📃 [article] : La culpabilité, c'est leur pire arme
Je ne bois jamais d'alcool.
Jamais jamais.
C'est vrai que je suis un peu radicale avec moi-même pour ça. Je ne vais même pas goûter. Pas trop en rire non plus.
J'ai l'horrible chance d'avoir un grand-père mort de cirrhose et l'autre des ravages du tabac. Jamais d'alcool, jamais de cigarette pour moi.
Souvent ce n'est pas si terrible. Ils bégayent en me servant de l'eau. Parfois on entre dans des phrases plus culpabilisantes. Le pire que j'ai eu étant "Ça sert à rien de venir aux soirées si c'est pour être la seule sobre".
Ils ne savent pas à quel point c'est drôle d'être en total contrôle de moi-même et de voir des gens perdre lentement le leur, gnéhéhé.
Ce monde veut nous rendre coupable de tout.
Coupable de ce qu'on subit, coupable pour notre moindre choix.
C'est un travers judéo-chrétien des plus insensés, et tellement profondément inscrit dans notre tête...
Au Moyen-Âge, l'Homme était tout simplement coupable d'exister. Chacun portait sur ses épaules la mort du Christ. C'était de notre faute, pauvres pécheurs, s'il était décédé.
Et pendant que certains s'achetaient la rédemption, d'autres vivaient cette dévotion jusqu'à la fin.
Nous sommes coupables de rien.
Quand j'ai annoncé à mon père que j'avais vécu sous l'emprise manipulatrice de mon ex-meilleur ami, il m'a dit que c'était aussi de ma faute. Qu'il ne fallait pas le peindre comme un grand méchant, que je n'avais qu'à le sortir de ma vie.
J'ai employé une expression qui décrit bien mon état mental de l'époque : "Il était devenu un Dieu pour moi".
Et mon père me répond "Tu n'avais qu'à pas le considérer comme tel !"
Il me demande d'avoir un tel recul. J'ai oublié de préciser que j'avais 13 ans au moment des faits ?
J'étais coupable de ce qu'il s'était passé.
À 15 ans, je commençais à ne plus m'en vouloir pour ça, à comprendre que j'étais fondamentalement une victime de ce qui était arrivé. Et il aurait pu tout foutre en l'air avec ces quelques mots.
La culpabilité d'être moi.
Je l'ai depuis toute petite. Je m'en suis voulu d'exister très tôt. En fait, j'ai longtemps été dans le déni, parce que les enfants ont tendance à avoir du mal à rationaliser et que c'est un piège facile ; mais j'ai toujours su que j'étais différente.
Toujours.
Et j'étais donc coupable de ma propre bizarrerie. Coupable de mon décalage.
Coupable de ne pas parler comme les autres enfants. On me faisait sans cesse des remarques sur ma façon de formuler les phrases.
Coupable pour mes émotions. À l'école, il y avait une petite chaise bleue dans le débarras. On y mettait les enfants pas sages jusqu'à ce qu'ils soient calmés. Je faisais des crises émotionnelles plus grosses que les autres.
Je me souviendrai toujours de cette fois où la prof m'a trainée dans la pièce. J'ai quatre ou cinq ans. Elle me jette sur la chaise.
Je ne contrôle plus ma respiration. J'ai des hoquets, je n'arrive plus à sentir l'air dans mes poumons.
Je suis en panique.
Je vais mourir.
La prof revient pour me demander si je me suis calmée. J'essaye de cacher tout ce qu'il se passe mais j'ai des spasmes, des hoquets violents, j'ai l'impression que ma poitrine se déchire. La prof repart en insistant sur le fait que je fais du cinéma.
Un enfant de quatre ans n'a aucun mot pour "crise d'angoisse".
Je ne sais plus ce qui m'a fait aussi peur ce jour-là. Mais je suis prête à parier que c'était la violence du geste du professeur. Parce que ma colère a toujours été liée très intimement à ma peur.
La peur.
J'avais onze ans quand le harcèlement s'est démultiplié à l'école. J'étais l'enfant bizarre, je mangeais mes crottes de nez, je méritais, non ? Je méritais tout ce qui m'arrivait. Je méritais qu'on me crache à la gueule, qu'on me tape à l'arrière de la tête, qu'on se frotte à moi, qu'on m'insulte, qu'on me tire les cheveux, qu'on me vole mes affaires.
Je voulais crever, j'avais onze ans et je rêvais de me jeter du haut de l'immense escalier, parce qu'alors ce serait la fin, et le monde irait mieux sans moi.
C'est dur de me remettre dans cet état d'esprit de petite fille.
Et ils seraient nombreux à penser que j'exagère.
Je pensais que la violence physique donnaient au gens un pouvoir particulier.
Alors j'ai commencé à donner des tapes quand les gens n'étaient pas sympas avec moi. Pas vraiment des gifles, juste des petites tapes. Pour qu'ils restent à leur place.
Un jour une fille m'en a voulu pour cette tape. Elle s'en est plaint auprès de son père.
Il est venu à la sortie de l'école.
M'a engueulé devant tout le monde.
J'étais tétanisée.
