Chapitre 9
Je ne cessai de songer au problème que me posait Addy à refuser obstinément d'apprendre à se battre. Il fallait que je parvienne à trouver un stratagème qui la convaincrait.
Au bout d'une semaine, rien de ce que j'avais essayé n'avait fonctionné. Elle demeurait braquée, récalcitrante.
Elle me faisait penser à Rosebird. Lorsque ma jument n'était encore qu'une pouliche, elle refusait de marcher en longe, de se laisser monter. La débourrer avait été une épreuve. J'y avais passé près de deux mois. J'avais réellement cru que nous ne pourrions rien faire de ce cheval.
Et à force d'usure et de persévérance, j'avais vaincu le côté buté de Rosebird. Je lui avais appris à me faire confiance, lui avais fait comprendre que je ne lui voulais aucun mal. Et depuis, c'était mon alliée la plus fidèle.
Il fallait que je trouve la faiblesse de la princesse pour parvenir à la faire céder. Il me fallait ce déclencheur qui ferait sauter toutes ses défenses et lui ferait accepter la réalité.
Le problème était que je n'avais pas deux mois devant moi pour le faire. Je devais trouver et rapidement. La guerre était devenue interne, secrète. Encore plus dangereuse que celle qui enflammait les frontières du royaume. Ici, on ne savait pas qui était notre ennemi et qui ne l'était pas.
Je soupirai en me passant une main dans les cheveux. Je n'avais pas été enthousiaste à l'idée de devenir une gouvernante. Lorsque Jon était entré dans ma chambre un mois plus tôt pour me dire que j'allais devenir la gouvernante de la Princesse Addy Madsen, je ne l'avais pas crue.
Je m'étais doutée que pour m'approcher de la famille royale, je devais travailler dans le château. Cuisinière, servante, femme de chambre, ça m'aurait été. Gouvernante ? Bien moins.
Je fronçai les sourcils, songeant soudain à quelque chose. Un mois plus tôt, la place n'était pas vacante. Après avoir parlé à la plupart des gens qui s'affairaient en silence pour faire tourner le château, j'avais appris certaines choses sur Leen Leary.
Elle était née à la lisière nord du royaume dans une famille de simples paysans. Elle s'était liée d'amitié avec la fille d'une lady connue à la Cour. La lady avait fini par embaucher Leen comme dame de compagnie pour sa fille. Ainsi, elle était venue à la Cour.
La jeune lady avait fini par s'enfuir avec un boulanger, laissant son amie derrière, renvoyée, sans famille vers laquelle retourner puisque ses parents avaient été tués. Ayant pitié d'elle, la Reine l'avait embauchée comme gouvernante de la jeune Addy bien qu'elle n'ait aucune qualification.
Durant ses années de service, elle s'était liée avec un cordonnier de Phyre avec qui elle s'était mariée et avait fondé une famille.
Comment elle avait fini par aider le Royaume de Glace était un mystère. Pourquoi le Prince Freejin avait-il choisi cette femme en particulier ? Personne ne le savait.
Leen Leary avait vécu sa vie sans remouds. La seule chose qui la rapprochait des Glaciers était qu'elle avait vécu à la frontière pendant son enfance. Au delà de cela, il n'y avait aucun lien.
Et pourtant, une semaine plus tôt, elle avait été surprise discutant avec deux assassins venus du Royaume des Glaces. Pas un mois plus tôt.
Alors comment Jon avait-il pu savoir que la place allait se libérer ? Leen Leary avait-elle été innocente, en vérité ? Connaissant Jon Marchetta, il était probable qu'il ait monté cette histoire de toute pièce pour me libérer une place dans le château.
Je sortis de mes quartiers, soudain claustrophobe. J'avais besoin d'air. Cette femme que j'avais vu pendre au bout d'une corde n'était pas coupable de ce qu'on l'accusait. Elle n'avait rien fait. J'en étais sûre. Elle avait été piégée par Jon pour me céder sa place.
J'étais destinée à devenir un monstre. J'avais grandi dans cette optique. Toutefois, je ne pouvais pas accepter cela sans ciller. C'était injuste, cruel. Cette pauvre femme n'avait rien fait et elle était morte à cause de moi, dans un sens. Son sang était sur mes mains.
