrières années avant leur disparition. Je me suis dis que ça pouvait t'intéresser.

Mes yeux détaillèrent avec attention la couverture, me demandant quels secrets le grimoire pouvait-il bien renfermer. Je devinais sans mal qu'autre chose se cachait derrière la simple envie de Fasko de me montrer ce livre.

En réalité, une chose était certaine : si j'étais une Flamme, j'avais de la famille qui l'était aussi. Mais qui ?

Évidemment, mes pensées se tournèrent tout de suite vers mes parents. Après tout, je ne les avais jamais connu. Mais quelque chose clochait. Les Flammes avaient disparu depuis trois siècles. Comment mes parents pouvaient en être ?

Non, c'était impossible.

Chassant cette pensée de mon esprit, je me concentrais sur le livre et l'ouvrit délicatement.

La première page était signée par un ensemble de personnes, mais leur écriture était trop alambiquée et serrée pour que je puisse déchiffrer quoi que ce soit. Abandonnant cette partie, je tournai encore la page et découvris le début des rapports :


« JOUR 3 DE LA PREMIÈRE TRENTAINE D'ALËMENNIA :

Sefir a recueilli un nouvel apprenti, Emor. »


Je fis défiler quelques pages, lisant en diagonale les rapports suivants. Mon regard s'arrêta sur un jour en particulier :


« JOUR 22 DE LA TROISIÈME TRENTAINE DE JASMA :

Emor a réussi la technique de Bāla. Sofia a épousé Jok (à quand le petit bébé ? ☺) »


La technique de Bāla ? Je faillis lever les yeux vers Fasko pour lui poser la question, mais me repris à la dernière seconde, ne voulant pas lui dévoiler mon manque de connaissances.

À la place, je poursuivis.

Ne trouvant rien de très intéressant, je passai plusieurs années. Je m'arrêtai huit ans plus tard, surprise. En effet, l'écriture bien soignée avait été remplacée par des lettres tremblotantes, écrites à la va-vite :


« JOUR 17 DE LA TROISIÈME TRENTAINE D'OSKA :

Le refuge des Flammes a été attaqué !

Kerœ est divisé, la guerre fait rage entre Aerallon et Arcalia. »


Ce message, quoique bref, m'arracha un frisson. À partir de maintenant, les choses allaient se compliquer. En effet, je ne tardai pas à trouver quelques jours plus tard quelque chose d'encore plus inquiétant :


« JOUR 26 DE LA TROISIÈME TRENTAINE D'OSKA :

Personne ne sera épargné par cette guerre. Les plus jeunes Flammes ont trouvé refuge dans les souterrains, pour échapper au massacre.

Le Roi Birman, meneur d'Aellaron a décidé d'engager les Flammes dans le combat. »


Je feuilletai le livre de plus en plus vite, suivant l'histoire de ces personnes qui, je le savais, n'avait qu'une seule issue.

Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, les rapports se faisaient de plus en plus rapides, et de moins en moins fréquents.

Les pages du livre étaient gondolées, salies, abîmées. Les écrits prenaient aussi des allures militaires, exposant brièvement les avancées des deux armées, ainsi que, plus tristement, les nombreuses victimes parmi les Flammes.

Devant une telle injustice, je sentais le sang battre au niveau de mes tempes, ma colère montait. Tout ça n'aurait jamais dû avoir lieu ! Je me mis intérieurement à haïr ces dirigeants qui n'avaient rien trouvé de mieux que de déclencher une guerre dévastatrice, tout en y mêlant les protecteurs du Royaume.

Soudain, me prenant au dépourvu, je découvris ce qui ressemblait à une bonne nouvelle, près de trente ans après le début de la guerre.


« JOUR 30 DE LA PREMIÈRE TRENTAINE D'ALËMENNIA :

Aujourd'hui, les Flammes ont accueilli deux nouvelles recrues : Yvan et Emily Histuyo, respectivement 12 et 11 ans. »


Je faillis tourner la page, quand Fasko m'arrêta en attrapant mon poignet. Il me montra alors quelques lignes écrites tout en bas, si minuscules qu'on aurait pu les prendre pour une bavure d'encre.

Le sage me tendit une petite loupe, et je me penchai pour déchiffrer le message.


« J'aimerais leur dire de ne pas rester. De partir loin, très loin tant qu'il en est encore temps. Ici, seule la mort les attend. »


Fasko me lança un regard chargé d'émotions, et m'expliqua :

— Après cela, d'après les registres, il n'y a plus eu de nouveaux venus. Mais il ne serait pas étonnant que d'autres aient déclenché des pouvoirs, sans oser contacter les Flammes. A cette époque, il était évident que Flamme était synonyme de mort.

Je compris immédiatement ce que Fasko voulait me dire. La partie de ma famille qui faisait partie des Flammes n'avait pas forcément signé ce registre, n'avait pas forcément combattu contre Arcalia. Ils avaient peut-être simplement eu des pouvoirs sans oser en parler autour d'eux.

