❝ 𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 5 ❞
« D'une petite étincelle naît souvent un grand feu ».
Je me répétai ces mots en boucle dans mon esprit tout en poussant la porte. De l'autre côté, je ne fus guère surprise de me retrouver plongée dans la pénombre. Il me fallut quelques instants pour que mes yeux s'accoutument à l'obscurité, et je me mis à chercher le sage qui m'avait fait venir jusqu'ici.
Soudain, la flamme d'une bougie perça l'obscurité, à quelques pas de là.
— Qui est là ? lançai-je.
Cette atmosphère lugubre me mettait mal à l'aise, j'étais à deux doigts de créer une boule de feu afin de moi-même éclairer la pièce, mais me retins à la dernière minute ; tant que je ne savais pas à qui j'avais affaire, ce n'était sûrement pas une bonne idée. D'autant plus qu'en voulant éclairer la pièce, je risquais de mettre le feu à toute la boutique, ce qui ne servirait pas mes intérêts.
La bougie allumée s'approcha un peu de moi sans que j'arrive à distinguer qui la tenait, puis recula brutalement et s'éteignit. Un frisson d'angoisse me parcourut, j'aurais voulu m'enfuir en courant mais j'avais l'impression que mes jambes ne m'obéissaient plus.
Tout d'un coup une lumière jaune, chaude mais puissante inonda la pièce et m'aveugla. Un cri de stupeur m'échappa et je plaquai mes mains contre mes yeux. Une voix légèrement chevrotante déclara alors :
— Les yeux des Hommes s'habituent plus rapidement à l'obscurité qu'à la lumière, au désespoir qu'à l'espoir. N'est-ce pas ? Cela en va de même pour ceux qui sont différents, ceux qui portent cette lumière partout avec eux. Les autres ne s'habituent pas à eux.
J'entrouvris les yeux en ignorant les picotements que provoquaient la lumière et découvris devant moi, quelques mètres plus loin, un homme qui ne pouvait être que le sage : pas très grand, avec de longs cheveux gris, une moustache et une barbe, le dos courbé. Il était vêtu d'une sorte de toge antique blanche. Oui, ce ne pouvait être que lui.
— J'ai à vous parler, rétorquai-je en jaugeant du regard l'homme que j'avais en face de moi.
Le sage sourit et me répondit :
— Tu peux m'appeler Fasko, Kyra.
Un frisson nerveux me parcourut. J'étais certaine de ne pas avoir donner mon nom. Pourtant Fasko le connaissait. Si ça n'avait été que moi, je serais sortie d'ici, ou me serais énervée. Mais même si j'avais l'habitude de réagir de manière impulsive, disant ce que je pensais, je ne pouvais plus me permettre de le faire. Maintenant, je devais avant tout penser à Aldaron, et à ce pouvoir qui grondait en moi. Et j'avais la désagréable impression que si je me relâchais, ne serait-ce qu'un instant, je perdrai le contrôle.
— C'est important, continuai-je en faisant comme si je n'étais nullement surprise que Fasko connaisse mon prénom.
— Et qu'est-ce qui est si important ?
Fasko se dirigea vers un vieux bureau envahi de paperasse, derrière lequel il s'assit. Il me désigna une chaise mais je l'ignorai, et remarquai du coin de l'œil que nous n'étions pas seuls.
— Qui est-ce ?
— Perrit, mon... assistant, apprenti, collaborateur. Appelle-ça comme tu veux.
— Je veux vous parler à vous, pas à lui.
— Ce que tu me diras, il finira un jour ou l'autre par l'apprendre de toute façon, répondit-t-il avec un haussement d'épaules nonchalant.
Malgré les paroles du sage qui se voulaient sûrement rassurantes, je rechignai à parler devant Perrit.
Jusqu'à maintenant, les personnes au courant de ma magie étaient des cas particuliers. Ma tante l'avait toujours su, je l'avais appris au même temps qu'Aldaron, et l'affaire des brigands et du marchand avait été une question de vie ou de mort.
Là, j'allais parler de mon plein gré, en connaissance de cause. Je décidai finalement de commencer doucement, afin de tester le terrain. Je sortis de son emplacement le poignard de ma mère, et le posai sur le bureau.