J'en voulais à Jon. Dès que j'en aurais l'occasion, je partirai pour Pit's End pour lui dire ma façon de penser. Lui envoyer une lettre était trop risqué. Elles allaient être lues avant d'être envoyées et je ne tenais pas à être pendue de si tôt.
Je n'avais d'autre choix que de prendre mon mal en patience. L'occasion de faire un voyage d'au minimum deux semaines ne se présenterait pas facilement. Il allait falloir que je la provoque. J'ignorais encore comment.
Pour le moment, mon problème majeur était Addy. Il fallait que je la pousse à apprendre à combattre. Le reste pouvait attendre. M'installer dans mon rôle était ce qui rendrait le reste possible. Si je ne le faisais pas, je serais soit jetée hors du château, soit emprisonnée, soit tout simplement pendue.
Et je ne tenais pas à mourir. Vraiment pas. S'il y avait une personne qui devait mourir, c'était le Roi. Pas moi.
Je me laissai tomber sur un banc dans la Serre. Mes pieds avaient trouvé leur chemin jusqu'à mon endroit favori sans que je m'en rende compte. Entourée par les fleurs couleur de feu et de sang, je me sentis apaisée. Un peu moins encline à trop réfléchir.
Je haussai un sourcil en voyant le Prince entrer dans la Serre, regardant derrière lui comme s'il avait le diable aux trousses. Il me remarqua et vint me rejoindre, surveillant l'entrée de la Serre.
- Eh bien, Votre Altesse, que se passe-t-il ? lui demandai-je.
- Disons que je me cache. J'essaie, en tout cas.
- De qui ?
- De Lady Persley. Et des autres Ladys séjournant au château aussi.
- Pourquoi donc ? Leur attention vous déplaît-elle ? Ne devriez-vous pas être habitué à voir les femmes tomber en pâmoison devant vous ? Vous êtes le Prince.
Il appuya sa tête dans ses mains.
- Qu'a-t-elle bien pu vous dire pour vous mettre dans un tel état ? repris-je.
- Pas les choses qu'une lady devrait dire. Ce qu'elle a dit est si choquant que je m'en souviens mot pour mot.
- Vous me rendez curieuse, Votre Altesse.
- Je ne peux vous répéter de tels mots. C'est... indigne d'une lady.
- Je ne suis pas une lady, Votre Altesse.
- Vous en êtes une. Bien plus que la plupart des ladys de ce royaume. Ce n'est peut-être pas dans votre sang mais c'est assurément dans votre éducation.
Il ignorait tout de moi et ça se voyait. S'il connaissait mes motivations, pourquoi j'avais eu cette éducation si stricte... Il ne penserait plus la même chose. Je n'étais pas une lady. J'étais un assassin.
- Ne changez pas de sujet, Votre Altesse. Nous parlions de Lady Persley et ce qu'elle vous a dit, pas de mon éducation.
- C'est un sujet bien plus agréable que les avances éhontées d'une lady.
- Lady Persley a osé vous faire d'explicites avances ? Il est vrai que ce n'est pas digne d'une lady. Mais vous devriez apprécier l'attention. Tous les hommes ne cherchent-ils pas ce genre d'attentions venant des femmes ?
Il orienta son visage vers moi, l'air si las et écœuré que je compris que ça allait plus loin que cette affaire avec Lady Persley.
- Je ne suis pas ce genre de personne. Avant, oui. Mais maintenant, nous sommes en guerre. Il y a plus important que de jouer aux séducteurs. Toutes ces ladys ne pensent qu'à leurs robes de créateurs, aux rumeurs, à ce qu'elles feront avec l'argent qu'elle gagneront de leur mariage.
- Vous devrez vous marier, vous savez. Lorsque vous monterez sur le trône, il vous faudra une femme. Une reine.
- Je le sais. Je le sais parfaitement. Mais je n'épouserai jamais une écervelée comme le sont la plupart des ladys. Je veux une femme qui connaisse quelque chose à la politique, à l'économie. Au fonctionnement du royaume. Je ne veux pas finir comme mon père, trop centré sur son royaume parce que sa femme est trop superficielle et que tous deux laissent leurs enfants de côté.
