Chapitre 6

Code d'honneur du chevalier :

4. Il ne se bat pas par la pointe de l'épée mais par la force de son esprit chevaleresque.

oOo

J'ai été odieuse avec lui... Voilà ce qu'écrivit Zelda dans son journal une fois sa colère dissipée. Elle s'était bien trop emportée contre le prodige et avait versé sur lui toute sa frustration due à sa condition actuelle. Mais au moins, la princesse avait été franche. Et sans qu'elle ne sache comment, Impa vint la trouver pour lui parler de sa dernière entrevue avec son père.

- Vous allez trop loin, déclara la Sheikah avec fermeté. Vous savez à quel point il est dangereux pour vous de sortir sans escorte par les temps qui courent.

Assise à son bureau dans son étude, Zelda détourna le regard, presque honteuse. Elle le savait bien... Tout ce que la jeune fille désirait était d'être escortée par des personnes différentes.

- Vous devriez lui demander pardon, lui suggéra Impa en fixant une tour à travers la fenêtre.

- Après tout ce que je lui ai dit, je pense qu'il ne veut plus me voir.

Sa nourrice croisa les bras, mécontente.

- Pensez-vous que c'est une raison valable pour ne rien faire ? Il y a bien des façons de s'excuser, répliqua-t-elle en cherchant le regard de la princesse. Une lettre de votre part pourrait très bien faire l'affaire. Songez-y.

Impa la salua puis quitta l'étude dans l'espoir que Zelda réfléchisse à cette dernière discussion. Mais la blonde décida de reporter cela car elle avait déjà bien trop à faire. Elle devait se rendre à la source du Courage une fois de plus puis au désert gerudo pour effectuer des recherches sur la source d'énergie de Vah'Naboris. La princesse réunit donc une escorte pour la conduire jusqu'au lieu de prière, puis elle entama ce nouveau voyage. En quittant les murs du château, elle avait vu Link qui l'observait s'éloigner. Le message n'en avait été que plus clair pour lui. Il ne la suivait plus.

Link savait qu'il ne reverrait pas la prêtresse royale avant une bonne semaine car elle partirait directement pour la Cité Gerudo après la source du Courage. Puisqu'il bénéficiait de quelques jours libres, le prodige rendit visite à son amie d'enfance Mipha, au plus grand bonheur de cette dernière. Elle le trouva pourtant plus fermé que lors de la cérémonie d'intronisation. Il fut évident pour la Zora que Link venait de vivre des épreuves difficiles, mais elle ne sut lesquelles. Et quand elle apprit à son ami la présence d'un lynel sur le mont de la foudre, ce dernier n'hésita pas une seconde pour l'éliminer avec une aisance déconcertante. Au moins, les habitants du domaine ne seraient plus effrayés. De plus, Sidon, le jeune frère de la princesse, éprouva davantage d'admiration pour lui. Plus tard, il voulait l'égaler ! Dans quelques décennies, certainement...

Pourtant, Mipha finit par demander à Link de retrouver la princesse même si elle était déjà escortée. Sa place demeurait auprès d'elle, peu importe sa volonté. La Zora put constater la légère hésitation qu'il éprouva, mais le jeune homme finit par approuver et ne tarda pas à partir pour le désert gerudo. Cependant il appréhendait grandement les conséquences de sa désobéissance.

oOo

- C'est terrible, Urbosa... prononça Zelda d'une petite voix à côté d'une des pattes de la Créature Divine. Depuis quelques temps, il me suffit de voir la Lame Purificatrice pour... pour me dire que je ne suis toujours pas prête.

La princesse déglutit en baissant les yeux.

- Et cela depuis que mon père y a fait allusion. Il m'est arrivé de ne pas supporter de l'apercevoir.

- Vous ne devriez pas y prêter attention, Madame, essaya de la rassurer Urbosa en posant une main sur son épaule. Je crois profondément en votre pouvoir, il ne tardera pas à se manifester, j'en suis persuadée.

La Gerudo lui sourit chaleureusement mais Zelda ne sut faire de même. Elle n'avait que trop entendu ces mots... Son titre et son père ne cessaient de l'oppresser malgré ses vains efforts. Ses recherches ne semblaient pas avancer non plus. Au loin, à l'horizon, elle vit alors une tache bleue se former et se rapprocher peu à peu. Zelda plissa les yeux afin de mieux voir et elle finit par soupirer.

