Chapitre 10


Je lâchai la chemise ensanglantée et courus jusqu'aux portes de l'écurie. Le Prince les ouvrit vivement, laissant entrer le froid polaire. Un souffle blanc nous balaya, hurlant à nos oreilles.

Aveuglée, je refermai les portes.

- Qu'est-ce que c'était ? criai-je.

- Je n'ai rien vu. La tempête est trop forte.

- Il y a quelqu'un dehors, répondit Jedrek depuis le grenier à foin. On ne peut rien faire pour lui. Il est gelé et les glaçons l'ont déjà percé de toutes parts. C'est un miracle qu'il tienne encore debout.

Je me hissai sur la pointe des pieds pour regarder par les petites fenêtres qui ornaient certaines stalles. Je distinguais à peine la silhouette sombre qui oscillait dans cette brume blanche et hurlante.

- On ne peut vraiment rien faire pour lui ? interrogeai-je.

- Non. Vous vous perdriez et vous vous feriez tuer aussi, me répondit le prince. C'est inutile d'essayer de sortir d'ici avant la fin de l'orage.

Comment une lady normale aurait-elle réagi face à ce genre de situation ? Aurait-elle pleuré ? Aurait-elle essayé de convaincre les deux hommes de sortir pour sauver quiconque était dehors ?

Un autre cri résonna par-dessus le bruit de la pluie de glaçons qui martelait le toit et les murs. Un cri d'agonie. La voix s'était rapprochée, déformée par la douleur. Je me hissai derechef pour regarder. La silhouette était plus proche et continuais d'avancer.

- Qui que ce soit, il est encore en vie.

- Nous ne pouvons rien pour lui, insista sèchement Jedrek. S'il s'approche assez des portes, nous pourrons éventuellement lui ouvrir. Au delà de cela, personne ne sort, milady.

Il m'attrapa par le bras et m'éloigna de la fenêtre. Il me fit asseoir sur sur la botte de foin où Ryker était assis un peu plus tôt.

- Je connais les orages blancs. Vous, non. Alors, ça, je gère. Vous devriez plutôt terminer de soigner Son Altesse.

Nous nous affrontâmes du regard. Je le laissai gagner. Je détestais me sentir aussi impuissante mais il avait raison. Je ne connaissais rien aux orages blancs. Je n'avais fait qu'en entendre parler. Et ils étaient pires que ce que l'on en disait.

Aussi fis-je ce qu'il me disait. Je rejoignis Ryker qui regardait par les ouvertures vitrées de la porte. Sa blessure suintait un peu de sang. Je l'essuyai avec la veste de Jedrek.

- Venez vous asseoir, Votre Altesse.

Je récupérai le pot d'onguent et fis chauffer un peu de produit entre mes mains avant d'en couvrir la blessure. Le prince émit un sifflement douloureux. Tous ses muscles se contractèrent. Le jeu de sa peau sous mes doigts me fit déglutir.

Je cillai, tentant de retrouver un semblant de concentration. Et de faire cesser le tremblement de mes mains. Je fermai presque les yeux lorsque j'enroulai les bandages autour de lui.

Pour la première fois, je remarquai son parfum. Un mélange de sueur et de savon à la cannelle. Seule la famille royale devait sentir la cannelle tant elle était chère.

En y songeant, sa petite sœur avait cette odeur fleurie puissante et enfantine, sans une once de cannelle. Il devait être le seul à s'en servir.

- Voilà. C'est terminé, Votre Altesse. Vous devriez vous allonger. Vous avez beaucoup saigné.

- Je vais bien.

Il m'offrit un sourire faible en se relevant. Il retourna regarder par les vitres. Je me hissai sur la pointe des pieds pour tenter de voir. Il baissa les yeux vers moi, un véritable sourire sur les lèvres, cette fois.

Tout le sang quitta son visage lorsqu'il releva les yeux. Je me redressai pour tenter de discerner ce qui le faisait réagir aussi vivement. J'étais trop petite pour bien distinguer autre chose que la brume blanche qui tourbillonnait.