Il se releva brutalement et se mit à faire les cents pas. Je m'attendis à ce qu'il parte comme il l'avait fait lors de notre voyage. Il me semblait être le genre de personne à prendre la fuite plutôt que d'exprimer ce qu'il avait sur le cœur.
- Je ne sais même pas pourquoi je vous parle de ça. Je suis désolé.
- Millie, la première fille des Marchetta, m'a toujours dit qu'il y avait deux types de personnes. Ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Je fais partie du second groupe. C'est pour cela que ceux qui ont besoin de parler viennent vers moi.
En vérité, ce n'était pas exactement ce que Millie m'avait dit. Elle m'avait dit littéralement « tu as une face d'ange. Les gens te font confiance et te diront leurs pires secrets sans s'en rendre compte. »
Bien que je doute du côté « face d'ange », le reste était assez vrai. L'attitude si ouverte du Prince en était la preuve. Dès le début, il s'était mis à parler plus qu'il ne le voulait. Plus qu'il ne l'avait sûrement jamais fait.
J'avais de la peine pour lui. Je n'aurais jamais dû ressentir cela. Jamais. Malgré tout, je ne pouvais que voir à quel point sa position était difficile. Ses parents ne s'occupaient pas de lui, ils avaient des attentes immenses, il était seul pour la plupart du temps.
Je respirai profondément, chassant cette compassion de mon cœur. Toute ma vie tournait autour du meurtre de son père. Si je commençais à ressentir de la sympathie pour lui, j'allais échouer.
Et je ne pouvais pas échouer.
- Je sais écouter aussi, dit-il, plus calme. Vous n'aviez pas l'air mieux que moi. Que se passe-t-il ?
Je forçai un sourire en secouant la tête. Ne jamais se plaindre à un membre de la famille royale. Je n'en avais pas le droit. Même si, implicitement, il m'en donnait l'autorisation, je ne pouvais pas me le permettre.
- J'avais simplement besoin de prendre l'air, mentis-je.
Il me regarda trop longuement pour que cela demeure poli. J'en vins à baisser la tête pour désamorcer cette sensation désagréable. Je détestais être fixée ainsi. Je ne pouvais toutefois pas lui faire cette remarque.
Je cillai lorsque sa main apparut sous mon nez. Je relevai la tête vers lui, me demandant ce qu'il voulait.
- Venez. Je vais vous montrer un endroit bien plus beau que cette Serre.
- C'est possible ?
Il sourit, hochant la tête.
- Oh, oui, ça l'est. Les Jardins sont immenses. Il y a bien plus à voir que la Serre.
Il prit ma main d'autorité et m'entraîna avec lui d'un pas vif. Une chance que je sois habituée à la marche rapide.
Il m'entraîna dans un dédale de sentiers étroits encadrés de parterres fleuris et d'étendues d'herbe moelleuse soigneusement entretenues. Nous retrouvâmes assez loin dans un coin reculé des Jardins.
Nous passâmes une énorme arche couverte de plantes grimpantes et de lierre. Le bois allait céder sous le poids du feuillage et des fleurs. Des graviers menaient droit vers un petit kiosque blanc. Chaque pilier était enroulé dans une masse impressionnante de chèvrefeuille qui sentait déjà merveilleusement bon à distance.
Le Prince s'arrêta et me laissa regarder autour de moi. Nous étions isolés du reste du château par des buissons et des sapins qui embaumaient. Des fleurs s'épanouissaient dans leur ombre. Des libellules voletaient autour de nous, presque trop grosses. Elles étaient aussi surdimensionnées que les papillons de la Plaine.
- Alors ? interrogea-t-il doucement en m'attirant vers le kiosque.
- C'est magnifique, Votre Altesse, soufflai-je.
- Peu de personnes viennent ici. C'est si éloigné du reste que seuls les jardiniers viennent parfois pour l'entretien. Je suis sûr d'être tranquille ici. Bien plus que dans la Serre. Sans compter que c'est bien plus beau.
Son superlatif commençait à me donner la migraine. Malgré tout, il n'avait pas totalement tort. Il était certain que la tranquillité régnait. Et que la beauté de l'endroit était indéniable. Nonobstant, la Serre n'en demeurait pas moins éblouissante à mes yeux.
