Chapitre 27

Tout se passa si vite que je ne compris pas. Je me targuais d'être plutôt réactive mais la vitesse à laquelle les rebelles se déversèrent dans la salle de bal était juste irréelle.

Jedrek fut projeté dans la foule, le visage en sang. Plusieurs personnes tombèrent en tentant de l'éviter. Je relevai mes jupes et le rejoignis, cherchant son pouls.

Et son épée.

Je pâlis en voyant Gallagher, un sourire acéré sur les lèvres, une dague pressée sur la gorge princière. Il était transfiguré. Ce n'était plus celui avec qui j'avais grandi mais un être empli de haine et de rancœur.

Sdan se planta à côté de lui, radieux.

- Surprise ! chantonna-t-il. Vous ne vous attendiez pas à nous voir, n'est-ce pas ? Il est vrai que vous avez plutôt bien sécurisé votre bal, Votre Majesté.

Je n'aurais jamais cru que ce titre puisse sonner comme la pire des insultes. Qu'il aurait insulté le Roi qu'il aurait paru plus poli qu'en usant de son titre.

- Je me présente, je suis Sdan, Chef des Assassins de Phyre, pour vous servir.

Il poussa la vice jusqu'à faire une profonde révérence avec force moulinets de bras moqueurs. Gallagher pouffa, raffermissant sa prise sur le Prince.

- Et je devrais sûrement vous présenter les personnes grâce à qui nous avons pu envahir votre château, n'est-ce pas ? Je doute d'en avoir besoin. Vous les connaissez.

Gallagher tira le Prince sur le côté, ouvrant le passage à Jon. Tout le sang quitta mon visage, je le sentis. Une vague de froid me submergea à la vue de ce visage connu. Que faisait-il là ? Était-il réellement de mèche avec Sdan ? Comment avait-il pu me faire ça ?

- Jon Marchetta ! s'exclama la Reine.

- Pour vous servir, se moqua-t-il

Les pensées tournaient en boucle dans mon esprit, folles et emmêlées. Je dus lutter contre moi-même pour me reprendre. Je calmai mon souffle erratique, cessai de réfléchir. J'enroulai mes doigts autour de l'épée de Jedrek, la gardant collée contre moi, cachée dans les plis de ma robe. Je me redressai lentement, discrètement.

Les yeux de Jon se posèrent directement sur moi, implacables.

- Surprise de me voir, Sixtine ?

- Comment as-tu pu faire ça ? dis-je simplement, la voix chevrotante.

Un sourire se peignit sur ses lèvres. Il connaissait le véritable sens de ma question. Il savait ce que je lui demandais réellement.

- Tu n'es vraiment qu'une idiote.

- Tu ne t'en sortiras pas comme ça.

- C'est ce qu'on verra. Sdan a beaucoup... d'alliés.

- Il est d'ailleurs temps de les faire entrer dans la partie, ricana le Chef des Assassins.

Comme s'ils l'avaient entendu, des dizaines d'hommes se déversèrent dans la pièce, crasseux et lourdement armés. Je resserrai ma prise sur l'épée de Jedrek qui se releva subitement, une arme en main. Son bras rencontra le mien.

- Il faut les prendre par surprise.

- Oh, ils vont être surpris.

- Qu'est-ce que tu as en tête ?

Je glissai la garde de son épée dans sa main libre. Je devinai son haussement de sourcil.

- Ne fais pas ça, Jon, commençai-je en avançant vers lui. Tu fais une erreur. Une grossière erreur.

- C'est toi qui en fais une, Sixtine. Je savais que tu serais une déception. Que je ne pouvais pas compter sur toi.

- C'est parce que tu fais une erreur. Tu ne t'en rends pas encore compte. Si tu ne m'écoutes pas, tu vas le regretter, je le sais.

Il éclata de rire, en chœur avec Gallagher et Sdan. Je jetai un rapide coup d'œil vers Ryker. Cela suffit. Il donna un coup dans les côtes de Gallagher qui grogna en relâchant sa prise le temps d'une seconde. Je décochai un grand coup de poing dans la face de Jon. Il ne le vit pas venir. Quand bien même me fis-je mal, j'eus la satisfaction de le voir tituber et cracher une dent.

