III

Le pub de Lady Edelweiss

    Du bout des doigts, Lady Katrina Edelweiss effleura le comptoir de son pub pour en récolter une fine couche de poussière. Son gant blanc était maintenant maculé d'une désastreuse couleur grisâtre, cela la fit sourire. Ses lèvres d'un rouge sombre s'étirèrent laissant paraître toutes ses belles dents blanches, son nez se retroussa légèrement et ses yeux émeraude se mirent à pétiller.

    Elle essuya la poussière sur son manteau de fourrure et réajusta brièvement son haut-de-forme. Son regard toisa ensuite le garçon aux airs nonchalant rangeant mécaniquement des chopes en ferrailles sous le comptoir.

    Lady Edelweiss agrandit son sourire de plus bel.

« Au nom du Tétrarque, je jure de m'emparer de ton crâne si mon pub n'est pas impeccable d'ici cinq minutes. »

     Le jeune homme portait élégamment une chemise blanche partiellement recouverte d'un gilet noir sans manche qu'il épousseta avant de se redresser. Il salua sa patronne d'un sourire timide et attrapa un vieux torchon.

« Veuillez accepter mes excuses, assura-t-il, votre  pub sera impeccable. 

— Bien sûr qu'il le sera, riposta Lady Edelweiss, nous ouvrons dans quatre minutes. Fait tourner la machine à café et sors les pains aux grillons du four. » 

Le garçon s'exécuta laissant traîner le vieux torchon sur le comptoir en bois poussiéreux, il activa un appareil en cuivre de forme ovale et incrusté dans le mur en pierre qui émit un sifflement strident. La coque en cuivre chauffa, se remplissant peu à peu d'un liquide noir que l'on apercevait par la petite fenêtre de la machine. 

Tâche faite, il reprit son activité de nettoyage, dépoussiérant le comptoir avant l'arrivée des premiers clients de la matinée. Lady Edelweiss retourna la pancarte de la porte principal du pub indiquant son ouverture, puis lança son plus beau sourire au jeune homme.

« Parfait Jeremiah ! Nous sommes ouvert. Si besoin, tu me trouveras à l'étage comme d'habitude. »

Elle lui fit un geste de la main faisant tinter la dizaine de bracelets en or attachés à son poignet et s'éloigna en montant l'escalier grinçant près du comptoir.

Jeremiah se contenta de lui répondre par un hochement de tête tout en poursuivant son travail. La machine à café avait cessée son sifflement, de la vapeur s'échappait d'une petite ouverture placée au-dessus de la coque. Avant qu'il ne s'en préoccupe, le son d'une cloche retentit, un client venait de faire son entrée dans le pub. 

« Bienvenue au pub de Lady Edelweiss, salua le jeune homme , qu'est-ce que je vous sers ?

— Un café noir.

— Bien, monsieur. »

Le jeune serveur ne pu s'empêcher de noter l'air véhément du client, ainsi que sa tenue ressemblant à celle des colonels, cet homme travaillait certainement pour le gouverneur d'Asteropa, sur son chapeau était cousu l'écusson de l'Etat. Il était rare de voir l'un des hommes du gouverneur franchir les portes d'un pub, ils étaient tous très occupés et n'avaient guère le temps de prendre une pause-café. 

Jeremiah prit une petite tasse en porcelaine et y versa le café brûlant avant de le servir à l'homme.

« Et voici, monsieur, dit-il poliment. »

Le client se saisit brutalement de la tasse - renversant au passage quelques gouttes de café - sans adresser ne serait-ce qu'un regard de remerciement au serveur.

Après s'être abreuvé, il lâcha deux pièces de cuivre sur le comptoir ainsi qu'un bout de papier ressemblant à une reconnaissance de dette.

« L'arracheuse de crâne est-elle ici ? Demanda-t-il d'une voix rauque. » 

Jeremiah observa la reconnaissance de dette avec de grands yeux ronds, il comprit alors que cet homme était venu au pub dans un but précis, celui de reprendre une somme qui lui était due.

Les jeux, encore les jeux, pensa le jeune homme dont la mâchoire se mit à trembler. Elle a encore perdu des sommes extravagantes et moi je dois la couvrir.

« Eh bien mon garçon, réponds ! S'impatienta l'homme.

— Non... Répondit Jeremiah la voix frémissante et les yeux fuyants. Ma patronne est... Elle est partie faire une course il y a un instant. »

L'homme planta ses yeux sévères dans ceux de Jeremiah qui semblait supplier pour sa vie, de nature très peu courageuse, il esquissa un sourire en coin pensant que cela suffirait à convaincre son client. 

« Bien, soupira-t-il en remettant son chapeau et en tendant le papier au serveur, donne-lui cela lorsqu'elle reviendra.

— Oui, monsieur. » 

Jeremiah soupira aussi, il soupira de soulagement lorsque l'homme franchit la porte du pub dans le tintement aigu de la cloche. 

A peine quelques secondes plus tard, le tintement se fit entendre une nouvelle fois, un autre client fit son entrée tandis que le jeune homme débarrassait la tasse du dernier. 

« Bienvenue au pub de Lady Edelweiss ! Prononça-t-il mécaniquement en faisant sa vaisselle.

— Je sais à qui appartient ce pub, rétorqua calmement ce nouveau client en prenant place au bar. »

Jeremiah leva les yeux l'air étonné vers l'homme qui se tenait en face de lui, il était habillé avec raffinement, sa veste en tweed était impeccablement propre, son haut de forme était lisse et sans courbure. Ses petites lunettes rondes lui donnaient un air intimidant, on ne pouvait y distinguer son regard. 

Il posa sa mallette en cuir sur le rebord du comptoir, le serveur ne put s'empêcher d'y jeter un bref regard d'incompréhension.

Que des clients étranges aujourd'hui... Songea-t-il.

L'homme se racla la gorge avant de reprendre la parole et de faire frissonner le jeune homme.

« Et je sais aussi qui tu es, Jeremiah. »









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