❝ 𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 11 ❞
En voyant l'homme que j'avais mis tant d'efforts à sauver s'effondrer sans que je puisse le retenir, je me retins à grande peine de crier.
Je tombai immédiatement à genoux à côtés de lui, me maudissant pour lui avoir dit qu'on avait un peu de temps devant nous. Si nous étions partis sans attendre, ce ne se serait pas produit et il serait peut-être déjà en sécurité.
J'aurais tellement aimé que les Flammes possèdent un pouvoir de guérison, mais ce n'était pas le cas et je n'y pouvais rien.
Ignorant royalement ceux qui devaient être à quelques mètres de moi, je cherchais quelque chose à faire pour le vieillard. Retirer la lance ne me semblait pas être une option, ce serait définitif. Mes mains s'agitaient au-dessus du corps du vieil homme, j'étais terriblement inutile face à cette blessure.
Tout ce que je pouvais faire, c'était rester près de lui jusqu'à la fin, qui était imminente. Sa respiration était hachée, entrecoupée de faibles gémissements de douleur. Ce qui restait de ses vêtements se teintaient de rouge, et j'appuyai mes paumes sur la plaie pour tenter de faire cesser le saignement.
Le vieillard bougea un peu les lèvres, comme s'il essayait de parler. Je lui aurais bien dis d'arrêter et de garder ses forces pour se remettre, sauf que nous savions tous deux que cela ne servirait à rien. Je me penchai pour écouter ce qu'il voulait dire, mais ne distinguait aucun mot intelligible.
Alors qu'il poussait son dernier souffle dans un râle, je crus distinguer le mot « Merci ». Mais je n'étais sûre de rien, peut-être que mon esprit n'avait fait qu'imaginer ces paroles qui me déculpabilisaient.
J'avais les poings serrés, ne faisant même pas attention aux flammes qui parcouraient mes doigts et s'enroulaient autour de mes poignets. Cela n'avait plus la moindre importance, j'étais juste furieuse. L'homme que j'avais voulu aidé était mort, et je ne connaissais même pas son nom.
Me relevant lentement, je fis face à mes adversaires. Mes yeux lançaient des éclairs quand je découvris que trois personnes se trouvaient en face de moi : une femme et deux hommes. Les hommes auraient très bien pu être jumeaux ; large d'épaules, musclés, avec un cou épais et court et armés jusqu'aux dents. Quant à la femme, je devais bien reconnaître qu'elle était plus insolite. Maigrichonne et pas très grande, elle devait avoir une vingtaine d'années mais pouvait aisément passer pour une adolescente de quinze ans. Ses cheveux blonds étaient réunis en deux couettes qui accentuaient ce côté enfantin. Seule une sorte de ceinture — qu'elle portait en bandoulière me — détrompait : une dizaine de couteaux, dagues et poignards y étaient accrochés.
Mes yeux passèrent de l'un à l'autre. J'aurais peut-être dû prendre la fuite, j'avais une chance de les semer même si je ne connaissais pas la ville. Mais la rage était plus forte, alors je restai face à eux, tendue comme un arc.
Si les hommes écarquillèrent les yeux en voyant les flammes que j'avais produites, se fut à peine s'ils bronchèrent ; ils devaient penser que c'était un tour de passe-passe de ma part. La femme, elle, ne sembla même pas surprise. Elle me fixait droit dans les yeux, ses lèvres minces écartées dans ce qui aurait tout aussi bien pu être un sourire qu'une grimace.
Soudain, la situation bascula. La femme dû faire un geste, sûrement infime, car les hommes se jetèrent sur moi d'un même mouvement.
Il me fallut une seconde pour réagir, une seconde de trop.
Je voulus esquiver le premier des deux hommes, mais il me retint par le coude et je n'eus d'autre choix que de suivre le mouvement imposé par mon adversaire. J'attrapai et serrai de toutes mes forces le bras de celui qui me tenait. Mes doigts fumèrent et l'homme poussa un hurlement de douleur. Cependant je n'avais pas été assez rapide, et il me donna un coup de ce qui ressemblait à une dague hérissée de piques dans l'épaule. Un hoquet m'échappa et, en plaçant ma main sur la plaie, mes doigts furent tachés de sang.