La bataille éclata derrière moi. Les hurlements hystériques des nobles me vrillaient les tympans. Jedrek me lança son épée. Je faillis tomber en la réceptionnant tant elle était lourde.

- Prenez plutôt ça, me dit Ryker.

Il me tendit une dague que je reconnus. C'était celle de Gallagher.

Nous échangeâmes nos armes et, dos à dos, nous fîmes à nos assaillants. Je vis Jedrek, aidé de quelques gardes, tenter de faire sortir la Reine et la Princesse de la pièce. Le Roi se battait contre Jon qui n'avait jamais été aussi fringuant.

J'étais déchirée. Si Jon venait à réussir à tuer le Roi... J'aurais failli. Toutefois, que pouvais-je faire ? Je ne pouvais pas aller m'interposer dans leur combat sans que cela paraisse étrange. Sans compter la masse d'assassins et de renégats qui se tenait entre moi et eux.

Comment gérer une telle situation ? Dans quelle position me placer ? Protéger Ryker, Addy ? Simplement lutter contre l'envahisseur ? Aller tenter ma chance pour la vie du Roi ?

Je ne savais plus quoi faire. J'avais été entraînée pour toutes les situations sauf celle-là. Je n'avais pas vue la trahison de Jon venir. Encore moins celle de Gallagher. Je n'en revenais pas de ce qu'il avait fait. S'il y avait une personne sur laquelle j'avais pensé pouvoir compter, c'était bien Gallagher.

Et je m'étais grandement trompée.

J'avais tellement la rage que je fis des ravages dans les rangs de Sdan. J'avançai en aveugle. Jusqu'à ce que je sente une brûlure déchirante dans mon flanc. Je perdis mon équilibre et je ne pus que me retenir au mur. Je croisai le regard terrifié de la jeune princesse, cachée sous une table à quelques mètres de moi.

Je portai une main à ma blessure en cherchant qui m'avait poignardée.

- Surprise ?

- Millie ?!

Les Marchetta n'étaient-ils tous que des traîtres ?

- Et oui ! Il fallait t'y attendre ! Tu n'as jamais été des nôtres. Tu n'étais qu'une arme. Tu n'as pas été fichue de remplir ton office ! Jon doit s'en charger à ta place parce que tu t'es amourachée de ce prince !

- Tu ne sais même pas ce que tu racontes. Si vous ne vous en étiez pas mêlés, d'ici la fin de la semaine, c'en aurait été fini de lui !

- Plus personne ne te croit, Sixtine.

Une ombre grandit derrière elle. Jedrek l'assomma dans un geste qui aurait pu paraître accidentel. Millie s'effondra comme une poupée désarticulée à mes pieds.

- Ça va ? me demanda-t-il.

- Derrière toi, répondis-je simplement.

Il para sans mal l'attaque faiblarde d'un laquais de Sdan. Je rejoignis la table sous laquelle était cachée Addy. Je tirai sur la nappe pour qu'elle soit bien cachée. Elle était trop jeune pour voir ça.

Je parvins à approcher de Jon et du Roi. Ce dernier fatiguait. De grosses gouttes de sueur roulaient sur son front et lui piquaient les yeux. Jon jouait avec la souris qu'il avait acculée. Si je n'intervenais pas, il m'arracherait le but de ma vie sous mes yeux.

Mine de rien, je percutai Jon, faisant semblant de trébucher. Il fit tomber son épée, surpris. Je n'eus pas le temps de réagir que Gallagher me tirait pas les cheveux loin d'eux.

Je luttai contre sa prise, parvenant à me libérer. Je ne voulais pas me battre contre lui. Je ne pouvais pas à en arriver à cette extrémité.

- Comment as-tu pu me faire ça ? lui criai-je. Comment as-tu pu me trahir ainsi ?! Je te faisais confiance !

- Moi aussi ! Mais tu as préféré protéger ce satané prince plutôt que de faire ce pour quoi tu as été élevée !

- Tu connaissais mon plan ! J'avais tout prévu ! Vous avez tout ruiné !

- Tu t'es amourachée de cet abruti, Sixtine. Tes alliances ont changées. Je t'ai vue cacher la gamine.

- Elle a treize ans ! C'est un enfant !

- C'est une Madsen !

- Et alors ?! Un nom de famille ne définit pas un être !

