Chapitre 24


Le Roi me parut plus imposant que jamais. Il portait un pantalon noir, une chemise rouge sang surmontée d'un veston blanc et d'une cape noire et épaisse, presque assez longue pour devenir une nappe.

Son fils était installé dans le trône adjacent, en tenue de cavalier usée, ressemblant plus à un fils de fermier qu'au prince héritier du Grand Royaume. Il avait même de la poussière sur la joue.

La Reine fut la dernière sur laquelle mon regard se posa. Sa robe était tissée de satin vert émeraude et de rubis. Un énorme collier enserrait sa gorge, la forçant à maintenir un menton fier. Je n'aurais pas aimé être engoncée dans cet assemblage étroit d'or et de gemmes. Ses yeux de glace se posèrent sur moi et je sus qu'elle n'était pas dans un bon jour.

Jedrek s'approcha d'eux avant moi, murmurant que je ne pouvais pas m'incliner sous ordre médical. Pour une fois qu'être blessée était un avantage... Je n'allais pas me plaindre.

- Je ne sais plus quoi faire de vous, Sixtine Marchetta, embraya le Roi sans attendre. Il semblerait que vous n'ayez pas choisi la bonne vocation.

Je me retins de lever les yeux vers lui pour tenter de déchiffrer ce qu'il semblait essayer de dire. Je n'étais pas sûre de la façon de prendre cette réflexion.

- Addy a beaucoup évolué depuis qu'elle a une nouvelle gouvernante, s'opposa calmement Ryker. Elle se tient bien mieux.

- Mais visiblement, elle est plus douée pour te protéger que pour éduquer ta sœur.

- Elle se dérouille très bien pour cela aussi, c'est vrai. Est-ce un tort ?

- Non. Je pense que ce... talent, dirons-nous, pourrait nous être utile. Puisque la garde n'est visiblement pas capable de te protéger. D'ailleurs, il me semble que c'est à toi que je dois demander des comptes, Jedrek. Quelle explication as-tu ?

- Ce n'est pas de sa faute, Votre Majesté, dis-je. J'ai entendu les gardes parler. Ils ne sont pas très discrets. Ils refusent leur Capitaine parce qu'il est jeune et qu'ils ne le jugent pas capable de les mener correctement. Ils se sont tous promis de faire le contraire de ce qu'il leur demande.

- Vraiment ?

- En effet, Votre Majesté. Ils refusent d'accepter l'autorité de leur Capitaine. Ils passent donc leur temps à discuter ou à dormir au lieu de veiller à votre sécurité. Pour des hommes qui se targuent de leur maturité et de leur sens des responsabilités... Je pense qu'ils agissent comme des enfants. Si je puis me permettre, Votre Majesté.

- Est-ce vrai ? Jedrek. Refusent-ils de se conformer à tes ordres ?

- Oui, Votre Majesté, répondit calmement celui-ci. Ils pensent que vous avez fait une erreur en me nommant à ce poste.

- Je ne fais jamais d'erreur. Leur attitude le prouve. S'ils sont assez immatures pour agir ainsi, j'ai eu plus que raison.

- Là n'est pas le soucis, de toute façon, intervint la Reine. Nous parlions de Sixtine et de ses actions. Pas des problèmes de la Garde.

- C'est vrai. Qu'allons-nous faire de vous ?

Je me gardai bien de répondre. Surtout qu'il m'avait bien signifié qu'il me pendrait si je m'avisais encore de sauver son fils. Se délectait-il de pouvoir me dire que j'allais finir par me balancer au bout d'une corde ?

- J'avais bien prévenu mon fils qu'il faisait une erreur en sortant cette Fae de sa cage. Il n'en a fait qu'à sa tête et a failli en payer le prix puisque c'était un monstre pire qu'un Fae. Heureusement que vous étiez là, je suppose. J'ai cessé de compter combien de vie vous doit Ryker.

- Je crois que nous en sommes à cinq, soupira le Prince.

- Déjà ? Au vu de ton immaturité et de ton incompétence, je ne suis pas surpris. Toujours est-il que je vous dois une nouvelle fois la vie de mon fils donc demandez-moi ce que vous voulez. De nouvelles robes, des bijoux...

Je mordis ma langue avant de lâcher les deux mots qui me vaudraient une pendaison certaine. Au lieu de ça, je réfléchis. Il me prenait pour une femme aussi superficielle que le reste de la Cour. Il prenait pour acquis que les femmes voulaient des robes et des bijoux. N'avait-il donc pas encore compris que je ne jouais pas dans cette cour ?

- Ce que je veux, Votre Majesté ? Peu importe ce que c'est ?

- Oui.

Peu perturbée par les paires d'yeux fixées sur moi, je laissai un sourire courir sur mes lèvres. Le Roi se leva et s'approcha de moi. Il serra mon menton dans sa main à m'en laisser des bleus.

