Chapitre 6
Je fus conduite dans mes quartiers à peine arrivée. Deux femmes de chambre vinrent pour préparer mon bain et des vêtements propres. J'insistai pour me laver et m'habiller seule. Je n'avais absolument pas besoin de quiconque pour le faire à ma place.
Lorsque je retournai dans ma chambre, une femme attendait, assise sur l'un des sofas. Sa robe dévalait ses jambes en une cascade chatoyante, presque trop parfaite. Ses cheveux roux avaient été bouclés au millimètre près. Ils brillaient sous la lumière des bougies qui avaient été disposées dans toute la pièce pendant que je prenais mon bain.
Elle se leva avec une grâce qui m'assura que ce n'était pas une servante. C'était une lady, au minimum. Elle se tenait droite, raide.
Lorsqu'elle se tourna vers moi, je baissai la tête et fis la révérence. La Reine Lux était debout, devant moi, rayonnante. Elle était magnifique. Je n'avais pas vu son visage pendant plus d'une seconde mais il était éblouissant de beauté.
- Mon Dieu, vous êtes ravissante ! Sixtine Marchetta, c'est cela ?
- En effet, Votre Majesté, répondis-je.
- Relevez-vous, ma chère ! Laissez-moi vous regarder !
Elle me prit la main et me fit tourner. Ma robe n'était pas d'aussi bonne facture que la sienne mais elle ne m'en allait pas moins bien. Je n'avais pas mis de corset et je le regrettais maintenant que je faisais face à la Reine.
- Vous êtes ravissante ! Absolument ravissante. Cela se voit que vous êtes une lady. Vous serez la gouvernante parfaite pour ma petite Addy.
- Je l'espère, Votre Majesté.
Elle retourna s'installer sur le canapé et me fit signe d'aller m'asseoir près d'elle. Ce qui était loin d'être une attitude normale.
Je n'aurais jamais cru un jour m'asseoir à côté de la Reine du Grand Royaume. Je n'étais qu'une gouvernante. Elle me faisait un honneur que peu avaient eu avant moi. À moins qu'elle ne soit toujours aussi familière avec les gens qui vivaient dans sa maisonnée.
- Le Roi voulait être le premier à vous parler. Il n'a pas besoin de savoir que je suis venue vous voir, d'accord ?
J'opinai du chef, prise au dépourvu par son attitude si familière et amicale. Elle agissait comme la plupart des ladys de mon âge, toute en sourires et œillades complices.
- Vous n'êtes pas bavarde, me reprocha-t-elle gentiment. Enfin ! Je ne suis pas ici pour discuter. Jedrek ne devrait pas tarder pour vous emmener à votre audience avec le Roi.
Elle se replaça dans le sofa, ses mains nettement posées dans son giron, le menton en avant. Elle me donnait l'impression de porter une couronne bien qu'en l'instant, ça ne soit pas le cas.
- Voyez-vous, Sixtine, ma fille est sensible. Ce qu'il s'est passé avec Jinn... Cela l'a énormément affectée. Donc je veux votre parole que vous prendrez soin de ma fille et la protégerait. Je ne supporterai pas qu'elle souffre plus que ce n'est déjà le cas.
Ses yeux harponnèrent les miens, puissants. Ils me scrutaient, m'analysaient. Lisaient en moi. Je me sentais vraiment mal à l'aise et inquiète. Elle n'était plus la jeune femme vive et éloignée de tout soucis du début. Elle s'était transformée sans que je le remarque.
Comme son fils.
En plus d'avoir les mêmes yeux, ils agissaient pareillement. Pourtant, je ne retrouvais pas tant de traits de sa mère chez Ryker si ce n'était pour ces iris d'un bleu irréel.
Je réalisai vite qu'elle attendait un serment de ma part. Le rompre équivaudrait à un suicide. Elle ne me laissait pas le choix. Pas vraiment. Si je voulais demeurer dans ce château, je devais prêter serment.
- Je vous jure de protéger votre fille dans la mesure de mes moyens, Votre Majesté.