— Que pouvez-vous me dire sur cet objet ?
Fasko l'attrapa et l'examina, effleurant du bout des doigts les gravures de feu.
— C'est un travail magnifique. Une splendide œuvre d'art.
— Ce n'est pas ce que je vous demande.
— Et qu'est-ce que tu me demandes ? Quelle est la question cachée derrière cela ?
J'hésitai, ne sachant comment aborder la raison de ma venue sans choquer ou effrayer mes interlocuteurs. Et surtout, sans m'attirer plus d'ennuis que je n'en avais déjà.
Tout en réfléchissant, je pris le temps de mieux observer Perrit. J'avais devant moi un garçon ordinaire, avec une peau légèrement olivâtre, des yeux et des cheveux noirs ainsi qu'un visage joufflu dénué de toute expression. Il devait pourtant avoir quelque chose d'autre, quelque chose de différent qui expliquerait qu'il soit l'apprenti d'un sage.
— La question cachée derrière cela ? rétorquai-je avec sarcasme. Y aurait-il une infime chance que... les Flammes existent toujours ?
— Les Flammes ? Non, aucune chance, répondit le sage d'un ton catégorique. Pas la moindre.
— Ok, soupirai-je. Je vais reformuler une dernière fois.
Abandonnant les mots qui ne faisaient que m'embrouiller, je levai la main gauche, paume vers le haut. Il ne se passa strictement rien durant les premières secondes, le temps que je m'assure de garder le contrôle.
Puis une petite flamme apparut au creux de ma main, et grossit jusqu'à atteindre une vingtaine de centimètres de haut, courant sur toute ma main.
Perrit était béat, littéralement bouche-bée. Quant au sage, il approcha peu à peu ses doigts de la flamme, avant de les reculer vivement, comme s'il s'était brûlé. Il avait l'air de quelqu'un qui est surpris mais ne veut rien en montrer.
Passé les premiers instants d'incompréhension, Fasko me demanda, l'air sérieux :
— Raconte-moi tout.
Je me lançai alors dans le récit de ce qui m'était arrivé, sans négliger aucun détail. Je remarquai sans m'arrêter les frémissements de mes interlocuteurs quand je passai à l'épisode des brigands. Après avoir terminé, je lançai un regard mi-amusé, mi-moqueur à Perrit :
— Tu sais, tu peux refermer la bouche.
Perrit me fusilla du regard, pinça les lèvres mais ne me répondit pas.
Mes yeux dérivèrent en direction de Fasko, j'attendais sa réaction. Je n'espérais pas grand chose, cependant, je me doutai de lire de la peur ou du choc sur son visage. C'est pour cela que son expression me désarçonna. Il avait l'air... aux anges. Une lueur ravie pétillait dans ses prunelles, et un sourire étirait ses lèvres.
— Trois cents... Trois cents ans qu'il n'y avait plus trace des Flammes. Et maintenant... Te voilà !
Oui, il était content. J'étais tellement étonnée que je ne trouvai rien à répondre.
— Q... quoi ?
— Tu pourrais refaire ça, là ? Avec ta main, me demanda Fasko avec enthousiasme.
J'opinai du chef, tendis la main et reproduisit la flamme au creux de ma paume.
— Et... tu peux la faire grossir ?
Je plissai les yeux et fronçai les sourcils sous la concentration. La flamme gagna peu à peu en ampleur, si bien que je dus m'aider de ma seconde main pour soutenir la flamme crépitante.
— Tu pourrais en faire une boule de feu ? Qui flotte dans l'air ? Je sais que certaines Flammes y arrivaient.
Je fournissais tellement d'efforts que mes doigts commencèrent à trembler. Le feu dans mes mains s'agitait, diminuait puis augmentait rapidement, échappant à mon contrôle. Durant encore quelques secondes, je m'efforçai de réunir mon feu en une boule compacte. Je suais à grosses gouttes, mes forces me quittaient.
Craignant de m'évanouir comme la première fois, je cessai immédiatement d'utiliser mon pouvoir trop instable. Titubante, je me laissai tomber sur la chaise la plus proche, ignorant les flammes qui explosèrent en une gerbe d'étincelles en touchant le sol.