- Que se passe-t-il ?

Il ne répondit pas. Il me prit par le bras et m'entraîna en arrière. Il me poussa dans le couloir, vers l'échelle qui montait vers le grenier à foin. Jedrek ne dit rien mais tendit sa main, me poussant à monter.

Je ne cherchai pas, je la pris et je me hissai à l'étage. Je gagnai directement l'ouverture par laquelle Jedrek regardait. Il se passait quelque chose à l'extérieur et je ne demeurerai pas la seule à ne pas savoir ce que c'était.

Des silhouettes sombres bougeaient dans les tourbillons blancs. Je n'eus pas le temps de voir grand-chose, Jedrek me tirant violemment en arrière. Il plaqua sa main sur ma bouche pour m'empêcher de râler.

- Chut, souffla-t-il à mon oreille.

Nous demeurâmes cachés derrière les ballots de foin. Je repoussai son bras et m'éloignai un peu, gênée d'être presque assise sur ses genoux.

Le prince et le Capitaine de la Garde réagirent dès qu'ils entendirent le bruit de la porte de l'écurie s'ouvrir. Ils tirèrent des ballots devant nous pour former un mur. Nous nous aplatîmes tous, tentant de disparaître. Ryker était entre moi et Jedrek, un film de sueur sur le front.

Un ballot tomba sur nous, heurtant le prince majoritairement. Je vis son visage se tendre. Je posai une main sur la sienne, le laissant la serrer de toutes ses forces pour ne pas crier de douleur.

L'échelle grinça. Quelqu'un montait. Je plaquai une main sur ma bouche pour étouffer ma respiration. Les deux hommes étaient figés comme des statues. Jedrek semblait même sur le point de jaillir. La façon dont il était placé me disait que c'était le cas. Il avait sa main sur son épée.

- Alors ? murmura une voix.

- Rien.

- Je suis sûr de les avoir vu venir ici. Ils ne sont pas cachés ?

- Je les verrais. Il n'y a personne. Tu t'es trompé. Ils sont dans le château. Barrons-nous d'ici.

L'échelle grinça de nouveau. Peu après, la porte claqua dans le hurlement du vent de l'orage. Je relâchai un souffle long et bruyant. Jedrek et moi repoussâmes le ballot de foin qui était tombé. Ryker gémit avant de se redresser.

Il saignait abondamment dans le dos. Ses bandages s'étaient déjà grandement imprégnés.

- L'orage va-t-il bientôt se terminer ? demandai-je à Jedrek.

- J'en doute. Pas avant le matin.

Ce n'était pas bon. Pas bon du tout. Le Prince saignait bien trop. Il fallait cautériser la plaie ou la rebander.

- Venez avec moi, ordonnai-je à Ryker.

Je vis sur son visage qu'il n'appréciait pas de recevoir des ordres d'une simple gouvernante. Malgré tout, il se releva en grimaçant. Ma dague à la main, je descendis la première. Juste au cas où les intrus ne seraient pas repartis.

La sellerie était vide. Je pris un tabouret et je le fis asseoir dans le couloir, devant la stalle de mon cheval. Il tremblait et des gouttes perlaient sur son visage. Je devais faire vite.

J'ouvris le box de Rosebird. J'étais certaine qu'elle ne tenterait pas de s'enfuir. Je connaissais ma jument. Je pris de l'eau dans son abreuvoir à l'aide d'un seau récupéré dans les couloirs. Je le posai à côté du prince avant de lui enlever ses bandages rapidement.

- Qu'est-ce que vous faîtes ? m'apostropha-t-il sèchement.

- Je vous sauve la vie. Encore.

Je laissai tomber les bandages à terre et je versai un peu d'eau dans le dos du prince. Il protesta d'un cri bref mais ça ne m'empêcha pas d'arracher un de mes jupons pour essuyer le sang et les restes d'onguent sur son dos. La fraîcheur de l'eau le fit soupirer et s'alanguir.