Il alla s'asseoir sur l'un des bancs intégré dans les parois du kiosque. Je le suivis, observant le ballet des libellules.
- Elles sont attirées par l'odeur des fleurs et par le petit ruisseau qui coule entre les arbres.
Je me tournai vers le Prince, étonnée qu'il lise aussi facilement dans mes pensées. Il sourit.
- Je me suis posé la question aussi la première fois que j'ai atterri ici.
Cela me fit sourire. J'appuyai mes bras sur le bord du kiosque, continuant de regarder les libellules. Elles me donnaient quelque chose d'autre sur quoi me concentrer. Je ne tenais pas à me retrouver à ressentir à nouveau de la sympathie pour le fils de l'homme que je finirai par tuer lorsque la bonne occasion se présenterait.
- Ma sœur apprend-elle bien ?
Je pinçai les lèvres.
- Ce qu'elle consent à apprendre, elle l'apprend parfaitement, Votre Altesse.
- Que voulez-vous dire ?
- Votre sœur refuse d'apprendre à se battre. La politique n'est pas son sujet favori et elle connaît si peu d'usages dignes d'une princesse que je commence à songer que ma prédécesseur ne lui a appris qu'à jardiner.
Son silence devenant bien trop long, je me tournai vers lui. Ses coudes s'enfonçaient dans ses genoux, ses doigts croisés soutenaient son menton. Il semblait porter le poids du comportement de sa sœur sur ses épaules.
- Je suis encore en train de chercher un moyen de lui faire comprendre qu'elle doit le faire. Mais elle est têtue.
- Capricieuse est sûrement le mot que vous cherchiez. Ma sœur est capricieuse. Aussi intelligente et réfléchie qu'elle puisse se montrer, tout le monde lui a depuis trop longtemps passé tous ses caprices.
Je gardai le silence. Je n'étais pas en position de dire quoi que ce soit. Je n'en avais pas le droit.
- Vous devez la choquer, l'effrayer. Elle en a besoin. Ce qu'il lui faut, c'est être secouée une bonne fois pour tout pour qu'elle grandisse et cesse de se comporter comme une enfant.
- Que voulez-vous dire, Votre Altesse ?
- Ce que vous devez faire, c'est l'effrayer. Pour de bon. Pour qu'elle comprenne que la situation est grave. Le royaume est en guerre. Les traîtres sont dans le château. Elle doit le comprendre.
Ce n'était pas une mauvaise idée. Cependant, il devait clairement définir son idée. Je ne tenais pas tellement à agir et faire quelque chose qui lui déplairait.
- Jedrek ! appela-t-il, sachant parfaitement que le Capitaine de la Garde me suivait partout.
Le concerné sortit de l'ombre. Il croisa ses bras dans son dos et s'inclina.
- Oui, Votre Altesse ?
- Je veux que vous aidiez Lady Sixtine avec ma sœur. Vous allez organiser une fausse attaque dans sa chambre. Vous agirez comme un assassin prêt à l'enlever. Cela devrait lui mettre un peu de poids dans la tête et cesser de tenir tout pour acquis.
- Bien, Votre Altesse.
Il ne posa pas de question. Quand Ryker le renvoya d'un signe de la main, il partit sans un mot. Il était toujours là, dans les environs, caché par les bois. À me surveiller.
- Vous vous mettrez d'accord avec Jedrek sur la façon de gérer cela. Une telle mise en scène devrait suffire pour effrayer ma sœur et la convaincre qu'elle a besoin d'apprendre à se défendre par elle-même.
- Bien, Votre Altesse dis-je, répétant les mots de Jedrek.
Je l'observai, longuement. La façon dont il avait parlé au Capitaine de la Garde était un étrange mélange d'autorité royale et de demande amicale. La façon d'interagir de Ryker et Jedrek était bizarre. Comme s'ils étaient amis sans vraiment l'être. C'était une question que je devrais poser à Jedrek si je voulais la réponse. Je n'étais pas certaine de la vouloir, de toute façon.
- J'espère que cela suffira. Si ce n'est pas le cas, dites-le moi.
- Bien, Votre Altesse.
Il se releva et s'approcha. La libellule qui s'était approchée de ma main s'enfuit. Frustrée, je me tournai vers lui.
