Chapitre 1

La directrice de l'Académie Impériale lui avait simplement laissé une lettre. Avec le collier de sa mère et quelques vieux vêtements, il ne lui restait rien d'autre de sa vie d'avant. Lorsque Sunya avait quitté Samitto, la capitale de Sentorasu, elle n'avait rien d'autre à emmener avec elle. Tout avait été détruit lors de l'incendie criminel qui avait tué ses parents. Désormais orpheline, elle avait hérité de la fortune familiale mais l'assassin de ses parents était toujours dans la nature.

Pour se protéger, elle fuyait l'Empire, avec l'aide de la directrice. Celle-ci lui avait trouvé un travail à Phu Long, un village d'une montagne loin de tout et de tous, à la frontière entre le reinaume de Prahima et le royaume de Thalalek. 

Sunya relut une énième fois la lettre de la directive. Elle y serait enseignante, pour une durée indéterminée. Habituée à une vie de luxe et à être continuellement servi par d'autres, elle ignorait si elle serait capable de survivre dans un lieu où même l'eau courante n'existait pas. Elle n'avait néanmoins pas le choix, sa vie en dépendait. Ses yeux quittèrent enfin la lettre pour se concentrer sur le paysage qui défilait et une grimace barra son visage lorsqu'une secousse la fit se cogner contre la porte. Le conducteur avait beau faire de son mieux, la route menant en haut de la montagne était loin d'être pratique et facile à emprunter. Après plusieurs minutes, ils arrivèrent finalement au village de Phu Long.

En pleine montagne, le village vivait loin du monde et s'en portait très bien ainsi. Contrairement à ce que les habitants de la ville en bas de la montagne pouvaient penser, ils n'avaient pas la quelconque envie de se joindre à la modernité. Leurs maisons, fussent-elles en bambous, leur convenaient parfaitement. Sunya avait été averti de ce point par la directrice et, si elle n'avait pas compris lorsqu'elle le lui avait expliqué, elle le pouvait désormais. Le village semblait tout droit sorti d'un livre d'images et les quelques habitants qu'elle pouvait apercevoir dégageaient une sérénité qu'elle leur envia. C'était le genre de sérénité que l'on ressentait chez soi, quand on se savait en sécurité et entouré de ceux qu'on aime. Elle retint ses larmes en pensant à ses parents et descendit de la voiture.

La directrice les avait averti de son arrivée imminente et une jeune femme qui devait avoir deux ou trois ans de plus qu'elle vint vers elle. Avec ses cheveux noirs attachés en une haute queue-de-cheval et son uniforme de garde forestière, elle avait l'air stricte et d'aimer l'ordre. Cela allait parfaitement à Sunya qui était déjà reconnaissante de l'accueil offert par Phu Long.

— Bienvenue à Phu Long, la salua la garde forestière avec les mains jointes et en inclinant légèrement la tête. Je suis Phitchaya Chansiri mais tout le monde m'appelle Hawhna Cha ici.

Sunya lui rendit son salut. Elle ignorait beaucoup de choses sur la culture thalalekienne mais c'était là, au moins, une chose qu'elle connaissait. La familiarité mêlée à de la distance renvoyée par l'appellation Hawhna Cha ne fut néanmoins pas sans la perturber, elle qui était tant habituée à la rigidité des rapports à l'Empire. Pouvoir appeler quelqu'un par un surnom, fusse avec un titre, lui aurait paru impossible à Samitto.

— Merci pour votre accueil, Hawhna Cha. Mon nom est Sunya mais vous pouvez m'appeler Sun.

Phitchaya acquiesça et, après avoir remercié le conducteur, elles se mirent en route vers la maison de Sunya. Sur le chemin, la garde forestière en profita pour la présenter aux habitants qu'elles croisaient. Après plusieurs minutes, elles arrivèrent devant une petite maison faite de bambou et de bois comme les autres. L'endroit n'avait rien de luxueux et Sunya retint un soupir en se disant qu'elle devrait s'en satisfaire.

— Vous n'avez pas à retenir tous les noms, vous venez d'arriver donc personne ne vous demandera d'agir comme si vous étiez ici depuis des mois. Si vous avez la moindre question, que ce soit aujourd'hui ou plus tard, n'hésitez pas à me solliciter, je suis là pour protéger le village mais aussi pour aider les habitants.

— Merci pour votre aide, Hawhna. La directrice vous a sans doute averti de mon... incompétence en terme de survie donc... commença-t-elle.

— Ne vous inquiétez pas, la coupa Phitchaya. Je m'occuperai de votre repas pour ce soir et des prochains jours, en attendant que vous puissiez vous débrouiller par vous-même.

