Il déambulait dans les rues d’un petit village, les mains dans les poches, écouteurs dans les oreilles et capuche rabattue. Il était moderne, notre Attrapeur de Rêves. Et mélomane. Il fredonnait doucement dans la nuit, savourant sa solitude et l'air de la nuit. Il aimait ces moments, où il décidait sous quelle fenêtre il allait s’arrêter pour accomplir son œuvre.

Il avait repéré depuis quelques jours des Cauchemars qui semblaient rôder autour d'une maison à l’angle de la rue. Ces immondes créatures harcelaient les habitants de la maison et les assaillaient d’idées noires pour la nuit, leur faisant faire d’affreux rêves. Mais, l’Attrapeur de Rêves veillait au grain.

Dans le lointain, un clocher sonnait minuit. C'était l’heure. L’Attrapeur retira sa capuche, et, sous l’apparence d'un jeune homme brun, passa à travers la porte comme si elle avait été faite de fumée.
Sans émettre un seul son, il traversa une cuisine, un salon, où il trouva un jeune couple en train de regarder la télévision. L’homme avait tendrement passé la main par-dessus l’épaule de sa compagne, qui se blottissait contre lui.
L’Attrapeur eut un sourire, un peu triste. Parfois, il aurait aimé se souvenir de cela, l’amour d'une personne qui nous est chère. Cela faisait si longtemps que cette sensation avait disparu de sa mémoire. Cela pouvait paraître affreux, mais l’Attrapeur n’y accordait plus vraiment d’importance. Il aimait ce qu'il faisait, et à aucun prix il ne souhaitait abandonner sa mission pour retourner à une vie normale.

Il grimpa avec agilité les marches qui le conduisirent à une chambre d’enfant. Dans le petit lit, dans la pénombre, une forme était recroquevillée sur elle-même sous une épaisse couette, un Cauchemar penché au-dessus de son visage. Silencieusement, le jeune homme passa derrière la créature sans qu’elle ne le remarque, et posa sa main sur son ignoble épaule. À son contact, le Cauchemar se désagrégea instantanément, ne laissant pour seule trace de son existence une minuscule poussière sur le parquet.

L’Attrapeur s’assit sur le lit, et caressa de sa main immatérielle la joue du petit garçon qui dormait là. Il sourit. Les enfants l’avaient toujours attendri, et permettre à l'un d’eux de faire de beaux rêves était un plaisir pour lui. Le jeune homme posa sa main sur le front du dormeur et une douce lueur s'en échappa. La lumière bleutée sembla pénétrer l’esprit du petit bonhomme, dont le visage se détendit peu à peu.

L’Attrapeur ferma les yeux. Son travail accompli, il n’avait plus rien à faire dans cette maison. Il la quitta, non sans chasser les quelques Cauchemars restants qui tentèrent de lui barrer le passage. Cette famille était en paix à présent, et il y veillerait.

Au cours de la nuit, le jeune homme aura sauvé les rêves de plusieurs dizaines de personnes, et détruit une centaine de Cauchemars qui avaient investi les rues, comme à chaque fois que le soleil se couchait.

Quand l’aube pointa à l’horizon, et que le ciel commença à se parer de magnifiques lueurs orangées, l’Attrapeur s’en alla comme il était venu, en fredonnant de sa voix grave une mélodie que personne n’entendit.

Gonna take a sentimental journey

Gonna set my heart at ease

Gonna make a sentimental journey

To renew old memories

Got my bag, got my reservation

Spent each dime I could afford

Like a child, in wild anticipation

Long to hear that « All aboard »

Seven, that’s the time we leave, at seven

….

Il était parti, l’Attrapeur de Rêves, jusqu'à la prochaine fois.

Il veillera sur nos rêves, éternellement, car c'était son châtiment comme sa plus grande fierté.