Les dégâts étaient déjà apparents. Des cloques commençaient à apparaître autour de sa blessure, la peau était toute boursouflée et rouge... Il devait souffrir le martyr.

Au demeurant, la brûlure, aussi vilaine fut-elle, n'était pas ce qui me préoccupait le plus. La couleur violacée de ses veines, elle, m'inquiétait sérieusement. L'onguent avait déjà commencé à entrer dans son sang.

- Jedrek ! appelai-je, me préoccupant peu de son titre. Venez ici et immédiatement !

- Je suis le Capitaine de la Garde, pas votre ami, milady.

- Vous êtes venu, c'est tout ce qui compte. Tenez-le.

- Pardon ?

- Tenez-le ! Il ne doit pas bouger.

Jedrek jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule du prince et pâlit. Il reconnaissait aussi bien que moi les symptômes. Il saisit brutalement les bras du prince, les bloqua dans une position étrange qui lui permit de nouer ses doigts dans la nuque de Ryker, le maintenant immobile.

J'essuyai mes paumes moites sur ma robe avant de prendre ma dague. J'inspirai par le nez plusieurs fois, visualisant où exactement j'allais devoir agir.

Je coupai soigneusement la peau juste ce qu'il fallait pour empêcher le sang infecté de continuer à se répandre. La première entaille le fit crier. La seconde le fit se débattre. À la troisième, il s'évanouit.

Jedrek le souleva et l'allongea dans le box de Rosebird où je terminai mon travail de boucher. Le sang violacé me coulait sur les mains, poisseux, brûlant. Il était si chaud que je le sentais rogner ma peau. Je dus me rincer dans le seau plusieurs fois avant de pouvoir nettoyer le dos du prince.

Pendant ce temps, Jedrek avait nettoyé les bandages souillés pour que je puisse protéger les nouvelles entailles de Ryker. Il saignait encore mais je ne pouvais rien faire contre ça. Idem pour la brûlure. Je n'avais rien pour la soigner. Tout ce que je pouvais faire, c'était de le rafraîchir pour faire descendre la fièvre et apaiser la douleur.

- Il va tenir ?

- Je pense. J'ai évacué tout le sang empoisonné. La brûlure m'inquiète mais je ne peux rien faire donc il va devoir serrer les dents.

- Comment a-t-il pu se faire empoisonner ? Vous aviez tout vérifié pour que ça n'arrive pas !

- Lorsque le ballot est tombé, ça a rouvert sa plaie. Le sang s'est remis à couler.

Il jura. Avant de s'excuser platement. Je levai les yeux au ciel. S'il croyait que je n'avais jamais entendu quelqu'un jurer...

Nous demeurâmes assis dans la paille en silence. Le prince ne tarda pas à sortir de son inconscience. Il gémit, se raidit, trembla.

Et vomit. Partout.

- Il fallait s'y attendre, soupirai-je.

- Laissez, je m'en occupe.

Il partit chercher une brouette pour enlever la paille couverte de vomi.

Le prince tourna un regard fiévreux vers moi. Il était au bord du délire. Il fallait faire baisser sa température avant qu'il ne soit trop tard. Je me levai, récupérai le seau et j'attrapai un râteau en passant. J'entrouvris les portes et poussai le seau à l'extérieur avec le râteau. Lorsqu'il fut rempli de glaçons acérés, je le ramenai à l'intérieur.

Le froid des flèches de glace fit frémir le prince. Il trembla, tentant de me repousser mais, au bout de quelques minutes, elles firent leur effet. Il s'apaisa et se rendormit.

- Il faut le remonter à l'étage, me dit le Capitaine de la Garde en jetant l'épée du prince dans le box. Peut-être sont-ils encore dehors et ils vous ont donc vue ouvrir la porte. On ne peut pas prendre de risque.

- Je prends les pieds, répondis-je simplement.

Nous parvînmes à amener Ryker au pied de l'échelle. J'ignorais comment Jedrek pensait pouvoir le hisser là-haut.

