Chapitre 5

- Je vous prie de m'excuser, Miss Marchetta.

La voix du Prince héritier résonna derrière moi. Il m'avait suivie.

- Pour quoi donc, Votre Altesse ? répondis-je froidement. Je ne suis pas celle de nous deux qui a le plus besoin de protection.

Un regard dans sa direction m'affirma qu'il digérait assez mal mon impudence. Toutefois, il ne dit rien.

- Je laisse vos remarques passer parce que je vous dois ma vie mais ne poussez pas trop loin, Miss Marchetta. Je suis magnanime mais pas stupide.

- Je n'oserais jamais prétendre le contraire, Votre Altesse.

Un rictus narquois fleurit sur mes lèvres. Il devait se douter que j'entendais tout le contraire.

- Faites attention, Miss Marchetta. Personne n'est irremplaçable et surtout pas une gouvernante. La preuve en est de votre prédécesseur qui va être pendue.

- Pendue ? Pourquoi cela ? Qu'a-t-elle fait ?

Silence.

- Votre Altesse, ajoutai-je en grinçant des dents.

Je n'eus même pas besoin de le regarder pour savoir qu'il souriait, fier de lui.

- Elle a profité de la confiance de ma famille pour faire entrer des assassins des Glaciers. Le Prince Bâtard vend des terrains à bas prix pour gagner cette guerre.

Je haussai un sourcil. Mon esprit de déduction venait de prendre un coup.

- Que voulez-vous dire par là ?

- Il lui a promis ses propres terres pour elle et sa famille si elle faisait rentrer des assassins dans le royaume. Le connaissant, il n'aurait pas tenu parole, de toute façon.

Évidemment qu'il n'aurait pas respecté ce marché. Pour le peu que je savais du Prince Bâtard, il était si complexé par sa position illégitime qu'il était prêt à tout pour se faire respecter et préparer le Royaume de Glace à sa montée sur le trône.

Surtout que son père n'avait jamais cessé les recherches pour retrouver son fils légitime. La trahison ultime pour un fils qui avait toujours cru être le seul héritier d'un trône qu'il avait pris pour acquis.

Toutefois, j'étais plus préoccupée par ma situation que par celle d'un prince de remplacement fou. Ma position allait être bancale au sein du château. J'allais être surveillée et espionnée. Comment étais-je censée poser les pierres qui mèneraient à la mort du Roi dans de telles conditions ?

Cette gouvernante avait de la chance d'être sur le point de pendre au bout d'une corde. Si ça n'avait tenu qu'à moi, elle aurait eu un enfer à vivre avant de mourir.

Le silence persista. Nous chevauchâmes longuement sans échanger un mot.

En vérité, les six derniers jours de chevauchée furent silencieux. Nous ne parlâmes pas en dehors des moments où s'était nécessaire soit les pauses pour laisser les chevaux se reposer et pour manger.

Mes blessures avaient été notre dernière véritable conversation. Je l'avais écourtée, l'empêchant de s'attarder sur le sang qui maculait mon pantalon. Après la Plaine aux papillons, nous nous étions arrêtés au bord du Lac Des Pleurs.

La frontière de la Faerie était plus visible à cet endroit que n'importe où ailleurs. L'emprisonnement de la Faerie avait asséché leur partie du lac. Le Lac Bleu, pour eux. Voir cet immense bassin coupé en deux de façon aussi nette... C'était irréel.

J'avais rincé mes bandages, les avait séchés au maximum avant de les remettre pour que l'on puisse reprendre la route. Nous étions à découvert et à cause de la présence princière, mieux valait ne pas rester au même endroit plus de quelques minutes.

Aussi avions-nous repris notre chevauchée le long de la rivière. Deux jours plus tard, nous avions bifurqué vers les terres, évitant les villages et les chemins trop fréquentés. Il avait eu du mal à résister à l'appel d'un bon lit dans une auberge. Son instinct de survie avait fini par s'allier au mien lorsqu'il avait vu que je ne bougerais pas de mes positions.

Son humeur et la mienne s'assombrissaient à chaque lever de soleil. La faim commençait à se faire sentir. La fatigue pesait sur nous avec force. La saleté, la météo s'ajoutaient à tout cela. Nous ne nous supportions plus. Mes nerfs étaient à vif, mon épuisement et mes blessures n'arrangeaient rien.

