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(Ludovic)
Je suis dans les serres depuis le lever du jour. J’aime ces moments où le moindre bruit semble être démultiplié, les nuances qui évoluent minute après minute et l’odeur de la terre. Martin, mon oiseau de nuit, se moque gentiment de moi à ce sujet. S'il avait eu l’opportunité de rencontrer mes parents, il aurait compris que ce qu'ils avaient prévu pour moi était très éloigné de ce que je fais. Mon père rêvait d'une carrière militaire pour son seul garçon. Tout l’opposé de mon caractère, moi l’enfant calme et discret. L’adolescence m’a appris que je ne ressentais pas exactement la même chose que mes copains d’école mais je n'en ai rien dit. L’adulte conscient des soucis n’a pas dit un mot et a vécu son homosexualité tranquillement sans faire de vagues. En découvrant la réaction de ma soeur face à Fabien, son fils, je me dis que j’ai bien fait. Mon choix de travailler dans le social et plus particulièrement avec les adolescents en crise, a toutefois été validé par mon père. J’ai apprécié les cinq années de pratique mais je n’ai jamais été aussi épanoui que le jour où, grâce à mon héritage familial, j’ai acheté cette longère. Ma rencontre avec Frédéric nous a amenés à sortir souvent et il m’a semblé normal de lui dévoiler mon homosexualité.
— Je crois que je te surprends en plein flagrant délit de rêverie, mon coeur, m’interpelle Martin. Cela fait un petit moment que je te regarde, tu rêvais à quoi ?
— Je me disais que j’avais beaucoup de chance de faire un boulot que j’adore et qui me permette de vivre.
— En effet, tu as raison. J’aimerais pouvoir en dire autant... Fabien m’a demandé s'il pouvait remplacer Violette. T'a-t-il parlé de ce qu'il aimerait faire comme métier ?
— Non. Cela ne m’a pas semblé être le plus important. Gérer l’abandon de ses parents lui prend beaucoup de temps. Quant à ta remarque sur ton boulot, ne crois pas que je ne l’ai pas entendu. Tu as des cours de prévus pour tout le mois et payés d’avance, Martin. Le bouche à oreille commence à faire son effet. Il faut juste trouver un moyen d’augmenter cette demande. Tu y as réfléchis ?
— J’ai fait quelques vidéos, Ludo mais tu as bien vu, c’est du job d’amateur. Pour Fabien, j’ai dit oui. Violette m’a aidé parce que c’est ma soeur mais elle n’apprécie pas.
Je me redresse portant le panier de légumes que j’étais en train de ramasser, le pose à ses pieds et prends Martin dans mes bras.
— Essaye de te faire un peu confiance, bébé, lui soufflé-je en embrassant tendrement sa joue froide. Rentrons prendre un café, j’ai froid et tu es glacé.
(Violette)
Fabien éclate de rire à la question du nouveau. Pourquoi il l’a aidé ? En fait j’ai plusieurs options : Le fait qu’Antoine faisait partie de ceux qui s'en prenaient à lui, ou parce qu'il est en fauteuil, ou juste comme ça sans raison.
— Très bonne question. Antoine est un sale type, demande à Violette, précise-t-il en me désignant. Je lui ai tenu tête il y a peu de temps, et je ne rate pas une occasion de lui montrer que je le surveille. Tu es dans quelle classe ?
— Première A prime, mais j’ai des cours allégés dans l’attente d'une aide humaine, répond Arthur. Après je l’attends depuis l’année dernière…
— Et bien, tu as tiré le bon numéro, c’est aussi la nôtre. Violette est la meilleure élève de la classe. Peut-être que l’on pourra t’aider.
Il nous regarde bizarrement visiblement pas ou peu habitué à ce genre de comportement. Enfin sans la présence de Fabien, il serait encore face à Antoine et ses deux acolytes. Je lui adresse un léger sourire.
— Le pion a parlé d'un fauteuil roulant, questionne Arthur, tu l’as quitté il y a longtemps ?
Je repère une légère crispation chez Fabien, heureusement pour lui la sonnerie interrompt la conversation. Sans se concerter, nous prenons place chacun d'un côté et Arthur avance entre nous.
( Martin)
Nous nous sommes réchauffés autour d'une boisson chaude puis après avoir enfilé une parka pour être au chaud, nous avons fini le boulot de ramassage. Ludovic a installé un petit appareil de chauffage d’appoint dans le local pour moi. Lui, a l’habitude du travail à l’extérieur et ne semble jamais souffrir du froid. Ce week-end, nous allons faire des achats de vêtements d’extérieur, afin de remédier à ce problème.
Vers seize heures, Ludovic est parti chercher les enfants en déposant une commande de dernière minute. Il est temps pour moi de rejoindre l’annexe. J'ai deux personnes ce soir, une que je connais bien, et un nouveau venu. Même demande pour les deux : apprendre à gérer l'organisation de la préparation d'un repas entier. Il me restait peu de dates de disponible aussi ai-je proposé un regroupement. Les deux désirent préparer, et ont le choix d'emporter le résultat de leur travail chez eux. Seul le prix différencie la prestation.
Depuis mon premier repas, j'ai changé de façon de faire. Plusieurs retours m'ont confirmé une frustration de ne pas goûter son propre travail. Depuis je privilégie des groupes restreints et offre la possibilité moyennant une participation forfaitaire d'emporter le repas chez soi.
Ce soir, les deux ont choisi cette option.
Le menu, sans être extraordinaire, demande de l’attention. Je n’ai pas beaucoup d’inquiétude concernant un des participants. Lucas, un de mes premiers participants, est plutôt doué et cherche à se perfectionner. L’autre d’après sa fiche apprécie cuisiner et souhaite s’améliorer. Comme pour tous les cours que j’ai proposés jusqu’à présent, je mets bien entendu en avant les légumes de Ludovic, ainsi que les produits de collègues dont je suis sûr. Libre à mes participants de choisir d’autres lieux.
J’entends la porte, Ludo vient sûrement de rentrer et il me dépose mon apprenti du soir. Fabien est un drôle de gamin au caractère enjoué. Malgré l'abandon de sa famille, il reste fort. J'ai eu peur qu'il abandonne ma sœur au lycée mais je me suis trompé. Il est toujours à ses côtés, et le soir ils passent de longs moments au téléphone. Il me faut éclaircir la raison de sa présence volontaire ce soir.
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