Perrit gardait le regard fixé sur la marque de brûlé que j'avais provoqué sur le sol, tandis que Fasko me dévisageait avec ce que je supposai être de l'inquiétude.
— Tu veux quelque chose à boire ? À manger peut-être ? me proposa-t-il.
— Tout ce dont j'ai besoin, c'est d'un peu de repos, rétorquai-je.
Je restai un petit moment les yeux fermés, m'efforçant de calmer les battements affolés de mon cœur. Cette fois-ci, j'étais vraiment allée à mes limites. Si j'avais continué, j'ignorai ce qui se serai passé. En tous cas, sûrement rien de bon.
Quand je rouvris les yeux, Fasko se remit à me presser de questions, cependant un peu plus tranquille cette fois-ci :
— Et dis-moi, qu'espérais-tu trouver en venant ici ?
— Je n'en sais rien, avouai-je piteusement. Une aide quelconque, un moyen d'aider Aldaron, mon ami.
— Au début, m'avoua le sage, j'ai trouvé ta quête ridicule quand tu me l'as racontée. Mais quand je t'ai vu utilisé ton pouvoir... cela a tout remis en cause.
— Pourquoi cela ?
— Parce que peut-être que je n'avais encore jamais vu de Flammes de mes propres yeux, mais j'ai passé le plus clair de ma vie à les étudier. J'ai trouvé des caisses entières de papiers, de rapports, de livres d'apprentissage. Et s'il y a bien une chose que j'ai compris c'est que la magie des Flammes a pour habitude d'apparaître sous la forme d'une flammèche de bougie.
Il laissa passer un bref instant avant d'achever :
— Et il faut ensuite des mois aux Flammes pour obtenir plus que cette ridicule étincelle.
Pas besoin de m'en dire plus, je compris où il voulait en venir. Même le jour où j'avais découvert mes pouvoirs, j'étais passée bien au-delà d'une simple flamme de bougie ! Et ce n'était pas... normal.
Premièrement j'étais une Flamme, alors qu'elles étaient supposées avoir disparu depuis trois cents ans. Et deuxièmement, je n'étais même pas fichue d'être une Flamme comme les autres. Il fallait que ma magie prenne une proportion hors du commun.
Mes yeux s'arrêtèrent sur mes mains ; absolument aucune marque, aucune trace de brûlure. En suivant mon regard, Fasko me demanda :
— Et où penses-tu qu'ils ont emprisonné ton ami ?
Je faillis lui demander qui était le "ils", mais me contentai finalement de répondre d'un ton placide :
— Il est au Palais royal, j'en suis sûre.
— Oui, cela ne fait aucun doute, approuva Fasko. Le Palais Royal... L'endroit le mieux surveillé de tout Aellaron. Tu sais que tu vas te jeter dans la gueule du loup ?
Je ne bronchai pas en l'entendant prononcer ces derniers mots. Oui, je le savais, même si je m'efforçai de ne pas y penser. À la place, je laissai le sage poser une autre question :
— Quel est le but de ta quête ?
J'ouvris la bouche pour répondre au sage. Le but de mon voyage ? Sauver Aldaron, bien évidemment ! S'il ne l'avait pas encore compris, c'est qu'il ne m'avait pas le moins du monde écoutée ! Cependant il avait été suffisamment attentif durant mon récit pour le savoir, et je refermai donc la bouche sans répondre, le temps de le laisser poursuivre.
— Je veux dire, comment imagines-tu que ça va se terminer ?
Comment cela allait se terminer ? Je regardai Fasko droit dans les yeux. En croisant son regard, je sus immédiatement qu'il savait que cette histoire n'avait qu'une seule issue. Ou du moins, une seule issue dans laquelle je sauvai Aldaron.
Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre pourquoi, alors qu'il le savait, le sage me posait cette question. Il voulait que je donne la réponse à voix haute.
Après cela, j'aurai accepté l'implacable réalité. Je ne pourrais plus revenir en arrière. J'irai jusqu'au bout.
— Je leur livrerai mon pouvoir sur un plateau d'argent. Moi, en échange d'Aldaron. Ça ne peut finir que comme ça.
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