Heureusement, Phyre approchait. Nous serions bientôt à la capitale. Je pourrais dormir pendant des jours et être soignée. Et manger mon compte. Je mourrais de faim.

J'avais hâte d'arriver au château.

Nous nous arrêtâmes au sommet de la colline qui surplombait la capitale. La vue était à couper le souffle. Je restai bouche bée, à côté de Rosebird qui, comme moi, contemplait le spectacle.

Le volcan coulait vers les terres basses comme une avalanche de charbon. La château jaillissait de son flanc ouest, pustule hérissée de tours acérées. Il me parut bien plus grand que dans mon souvenir. Patrouillant sur les fortifications, je pus voir les capes sanglantes des Gardes voleter.

Le château avait été construit pour inspirer la crainte aux ennemis du Grand Royaume et il y parvenait sans mal. Il sortait tout droit d'un cauchemar. L'image qui me venait en le regardant était celle d'un monstre à l'affût. Les constructions dissimulaient son corps gigantesques et seule sa tête pointait, hérissée de cornes. Cet endroit allait me dévorer si je le laissais faire.

- Bienvenue chez moi, Miss Marchetta, souffla le Prince.

Je demeurai silencieuse, me contentant de remonter en selle pour le suivre. Mon estomac se noua à l'approche des murs de basalte. Une fois qu'ils seraient passés, il n'y aurait pu de retour en arrière. Je devrais accomplir ce pour quoi je m'étais si durement entraînée.

La Garde nous repéra bien avant que nous atteignions les immenses portes de bois noir. Un garde vint à notre rencontre, son cheval bai détonnant des habituels étalons noirs de la Cour.

- Votre Altesse ! s'exclama-t-il en reconnaissant son Prince. Où est votre escorte ? Qui est-ce ? Que s'est-il passé ?

Il débita les questions à toute vitesse, ses yeux verts écarquillés de surprise. Ses tâches de rousseur frétillaient sur ses pommettes à chaque mot qu'il prononçait.

- Pour l'instant, j'aimerais entrer, répliqua simplement Ryker, froid et autoritaire.

Le jeune garde rougit, hocha la tête.

- B-Bien s-sûr, Votre A-Altesse.

Il fit demi-tour et nous le suivîmes alors qu'il faisait signe à ses collègues d'ouvrir les portes.

La première chose que je vis, ce fut la potence. Malgré la foule amassée autour, le poteau dépassait au-dessus de leurs têtes. La corde se balançait, le nœud déjà prêt. La clameur couvrit le bruit des planches grinçant sous le poids de l'Exécuteur royal et de la prisonnière.

Le nœud se glissa autour du cou de la femme, lâche. Il pesa sur ses épaules.

- Qui est-ce, Votre Altesse ? demandai-je dans un souffle.

- Votre prédécesseur.

Ton froid et cassant. Le véritable Prince héritier apparaissait enfin. Autorité, sécheresse, hauteur. Exactement ce que j'attendais du futur roi du Grand Royaume.

Mon attention demeura figée sur la prisonnière. Son visage me marqua. Elle était jeune. Très jeune. Pas plus de trente ans. Ses cheveux étaient humides et sales, tombant lâchement sur ses épaules en paquets raides et emmêlés. Elle avait l'air terrorisée.

Il n'y eut pas de discours ni rien du genre. La foule était déjà en liesse, criant et jetant des légumes pourris sur la pauvre fille. Elle se mit à pleurer. Ses sanglots ne furent pas audibles mais je vis ses larmes briller sur ses joues crasseuses.

Puis, elle disparut de ma vue. La corde se tendit, se balançant de façon plus saccadée. C'était fini.

Voilà donc ce qui m'attendait si jamais je ratai mon coup. Après un séjour en prison, je serai pendue en place publique, couverte de détritus par des gens pourris par leurs privilèges et leur argent...

L'ironie de la situation faillit me faire sourire. J'avançais juste à côté d'eux, protégée par la Garde. Le corps de l'ancienne gouvernante était évacué.

Ils évacuaient un mal, certes.

Mais ils en laissaient entrer un bien plus grand.


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