La jeune princesse n'était pas sur ma liste. Elle n'était même pas née lorsque le Roi avait fait assassiner ma famille. Je n'avais aucune raison de m'en prendre à elle. Avec les bonnes règles en tête, elle pouvait devenir une personne magnifique, juste et intelligente.
La Reine sourit, ravie.
Des coups furent frappés à la porte de mes quartiers. Je l'entendis grincer en s'ouvrant. Nous gagnâmes la pièce principale pour trouver un homme dans l'entrée.
La première chose que je vis chez lui, ce fut la cicatrice qui marquait sa joue. Elle ne datait pas de longtemps puisqu'elle était encore rose. Elle tranchait sur sa peau mate. Il en allait de même pour les mèches noir corbeau qui longeaient sa mâchoire.
Ses yeux émeraude me balayèrent sans me prêter attention. Il s'inclina face à sa Reine. Elle sourit, posant une main sur son épaule.
- Redresse-toi donc, Jedrek. Je suppose que tu viens chercher Sixtine pour l'emmener voir le Roi.
- En effet, Votre Majesté.
Je frémis. Sa voix était rauque, sombre. Si sombre, en fait, que je me sentis mal à l'aise à l'idée de me retrouver seule avec lui. Au point que je dus essuyer mes paumes sur ma robe discrètement.
- Je vous laisse. Je vais prévenir Addy que sa nouvelle gouvernante est enfin arrivée.
Elle partit sans attendre de réponse.
- Vous venez ?
Je levai les yeux vers le Capitaine de la Garde. Il faisait presque une tête de plus que moi maintenant qu'il se tenait droit. Je n'aimais pas ça, du tout.
Je lui emboîtai le pas, marchant exprès sur le coin de sa cape. Il se tourna vers moi, un sourcil haussé. Je lui fis mon meilleur air innocent. Il parut y croire.
Je cessai de compter les couloirs que nous traversâmes. J'avais réussi à retenir une grosse partie du chemin. Ma mémoire avait toujours été développée et l'entraînement de Jon n'avait fait qu'amplifier cela.
Nous nous arrêtâmes devant deux portes impressionnantes. L'emblème du Grand Royaume était gravé dessus, doré, brillant.
Jedrek frappa à la porte. Chaque coup résonna dans le couloir, assourdissant. Il poussa finalement les deux portes et me fit signe d'entrer dans la pièce.
La salle du trône était immense. Elle avait la taille d'une salle de bal. Un tapis de velours pourpre menait à l'impressionnant trône. Le Roi Quinten Madsen était installé, les jambes croisées, ses bottes maculées de boue. Il portait un habit de chasse bordeaux rebrodé d'or. Une cape noire s'enroulait autour de ses épaules larges et musclées. Il était loin d'avoir l'air royal.
- Miss Sixtine Marchetta ! Vous voilà donc ! s'exclama-t-il.
Je fis ma plus profonde révérence, gardant la tête baissée. À côté de moi, Jedrek faisait pareil. Lorsque nous fûmes autorisés à nous relever, je ne pus que noter la grâce dans ses mouvements. Ça détonnait de son attitude froide et de cette voix si démoniaque qu'il avait.
Une fois redressée je vis Ryker près de son père. Je ne l'avais pas remarqué. Il n'avait pas la présence ni la prestance de son père qui, malgré sa tenue sale et usée, paraissait occuper toute la pièce.
- J'ai déjà beaucoup entendu parler de vous, Miss Marchetta. Mon fils avait une longue histoire à me raconter vous concernant.
Je demeurai aussi inexpressive que je pus. Cependant, je me demandais ce que Ryker avait dit de moi. Avait-il parlé de ses dettes ? De mon irrévérence ?
- Il me dit que vous lui avez sauvé la vie. Non pas une fois mais deux fois. En vous voyant ainsi devant moi, j'ai beaucoup de mal à le croire.
Je pinçai les lèvres. Il était certain que je ne devais pas renvoyer l'image qu'il s'était imaginée. Mes doigts se crispèrent sur le tissu de ma robe, leur moiteur encore plus désagréable.
