La première semaine de campagne se déroula normalement. Murainan'Ta fit quelques visites dans diverses villes de la planète mais rien de notable n'arriva. Arnold Tuchmeier quant à lui, avait déjà prononcé un discours au succès mitigé, axé bien évidemment sur la séparation des humains et des gliesiens, sans oublier son envie d'une colonisation complète de la planète.

Le premier discours de Murainan'Ta allait enfin avoir lieu. Il avait choisi symboliquement le lieu d'atterrissage du premier vaisseau humain pour dresser la scène. Bernard l'accompagnait bien évidemment mais restait le plus possible en retrait. Il n'avait aucune envie d'être filmé et retransmis sur toute la planète chaque fois qu'il pointait son nez dehors, même si il ne faisait que repousser l'inévitable : il serait forcément filmé pendant le discours. Cinq minutes avant, l'effervescence était à son comble. Chaque collaborateur présent semblait vouloir lui réajuster ses habits, lui adresser ses voeux de chance... Enfin, les projecteurs s'allumèrent. Des ventilateurs silencieux faisaient doucement flotter les drapeaux Gliesiens et terriens. Derrière le pupitre, le symbole du FISH, une poignée de main stylisée, projeté holographiquement, ajoutait une lueur turquoise à la scène. Murainan'Ta finit par monter, acclamé immédiatement par la foule. Après quelques instants de flottement à attendre que les clameurs retombent, il prit la parole.

«Habitants de cette planète, que vous l'appelliez Gliese ou Wasserland, que vous soyez Gliesien, Humain ou d'une minorité xénomorphique, que vous soyez pour moi, pour mon adversaire ou encore indécis, je vous le dit haut et fort : vous êtes autant légitime que n'importe qui à vouloir habiter ici.»

«En même temps ça va être dur de crier «barrez vous les connards» à son premier discours», se dit Bernard.

«Mais l'union est une force ! La division n'entraînera que de mauvaises choses. Ségrégation, haine... que des mots que l'on rejette ici bas. C'est pourtant ce que certains semblent défendre. Je comprends tout à fait que certains aient peur en ce moment, à cause de la hausse des agressions xénophobes des deux côtés. Mais est-ce une raison pour jeter l'opprobre sur tout une espèce ?»

«Bah concrètement oui. De là à dire que c'en est une bonne... oh et puis je m'en fiche.»

«Si dans quelques semaines, c'est l'union qui est choisie, alors cela prouvera que notre peuple, et j'entend par cela toute personne qui se sent habitant de cette planète, est un peuple fort, qui sait surmonter les différents.»

Murainan'Ta continua son discours pendant une heure, s'autorisant des improvisations, des envolées lyriques pour enfin terminer sous les applaudissements nourris de la foule, scandant son nom pendant de longues minutes après sa sortie de scène.

«alors ?» demanda-t-il « C'était comment ?

-Vraiment exceptionnel ! dit une collaboratrice

- Incroyablement émouvant ! dit un collaborateur

- Vous êtes le meilleur ! finit un troisième.

Après que tout le monde aie bien fayoté, Murainan'Ta se tourna vers Bernard. 

«Alors ? Qu'en avez vous pensé ?

- J'ai pas tout suivi. J'ai pas tout compris. Mais ça devait être drôlement bien vu les applaudissements.»

La dizaine de personne présente se tu et le regarda. Il se figea, interloqué et dit :

«Osez dire que vous avez tout compris. Sérieusement. Moi j'ai pas du comprendre la moitié des notions économiques ! Imaginez un peu ce que ça donne sur des personnes qui ne travaillent même pas dans le secteur commercial de leur entreprise. Il faut simplifier tout ça !»

Murainan'Ta reprit enfin la parole :

«Eh bien... Merci pour ces... conseils... avisés...Vous préconisez de ne pas parler d'économie ?

- Si, mais simplifiez, synthétisez. Ne rendez pas ça barbant. Les gens auront tout le temps de s'informer plus tard sur votre programme. Pour être tout à fait honnête, j'ai failli m'en aller avant de me rappeler que je faisais partie de l'équipe»

À la fin de sa phrase, un grand silence tomba sur l'auditoire. On aurait pu penser qu'il avait dit une bêtise, pourtant il avait été honnête, où était le problème ?