- Nous devrions rentrer. Une tempête approche.
Je levai les yeux vers le ciel pour voir des nuages s'amasser au nord, épais, rapides, menaçants.
- Je n'ai jamais vu d'orages blancs.
- Mieux vaut ne pas être à l'extérieur lorsqu'il arrivera sur le château. Venez.
Sa main effleura mon dos, me poussant à avancer. Jedrek se redressa lorsque nous approchâmes. Il fixait le ciel, son front plissé. En regardant à mon tour, je vis que les nuages s'étaient rapprochés. Beaucoup. Des nuages normaux n'allaient pas aussi vite.
Nous accélérâmes le pas. Le froid survint comme un mur. Il mordit ma peau, la brûlant. Le noir arriva peu après, nous recouvrant totalement. Le Prince jeta sa veste sur ma tête alors que des petites piques glacées commençaient à tomber. Jedrek partit à l'avant pour ouvrir les portes de l'écurie.
Nous nous réfugiâmes parmi les chevaux et les... oies. J'ignorais ce que les oies faisaient dans l'écurie. Tout comme j'ignorais pourquoi ça me perturbait autant.
- Nous allons attendre que la tempête passe.
La voix de Jedrek claqua comme un fouet. Le Prince s'assit sur un ballot de paille avec un soupir. Son visage était couvert de petites coupures. Aucune ne saignait. Il passa ses doigts dessus avant de se tourner vers moi.
- Vous allez bien ? me demanda-t-il alors que je lui rendais sa veste, lacérée par la pluie acérée.
Je regardai mes bras, rougis par le froid. Je n'avais aucune coupure.
- Je vais bien, répondis-je.
Celui qui me préoccupait était Jedrek. Il était couvert de fines entailles. Si celles de son visage ne saignaient pas, il n'en allait pas de même pour celles sur le reste de son corps. Les couches de tissus s'imbibaient rapidement de sang, laissant présager de sacrés dégâts.
- Enlever votre veste et votre chemise, lui dis-je. Laissez-moi regarder à ça.
Il ne parut convaincu. Il laissa tomber sa veste qui, globalement, ne lui était plus d'aucune utilité.
- Faites ce qu'elle dit, Jedrek, marmonna Ryker. Elle sait ce qu'elle fait.
Face à l'ordre de son prince, Jedrek obtempéra. Il grimaça en faisant passer sa chemise par-dessus sa tête. Tout son torse, son dos et ses bras étaient couverts de petites coupures qui saignaient abondamment, non scellées par la brûlure du froid.
- Asseyez-vous là. Je reviens.
Je connaissais les écuries en général. J'avais passé beaucoup de temps dans celles des Marchetta, avec Rosebird et Gallagher. Une fois que j'aurais compris l'agencement des lieux, je trouverai ce que je cherchais.
Les rangées de boxes se succédèrent, dévoilant des chevaux de toute beauté. Ma jument avait été logée dans la dernière stalle avant la sellerie. Je poussai la porte qui grinça. La pièce était immense, couverte de selles, de brides et autres mors. L'odeur de cuir chaud était étouffante.
Un placard faisait l'angle. À l'intérieur, je trouvai ce qu'ils utilisaient pour soigner les chevaux. Dont des bandages. Je pris les deux rouleaux ainsi qu'un pot d'onguent et je rejoignis les deux hommes. Jedrek essuyait le sang qui coulait avec les lambeaux de sa chemise.
- Stop. Vous allez vous créer une infection.
Je repoussai ses mains, le faisant faire la grimace. Je posai les bandages sur ses genoux et lui mis le pot d'onguent dans les mains.
- Vous allez me mettre la même chose que l'on met aux chevaux, milady ? grinça-t-il, peu emballé.
- Si cet onguent soulage un cheval, il ne peut pas vous faire de mal. Ce n'est qu'un ensemble de plantes ayant macéré dans l'eau bouillante avant d'être séchées et écrasées dans une pâte. Ça ne vous tuera pas.
Je pris de l'onguent dans mes mains, le frottai pour le réchauffer avant de l'appliquer sur son dos. Sa peau était brûlante. Je tentai de demeurer détachée mais ses muscles étaient si bien dessinés que je sentais chaque creux, chaque courbe sous mes doigts.