Le second homme n'avait même pas pris la peine de se joindre au combat ; visiblement, je ne valais pas la peine qu'ils se salissent tous deux les mains. Cependant ils furent pris au dépourvu par ma rebuffade.
Je me plaçai à une distance respectable de plusieurs mètres et fusillai les adversaires du regard. Les paumes écartées, ignorant mon épaule douloureuse et qui saignait toujours, je me concentrai pour produire cette technique que j'avais apprise quelques jours plus tôt. Une boule de feu se forma entre mes mains. Elle tremblotait et était loin d'être parfaite, mais elle était assez bien pour être efficace.
Je pus relâcher ma concentration le temps de jeter un coup d'œil en direction de la jeune femme, qui semblait être la meneuse des deux hommes. Elle avait les poings sur les hanches, et sous sourire s'élargit en captant mon regard.
Soudain un de mes adversaires envoya une lance dans ma direction. Je me penchai pour l'esquiver au dernier instant, et sentis le mouvement de l'air causé par l'arme agiter mes cheveux. Je ripostais sans attendre en projetant ma boule de flammes. Elle atteignit celui qui m'avait attaquée au niveau des côtes, lui brûlant le flanc. Sa bouche s'ouvrit dans un cri muet et son visage se tordit de souffrance.
Cela mit fin à la détermination du second brigand. Ils échangèrent un regard avant de disparaître sans demander son reste. Il ne restait plus que la femme-enfant, qui me dévisagea avec attention. Elle se mit alors à rire, sans raison apparente.
— Tu es intéressante, toi dis donc ! lâcha-t-elle entre deux gloussements.
Je restai immobile, étonnée et sans voix. Je n'avais ni l'envie, ni la force de riposter.
— Tu sais que ça va fuiter ?
— Je sais.
Ces deux touts petits mots m'avaient vidée du peu d'énergie qui me restait. L'étrange femme m'adressa un petite geste guilleret de la main avant de s'éloigner d'un pas sautillant. À peine était-elle partie que je me laissai tomber par terre et éclatai en sanglots.
Cette nuit, j'avais voulu sauver un homme victime d'un système injuste. Et cela s'était soldé par sa mort, ainsi que par un combat. Autant j'avais toujours été impulsive, mais je ne m'étais jamais battue auparavant. Surtout dans de telles conditions ! Bien évidemment, je ne prenais pas en compte mon altercation avec les brigands et le marchand ; j'avais peur, je n'avais alors fait que me défendre. Là, j'aurais pu fuir, mais j'avais choisi de rester me battre.
Je restai longtemps ici, peut-être plus d'une heure. J'étais affalée près du corps du vieillard, des flammèches courant encore sur mes avant-bras. Étonnamment, personne ne vint. Sûrement pas par respect, mais par crainte d'être vu avec moi, peur des conséquences : après cette nuit, j'avais dû devenir l'ennemi numéro un à Krysfÿ.
L'aube arriva enfin, chassant la pénombre sanglante pour venir déposer son manteau rose-orangé sur la ville criminelle. C'est à peine si je sentis la main qui se posa sur mon épaule. Perrit. Il m'aida à me lever dans un silence de mot. Je lui fus reconnaissant de ne me poser aucune question. De toute façon, je n'y aurais pas répondu, et il n'avait pas dû avoir beaucoup de difficulté à deviner les grandes lignes de ce qui s'était passé.
Il se contenta de me guider près du bat où nous avions rencontrer Ath la veille, et s'assit sur les marches d'un perron. Je m'installai à ses côtés, repliai les jambes et les entourai de mes bras. Le menton posé sur les genoux, je restai plusieurs minutes immobile, le regard perdu dans le vague. Quand je revins à la réalité, je remarquai que Perrit ne me quittai des yeux.
— Tu veux en parler ? me proposa-t-il.
Je secouai négativement la tête, avant de tout de même lâcher :
— J'ai causé la mort d'un homme.
— Et tu es blessée, ajouta Perrit.
Il s'approcha pour observer ma blessure à l'épaule. Elle saignait toujours un peu, mais c'était à peine si je ressentais la douleur. La souffrance était le moindre de mes problèmes.
— Tu devrais te remettre de tes émotions, et vite, me conseilla mon compagnon de route.
Il avait raison, je ne pouvais pas me laisser aller. Je fermai les yeux, essayant d'ignorer les images qui dansaient dedans mon esprit, toutes plus horribles les unes que les autres. Mes larmes finirent par se tarir. Je les séchai du revers de la manche et m'efforçai de respirer le plus calmement possible.