- Je devine ce que vous voulez. Vous êtes intelligente, je dois reconnaître cela. Très bien. Les papiers seront délivrés dans vos quartiers avant le dîner.

- Merci, Votre Majesté, articulai-je, retenant difficilement un sourire goguenard.

- De quoi s'agit-il donc ? s'énerva la Reine.

- Vous avez devant vous Lady Sixtine, susurra le Prince à sa mère. Elle vient de gagner un titre.

- Et vous offrez un titre à une enfant des bas-fonds ? Personne ne sait d'où elle vient ! Elle pourrait très bien être une enfant des Glaciers ! Et vous lui offrez de devenir une lady à votre Cour ?

- Elle a sauvé la vie de ton fils, femme, claqua sèchement le Roi. La moindre des choses est de lui offrir un titre qui la fera partir avec l'un des lords qui voudra bien d'une gamine adoptée qui manie l'épée.

Il me lâcha, me repoussant violemment. Je fis un pas en arrière pour conserver mon équilibre. Jedrek me donna un coup discret dans le bras, me forçant à baisser le regard incendiaire que je posais sur la famille royale.

Chaque mot, il allait les payer. Au centuple. Oh oui, il allait souffrir lorsque j'enfoncerai ma dague dans ce corps musclé et élancé qu'il avait. Il n'aurait pas le temps de réagir. Je le percerai de trous, le viderai comme un tonneau. Il mourrait lentement à mes pieds. Il serait trop fier au début mais il finirait par me supplier. Aucun homme sur cette terre n'était assez fort pour résister à ce que je lui préparais depuis des années.

Les yeux baissés, je vis les poings du Prince se serrer. La Reine croisa ses bras, peu ravie.

- Elle est la gouvernante d'Addy ! Elle ne peut être nommée lady ! Il nous faudra trouver quelqu'un d'autre et que vont penser les gens de leur princesse ?

- Honnêtement, je m'en moque. Elle est votre responsabilité, pas la mienne. Vous vous occuperez d'elle. Vous êtes quand même capable de vous occuper de votre fille. Je ne dois pas faire ça aussi ?

Je vis tout de suite combien la Reine fut vexée. Elle se mura dans le silence mais une aura froide jaillissait par vagues, inquiétante. Elle n'était vraiment pas ravie.

- Comme je l'ai dit, les papiers seront dans vos quartiers avant le dîner et vous serez officiellement une lady.

- Je vous remercie, Votre Majesté, articulai-je.

Il eut un geste de la main qui me fit comprendre que je n'avais plus qu'à partir. Jedrek m'emboîta le pas lorsque je tournai les talons. Nous n'étions même pas encore sortis de la Salle du Trône que les cris commencèrent.

La Reine haussa le ton sur le Roi, l'insulta, même. J'aurais ri si je n'avais pas entendu so npetit cri lorsqu'elle reçut la gifle. Ryker s'interposa entre les deux, criant à son tour. Sa mère l'envoya sur les roses. Il sortit en claquant la porte de la Salle du Trône.

Il nous rattrapa, le visage fermé et froid. Ses yeux de glace se posèrent sur moi, distants, vides.

- Pouvons-nous parler avant que vous ne retourniez dans vos quartiers ?

- Seulement si vous me laissez enfin prendre l'air, négociai-je.

Il ne répondit rien et nous prîmes la direction des Jardins royaux. Pour une fois, il ne me proposa pas son bras et j'en fus perturbée. Je m'étais habituée à lover mes doigts dans le pli de son coude. Aussi déraisonnable que cela soit, ce contact me manquait.

Le Prince ordonna à Jedrek de nous laisser. Je ne manquai pas le regard que celui-ci me lança. Je l'ignorai. Je ne comptais pas m'appesantir sur son manque d econfiance en moi.

Je suivis l'héritier de la couronne jusqu'à cet endroit reculé et secret. Les libellules s'envolèrent alors qu'il montait les deux marches menant à l'intérieur du kiosque.

- De quoi désiriez-vous parler, Votre Altesse ? demandai-je prudemment.

- Pourquoi vouliez-vous ce titre ?

- Qui ne voudrait pas un titre ? Tout le monde semble déjà penser croire que je suis une lady, pourquoi ne pas en devenir une pour de vrai ?

Il me fixa sans répondre. Tendant la main vers une libellule de la taille d'une souris, je saisis l'occasion.

- Puis-je vous poser une question, Votre Altesse ?

- Allez-y.

- Pourquoi avez-vous fait confiance à ce monstre ? Votre père vous avait prévenu alors pourquoi l'avoir traitée ainsi ? Ne pensiez-vous vraiment pas qu'elle puisse vouloir votre mort ?