Sunya ne sentait aucune moquerie ou supériorité dans le ton employé par Phitchaya mais elle ne put que baisser la tête. Après tant d'années à s'entendre dire être l'élite et finalement se retrouver à ne pas savoir comment faire quoi que ce soit... Cela avait un côté humiliant de se rendre compte à quel point toute sa vie elle avait dépendu des autres et elle comptait bien changer cela.

Sa motivation sembla s'envoler comme neige au soleil lorsque, une fois à l'intérieur et face à la simplicité du logement, elle se retrouva véritablement confronté à la réalité. Une fine plateforme de bambou surélevait un matelas fait de laine de mouton mais le reste de la pièce était vide. Il y avait également une fenêtre sans volets ou rideaux, un simple rideau de bambou servait de porte d'entrée et, près des marches qui menait à l'intérieur, elle n'avait rien vu qui pouvait l'aider à cuisiner ou se laver.

— Comment je vais faire ? lâcha-t-elle avec une pointe de désespoir.

X

Hawhna, patrouille de retour, fit une voix dans son oreillette.

L'oreillette était l'une des rares technologies accessibles à Phu Long, offerte par la Milice nationale. C'était le cas uniquement par nécessité pour les gardes forestiers qui voyaient récemment de plus en plus de menaces régner dans la région. Ils étaient, à leur façon, les gardiens des frontières. Avec le ton employé par la voix, Phitchaya sut immédiatement que quelque chose n'allait pas et prit congé auprès de Sunya pour rejoindre les autres gardes.

Heureusement pour elle, la maison de Sunya se trouvait non loin de la base et elle s'y trouva en quelques minutes à peine. Là-bas, les cinq autres gardes forestiers l'attendaient. Si aucune patrouille n'était repartie, la situation devait véritablement être grave. Chaya tenta de garder un masque neutre et strict avant de s'avancer, prête à recevoir le rapport de ses subordonnés.

Hawhna, la patrouille a trouvé ceci, déclara l'un des patrouilleurs.

Nithoon, celui qui venait de parler, lui tendit un morceau de tissu.

— C'était accroché à une branche, ils devaient être pressés et ne s'en sont pas rendu compte.

Chaya observa le tissu qu'elle reconnu aussitôt. Malgré la distance avec la ville voisine, les gardes forestiers possédaient des vêtements de bonne qualité pour résister aux affrontements. Néanmoins, ils étaient tous fait d'une même teinte brune, loin de la teinte verte qu'elle pouvait voir et qui ne pouvait appartenir qu'aux Traqueurs.

— Ils sont de plus en plus téméraires, soupira-t-elle. Je vais demander à ce que la sécurité soit augmentée dans le village, on ne peut pas risquer que Wat soit découvert.

Les autres gardes acquiescèrent, conscients de la situation. Nul n'osa cependant émettre à voix haute leurs doutes, les mêmes qui assaillaient Chaya.

— Vous pouvez rentrer chez vous, continua-t-elle.

— Dites Hawhna, fit Nithoon quand tous furent partis. Vous avez vu la nouvelle ?

— Oui, je l'ai amené chez elle, pourquoi ?

— Vous pensez qu'elle se ferra à la vie ici ?

Chaya passa une main sur ses cheveux sombres.

— Je ne sais pas, j'ai promis à la directrice de m'occuper d'elle donc je ferais de mon mieux pour que ce soit le cas. Les enfants seront contents d'avoir un nouveau professeur.

Nithoon hocha la tête avec un sourire. Lui-même n'avait pas d'enfants mais il avait un neveu qu'il savait impatient de rencontrer la nouvelle enseignante. Cela faisait plusieurs mois que l'école du village n'avait pas accueilli de professeurs, ce qui le rendait curieux sur la nouvelle arrivante.

— Ne t'en pas fais pas Ton, le rassura Chaya. Je suis sûre qu'elle ferra de son mieux.

Nithoon acquiesça et fit un signe de main avant de la laisser. Chaya quitta également la base pour faire le tour du village. Phu Long, malgré le faible nombre d'habitants, recouvrait tout de même un large territoire. Le village vivait principalement de ses feuilles de thé dont les champs décoraient toute la partie nord-est, non loin de la route qui menait vers la ville. Les cueilleurs habitaient ainsi en bordure de la route qui reliait la ville et la place centrale du village, au contraire de l'école et des autres habitations qui se trouvaient au sud, vers la forêt qui menait à la frontière avec le reinaume de Sekikoku. La base se trouvait ainsi au sud-est pour que les patrouilleurs puissent se rendre rapidement à n'importe quel endroit qui nécessiterait leur intervention.