Quand Ath arriva, quelques minutes plus tard, je m'étais recomposée un visage impassible et neutre. Cependant ma tenue salie et ma blessure a l'épaule ne pouvaient pas mentir. Le brigand eut un rictus amusé en voyant mon état.
— La nuit a été rude ?
— Plus pour d'autres que pour moi, rétorquai-je en empêchant à grande peine ma voix de trembler.
— Bien, allons-y dans ce cas.
Sans plus de cérémonie, Ath me tendit sa main pour m'aider à me relever, mais je l'ignorai farouchement et me relevai de moi-même. Une fois que Perrit et moi fûmes sur nos pieds, Ath nous guida dans la ville qu'il semblait connaître sur le bout des doigts. Nous finîmes par quitter les vastes avenues du centre pour rejoindre un endroit plus tranquille.
Un ruisseau à l'eau boueuse s'écoulait dans un coin. S'il devait normalement être vif et rapide, le courant de l'eau s'était résumé à un filet mollasson à cause de la chaleur, qui n'avait guère baissé.
— Je vais vous présenter à mon équipe, puis on pourra partir.
Il y avait une petite dizaine de personnes habillées en tenues dépareillées qui se tournèrent d'un même mouvement dans notre direction. Des visages sales, rongés par une barbe de trois jours pour les hommes et tout aussi crasseux pour les rares femmes.
D'ailleurs, l'une d'entre elles s'avança vers nous d'une démarche souple. Elle nous adressa un bref hochement de tête et vint saluer Ath, qui entoura ses épaules d'un bras. La femme avait une peau bronzée, des pommettes hautes et des lèvres fines serrées. Elle paraissait tout à fait détendue, ses cheveux auburn réunis en un rapide chignon sur le sommet de sa tête. Ses yeux, eux, possédaient une insondable couleur bleu océan.
— Enchantée, déclara-t-elle d'un ton qui semblait tout sauf enchanté. Je m'appelle Zyla. Ath m'a parlé de vous.
Je saluai Zyla d'un hochement de tête, me disant immédiatement que je détestais cette fille. Ath nous présenta ensuite le reste de sa clique. Leurs noms et leurs visages défilaient dans ma tête, sans que j'arrive à en mémoriser la moitié. Ils étaient trop nombreux, et je me préoccupais d'autres choses que leurs prénoms.
Par exemple, tous possédaient une panoplie d'armes hors normes, alliant les classiques poignard, couteaux et dagues à des lances, des épées plus ou moins fines et longues, et d'autres objets sur lesquels je serais bien incapable de mettre des noms.
Un sentiment de malaise s'empara de moi à l'idée que je passerai les prochains jours avec eux. Je commençai à regretter ma décision, et quelque chose me disait que ce n'était que le début.
Zyla semblait vouloir s'occuper de nous. Elle disparut quelques instants durant les présentations pour revenir en tenant deux cheveux par la bride. L'un était bai cerise, l'autre d'un noir d'encre. Je pris le second cheval quand Zyla me tendit les rênes.
J'étais montée une fois à cheval. Je devais alors avoir sept ou huit ans. C'était une jument gris perle qui appartenait à une des amies fortunées de ma tante. Ce jour-là, j'avais dû lutter pendant une heure ou deux pour ne pas tomber, avant d'abandonner. L'équitation ne m'avait pas parut faite pour moi à ce moment-là, aujourd'hui encore moins. Le souvenir du cheval qui avait fui en me voyant me revint à l'esprit. Pourtant cette fois-ci, le mâle noir ne se débattit pas quand je lui flattais l'encolure.
Soudain, les claquements des sabots d'un cheval lancé au galop me parvint. Me tournant vers la source du bruit, je découvris trois nouveaux brigands qui arrivaient pour rejoindre la petite troupe.
— Ah ! s'exclama Ath avec satisfaction en s'adressant à Perrit et moi. Je dois vous présenter Dexí, mon bras-droit.
Le prénommé Dexí descendit de son cheval. Étonnamment, il me disait vaguement quelque chose, sans que je sache quoi. Soudain, je pus voir son visage.
Un visage recouvert de marques de brûlures.
De mes brûlures.
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