- Oh non... fit-elle en tournant le dos à Link.

Urbosa leva les yeux vers lui et fut, au contraire, soulagée de le voir car il avait plus d'étoffe que les quelques chevaliers venus avec la princesse. Justement, ceux-ci patientaient à l'ombre, non loin de là. Ils parlaient simplement entre eux, sans même surveiller les alentours. La suzeraine des Gerudos attendit que le prodige soit à leur hauteur pour s'adresser à lui :

- Bonjour, Link, le salua-t-elle avec joie. Je ne savais pas que tu devais nous rejoindre.

Zelda, sans le regarder, s'éloigna vers une autre patte et poursuivit ses études en oubliant sa présence. Son attitude déconcerta Urbosa qui remercia tout de même le jeune homme pour son déplacement. Il représentait un bon moyen de dissuasion pour les Yigas. La guerrière alla voir l'escorte et la renvoya d'elle-même auprès du roi hylien car leurs services n'étaient plus utiles. Elle revint ensuite vers Link.

- La princesse ne va pas tarder à aller analyser le sanctuaire près de notre cité, lui annonça Urbosa en jetant un coup d'œil à la jeune fille accroupie. Pour ma part, je vais rester ici pour piloter Vah'Naboris.

La Gerudo reporta son attention sur lui.

- Tu sauras me trouver en cas de problème.

Elle lui accorda un clin d'œil rassurant auquel Link répondit par un hochement de tête. En voilà un jeune voï, à cheval sur son devoir ! Ce n'était pas le cas de tous. Il lui paraissait simple et humble contrairement à certains chevaliers ou gardes royaux.

Une trentaine de minutes plus tard, Zelda et son chevalier servant partirent en direction de la cité, plongés dans un silence encore plus lourd que jamais. Pour elle, nul doute que Link lui en voulait terriblement pour ses mots crus. Et ce n'était pas le moment pour revenir dessus. Son embarras fut si vif qu'elle préféra mettre au point un stratagème pour se soustraire rapidement à sa présence. De son côté, Link avait attaché ses cheveux en un chignon pour lui procurer un peu de fraîcheur au milieu de ce sable brûlant. Il regrettait de ne pas avoir une tenue plus légère. Mais l'inconvénient serait un manque de protection suffisant.

Durant des heures, la princesse essaya d'activer le sanctuaire, sans réussite. Et lorsque la nuit tomba, elle décida de rentrer dans la cité. Bien entendu, Link ne put la suivre et cela donna quelques idées à la princesse. Enfin un lieu où elle était sûre qu'il ne pourrait pas la suivre ! Le prodige fut contraint de dormir aux portes de la ville, sous un abri et enroulé dans une couverture prêtée par Urbosa. Il dormait non loin des gardes gerudos et donc bénéficiait d'une certaine sécurité.

Mais le jour suivant, alors qu'ils se rendaient au bazar Assek, Zelda rebroussa chemin sans un mot et retourna vers la cité. Elle ne se priva pas pour rappeler à Link sa stricte interdiction d'entrer et la princesse s'évapora au sein de la ville gerudo. Mais le chevalier n'était pas naïf. Persuadé qu'elle faisait cela dans le but de l'éviter, il resta méfiant car des ennemis de la famille royale pouvait très bien se trouver au sein des murs. Link n'en doutait pas une seconde. Rapidement, il courut en direction de Vah'Naboris et monta à bord puisque la Créature Divine avait été immobilisée quelques instants avant son arrivée. Urbosa fut surprise de le voir si tôt dans son séjour.

- C'est... à propos de la princesse, dit soudainement Link en reprenant son souffle.

La Gerudo s'attendait si peu à ce qu'il parle qu'elle resta figée durant un long instant en se demandant si elle n'avait pas rêvé. Son questionnement s'évapora très vite puisqu'il reprit :

- Elle use des lois de votre peuple pour m'interdire de la rejoindre dans la cité. Mais elle ne peut pas rester sans surveillance.

Urbosa le comprenait bien, néanmoins les Gerudos étaient quand même des guerrières capables de défendre et d'attaquer avec talent.