- Tu es dans leur camp ! Tu nous as trahis ! Tu m'as trahi !

Je compris tout de suite qu'il serait inutile de tenter de le raisonner. Gallagher était connu à Pit's End pour ses colères ravageuses. Du moment qu'il perdait le contrôle, plus rien ne pouvait le ramener à la raison. Il allait falloir que je le mette hors d'état de nuire. Il ne me laissait pas le choix.

Comme un fait exprès, Ryker débarqua derrière moi, trois hommes de Sdan s'acharnant sur lui. Il me percuta, son dos moite se collant au mien. Le regard de Gallagher me mit en garde. Il s'élança vers nous. Mon seul réflexe fut de repousser violemment Ryker sur le côté. L'épée que tenait mon ancien ami s'enfonça dans le ventre de l'un des hommes et tous les quatre tombèrent en tas.

Je pris Ryker par le bras et traversai la foule en le traînant derrière moi. Il se laissa faire, trop épuisé pour lutter.

- Où vous croyez aller, tous les deux ?

Je me figeai. Jon était devant nous, une balafre sur la joue saignant doucement. Il tendit son épée vers moi. La pointe effleura mon nez.

- Je savais bien que tes alliances avaient changées. Et tu oses me dire que je suis un traître ? Ce n'est pas moi qui, de nous deux, trompe les siens !

- Ai-je seulement un jour été des vôtres ? crachai-je. Millie m'a bien fait savoir que ce n'était pas le cas !

- Que lui as-tu fait ?

- Tu aimerais le savoir ?

Sa main trembla légèrement. Il était furieux. Millie était sa chair, son sang. L'idée qu'il lui soit arrivé quelque chose ne lui plaisait visiblement pas.

- Laisse-nous passer, maintenant. Tu en as déjà fait bien assez.

- Je ne crois pas, non. Toi et moi, nous avons des affaires à régler.

- Pas vraiment. Il me semble, au contraire, que l'on s'est tout dit.

Il n'en fallut pas moins pour qu'il charge. Ryker et moi fîmes front contre lui. Je profitai de la présence du Prince pour jeter un œil alentour.

Sdan et ses assassins avaient beau être plus nombreux, étrangement, ils étaient en train de perdre. Ils n'étaient que des brutes qui frappaient sans réfléchir, usant de toute leur force sans l'économiser. Ils s'étaient épuisés avant les gardes. Et maintenant, ils perdaient.

Deux gardes attrapèrent Jon avant qu'il ne puisse frapper Ryker. Ils le ceinturèrent le maîtrisant totalement. Il beugla comme un taureau, se débattant avec virulence. Ryker me prit le bras et me tira hors de sa portée. Son bras se logea autour de ma taille, chaud et rassurant.

Je bougeai, le faisant retomber. Je sentis ses yeux glisser sur moi, partir sur Jon. Tout ce que je vis, se fut le sourire narquois de celui qui avait pris une position paternelle dans ma vie. Il n'avait pas manqué le geste de Ryker.

Avant qu'il ne puisse parler, je lui décochai un grand coup en pleine mâchoire. Il toussa du sang, s'affala dans les bras des gardes, sonné.

- Vous avez un sacré punch, milady, sourit le plus jeune des deux.

- Vous n'avez encore rien vu. Là, je suis fatiguée.

Il éclata de rire. Pourtant, il était épuisé et blessé de partout.

Je tournai les talons pour aller chercher Addy sous la table. Elle s'agrippa à moi, en larmes. Je la pris dans mes bras malgré son âge et elle se laissa faire. Elle tenta de parler mais elle pleurait si fort que je fus incapable de la comprendre. Son frère me rejoignit et caressa ses cheveux. J'aurais pensé qu'elle irait vers lui mais il n'en fut rien. Elle l'ignora totalement.

- Je vais l'emmener dans sa chambre, dis-je.

- Non. Vous devez aller à l'infirmerie. Vous êtes blessée.

Je baissai les yeux vers mon flanc. L'adrénaline avait embrumé mon esprit au point de m'en faire oublier le coup de poignard de Millie.

- Oh. Je vais bien. Vraiment. J'irai après l'avoir ramenée. Ce n'est pas très grave.

Il roula des yeux et me saisit le bras, me retenant à côté de lui.

