29.


( Martin)

Après notre discussion avec Fabien, j’ai dû retourner en ville, enchaîner deux rendez- vous à la suite qui ont aboutis sur deux réservations de groupes d’amateurs de cuisine. Mes  courses pour préparer les menus du prochain stage bouclées, j’ai repris le chemin de la maison.
J’ai à présent cette habitude de tester le menu chez nous. Je sais qu'ils seront honnêtes, et les deux ados ont le palais relativement aiguisé. Ludo a appris à cuisiner parce qu'il est gourmand et prend soin de sa santé. Moi, c’est ma tante Graziella qui m’en a donné le goût, me montrant et me laissant tester des associations de goûts parfois périlleuses. Fabien et Violette sont jeunes et nous leur cuisinons, Ludo et moi, des plats sains. Si nous leur demandons de l’aide, ils viennent volontiers mais jamais ils n’ont l’idée de se lancer d’eux même. J’ai donc mis en place une sorte de répétition des stages en les utilisant comme cobayes. C’est relativement efficace car de très peu doués,  les deux ados sont devenus adroits.

J’entrepose mes achats dans le frigidaire spécial Annexe, puis prépare deux cafés pour emmener au local où doit se trouver Ludo, puisqu'il n’est pas endormi sur le canapé.
J’entends deux voix lorsque je m’approche : Fabien n’a visiblement pas voulu se rendre au lycée. Il va sérieusement falloir en discuter. Je les découvre installés tous les deux, le local est prêt à recevoir la clientèle. Deux mugs sur un plateau témoignent d'une ancienne pause.

— J'arrive un peu à la bourre apparemment,  les interpellé-je en déposant mes cafés sur le comptoir. Tu comptes retourner au bahut demain, rassure-moi ?

Ludovic se déplace vers moi, me vole un baiser.

— Si tu n’avais pas, une fois encore, oublié ton téléphone, tu aurais su que Fabien avait été, sans grande contestation de sa part, réquisitionné, me précise Ludo. Violette avait besoin de moi. Tu gères les clients, Fab ?

Je n’ai pas le temps de réagir que mon amant, ramasse les mugs usagés sur le plateau  et m’entraîne vers la maison. Dois-je m’inquiéter ?

— Ne fait pas cette tête-là, mon coeur. Elle va bien. Elle a laissé un message en fin de matinée sur ton portable comme quoi elle était sur la route.

— Comment cela sur la route ? Il n’est pas convenu qu’elle ne rentre qu’avec l’un de nous ou François, râlé-je.

— Je l’ai récupérée à l’angle de la station essence, elle a marché un peu plus d’un kilomètre.

— Que s'est-il passé pour qu’elle fuit le lieu ? Elle te l’a dit ?

— Elle a commencé à le faire, et Arthur a appelé et je l’ai
raccompagné là-bas.

— Elle n'était pas bien et tu l’as ramenée dans ce lieu, je ne te comprends pas.

—  A sa demande expresse. Arthur avait des explications à lui donner. Elle m’a envoyé un texto, il y a une demi-heure. Tout va bien.

— Et cela te suffit ? m’énervé-je, exaspéré par son calme.

— Tu n'arrêtes pas de lui demander de réagir :  Elle l’a fait. Quelque chose chez François a provoqué chez elle l’envie de fuir. Pour la première fois, elle a pris une décision immédiate tout en protégeant ses arrières. Je réalise que si tu avais été à ma place, tu aurais foncé dans le tas.

Je le regarde, il n'est pas en colère et je dois l’admettre, il a tout à fait raison, j’aurai exigé des explications. Concernant Violette, je perds très vite mon sang froid. Ma petite soeur grandit. Je me blottis contre Ludovic.

— J’ai tellement peur pour elle, chuchoté-je. Pardonne-moi d’avoir douté du bon sens de ta décision.

— Bébé. Ne te reproche rien, Fabien peut témoigner que je suis plus zen depuis l’instant ou j’ai reçu ce texto. Elle avait besoin de cette explication avec Arthur. Et elle ne risquait pas grand chose, elle court plus vite que son fauteuil roulant de toute façon, ricané-je pour le détendre.

— C’est scandaleux ce que tu viens de dire. Cela mérite une sanction, menacé-je en l’embrassant tendrement. Merci.

(François )

J’ai eu besoin de m’éloigner. Mon fils n’a pas réalisé à quel point le savoir à mes côtés me comble de bonheur. Ses remarques m’ont blessé tout à l’heure.

Lorsque quelques années plus tôt,  l’hôpital m’a contacté pour m’annoncer la mort de mes deux amis, les parents d’Arthur, j’ai fait ce que je leur avais promis. Arthur est sous ma responsabilité, je suis son tuteur légal.
Simon n’a pas toutes les informations, j’ai promis à sa mère de ne rien dire. Elle ne voulait pas avoir la charge de cet enfant. De lui, elle ne voyait que son fauteuil et ce qu'il impliquait. Simon était déjà grand, Arthur n’avait plus que moi. Ma décision était prise. La maison de ses parents était déjà équipée, je suis venu m’installer avec lui. Le côté pratique n’a pas été complexe  à mettre en place. Fanny, la maman d’Arthur gérait tout d'une main de maître. La remplacer aurait été mission impossible, surtout que j’étais seul. Arthur, sous le choc, parlait peu. Ses parents, protectionnistes, avaient privilégié  une éducation délivrée à la maison plutôt que dans un établissement scolaire. Les cours ont repris puis Arthur a souhaité partir au lycée. J’ai tout d’abord refusé, il avait très peu été confronté aux autres, vivant dans un monde clos réservé à la culture et la connaissance. Je ne fréquentais pas énormément de personnes  et je pouvais comprendre que la compagnie lui manquait. J’avais relancé ma femme à ce sujet, ils auraient pu venir s'installer avec nous, Simon et elle. Les deux garçons avaient peu de différence d’âge mais elle s'y refusa.
Le lycée sans aide humaine ne convenait pas à Arthur et sans la présence de Violette, il aurait lâché prise. Quand il m’expliqua que la jeune fille enviait son ancienne scolarité à domicile, j’y ai vu moi un moyen de ne pas l’isoler. Tous deux étaient des bons, voire excellents élèves .

Pourtant, lorsque ma femme m’a expliqué la situation de Simon, je lui ai tout naturellement proposé de l’accueillir.  Mon seul tort a été de ne rien expliquer, ni à Simon qui découvrait une maison et un jeune handicapé, ni à Arthur qui lui apprenait l’existence de mon fils.

Nos erreurs d’adultes avaient mis à mal ces trois adolescents, je m'en voulais et je souhaitais m’en expliquer avec eux. 

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