- Je vais le porter sur mon dos. Il va falloir que vous m'aidiez.

Nous manipulâmes le prince pour que Jedrek puisse tenir les bras de Ryker autour de son cou et ainsi, le porter à l'étage.

Je le regardai faire, anxieuse à l'idée qu'ils tombent. Mais Jedrek parvint à l'étage dans un dernier effort et il allongea prudemment le prince dans le foin.

Des voix résonnèrent derrière la porte. Je courus jusqu'au box de Rosebird. Je récupérai le seau et le tabouret aussi silencieusement que je pus et les posai dans la stalle. Le loquet émit un bruit qui parut résonner dans tout le bâtiment.

Je m'accroupis, me faisant aussi invisible que possible. De lourdes bottes martelaient le sol, se rapprochant toujours plus de moi. Ils allaient me tomber dessus et je ne pourrais rien faire.

- Il y a quelqu'un ici, je te dis. J'ai entendu du bruit.

- Tu délires. On est déjà venus et il n'y avait personne. Et je ne vois pas qui pourrait se terrer dans les écuries à part des servants. Et, que je sache, ce n'est pas tellement eux, qu'on vise.

- Il était dehors, je te dis. Je l'ai vu. Il était avec le traître et une fille. Ils n'ont pas pu regagner le château avant l'arrivée de l'orage. C'est impossible.

Ils en avaient après le prince. Ils comptaient l'assassiner. Mais pourquoi appeler Jedrek un traître ? Il était le Capitaine de la Garde ! Était-il comme Leen Leary ? D'apparence innocent et attaché à la royauté mais, dans le fond, un traître prêt à les trahir pour des richesses, des terres ?

Bizarrement, je ne pensais pas qu'il en soit ainsi. Jedrek et Ryker étaient amis. J'en étais certaine. Ils pouvaient tenter de le cacher autant qu'ils voulaient, si l'on y regardait d'un peu trop près, ça crevait les yeux.

- Tu comptes regarder dans tous les boxes ? grinça l'un des hommes.

- Oui. Il est ici, j'en suis sûr. Je vais le trouver.

Je me penchai et récupérai l'épée du prince. Elle pesait lourd. Je n'arriverai jamais à combattre deux assassins avec ça. Mon entraînement m'avait fait porter de lourdes armes mais ça datait.

- Je te dis qu'ils sont dans le grenier. S'il y a quelqu'un, c'est là-bas qu'ils vont se cacher.

- Retournons voir, alors. Mais je n'ai vu personne tout à l'heure.

Je ne pouvais pas les laisser monter au grenier. Avec le prince fiévreux et fort probablement en plein délire, Jedrek serait vite découvert. Ces deux assassins l'appelaient « le traître ». Ils le tueraient s'ils en avaient l'occasion. Et, aussi avantageux que ça puisse paraître sur certains points, ça m'apporterait bien plus de problèmes que de solutions.

J'ouvris la porte de la stalle qui grinça. Je la refermai rapidement et me cachai dans la sellerie. Leurs grosses bottes firent un vacarme de tous les diables lorsqu'ils revinrent en courant.

Je n'attendis pas qu'ils entrent dans la pièce pour leur envoyer l'épée en pleine face. Je faillis partir avec tant elle était lourde pour moi. L'un des assassins tomba sur les fesses alors que l'autre faisait un bond en arrière.

- Salope ! Tu m'as pété le nez !

- Pauvre chou. T'en verras d'autres, va ! J'en ai pas fini avec toi.

Ils s'esclaffèrent, ne me pensant pas capable de m'en tenir à ce que je disais. La fierté masculine n'avait que trop tendance à oublier la force féminine.

Ils sortirent leurs épées et je reculai, serrant les doigts autour de la garde de mon arme. J'allais leur faire ravaler leurs rictus. Aussi massifs qu'ils soient, ils allaient souffrir. J'avais mis à terre des combattants bien plus laids et puissants qu'eux.