Chaya aimait faire cette ronde quotidienne durant laquelle elle passait voir chaque habitant pour s'assurer que tout allait bien. Elle commençait toujours par aller dans les champs de thé puis remontait par le nord-ouest où elle allait voir son meilleur ami Leekpai qui était le médecin volontaire du village.

— Hey ! le salua-t-elle en arrivant.

Il était dix-huit heures passées et, comme toujours, Leekpai lisait, si concentré qu'il ne releva pas la tête. Elle s'approcha pour lui taper l'épaule et il se redressa avant de sourire.

— Cha ! Tu as fini ta journée ?

— Tu sais bien que je n'arrête jamais vraiment de travailler, répliqua-t-elle gentiment.

— Le village ne va pas disparaître si tu prends un peu de repos, tu sais. Tu devrais faire plus attention à ta santé...

Elle sourit pour le détendre. Il s'inquiétait pour elle et elle lui en était reconnaissante, mais elle ne voulait pas qu'il s'en fasse de trop.

— Bien, soupira-t-il avant de changer de sujet. Je n'ai rien à signaler aujourd'hui, je n'ai eu que la visite de Tante Sawinee pour un contrôle de routine.

Chaya hocha la tête et il se leva pour retirer sa blouse de médecin.

— Je t'invite à dîner ?

Il rangea sa blouse et chercha ses clés en attendant sa réponse.

— Je dois m'occuper de la nouvelle enseignante donc ce sera sans moi.

Leekpai hocha la tête. Ils allèrent ensemble fermer le cabinet et, une fois dehors, marchèrent jusqu'à la maison de Leek.

— Tu sais, elle peut aussi venir manger avec nous.

— Hum... Dis plutôt que tu veux la rencontrer, oui.

— Tout le village est curieux de la rencontrer et je ne fais pas exception.

— Je sais, répondit-elle. Je peux aller lui proposer de venir dîner avec Wong et toi, si tu y tiens. Je ne pense pas qu'elle refusera mais Wong sera d'accord ?

Leekpai haussa les épaules et, mains dans les poches, la cogna légèrement avec son coude.

— Il n'est pas timide au point de ne voir personne.

Chaya le regarda avec un sourire en coin.

— Je pensais plutôt au fait qu'il serait contre le fait que Sunya te rencontre alors qu'elle vient d'arriver, ça pourrait lui donner envie de fuir !

— Pfff... C'est ça, moque toi de moi ! Moi qui étais content que mon mari et ma meilleure amie s'entendent bien...

— C'est parce qu'on t'adore, va ! fit-elle en riant.

Plus grande que Leek, elle passa un bras derrière son cou et le rapprocha d'elle pour lui ébouriffer les cheveux. Il la laissa faire, habitué à ce comportement qu'elle ne s'autorisait à avoir que lorsqu'ils étaient tous les deux. Il savait à quel point sa position de chef des gardes forestiers lui pesait, malgré son amour du village, et était heureux quand il la voyait agir ainsi. Cela lui rappelait quand ils étaient encore adolescents et que Chaya n'était que Chaya, loin de ses responsabilités actuelles.

Après encore quelques minutes de marche, ils arrivèrent enfin à la maison de Leekpai et Sarawong. Après avoir salué son meilleur ami, Chaya le laissa pour aller proposer à Sunya de dîner avec eux. Elle termina ainsi sa ronde à la maison réservée à l'enseignant du village et entra, surprise de trouver l'intérieur vide.

— Sunya ?

— Je suis là, lui répondit une voix étouffée.

Sortant à l'extérieur, Chaya trouva Sunya en train de dessiner dans un carnet. Loin de l'apparence des jeunes adultes de Phu Long, Sunya était habillée d'une chemise marron et d'un pantalon noir. Avec en prime son chignon parfaitement coiffé, elle détonnait parfaitement dans le décor.

— Vous dessinez ?

Sunya acquiesça et ferma son carnet, comme si elle ne voulait pas que Phitchaya en voit l'intérieur. Loin de s'en offusquée, elles ne se connaissaient pas après tout, Chaya continua de s'approcher.

— Vous êtes là pour le dîner, Hawhna ?

— Oui, Leekpai, le médecin du village, m'a proposé de dîner chez lui, et vous êtes invitée également. Cela vous va ?

Sun sourit avant de hocher la tête avec enthousiasme.

— Bien sûr, ce sera l'occasion de faire connaissance ! Je vais ranger mes affaires et je vous suis.

X

— Enchanté, je suis Leekpai, le médecin du village, mais vous pouvez m'appeler Leek.

Il joignit les mains, le bout des doigts proches de son front et pouces sur ses lèvres inférieures, et pencha légèrement la tête en avant pour la saluer correctement. Elle enleva ses chaussures avant de l'imiter.