Une fois l'onguent appliqué sur son dos, je passai sur son torse. Je gardai les yeux rivés sur mes mains, ne regardant que les entailles que je recouvrais d'onguent. Je l'enroulai ensuite dans les bandages et les attachai soigneusement pour qu'ils ne se détachent pas.
- Voilà. Maintenant, vous sentez le cheval mais, au moins, vous n'aurez pas d'infection le temps que l'on puisse retourner au château.
Il me fusilla du regard.
- Merci, Milady... articula-t-il, ironique à souhait.
Je l'ignorai, regardant le prince.
- Êtes-vous blessé, Votre Altesse ?
- Non. Je n'ai pas l'air de saigner et je ne ressens aucune douleur.
Je regardai son dos. Il y avait une énorme tâche de sang sur sa chemise.
- Vous êtes plein de sang !
- Ah ?
Il fit pour enlever sa chemise mais la douleur parut se réveiller. Il émit un gémissement en abandonnant le geste.
Je sortis ma dague du fourreau accroché à mon mollet et tranchai net la chemise du prince. Jedrek avait bondi sur ses pieds, prêt à agir. Il n'avait pas été assez rapide. Si je l'avais voulu, j'aurais pu trancher la gorge du prince dix fois.
Sous le tissu, je trouvai un pic de glace fiché entre ses omoplates, couleur de sang. Il s'était si profondément enfoncé qu'il était devenu invisible sous la chemise. Le froid avait annihilé la douleur jusqu'à ce qu'il bouge.
- Qu'est-ce que j'ai ? demanda Ryker, la voix vibrante.
- Rien qui ne puisse être résolu, Votre Altesse.
Je fis signe à Jedrek de s'approcher. Je lui murmurai d'aller chercher d'autres bandages dans la sellerie. De ramener des tissus s'il en trouvait.
- Avez-vous déjà réussi à toucher une libellule, Votre Altesse ?
Il voulut me regarder mais je maintins sa tête, l'empêchant de la tourner.
- Avez-vous, Votre Altesse ?
- Non. J'ai essayé. Mais je n'ai jam...
Il cria lorsque j'enfonçai la pointe de ma dague sous le morceau de glace dans sa chair. Il jura comme un charretier alors que j'éjectai la flèche de glace qui tinta sur le sol. Le sang se mit à couler abondamment.
Jedrek revint, sans tissus mais avec des bandages. À la place, il me tendit sa chemise et sa veste. J'appuyai sur la blessure, une main sur l'épaule du prince, l'autre dans les tissus.
- Vous aviez un de ces morceaux de glace dans le dos, Votre Altesse, expliquai-je, haletante. Je devais vous distraire.
Il ne répondit pas. Sa respiration sifflait. Il tremblait sous mes mains. Il devait souffrir mais ne disait rien. Pas un mot. Il était fort. Plus fort que je n'aurais jamais cru un prince capable de l'être.
Je retirai régulièrement les tissus pour voir si le flot de sang s'arrêtait. Tant qu'il n'aurait pas cessé, je ne pourrais pas appliquer l'onguent. Ça le brûlerait, ferait plus de mal que de bien. Il n'avait pas besoin de cela.
- Je pense que nous allons passer la nuit ici, annonça Jedrek. L'orage est des plus violent et ne semble pas près de se terminer. Je vais nous préparer un endroit pour dormir.
- Je gère ici, lui dis-je en le voyant me regarder.
Il s'éloigna dans les allées de stalles et je l'entendis préparer le grenier à foin pour nous pouvoir dormir cette nuit.
- Est-ce que... c'est profond ? Grave ?
- Non. Pas tant que ça. J'attends juste que le sang cesse de couler pour pouvoir mettre l'onguent. Je ne tiens pas à vous brûler le dos.
Il hocha la tête. Je regardai sous le tissu pour regarder la blessure. Elle était assez laide mais j'avais vu et vécu bien pire. Il s'en remettrait.
- Ça saigne encore beaucoup ?
- Encore un peu et ça devrait aller, Votre Altesse.
Il hocha à nouveau la tête, appuyant son front dans sa main.
Un cri déchira le silence.
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