Celui à qui j'avais cassé le nez, un blond ridé et couturé de cicatrices, s'élança. Je parai, m'en rendant à peine compte. C'était un réflexe. Les deux lames s'entrechoquèrent bruyamment. La force du coup me poussa en arrière.

Le second assassin arriva par derrière. J'eus à peine le temps de bouger que sa lame s'écrasait sur le sol, là où je m'étais tenue. Je fis tourner la lame, mon corps suivant le mouvement. Elle frappa celle du blond. Il fit un pas en arrière, percutant son acolyte.

Je profitai de la milliseconde de déroute pour frapper de toutes mes forces dans son genou. L'os craqua bruyamment, le faisant hurler et s'effondrer. Mon épée frappa l'autre assassin dans l'épaule, s'enfonçant profondément dans la chair.

Il répliqua gauchement, m'entaillant le cou. Je reculai, mes mains moites ayant du mal à garder leur prise. L'assassin me suivit, un masque de mort sur ses traits. Si je lui laissais une ouverture, il allait me tuer.

Je me retrouvai bloquée contre un mur. Ses lèvres se recourbèrent. Il flairait une victoire que je ne comptais pas lui laisser.

Il attaqua, j'esquivai à la dernière seconde, y laissant des cheveux. Je frappai dans son dos avant de chuter. Un élancement puissant éclata dans ma hanche. L'épée tomba, m'échappant des mains.

Je tendis les mains vers ma dague, fouillant mes jupons. L'assassin donna un coup de pied dans mon poignet. Il appuya la pointe de sa lame sur ma gorge.

Les pieds joints, je frappai dans son estomac. Avec la profusion de jupons, il n'avait pas vu le coup venir. Il tituba, son épée traînant sur moi. Je me relevai, récupérai mon arme. Mes bras eurent un mal fou à la soutenir en position d'attaque.

Il chargea comme un taureau et je lui fis un croche-pied. Il faucha ma jambe, tombant aussi lourdement que moi. Mon menton claqua sur le sol ; je vis des étoiles. Je me hissai sur mes bras, récupérant ma dague. Je serais plus efficace.

Je haletai, couverte de sueur, les membres endoloris. Il semblait encore plein d'énergie. Il y avait de fortes chances que j'échoue. Il le savait. Son sourire en était la preuve.

Il chargea avec un cri de guerre. Je bougeai à peine. Il me percuta, sa lame glissa entre deux côtes. La mienne se ficha dans son épaule, le faisant lâcher son épée. Il me repoussa. Je me raccrochai au montant d'un box pour rester debout.

Je bondis en avant et enfonçai ma dague dans son cou. Ses yeux s'écarquillèrent avant qu'il ne s'effondre devant moi. Je poussai son corps du pied, dégageant ma dague.

Je remontai le couloir en me tenant les côtes. Il ne m'avait pas loupée. Son acolyte escaladait l'échelle. Une traînée de sang marquait le sol là où il avait rampé. J'attrapai sa veste et je le tirai en arrière. Il embarqua l'échelle avec lui en s'effondrant.

Je lui tranchai la gorge avant de me laisser tomber au sol dans un soupir. Je levai les yeux vers l'étage où Jedrek me regardait fixement, son épée pendant au bout de son bras.

- Vous étiez censé me protéger, Capitaine de la Garde, soufflai-je difficilement. Pas l'inverse.

Il demeura silencieux. Je l'ignorai, épuisée. J'étais rouillée. Sacrément rouillée. Un mois que j'étais dans ce château et déjà, je perdais mes forces.

- Pouvez-vous remettre l'échelle ? finit par articuler Jedrek.

Je me forçai à me relever pour obtempérer. Il descendit et regarda à ma blessure.

- Ça va, dis-je. Je ne fais que saigner. Ce n'est pas si grave.

- Je ne dirais pas ça.

- Je suis celle qui s'est fait empaler. Si je dis que ça va, c'est que ça va.