- Tu soupçonnerais qu'il y aurait des espions dans ma propre cité ? lui demanda Urbosa en mettant les mains sur ses hanches.

Il opina pour le confirmer et Urbosa dut reconnaître que ce n'était pas improbable, hélas... Mais tout de même. Elle trouvait qu'il s'inquiétait un peu trop. En pensant cela, les yeux d'Urbosa s'agrandirent et un fin sourire se dessina sur son visage. L'inquiétude de ce voï la toucha, si bien qu'elle décida de déjouer les lois de son peuple.

- Je peux te permettre de la rejoindre, mais ce ne sera pas sans... un certain sacrifice de ta part, lui promit-elle en restant sérieuse malgré son idée amusante. Je crains que tu ne doives abandonner ta dignité de voï le temps de ton infiltration. Qu'en penses-tu ?

Link ne bougea pas. Cependant, l'apparition de rougeurs discrètes sur ses joues le trahit et dévoila sa gêne. Urbosa ne put s'empêcher de rire aux éclats en le voyant hésiter. Mais elle se calma quand il accepta, à sa grande surprise. La suzeraine aurait juré qu'il refuserait.

- Bien. Laisse-moi te trouver des vêtements adéquats et tu pourras faire ton travail, lui dit-elle en souriant. Je dois avouer que tu m'impressionnes, Héros.

L'embarras du jeune homme se manifesta d'autant plus quand il passa une main sur sa nuque. Si l'enjeu n'avait pas été de taille, jamais Link n'aurait donné son accord pour se déguiser en femme.

Une fois qu'Urbosa lui permit de se travestir, le chevalier put tromper les gardes et entrer dans la cité, caché sous son voile. L'épée de légende était restée auprès de la suzeraine pour ne pas le trahir ; il l'avait remplacée par un petit sabre gerudo que lui avait fourni Urbosa. Mais malgré ses recherches, Zelda resta introuvable, volatilisée. C'était fort inquiétant... Elle ne désirait vraiment pas de lui.

Link finit par retourner voir Urbosa pour lui rendre les habits et récupérer son équipement. Il n'avait plus qu'à patienter jusqu'au retour de la princesse. Urbosa lui suggéra de séjourner quelques temps au bazar Assek tout en lui promettant de l'avertir si Zelda revenait. Le jeune homme s'en alla alors silencieusement, le visage fermé. La prodige ne put s'empêcher de penser qu'il cachait incroyablement bien ses sentiments, et que c'était sans doute cela qui lui faisait défaut auprès de la princesse. Certainement qu'au fond, ils partageaient quelques points en commun, tous les deux...

Comme prévu, Link se rendit au bazar et s'installa contre le tronc d'un palmier, à l'ombre. De là, il pouvait observer les quelques voyageurs appartenant à différents peuples qui venaient pour acheter des produits locaux ou vendre leurs marchandises. Finalement, c'était un lieu plutôt animé. L'Hylien soupira puis ferma les yeux avant de s'assoupir quelques minutes. Après son long périple depuis le Domaine Zora, il avait bien besoin d'un peu de repos. Pourtant, Link se sentit désagréablement observé, ce qui lui fit rouvrir les yeux. En effet, à une douzaine de mètres de là, un homme le fixait avec attention. Le chevalier fronça les sourcils sans hésiter à le dévisager, mais l'inconnu tourna finalement les talons et emprunta le chemin menant vers le canyon. Link trouva cela vraiment étrange. Mais puisque l'homme s'en allait, cela n'éveilla pas plus ses doutes.

En début de soirée, l'une des gérantes du bazar, une Gerudo à la peau mate, vint le trouver pour lui remettre un courrier arrivé par pigeon voyageur. Urbosa annonçait le retour de la princesse dans la cité mais au vu de son humeur, il valait mieux pour lui de ne pas venir... Zelda serait partie pour un site de recherches mais elle n'avait obtenu aucun résultat concluant. Urbosa l'avertirait quand il pourrait venir la voir. Link replia la lettre puis la rangea dans sa petite sacoche avant de réserver un lit pour la nuit. Au moins, il n'aurait pas à dormir dehors.

oOo

- C'est inquiétant. Une de nos sœurs a vu un Yiga rôder autour de la cité, hier... dit la gérante du bazar à l'adresse d'une amie adossée au comptoir. Jamais encore l'un d'eux n'avait osé s'approcher autant.

