La journée passa a toute vitesse. Murainan'Ta n'eut de cesse de donner des conseils à Bernard : comment esquiver une question embarrassante en posant soi-même une question, les bases du sophisme, la métaphore sans signification... Malgré conseils donnés par un maître en la matière, Bernard était anxieux. Selon ce qu'on lui avait dit, la chaine sur laquelle se passerait l'interview possédait près d'un quart de l'audience planétaire en heure creuse, et la moitié le reste du temps. Deux heures avant le début de l'interview, un astronef passa prendre Bernard et Murainan'Ta, accompagné de quelques collaborateurs pour les emmener de l'autre côté de la planète, où se trouvaient les locaux. Ces derniers étaient constitués d'une grande tour cylindrique aux reflets bleutés, autour de laquelle gravitaient des petits vaisseaux studios servant pour les émissions mineures. La petite équipe descendit de l'astronef dès son atterrissage pour se diriger vers les loges. On maquilla Bernard, tandis que Murainan'Ta lui donnait ses derniers conseils. Enfin, l'heure fatidique arriva.

«Bernard Berthieux, le direct commence dans 10 minutes»

Bernard se leva et fut amené sur un plateau très lumineux décoré de blanc et de turquoise. La présentatrice s'installa, vérifiant ses notes et donnant ses dernières demandes. Enfin, une voix gliesienne s'éleva du fond du studio pour déclamer :

«Direct dans 5 secondes, 3, 2, 1, direct !»

Une musique Gliesienne se fit entendre sur le plateau et la présentatrice s'adressa à la caméra :

«Bonjour, bonsoir. Eva Engelwald en direct du Studio numéro 124. Vous êtes bien sur Gliese 2, il est 20 Heures dans la capitale. Ce soir nous accueillons Bernard Berthieux, le Belzerlandien qui a fait les gros titres il y a peu pour son sauvetage du candidat du FISH, Murainan'Ta. Bernard Berthieux bonjour.

- Bonjour. dit Bernard qui s'était retenu de soupirer quand Emma Engelwald avait parlé de sauvetage.

- Bernard Berthieux, comment ressentez vous cette soudaine célébrité, vous qui, il y a un mois encore, étiez totalement inconnu du grand public ?

- Eh bien c'est évidemment éprouvant mais je n'ai pas ressenti de grand changement.

- Pourriez vous nous raconter ce qu'il s'est passé sur Belzerland, car cette histoire est au final assez floue.

- C'est très simple, cela aurait pu arriver à n'importe qui, mais il a fallu que ça tombe sur moi. Murainan'Ta était poursuivi par des opposants si j'ai bien compris, il m'a demandé de le cacher et c'est ce que j'ai fait, rien de plus. C'est pour ça que je ne comprends pas cet engouement autour d'une histoire somme toute ennuyeuse.

- Quel effet cela fait-il d'être récompensé ?

- Comme je n'ai aucune idée de la valeur de cette décoration, j'aurais pu être décoré pour service rendu aux éboueurs que je l'aurai ressenti pareil. Dans le même temps, c'est gratifiant.

- Cette décoration vous donne un équivalent du grade de colonel dans toute armée du Bras d'Orion Monsieur Berthieux.

- Eh bien dans ce cas je suppose que je dois être flatté.

- Nouvelle question, comment réagissez vous aux déclarations d'Arnold Tuchmeier, interviewé hier sur cette antenne et qui a eu des propos très durs à votre encontre et à celle de Monsieur Murainan'Ta ? Avez vous quelque chose à lui répondre ?»

Se souvenant des conseils de Murainan'Ta sur les question embarrassantes,  Bernard répondit après quelques instants de réflexion :

« Ces propos ont ils été blessants ? Oui. Mais c'est le genre de propos qui peuvent être tenus dans le cadre d'une campagne.»

Emma Engelwald, habituée à ces techniques d'esquives, lui redemanda :

«Avez vous quelque chose à lui répondre ?

- Euh... Je... Non, je n'ai pas vraiment de chose à lui répondre, nous nous sommes déjà tout dit il me semble.

- Qu'entendez vous par là ? Vous l'avez déjà rencontré ?

- Je... Oui, vaguement ! Mais nous ne nous sommes rien dit de particulier.

- Que vous êtes vous dits ?»

Bernard saisi l'occasion pour parler des menaces d'Arnold Tuchmeier. Une petite vengeance ne pouvait lui faire que du bien.

«Pour tout vous dire, il était venu demander à Murainan'Ta d'abandonner sa campagne, en ne cessant de répéter qu'il était très influent. À ce moment, j'étais arrivé depuis seulement quelques heures sur cette planète, je ne l'ai donc cru qu'à moitié.

- Que lui avez vous dit ?

- Rien de particulier, simplement que je n'irais pas le dire à Murainan'Ta, et il est parti.»

La journaliste, heureuse de son exclusivité, remercia Bernard de sa venue et commença à improviser un résumé de l'interview. Bernard sorti du plateau et fut accueilli en loges par les applaudissements de l'équipe. Murainan'Ta le félicita personnellement :

«J'aurais aimé être mis au courant de cette rencontre, mais bravo ! Chapeau, il va mettre du temps à s'en défaire de ça !

Bernard souri, mais ne comprenait pas vraiment ce que son comportement avait eu d'incroyable. Cependant, il ressenti une nouvelle fois cette sensation, comme à la cérémonie de récompense. Encore une fois, ce fut fugace, mais Bernard avait été heureux quelques secondes.