Toutes les bonnes choses ont une fin
Lorsque j'ouvre les yeux, je suis dans une pièce totalement blanche. Je suis assis dans un fauteuil assez confortable, mais j'ai l'esprit totalement embrouillé. Comme si j'avais une gueule de bois de tous les diables, une biture qui aurait duré des mois entiers et dont j'ai de vagues souvenirs.
Enguerrand se tient face à moi. Pour la première fois depuis bien longtemps, je le vois tel qu'il est et non dépenaillé : Les cheveux bien coiffés, et, fait étonnant, porte des fringues sur lui. Assez chic, je dois dire. Jeans, chaussures de marques, et une petite chemise sur laquelle repose une grande blouse blanche. Oui, je l'ai déjà vu accoutré de cette manière. Mais où et quand, je n'arrive pas à m'en rappeler.
Monsieur de Meesmaeker, je suis content de vous revoir. Je dois dire qu'il n'a pas été facile de vous retrouver et de vous repérer. Heureusement, j'ai pu vous faire revenir à la raison, semble-t-il, et êtes revenu de votre plein gré dans mon établissement. J'espère que maintenant, vous allez enfin prendre votre traitement au sérieux.
Je me sens défaillir, la tête commence à me tourner.
« Mais, Gusfand... »
« Gusfand, vous m'appelez Gusfand ? Vous ne vous rappelez pas ? »
Il se tourne vers le grand bureau qui trône au milieu de la pièce, et sort d'un tiroir une petite peluche, qu'il me tend. Un choc électrique parcourut mon corps. Des tas de souvenirs me submergent. Gusfand. Le nom de la peluche de ma fille.
« Oui, c'était le nom du doudou de votre fille, Louise, qui vous a été enlevée il y a un peu plus d'un an. Un tragique accident, un skin-head, qui venait de braquer une banque, a trébuché sur la poussette pendant qu'il s'encourrait. »
La tête me tourne de plus en plus. Des tas d'images défilent devant moi.
Alors que nous étions en vacances en Allemagne, dans la région de Wewelsburg, nous avions été témoins d'un braquage. Le braqueur, un petit skin de bas-étage avait renversé la poussette de Louise dans sa fuite. Fracture et hémorragie cérébrale. Lorsque les secours arrivèrent, il était trop tard.
« Cela vous revient maintenant ? »
Nouvelle série d'images. Je n'arrivais pas à me remettre de la mort de ma petite fille chérie, que Marie et moi avions eu tant de mal à concevoir. J'étais rentré dans une grave dépression. J'étais rentré de moi-même à l'hôpital, et me faisait traiter par le Docteur Enguerrand de Lagardière.
Mais alors, comment toute cette histoire avait-elle pu se produire ?
Dissonance cognitive.
Merde. C'était donc de cela qu'il s'agissait ? Enguerrand me regarde, semble deviner le fond de ma pensée.
« Oui, vous avez totalement disjoncté. La dissonance cognitive. Pourtant, je vous avais mis en garde : si vous vous laissiez envahir par le dégoût et la haine, vous alliez vivre une escalade sans pareille. Je ne pensais pas que cela irait aussi loin. Vous vous êtes mis à dire que vous pouviez modifier les pensées des personnes qui vous entouraient. Mais à chaque fois que vous vous persuadiez que vous modifiez les pensées des autres, vous ne faisiez que les tabasser. Et impossible de vous en rendre compte. »
Un stupeur sans commune mesure m'étreint. De nouvelles images défilent dans ma pauvre petite caboche.
Je m'étais échappé de l'hôpital alors que le toubib m'avait placé en isolement. J'ai tabassé les gardes, tous habillés de blancs, mais qui ressemblaient par leurs crânes rasés à des skinheads. Dissonance cognitive.
L'achat de l'arme, en pleine rue, près de Fililivres, chez un gars qui avait un par-dessus à la Columbo. La tentative d'assassinat sur Lammour. C'était bien moi qui tenait l'arme. La fuite, encore et encore. Toutes ces personnes, en rue, que je pensais manipuler pour soutirer du fric, dans cette boulangerie à la frontière française,... Le défilement de mes victimes prenait une vitesse exponentielle dans mon esprit. Je me vois en train de tabasser Marie et Louis. Ma femme, la chair de ma chair que j'explose à coups de poings et de pieds.