- Bien, milady.

- Je ne suis pas une lady. Je crois que c'est visible, non ? Une lady n'aurait pas tué deux hommes.

- Une lady ne saurait même par quel bout tenir une épée.

Je souris en m'appuyant sur le mur.

- Vous êtes sûre que ça va ?

- Oui. Et ne me faites pas me répéter une troisième fois.

- Vous êtes un sacré numéro. Depuis quand les Marchetta élèvent-ils de telles filles ?

- Depuis toujours. Je suis juste moins douée pour le cacher.

Il ne put retenir un sourire.

Qui se fana vite pour laisser place à un sérieux sombre, presque menaçant.

- Je sais que vous avez entendu comment ils m'ont appelé et pourtant, vous faîtes comme si de rien n'était.

Je haussai les épaules avant de faire la grimace. Ouch.

- Je vous poserai des questions, soyez en sûr. Mais pas maintenant. Je ne suis pas en état.

- Je vais vous aider à monter.

- Je suis blessée, pas impotente. Je n'ai pas besoin d'aide pour monter une échelle.

Je me décollai du mur et me hissai, barreau après barreau, jusqu'en haut. L'adrénaline était retombée et me laissait fatiguée, engourdie. Lorsque j'arrivai en haut, la douleur me déchirait le flanc, mon pouls était si rapide qu'il battait mes tempes, mon souffle était bruyant, laborieux. Mais j'étais montée sans recevoir l'aide de Jedrek et c'était tout ce qui comptait.

- J'ai cru que vous alliez y passer, me dit-il en s'installant à côté de moi.

- J'ai cru que j'allais y passer aussi. Merci beaucoup de m'avoir aidée, au fait.

Un rictus joua sur ses lèvres.

- Je ne pouvais pas révéler la position du prince et le laisser sans protection. Si d'autres étaient arrivés, ils auraient pu l'assassiner dans notre dos. Et vous vous en sortez à merveille sans aide, n'est-ce pas ?

Je lui jetai une poignée de paille à la tête. Il éclata de rire en époussetant ses épaules et son pantalon.

- En vous regardant, j'ai encore du croire que c'est vous qui avez tué ces deux types.

- Je suis couverte de sang et vous avez du mal à y croire ?

- C'est juste que... vous n'avez pas l'allure d'une femme capable de tenir une épée et de s'en servir. Et encore moins du genre de femme capable de tuer quelqu'un. Vous êtes... chétive.

- Chétive ?! m'offusquai-je. Je ne suis pas chétive !

Il hocha la tête avec une moue contrite.

- Si, vous l'êtes.

Je baissai les yeux vers mon corps. Certes, j'étais plutôt petite comparée à lui ou au prince. J'avais des membres fins et une peau extrêmement pâle. Ma robe rose poudré pleine de froufrous devait me rajeunir. Ce n'était assurément pas ce que j'aurais voulu porter mais je n'avais toujours pas reçu mes bagages donc j'avais dû m'en contenter.

Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas regardée dans un miroir mais je doutais que mon visage fasse chétif. Je me souvenais de cheveux blonds, d'yeux vert forêt. Des traits marqués mais féminins. Pas chétifs.

- La garde de mon épée est plus grosse que vos poignets, milady. C'est ce que j'appelle être chétive.

- Je ne suis pas chétive. Je suis une femme. Je ne suis pas bâtie comme une montagne, voilà tout.

- Si ça vous plaît de le croire.

- En attendant, chétive ou non, j'ai réglé leur compte à ces deux assassins, seule. Et c'est tout ce qui compte. Maintenant, j'aimerais dormir. Au moins un peu avant que mon estomac ne vienne me torturer.

Il sourit sans répondre. Je m'allongeai à côté du prince inconscient. Je touchai son front et fus soulagée de voir que la fièvre avait baissé.

- Si je me fais tuer pendant que je dors, je reviendrai vous hanter, Capitaine.

- Dormez, milady.

Il ne fallut pas me le dire deux fois.

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