Link, qui était en train de déguster son repas de midi non loin de là, tendit l'oreille en feignant de ne pas les écouter. Le moindre mouvement chez les Yigas restait douteux.

- Tu penses qu'ils en veulent à notre trésor ancestral ? demanda la deuxième Gerudo visiblement soucieuse. Ce ne serait pas la première fois.

La gérante croisa les bras.

- Qu'ils essaient ! À leur place, je préfèrerais ne pas terminer en charpie chez mon ennemi.

Le chevalier repensa à l'homme de la veille. Simple voyageur ? Cette pensée le titillait.

- Quoi qu'il en soit, la dernière fois qu'ils ont tenté de s'en prendre à la grande Urbosa, ils ont bien failli y laisser leur vie, se rappela la gérante en s'accoudant au comptoir. J'espère que ça leur a servi de leçon.

Link avait donc toutes les raisons de rester sur ses gardes. Ennemis directs de la famille royale, ces assassins sans scrupules n'étaient tout de même pas à prendre à la légère. S'ils parvenaient à leurs fins, les conséquences pourraient être désastreuses... Impa lui avait déjà expliqué tout ce qu'il devait savoir à leur sujet. Le prodige termina son repas puis sortit afin de s'exercer à l'épée. Il prenait chaque entraînement avec grand sérieux. Surtout, Link apprenait à maîtriser le pouvoir de la Lame Purificatrice.

Le soir venu, Urbosa fit appel à Link et le pria de la rejoindre sur Vah'Naboris. L'Hylien se rendit le plus vite possible sur la Créature Divine en espérant que tout aille bien. Une fois à l'intérieur, il chercha la suzeraine dans toutes les salles puis il finit par sortir pour vérifier qu'elle n'était pas dehors. Effectivement, Urbosa se trouvait au-dessus de l'une des pattes de l'immense chameau, accompagnée de la princesse. En la voyant, Link ralentit son allure et se fit plus discret en comprenant que Zelda dormait. Mais il n'échappa pas à l'ouïe affinée de la suzeraine.

- Te voilà déjà ? s'étonna-t-elle en tournant la tête vers lui. Merci d'être venu si rapidement.

Urbosa lui accorda un sourire.

- Tu n'es pas son chevalier servant pour rien.

En signe de peine, Link haussa légèrement les sourcils et se fit violence pour ne pas regarder sur le côté. La Gerudo ne manqua pas de le remarquer, son air sérieux revint.

- Ta relation avec la princesse n'a pas l'air de s'améliorer, on dirait... dit-elle doucement. J'en suis désolée. Elle t'a rejeté, n'est-ce pas ?

Link baissa la tête et opina.

- Oui... murmura-t-il difficilement.

Le prodige gerudo le dévisagea avec tristesse puis reporta son attention sur la jeune fille. Peut-être qu'en lui parlant un peu d'elle, il comprendrait ? Urbosa apprit au chevalier que Zelda avait travaillé sur les reliques du matin jusqu'au soir, presque sans pause. D'où le fait qu'elle soit si exténuée à l'heure qu'il était.

- Tu sais, malgré les apparences, la princesse a un grand cœur, ajouta Urbosa en replaçant une mèche de cheveux à sa jeune amie. Elle ne souhaite que le bonheur et la survie de son royaume. Depuis son plus jeune âge, je la vois se battre pour accomplir son destin, en vain... À force d'efforts non récompensés, elle a peu à peu commencé à perdre son estime et sa confiance en elle.

Link, derrière les deux femmes, regarda la prêtresse royale avec empathie. La suzeraine ne faisait que confirmer ce qu'il soupçonnait.

- La princesse, lors de ses sessions de prière aux différentes sources, est obligée de se plonger dans l'eau glacée durant des heures, poursuivit Urbosa qui fixait l'horizon. Combien de fois en est-elle ressortie pâle et les lèvres violettes ? Ma chère amie a toujours prié avec ferveur. Sa détermination se ressent aussi lors de ses recherches.

La rousse hocha la tête.