Je ne comprenais pas pour quelle raison il avait agi ainsi. C'était la décision la plus idiote qu'il aurait pu prendre. Il avait peut-être de la compassion et de la bonté mais il ne devait pas pour autant se laisser aveugler.

- Vous pensez que c'est à cause de... comment avez-vous dit cela ? De son joli minois ?

- Pour quelle autre raison auriez-vous été aussi gentil avec elle ? Les hommes se font plus aisément berner par une belle femme que par une tavernière.

Son sourire fut amer. Il vint s'appuyer au poteau à côté de moi, me fixant de ses prunelles glacées. Je tournai les yeux vers lui.

- Je suis un idiot, je le sais, mais pas pour les raisons que vous croyez.

- Pour lesquelles, alors ?

- Je voulais... voir si j'avais raison d'espérer ou non. Je voulais une réaction qui m'aurait clairement donné une réponse. Au lieu de ça, je suis toujours plein de doutes et je ne sais toujours pas si...

Il s'interrompit. Je fronçai les sourcils, tentant de décoder ce qu'il me disait. Je ne l'avais jamais entendu être aussi cryptique.

Il se détourna, regardant vers le château dont on ne voyait que les tours et l'immense volcan qui le surplombait. Des colonnes de fumée sombre s'élevaient dans les hauteurs, dessinant des formes intriquées sur le ciel gris.

- J'espérais que vous réagiriez à sa présence.

J'avalai ma salive de travers. De quoi parlait-il ? Mon cœur s'emballa, battant de toutes ses forces, me donnant le tournis. Mes doigts se crispèrent sur le bord du kiosque.

- Sur le moment, j'ai juste voulu lui épargner une mort injuste mais ensuite, j'ai songé que, peut-être, ce joli minois, comme vous dîtes, vous pousserez à trahir une quelconque émotion. Tout ce que j'ai gagné, c'est de passer pour un idiot complet.

Je compris. Il avait tenté de me rendre jalouse. Il avait voulu que je déteste Vya sans raison, que je trahisse une jalousie qui n'existait pas.

Je déglutis en me rendant compte que je me mentais à moi-même. J'avais détesté Vya plus que je ne l'aurais dû. Je n'avais pas aimé les voir ensemble. Et pas seulement parce qu'elle était une Fae, comme je le pensais au départ.

Je baissai les yeux, ne sachant que dire. Quand bien même ces sentiments existaient-ils que ce n'était pas une raison pour les avouer. Il était fou de croire que quelque chose serait possible entre lui et moi. Il était le Prince héritier et je serai celle qui tuerait son père. Sans compter que je ne serais jamais vraiment une lady.

J'observai son profil majestueux de statue alors qu'il reprenait la parole.

- Je sais que c'est idiot. J'en suis conscient. Mais j'ai besoin de savoir, Sixtine. J'ai besoin de savoir si je ne suis que votre prince ou si je peux espérer aussi être un homme. Je ne suis pas que mon titre.

- Vous ne devriez pas dire de telles choses, lâchai-je dans un souffle.

- Pourquoi pas ? En quoi cela est-il mal ?

- Vous êtes le Prince héritier du Grand Royaume. Vous avez des responsabilités envers votre peuple.

- En quoi cela a-t-il quelque chose à voir avec notre affaire ?

Je le regardai droit dans les yeux, une douleur poignante me vrillant la poitrine. Contrairement à lui, je ne pouvais pas oublier ma position et faire fi de ceux qui comptaient sur moi.

- Cela a tout à voir. Vous êtes le Prince héritier. Vous êtes à succéder à votre père sur le trône. Tout le monde sait déjà qui sera à vos côtés lorsque cela arrivera.

- Vous me voyez réellement épouser Lady Persley alors que je ne peux pas rester dans la même pièce qu'elle plus de cinq minutes ?

- Il n'est jamais question de ce que l'on veut dans la vie, Votre Altesse. Demandez à n'importe qui. Même les tavernières n'épousent pas l'homme qu'elles aiment. Elles épousent celui qui les fera monter dans la hiérarchie, qui les protégera de la dureté du monde autant que possible. Vous, vous êtes le futur Roi. Votre responsabilité est d'épouser la lady la plus riche et dont la famille est la plus élevée dans la hiérarchie. Si la princesse Evyna des Tempêtes n'étaient pas déjà mariée, vos parents se seraient sûrement arrangés pour qu'elle devienne votre femme et protège l'alliance entre le Grand Royaume et le Royaume des Tempêtes. C'est ainsi qu'est votre vie et c'est ainsi que vous devez l'accepter. Dans ce monde, personne n'a droit à ce grand amour dont nos ancêtres parlent dans tous leurs livres.

- Alors je dois simplement accepter d'épouser cette dinde en faisant fi de mon cœur ?

