Comme un parfum d'eau de Cologne
Ça pue, solidement. Je crois que je me suis fait avoir. Il n'est toujours pas là. Deux heures que je poireaute sous une arche de l'entrée de la Cathédrale de Cologne, à m'abriter de la pluie. Gusfand n'a pas tenu sa promesse. J'ai bazardé la seule personne en qui je pouvais avoir confiance pour suivre un illuminé décérébré. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire maintenant ? Bon, pas de panique, la journée n'est pas encore finie, même s'il avait promis d'attendre ici toute la journée. C'est peut-être un test.
J'ai mis une capuche sur la tête. Avec mon gros sac à dos, je suis sûr de passer pour un SDF. C'est bien simple, les gens qui passent à côté de moi détournent le regard. Au moins, je passe inaperçu.
Les secondes et les minutes s'égrènent, les unes après les autres, devenant de plus en plus longues. J'ai l'impression que je suis là depuis une éternité. Mon sang commence à bouillir, j'ai du mal à tenir en place. Je l'appelle, trois fois, comme l'a dit Alésia. Comme s'il allait apparaître bien sûr ! Ce beetlejuice moderne, faut vraiment que j'arrête d'y croire.
J'ai froid, j'ai faim. Tiens, ce type-là à l'air d'avoir du pognon. Hop, poussée dans la tête : « va me chercher un menu Big Mac, grande frite avec thé glacé et un Royal Cheese en plus ». Au moins, c'est déjà un problème de réglé.
Pour passer le temps, je rejoue des chansons dans la tête. Je n'ai pas de lecteur MP3. J'aurais dû m'en procurer un. Dans ma fuite, je n'y ai pas pensé. Avec Frida, je n'en avais pu eu besoin. Globalement, je n'aime pas m'enfermer en mettant un casque sur la tête. Même si j'adore la musique, procéder ainsi c'est se couper du monde. On se renferme sur soi. On loupe peut-être une rencontre. Pas étonnant que beaucoup de jeunes se sentent mals et seuls. Même en groupe, je les vois chacun avec des écouteurs bien enfoncés dans les oreilles. Ils voyagent en groupe, mais sans s'échanger le moindre mot, préférant s'envoyer des textos ou des messages via Fessebouc. Notre monde est devenu bien triste. Chaque individu, poussé par la satisfaction de ses propres désirs, en oublie totalement le monde qui l'entoure.
Help strangers bearing down on me
Help no one else can cry for me
Machinalement, les paroles de Channel Zero résonnent dans ma tête. J'ai passé mon adolescence à les écouter. Putain, oui, je me sens seul. Ignoré de tous, loin de chez moi. Un chez-moi où je suis considéré comme la pire des merdes, le pire des criminels. Des tas de pensées me traversent l'esprit, assis là, à l'abri de cette douce pluie qui tombe sur Cologne. Tout ce à que je croyais, tout à ce à quoi je tenais, disparus, envolés en une nuit. Des mois de calvaire et de solitude. Ce serait plus simple si j'en finissais, là, maintenant. Au moins, je pourrais rejoindre Marie et les enfants.
Je m'en cogne si la vérité n'est pas rétablie à mon sujet. Je suis seul contre tous, le monde me hait, alors que je voulais seulement le changer, le rendre plus beau. C'est ma récompense pour avoir été utopiste, pensé que j'aurais pu planter des graines. Sois le changement que tu veux voir dans le monde, mon cul ! Comporte-toi comme un petit mouton, ne réfléchis pas, consomme, abreuve-toi de Secret Story et de matchs de foot et ne pose pas de questions. Tu passeras pour fou, déviant de cette société si bienveillante qui t'offre tout ce dont tu pourrais rêver, du moment que tu laisses les grands décider de ce qui est bon pour toi. Et si tu veux devenir l'un d'entre eux, tu devras apprendre à écraser ton voisin. Le rabaisser, le diminuer. Tout cela pour atteindre cette chimère sociétale qui te martèle que tous les humains ne sont pas égaux. Le plus fort écrase le plus faible. Le plus fourbe plante son poignard dans le dos. Si seulement je n'avais pas ce don, si j'avais été un simple quidam qui ne se pose pas de question, j'aurais pu avoir une petite vie tranquille. Finir mes jours avec Marie. Dans le pire des cas, une chance sur des millions, on se serait fait démolir par un kamikaze désespéré. On nous aurait pleuré une semaine, puis on nous aurait oublié avec la nouvelle émission de télé-réalité à la mode.
Je sens ma respiration se saccader et devenir plus rapide. Mon estomac commence à se contracter. Est-ce vraiment la solution, m'avouer vaincu ? Détruit ?
Il faut que je chasse ses pensées de ma tête. Justice doit être faite. Toute cette haine doit disparaître. Le monde doit être au courant, doit ouvrir les yeux. Que nous sommes tous manipulés, pour je ne sais quel dessein. Si je baisse les bras maintenant, qu'est-ce qui se passera ? Est-ce que d'autres Chris de Meesmaeker subiront le même sort, se feront enlever pour servir de cobayes ?
Je sais que je ne suis qu'un grain de sable dans un engrenage, mais un grain de sable, ça peut déjà bloquer le mécanisme de cette machine infernale. Il faut que je me ressaisisse, que je relève la tête. Je me battrai, je ferai ce qui est en mon pouvoir pour les arrêter. Gusfand ou pas Gusfand, je le ferai. Seul s'il faut.
Bien résolu à aller jusqu'au bout, je prends mes affaires. Je vais trouver un endroit où me poser, analyser tous les documents que j'ai pu ramasser. Même si ça me prend des mois. Alors que je quitte mon abri, une voix résonne dans ma tête : « ça y est, tu es prêt. »
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