- Elle est très investie. Mais... Quand elle te voit, maître de la Lame Purificatrice et voï prodigieux dans l'art du combat, la princesse ne peut s'empêcher de se comparer à toi.

Les épaules du jeune homme s'affaissèrent. Il n'y avait jamais songé.

- Toi, tu es prêt à te battre. Mais elle... Sans son pouvoir éveillé, elle ne peut rien faire. Les recherches sont devenues sa dernière solution pour venir en aide à son peuple.

Link détourna la tête, affecté par ses paroles, et ses poings se serrèrent faiblement. Tout ce travail de la part de Zelda, personne ne le remarquait. Pas même le roi... Au final, même lui, son propre chevalier servant, n'avait perçu qu'une infime partie de ce qu'elle faisait vraiment. Urbosa constata le trouble du jeune homme et s'empressa de le rassurer.

- Bien sûr, ce n'est pas de ta faute. Ne te méprends pas.

La guerrière regarda Zelda avec une tendresse presque maternelle.

- Derrière son titre de princesse se cache une jeune fille pleine de qualités, en quête d'elle-même, lui affirma Urbosa en caressant la joue de sa protégée. Même si les temps sont durs entre vous deux, ne perds pas espoir et continue de la protéger.

Elle se tourna vers Link et lui sourit avec chaleur, ce qui sut alléger le cœur du jeune homme.

- Pour le moment, la princesse ne sait pas à quel point elle a de la chance de t'avoir à ses côtés. Elle mérite que tu sois son chevalier servant.

Ses mots surent gonfler le cœur du jeune capitaine d'un espoir naissant, mais aussi d'une certaine fierté. Link savait qu'un grand nombre de chevaliers auraient aimé être à sa place, pour la gloire et l'honneur. Mais ce n'était pas son cas. Le regard qu'il portait maintenant sur Zelda avait changé puisqu'il commençait à éprouver de l'admiration pour cette jeune fille qui multipliait ses efforts afin de venir en aide à son royaume. Tous deux avaient le même objectif. Mais les efforts de Link, eux, avaient fini par payer, contrairement à ceux de la princesse.

- Je t'ai demandé de venir pour que tu ne lui en veuilles pas trop, lui avoua la rousse avec sérénité. Seul un cercle restreint de personnes la comprend.

Urbosa tourna de nouveau la tête vers le blond et lui offrit un sourire dorénavant encourageant.

- Alors ce ne serait pas une mauvaise idée que tu en fasses partie, toi aussi.

Link fixa la Gerudo un long instant, pensif, puis finit par acquiescer pour donner son approbation. Urbosa le remercia sincèrement et le laissa repartir en silence. Elle resta toute la nuit aux côtés de sa tendre amie et veilla sur son sommeil, comme le ferait une mère envers sa fille.

oOo

Deux jours plus tard, la veille de son départ, Zelda avait usé d'un nouveau stratagème pour se libérer de Link. Elle avait feint une nouvelle fois de rentrer dans la Cité Gerudo, mais la princesse était rapidement ressortie par la porte est. Elle réussit à contourner le capitaine de la garde et partit pour un site de recherches : les sept héroïnes. Au moins, elle ne ressentait plus de l'irritation, ses conditions de travail seraient donc meilleures.

Les pas de l'Hylienne s'enfonçaient dans le sable malgré le chemin tracé par les centaines de voyageurs au fil du temps. Au milieu de cette immensité qui s'offrait à elle, Zelda appréciait la liberté et le calme de cet environnement. D'une certaine manière, rien ne lui rappelait sa condition de princesse. Elle était comme une jeune fille ordinaire, sans impératifs. Bien sûr, ce moment de tranquillité s'arrêterait dès que Zelda reprendrait ses recherches. Rien qu'à cette pensée, cela lui arracha un soupir. Combien de temps encore lui restait-il avant le retour du Fléau ? La prêtresse royale craignait le pire... Qu'elle ne soit pas prête.

Zelda avait dépassé le bazar Assek depuis longtemps déjà et se dirigeait maintenant vers l'est, en dehors du sentier. Il commençait à faire chaud, la chaleur étouffante se fit davantage ressentir. La princesse décida de retirer son vêtement bleu pour ne rester qu'en chemisier et bustier. Loin devant elle se dessinait déjà les immenses statues des héroïnes. Peut-être y trouverait-elle des indices supplémentaires sur les anciens combats contre Ganon ? Des indications qui pourraient la guider.