- Je vais croire mon fils, reprit-il après un instant. Je vais croire que vous l'avez sauvé deux fois lors de votre voyage jusqu'ici. Il va falloir m'expliquer quelque chose, cependant.
J'attendis sa question.
- Comment vos parents ont-ils pu être assez inconscients pour vous laisser chevaucher seule, sans protection, dans les coins les plus reculés du Grand Royaume pendant plus d'une semaine ?
Son ton condescendant commençait à me taper sur les nerfs. Déjà, les Marchetta n'étaient pas mes parents et tout le monde le savait. Peut-être appréciait-il de remuer le couteau dans la plaie dans une forme d'amusement sadique ?
Mon visage dut se refroidir puisque je sentis les iris perçants du Prince héritier se fixer sur moi. Même le Capitaine de la Garde me regardait bizarrement.
- Je ne sors jamais désarmée et je sais mieux me défendre que les gardes qui protégeait son Altesse le Prince héritier, Votre Majesté. Ils savaient parfaitement que je ne risquais rien, aussi seule que je fus pour un aussi long trajet.
Mes doigts serrèrent un peu plus le velours de ma robe. Je frôlai l'irrévérence. La tension qui emplit la pièce me l'assura. Comment étais-je censée réagir alors qu'il m'insultait à demi-mot ? J'avais sauvé la peau de son fils par deux fois et il me traitait comme une folle irresponsable, une faible femme !
- Il semblerait que vous l'ayez vexée, Père, sourit Ryker.
- J'ai la même impression.
Les voir aussi complices à mes dépends me rendit d'autant plus furieuse. Je serrai les dents, fixant un point entre leurs deux têtes, impatiente de voir le jour arriver où je pourrais enfoncer ma dague dans leur poitrine jusqu'à la garde.
- Après ce qu'il s'est passé avec l'ancienne gouvernante de la princesse, pensez-vous que je puisse me fier à vous en sachant que vous avez été entraînée à combattre ?
- Je ne vois pas en quoi mes aptitudes au combat sont un problème, Votre Majesté. Au contraire, je penserais plutôt qu'elles sont un atout puisque si un traître ou un assassin essaie de s'en prendre à son Altesse la Princesse Addy, je pourrais la protéger sans avoir à attendre l'arrivée de gardes ou de Chevaliers.
Ma voix était plus calme, plus posée. J'étais fière de moi. Si la fureur bouillonnait encore en moi, elle ne transparaissait plus dans mes mots. Ils étaient froids et secs mais polis et prudents.
Le Roi se leva et alla se planter face à l'une des fenêtres qui donnaient sur les jardins. Si Ryker et Jedrek le suivirent du regard, ce ne fut pas mon cas.
- Vu ainsi, c'est vrai. Vous pourriez aussi être un assassin dans un paquet cadeau.
Si vous saviez à quel point vous avez raison...
- Je n'ai rien d'un cadeau, Votre Majesté.
Il éclata de rire. Un rire puissant, sonore. Mes tympans vibrèrent.
Il se tourna sur moi. Ses yeux passèrent sur moi, me scannèrent. Il me jaugeait, appuyé contre la fenêtre, les bras croisés.
- Très bien. Mon fils vous doit sa vie. Je vous laisse le bénéfice du doute. Bien entendu, vous serez surveillée en permanence jusqu'à ce que je puisse vous faire confiance. Ne pouvant pas risquer de mettre la vie de la princesse en danger, Jedrek sera là pour vous surveiller où que vous alliez.
Le Capitaine de la Garde en personne comme chaperon ? Il devait tenir à sa fille plus qu'il ne le laissait voir. Faiblesse. Les sentiments étaient faits pour être exploités. Ils étaient une porte ouverte pour un ennemi.
- Ramenez-la dans ses quartiers, Jedrek, ordonna le Roi sans même regarder son Capitaine de la Garde. Et veillez à ce que ces blessures signalées par mon fils soient soignées.
- Bien, Votre Majesté.
Une révérence et nous sortîmes. Mes oreilles bourdonnaient encore lorsque les portes se refermèrent dans un grand bruit derrière nous.
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