Je colle subitement mes mains sur mes tempes et me mets à hurler comme un diable. Ce n'était pas possible, ça ne tenait pas debout. On avait dû manipuler mon esprit, modifier mes souvenirs.
« Non, vous mentez ! J'ai amassé des documents, vu de mes propres yeux Lammour et Frida conspirer pour prendre le contrôle du monde ! »
« Vous regardez trop la télé Monsieur de Meesmaeker. Vous ne vous rappelez pas ? »
Il me tendit un journal qui datait de plusieurs mois. Il montrait ma cavale en compagnie d'un otage vers l'Italie. Frida Hitlermann, une escort girl de luxe.
Les images me reviennent à nouveau. Frida, la belle Frida. Je l'avais séquestrée dans son appartement pendant près de deux mois. Je l'avais ensuite embarquée après avoir tabassé des amis qu'elle avait appelés pour se tirer d'affaire et avoir foutu le feu à son appart. La fuite. Pour arriver en Italie et voir ce journaliste.
« J'ai la preuve que vous m'avez manipulé. Lorsque j'ai discuté avec ce journaliste Edgard Friendley, il m'a montré tous ces articles, il m'a parlé de Derek Vigneron, de l'assassinat de la famille marseillaise. Les preuves sont là.
« Non, Chris c'est encore votre esprit qui vous a joué un tour. Edgard Friendley est un personnage de fiction, que l'on voit dans le film Demolition Man. Et jamais dans la presse on a retrouvé une trace des personnes que vous citez. Mais vous avez bien assassiné un journaliste à Rome. Vous lui avez explosé le crâne. On a retrouvé vos empreintes partout.
Je sens la nausée monter en moi. Non, cela ne peut pas être possible ! On se joue de moi, le petit moustachu et ses copains ont certainement implanté des autres souvenirs dans mon esprit ! Alors que j'essaie de me concentrer au maximum, pour me souvenir, je perds l'équilibre. La pièce commence à tanguer autour de moi. J'essaie de me lever, je tombe et me mets à ramper vers Enguerrand. Les images de Friendley et la vieille voyante avec le crâne découpé par mes soins me sautent en pleine figure. Ma nausée prend le dessus, et je gerbe aux pieds d'Enguerrand.
« Je ne vous crois pas. Vous m'avez manipulé, comme Lammour et ses potes. Je le sais, je l'ai vu. Hitler est encore en vie, il va bientôt mettre son plan final en branle et nous serons tous perdus ! »
Enguerrand prend une mine désolée, appuie sur un bouton puis se penche vers moi.
« Non, Chris. Croyez-moi. Vous avez peut-être vu son image pendant votre escapade, mais vous et moi le savons bien. Même s'il avait réellement survécu, il serait mort depuis bien longtemps. »
Deux grandes armoires à glace rentrent dans la pièce et se dirigent vers moi.
Fred et Didier vont s'occuper de vous ramener à votre chambre.
Je hurle, je me débats face à ces deux molosses qui m'empoignent. Pas cette fois. Ils me maintiennent au sol, l'un au niveau de la poitrine et des bras, l'autre au niveau des jambes. Je ne sais plus me mouvoir d'un centimètre.
Enguerrand, lui, sort une seringue qu'il plonge dans un liquide incolore, puis se dirige vers moi.
« Ne vous inquiétez pas, on va bien s'occuper de vous maintenant. »
L'aiguille se plante dans mon bras et je me sens instantanément me ramollir, devenir docile comme un doux petit chaton.
Alors que Fred et Didier me soulèvent et me portent à l'extérieur du bureau, j'entraperçois Enguerrand sortir un téléphone. Pendant que la porte se referme, j'entends juste ces mots :
« Oui, c'est moi. J'espère que vous avez eu ce que vous vouliez. En tout cas, je vous assure que tant qu'il ne sera pas guéri, il ne sortira pas de ce bâtiment. »
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