Cependant, mon attention était attirée vers autre chose. Émily et Yvan. Le frère et la sœur avaient été les deux dernières recrues des Flammes. Soit.

Mais sans savoir pourquoi, je ressentais le besoin indescriptible de comprendre ce qui leur était arrivé. Ils avaient perdu la vie cela ne faisait aucun doute. Mais comment ? Tout ce que j'espérais pour eux c'était que leur mort n'ait pas été trop violente.

— Tu devrais aller directement à la fin, me conseilla Fasko.

Malgré ces paroles, je préférai ignorer le conseil du sage pour en apprendre un peu plus sur les deux nouveaux.

D'après les récits des jours suivants, il devint très vite évident que l'entraînement des deux plus jeunes était devenu la principale raison de vivre des Flammes. Il y avait beaucoup de détails sur eux, bien plus que sur les autres apprentis.

Emily et Yvan Histuyo apportaient un peu d'espoir à ceux qui n'en avaient plus.

J'eus même droit à une brève description de leur comportement. Yvan semblait confiant, sûr de lui. À l'inverse, Émilie était timide et effacée. Malgré tout, un élément principal ressortait d'après les dires.

Le frère et la sœur étaient fusionnels. Il se rendaient partout ensemble, apprenaient tout ensemble, montaient la garde ensemble. Ils étaient proches au-delà de l'imaginable. Cette relation avec quelque chose de touchant, surtout en pleine guerre.

Malgré cela, les Gardiens se posaient des questions. Après tout, pourquoi ? Pourquoi Yvan et Emily avaient-ils rejoint les Flammes alors que la guerre faisait déjà rage ?

Il n'y avait aucune raison valable à cela. Cependant, loin de là l'idée de les prendre pour des espions, ou d'être méfiant à leur égard. C'était seulement des questions, couchées sur le papier mais qui jamais ne seraient dites face à face.

Un sentiment étrange finit par s'emparer de moi, presque de mal-être. Oui, j'avais un peu honte, car j'avais l'impression d'entrer dans l'intimité de ces personnes, de briser quelque chose de sacré sans que l'on m'en ai donné la permission. Mais cela ne me fit pas arrêter pour autant. J'avais bien trop besoin de réponses.

Tout d'un coup, sans que je sache pourquoi, Emily et Yvan disparurent des rapports. Comme s'ils s'étaient envolés. Je crus tout d'abord qu'ils avaient fini par périr, et que les Flammes avaient préféré ne pas trop en parler.

Mais ce n'était finalement pas ça, car le frère et la sœur réapparurent quelques années plus tard. En fait, ils revinrent précisément dix-neuf ans plus tard, à l'âge de trente et un et de trente deux ans.

Désormais adultes, ils n'avaient d'autre choix que de rejoindre les combats dont on les avait si longtemps tenus éloignés.

La fin de la guerre eut lieu quelques mois plus tard, et même s'il n'y avait plus personne pour l'écrire dans le rapport, il ne faisait aucun doute qu'aucun des deux n'avait survécu.

Je me rendis à la dernière page, m'attendant à un récit banal, mais fut étonnée d'y découvrir un message particulièrement long, et signé. Je commençai donc par apprendre que ce texte avait été écrit par Emily.


« JOUR 30 DE LA PREMIÈRE TRENTAINE D'ALËMENNIA :

Ce message s'adresse aux survivants de cette guerre, qui se déroule sans pitié depuis près de cinquante ans.

Je n'étais pas là au début du conflit, et je sais que je ne le serais pas à la fin. Comme Yvan, Emor et toutes les dernières Flammes, nous nous seront éteints ce soir. Cela ne fait aucun doute, pour personne.

Cette guerre n'aurait jamais dû avoir lieu. Seulement voilà, il est bien trop tard pour changer les choses. Dans une guerre, on ne peut sauver personne.

Le destin a choisi avec ironie que cette ultime bataille se déroule le même jour que mon arrivée ici, vingts ans plus tôt.

J'avoue que j'ai peur, c'est normal d'avoir peur. J'ai peur de mourir, que le flambeau ne soit pas repris. J'ai peur de blesser et de tuer de pauvres gens qui n'ont rien demandé.

N'oubliez pas, vous qui lisez ceci ! N'oubliez pas... Il y a toujours de l'espoir, même au plus noir de la nuit. Moi, j'ai foi en l'espèce humaine, qui saura se reconstruire. J'ai foi en un avenir sans guerre, où Kerœ serait rétabli.

Et c'est pour cela que je trouverai le courage d'aller sur le front, juste après avoir écrit ces lignes.

Je sais que je me sacrifierai, ce soir, et je ne le fais pas pour la noblesse. Mais pour nos amis, nos familles qui continueront après nous. Ce n'est pas juste, me diriez-vous. Mais rien de tout cela n'est juste.

Nous voulons que cette guerre se termine, et que la paix revienne sur le monde. Et peu importe si l'héritage des Flammes meurt avec nous. Nous sommes là pour ça.

Obéir et protéger. »

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