- Tu es toujours comme ça ? Tu t'es fait poignarder. Tu vas à l'infirmerie et c'est tout. Ne m'oblige pas à te l'ordonner. Je n'ai pas envie d'agir en prince avec toi.

- Alors ne le faîtes pas.

Je dégageai mon bras et m'éloignai. J'aurais pensé qu'il aurait laissé tomber mais ce ne fut pas le cas. Il m'emboîta le pas. Il resta à côté de moi sans un mot, raide comme un piquet. Je sentis qu'il était énervé. Tant que sa sœur serait dans mes bras, il ne dirait rien, toutefois.

Nous arrivâmes aux quartiers de la Princesse et je la déposai sur son lit. Ses deux femmes de chambre s'occupèrent directement d'elle avec empressement. Elles posèrent mille questions sur l'attaque. Elles n'eurent aucune réponse. Ryker referma ses doigts sur mon poignet et me traîna derrière lui. Je tentai de me débattre mais mes forces étaient trop amoindries pour que je parvienne à quoi que ce soit.

- Mais arrêtez, bon sang ! criai-je après avoir trébuché une troisième fois.

Il se stoppa si violemment que je le percutai de plein fouet. Il me réceptionna et je n'eus même pas assez d'énergie pour reculer. La tête me tournait et le sol tanguait comme un bateau.

- Tu vois. Tu es à bout. Tu devrais être alitée à l'infirmerie !

Je lui jetai un regard peu amène.

Il se pencha et passa un bras sous mes genoux, me soulevant avec une facilité déconcertante. Je me raccrochai à son épaule, mon centre de gravité totalement perturbé.

Un garde lui ouvrit la porte de l'infirmerie quand nous y parvînmes. Junia lui désigna un lit vide et il m'y déposa avec prudence. Pas loin, Jedrek dormait, enrubanné dans des bandages qui suintaient déjà.

- Amenez-moi des bandages et de quoi me désinfecter, demandai-je à Ryker. Je vais m'en occuper.

- Pardon ?!

-Ça ne sera pas la première fois.


Il secoua la tête, serrant ledrap entre ses doigts.

- Il en est hors de question. Junia ou Mercot s'en occuperont.

- Ils sont débordés et il y a plus important que moi. Deux points de suture, un peu d'alcool et quelques tours de bandages et c'est fait !

Il m'observa longuement. Il était en colère. Je m'en moquais. Il était inenvisageable que je reste affalée sur ce lit alors que j'avais un trou dans le flanc. Je n'allais pas attendre des médecins déjà débordés alors que je pouvais le faire moi-même.

Il me repoussa sur le matelas lorsque je tentai de me lever. Il se résigna à aller chercher le nécessaire. Je pris une chemise qui traînait et j'attendis qu'il revienne.

- Aidez-moi à enlever ma robe. Elle va entraver mes mouvements.

- Ce n'est vraiment pas le genre de situation dans laquelle j'aurais pensé t'enlever tes vêtements...

Je roulai des yeux. Malgré tout, il déboutonna l'arrière de ma robe et me cacha avec le drap pendant que je l'enlevai et que je revêtais la chemise que j'avais trouvée. Elle me tombait sur les cuisses. C'était si peu convenable que je dus lutter contre moi-même pour ne pas remettre ma robe. Je la gardai sur les genoux pour me cacher.

Le Prince posa le drap à côté de lui alors que je lui demandais de m'aider à préparer l'aiguille et le fil pour me recoudre.

- Je tremble trop pour le faire, me sentis-je obligée d'expliquer.

- Je vais m'en occuper, soupira-t-il. Allonge-toi.

- Je peux le faire.

- Moi aussi. Alors arrête de t'opposer à moi et fais ce que je te dis pour une fois !

Je soupirai. Il était préférable que ça soit lui qui s'en occupe. Je tremblais tellement que je risquais de faire pire que mieux.

Je serrai les dents tout au long des longues minutes où il me recousit et désinfecta ma plaie. Il me banda, faisant passer ses bras autour de moi, son souffle chaud glissant le long de ma mâchoire. Nier l'accélération de mon rythme cardiaque était impossible.

Jon et Gallagher avaient raison. Je m'étais amourachée bêtement de Ryker. Et ça me mènerait plusque sûrement à ma perte. Je ne pouvais plus le nier.

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