Il m'a menacé de me frapper.
La direction de mon école m'a prise en charge. Ils ont appelé ma mère. Ils nous ont conseillé d'aller porter plainte.
On est allé à la police.
"Tant qu'il n'y a pas eu de coup, moi je peux rien faire Madame".
Voilà. Je fais partie de ces centaines de femmes dont la plainte a été rejetée. Dont la parole n'a pas été prise au sérieux.
Malgré des dizaines de témoins.
Quelques mois plus tard, après m'avoir accompagnée à l'école pour pas que je me sente trop vulnérable, après m'avoir réconforté sur le sujet, on est table, je donne une petite tape sur l'épaule de mon père.
Ma mère m'engueule. Et elle lâche : "Je commence à penser que tu n'étais pas si innocente que ça dans l'affaire avec le père !"
Je quitte la pièce en larmes. Je lui dis qu'elle ne se rend pas compte de ce qu'elle dit.
À l'époque, la culpabilité est omniprésente. Je suis toujours super émotive sans comprendre ce que c'est réellement, ce que ça implique, comment ça s'appelle. Je suis toujours l'enfant bizarre qui essaye tant bien que mal de se mêler aux autres.
Chronologiquement, on en arrive à ce fameux meilleur ami qui m'a détruite.
Un pervers narcissique ? Je ne sais pas. Peut-être. Ça y ressemble en tous cas.
Tu as trop de vécu pour que ça soit vrai.
Ils sont ridicules les poètes romantiques quand ils prétendent avoir déjà vécu tout ce qu'il y a à vivre.
Je suis ridicule ? Peut-être.
Il m'a retourné le cerveau. Cette culpabilité que je portais en moi, c'était sa pire arme. Il pouvait faire ce qu'il voulait de moi.
J'étais désormais coupable de tout, il pouvait me culpabiliser ma plus petite action. Et ça marchait si bien. Petit pantin de la culpabilité, qu'as-tu fait de mal aujourd'hui en plus d'exister ?
Quand il m'a envoyé chier, c'était encore de ma faute. Quand j'ai perdu mon amoureux à cause de ça, c'était évidemment de ma faute.
Tout ce qui pouvait arriver à moi ou des membres de mon entourage était entièrement et complètement de ma faute.
Un jour, un "ami" m'a dit qu'il faudrait obliger les mineures à avorter.
J'étais mineure à l'époque. Je lui ai dit que jamais je n'avorterai, même pas maintenant.
"Tu serais la pire des mères".
Il disait ça en rigolant.
Un pédophile m'a manipulé pour obtenir des nudes. C'est de ma faute si j'en ai envoyé. Mais c'est aussi de ma faute s'il m'a quitté. Je n'étais pas assez sage pour lui, pas assez obéissante. Et puis je lui ai brisé le cœur, ah, vraiment, je suis une horrible personne.
Je ne sais comment je me suis sortie de là par moi-même, mais j'ai compris et démentelé les différents rouages de la culpabilité.
Ce n'est pas de ma faute quand ça concerne entièrement les autres.
Ce n'est pas de ma faute quand je prends des décisions conscientes et réfléchies. Je n'ai pas à m'en vouloir pour les débordements que j'avais envisagé et qui ont effectivement lieu.
Ce n'est pas de ma faute si j'existe.
Ce n'est pas de ma faute si j'ai des émotions qui fonctionnent différemment.
Ce n'est pas de ma faute si les harceleurs me reconnaissent instantanément. Je n'ai pas à m'en vouloir de ne pas pouvoir accepter leur comportement.
La pire arme des gens dans ce monde, contre les émotif.ves dans mon genre, c'est la culpabilité.
Alors la meilleure défense qu'on a contre ça, c'est celle d'être nous-mêmes.
Sans excuses, sans nous enfermer, sans passer notre temps à tout craindre.
Nous ne devons pas nous laisser avoir.
Nous avons le droit de faire des erreurs, d'avoir des regrets, de reconnaître qu'on a eu tort ou qu'on a mal agi, d'accepter que nous sommes dans des situations compliquées, mais ça ne nous oblige pas, à aucun moment, à nous sentir coupable.
Nous sommes humain.es, on fait de notre mieux, on a le droit à l'erreur, on n'a pas à souffrir de prendre de la place dans ce monde.
Toi, là, qui a des fleurs qui te poussent partout dans le corps, toi qui a des torrents de larmes en réserve, des feux d'artifices de colères, toi qui aimerais pouvoir danser ou dormir toute la journée, toi qui te demande chaque jour un peu plus si c'est vraiment bien que tu restes sur cette Terre.
Tu es un trésor.
Tu es un immense cadeau pour ce monde insensible.
Tu as le droit d'exister.
Tu as le droit de prendre de la place.
Tu as le droit d'avoir besoin de temps pour trouver l'équilibre et te sentir bien.
Tu as le droit d'imposer tes décisions et ton avis.
Tu as le droit.
D'être.
Toi.
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Je ne sais pas si c'est plutôt un article ou un manifeste. Mais c'est important :))
Brefouille !
Bonne soirée les loulous, je vous aime fort <3
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