— Ravie de vous rencontrer également. Vous pouvez m'appeler Sun.

Un autre homme les rejoignit, plus petit que Leek et aux cheveux blonds.

— Ah, voilà Sarawong, mon mari, le présenta Leekpai.

— Enchanté. Vous pouvez m'appeler Wong.

— Sun, enchantée.

Wong lui sourit et hocha la tête.

— Le dîner est prêt, vous pouvez aller vous asseoir.

Le quatuor se rendit alors sur ce qui ressemblait à une terrasse et s'installa autour d'une table en bois entourée de cousins. Plusieurs plats venaient orner la table, bien loin des mets auxquels Sunya était habituée.

— Quand Leek m'a dit que vous veniez dîner, j'ai essayé de ne pas trop épicé les plats. Vous ne devez pas y être aussi habituée que nous si vous venez de l'Empire.

— Je viens de Tsukuni à l'origine mais même là-bas je ne mangeais pas vraiment épicé, merci de l'attention.

— Tsukuni ? De quelle région ?

— La mère de Wong vient de Narakoshi, expliqua Leek.

— Oh, vous y êtes déjà allé ?

— A quelques occasions, oui, mais je n'en ai plus vraiment la possibilité aujourd'hui.

— C'est dommage, Narakoshi est une si belle ville... Vous avez visité l'ancien palais d'Atasuke ?

— Oui, bien sûr ! C'était l'endroit préféré de ma mère, on y allait à chaque fois qu'on était à Narakoshi. En automne il est simplement... magnifique !

Sunya acquiesça avec enthousiasme et ils continuèrent durant tout le dîner, toute timidité effacée.

— La prochaine fois que vous venez, je vous ferrais des tempura, promit Wong une fois le repas terminé.

— Je reviendrai avec plaisir alors. Merci pour ce repas, c'était excellent.

Les salutations terminées, Chaya et Sunya partirent ensemble. L'enseignante avait retroussé ses manches et quelques mèches s'échappaient de son chignon, lui donnant un air moins inaccessible qu'auparavant.

— Ahhh, soupira Sunya. Ça faisait longtemps que je n'avais pas autant mangé. Merci pour l'invitation, Hawhna.

Chaya hocha la tête avec un sourire. Peut-être que ses doutes n'étaient pas avérées et que Sunya s'adapterait à la vie au village ?

— Vous les connaissez depuis longtemps ?

Mains dans les poches, Chaya répondit avec plaisir, toujours ravie de parler de ses amis.

— Leek et moi avons le même âge donc nos parents nous ont élevé ensemble, on est comme frère et soeur sans le lien de sang. Wong est de Chiang Masaket, Leek l'a rencontré pendant qu'il étudiait pour devenir médecin, il y a... six ans maintenant ? J'ai dû rencontré Wong quelques temps après.

— Oh, c'est pour ça que vous semblez si proche de Leek.

— Oui, mais vous verrez dès demain à l'école, le village en lui-même est comme une grande famille. Je suis sûre que vous vous y ferrez vite.

— J'ai hâte de rencontrer les enfants. Pour la première fois, c'est moi qui serait derrière le bureau, c'est un peu stressant mais vous pouvez compter sur moi pour faire de mon mieux.

— Je vous fais confiance alors.

Sunya acquiesça et remarqua qu'elles étaient arrivées chez elle.

— Je vous souhaite une bonne soirée, à demain.

— A vous aussi, à demain, salua-t-elle Chaya avant de rentrer à l'intérieur.

Elle aurait aimé discuter plus longtemps avec Phitchaya, elle détestait le moment de se coucher. Lorsqu'elle était occupée ou entourée, Sunya arrivait à garder un masque sur son visage et à sourire. Une fois seule avec ses pensées, face au noir de la nuit, toutes ses barrières s'effondraient. Après avoir inspiré, elle se déshabilla pour enfiler sa chemise de nuit et défit son chignon. Ses mèches brunes ondulèrent dans son dos et elle les coiffa rapidement en une tresse sur le côté avant de se glisser dans son lit. Là, les pensées se mirent à tourbillonner dans son crâne et c'est les yeux humides qu'elle finit par s'endormir.

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Heya ! 

J'espère que vous allez bien et que ce début vous aura plu ! Je compte poster une petite partie présentant les différents pays dès que j'aurais le temps, mais j'espère que tous les noms ne vous ont pas trop perdu. Ne vous inquiétez pas, le seul nom à retenir est celui de Phu Long pour l'instant, puisque c'est là que la majorité de l'intrigue se déroulera. 

N'hésitez pas à commenter, je suis toujours ravie de savoir ce que pensent les lecteurs ! 

Je vous retrouve au prochain chapitre ! :) 

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