- C'est la croix que tout le monde porte, Votre Altesse.

- Que je la méprise de tout mon être ne compte pas ? Que mon cœur batte pour une autre ne compte pas ?

Je serrai sa main avec les larmes aux yeux.

- Non. Il est temps que vous compreniez qu'un cœur ne sert plus qu'à faire circuler le sang, Votre Altesse. Pour notre génération, seul le devoir importe. Et votre devoir est d'épouser Lady Persley. Alors apprenez à voir ses bons côtés pour vous rendre la tâche plus facile.

Je tournai les talons, récupérant mes doigts qu'il essaya de garder.

Jedrek attendait un peu plus loin, comme je m'y attendais. J'ignorais s'il avait tout entendu. Je m'en moquais. Je passai devant lui sans m'arrêter, sans lever les yeux. Dès que je fus hors de vue du Prince, je me mis à courir. Je claquai la porte de mes quartiers au nez du Capitaine de la Garde.

Une main sur mon cœur endolori, je tentai de me calmer. J'inspirai profondément pour apaiser mon souffle erratique, pour lutter contre la peine qui me vrillait toute entière. Je savais que j'avais fait le bon choix. Je le savais.

Mais cela n'effaçait pas la souffrance.

Il était le Prince héritier et je n'étais qu'une arriviste. La future main régicide. Peu importait qu'il ait éveillé en moi des sentiments que je n'avais jamais connus jusqu'alors. Rien n'importait dans ce monde sinon notre position sur l'échelle. J'étais en bas alors qu'il était en haut. Et rien ni personne n'y pouvait quelque chose. Pas même lui.

Il était préférable pour lui comme pour moi de l'accepter au plus tôt. Lady Persley deviendrait reine. Elle épouserait Ryker et c'était ainsi que les choses devaient se passer. J'allais même accélérer le cours naturel des choses en assassinant le Roi.

Que cela me brise le cœur ou non.

- Vous allez bien, milady ?

Je sursautai vivement à l'entente de la voix de Judeen. Je n'avais pas vu qu'elle était dans la pièce, en train de faire le ménage.

- Je vais bien. Va te reposer.

- L'Intendant a déposé ces papiers pour vous.

- Merci, Judeen.

Elle sortit non sans un long regard inquiet. Je verrouillai ma porte derrière elle, trop vite pour que Jedrek ne puisse m'en empêcher.

J'allai chercher les papiers posés sur la table du petit salon. Mon titre de noblesse. J'étais désormais une lady.

Je plaquai une main sur ma bouche pour étouffer un sanglot. Je ne pouvais pas pleurer. Je savais que Jedrek était derrière la porte et qu'il m'entendrait. Il devinerait alors. Je ne pourrais pas supporter qu'il sache.

Je m'allongeai sur mon lit, luttant contre mes pleurs. Mes mains tremblaient. Mes yeux me brûlaient. Je refusais de me sentir ainsi. Je ne pouvais pas le supporter.

Les secondes s'égrenèrent, devenant des minutes. On frappa à la porte. Judeen avec mon déjeuner. Je ne bougeai pas. Elle finit par renoncer. Le silence emplit mes quartiers, assourdissant.

Bravant les interdits, je chantonnai tout bas, juste pour m'apaiser.

Jamais mon cœur n'a battu aussi vite

Jamais je n'ai souffert comme aujourd'hui.

Ma force apparaît dans l'adversité

Quitte à tout perdre autant gagner.

Envers et contre tous les obstacles j'avancerai

Rien ni personne n'aura raison de moi

Je suis invincible si j'y crois.


Je tuerai mes ennemis,

J'ornerai ma porte de leur sang

Je vaincrai le beau et le mauvais de ma vie

Pour m'élever toujours plus haut, être toujours plus grand

Rien ne vaut des conquêtes,

Ou savourer leur défaite,

Si ce n'est des bras aimants tant rêvés

Mais que jamais je n'attendrais.


Ma vie est tissée dans le sang et la mort

Je suis un combattant du mauvais sort

Mes seuls compagnons sont mon esprit et mon épée

Je ne pourrais jamais prétendre au bonheur d'un foyer

Je suis mort à l'intérieur

Laissez-moi vous détruire pour pour pouvoir exister.

Laissez-moi conquérir vos vies pour oublier ma mort.


Je suis un combattant du mauvais sort

Éloigné de la vie, proche de la mort

Je suis un combattant du mauvais sort

Ne me dites pas que vous tenez à moi

Vos mensonges vous feront tâter

De la lame de mon épée.

Car seule compte ma mission

Et la mort du monstre qui m'a volé tout ce que j'avais.

Ma décision était prise. Le Roi mourrait dès que j'en aurais l'opportunité. Qu'il soit la clé de la Cage de Fer ou non.

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