La blonde entendit comme un froissement à côté d'elle et qui l'intrigua aussitôt. Sa tête se tourna vers la source du bruit et elle découvrit trois cercles orangés se tracer sous ses yeux. Ses pupilles se rétractèrent et la peur lui paralysa les jambes. Trois Yigas apparurent devant elle, tenant fermement leur serpe coupe-gorge.

- Terrible erreur de votre part, Princesse, se moqua l'un d'eux en s'approchant.

Les lèvres de la jeune fille frémirent et, instinctivement, elle se précipita en direction du canyon où se trouvait le relais le plus proche. Son rythme cardiaque avait littéralement explosé dans sa poitrine, tous ses sens étaient en alerte.

- Ne tentez pas de nous échapper ! lui cria un des assassins tandis qu'ils se lançaient à sa poursuite.

La panique qui s'emparait de Zelda était telle qu'elle ne prêtait plus attention à ce qui l'entourait. Elle courait si vite, fournissait tant d'efforts que son souffle ne tarda pas à siffler à chaque inspiration. La flèche qui la frôla lui arracha un cri et la fit changer de direction. Mais déjà un cercle réapparut au-dessus d'elle et un Yiga tomba lourdement sur son chemin pour la bloquer. La princesse hoqueta d'effroi et fit aussitôt demi-tour alors que les larmes lui montaient aux yeux. Une corde vint soudainement s'enrouler autour de ses jambes et la fit basculer dans le sable, laissant échapper une triste plainte de sa part. Dans la panique, Zelda rabattit ses jambes vers elle, le souffle saccadé, et tenta désespérément de retirer ces liens mortels qui la tenaient prisonnière. 

Une ombre se dressa sous ses yeux et son sang se glaça quand elle vit la silhouette de la serpe s'élever. Zelda se tourna pour voir le Yiga qui la tenait à sa merci, son visage pâlit brusquement. Elle pensa alors à sa chère mère et la force parut la quitter. Inexorablement, elle ferma les yeux et détourna la tête pour ne pas voir en face la satisfaction de ce traître, cet assassin... Les trois hommes l'entouraient.

Il y eut alors une exclamation et deux lames de fer s'entrechoquèrent avec violence, suivies d'un cri de rage de la part du Yiga. Zelda rouvrit les yeux et vit l'élu de la Lame Purificatrice asséner un coup de bouclier dans la tête de son ennemi, ce qui l'assomma sur-le-champ. Stupéfaite, les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent et un étrange frisson la parcourut quand elle vit Link jeter un regard glacial aux deux autres assassins. Il se plaça entre eux et la princesse et les dévisagea durement. Il s'en doutait. Leur clan préparait un mauvais coup depuis qu'ils étaient ici. Les Yigas eurent un mouvement de recul mais l'un d'eux fit tourner son arme dans ses mains et se précipita vers Link. Les deux élus réunis ! Ils pourraient les tuer et faire d'une pierre deux coups.

Le prodige s'élança à son tour pour ne pas que Zelda soit blessée par inadvertance. Son bouclier para le premier coup avec force et déséquilibra son ennemi. Cependant, le deuxième Yiga apparut au-dessus de sa tête et lui tomba dessus, prêt à lui trancher la gorge. Link esquiva en bondissant sur le côté et contre-attaqua en lui assénant un coup en revers. Il se demanda s'il devait ôter la vie à ces hommes, mais devant la princesse... Le Yiga sauta en arrière tandis que son acolyte prenait le relais en se jetant sur le jeune homme. Il l'attaqua à maintes reprises sans ménager ses efforts. Tout se passa si vite... Zelda plaqua une main sur sa bouche pour étouffer un gémissement de peur. Mais quand elle vit le Yiga en retrait attaquer lâchement par derrière, elle manqua de crier pour avertir Link.

Ce dernier eut à peine le temps de sauter sur le côté pour l'éviter. Mais la serpe lui érafla la joue et le fit grimacer. Sa concentration au maximum, Link empoigna fermement son épée et fit une attaque circulaire en frappant les Yigas du plat de la lame. Il y mit tant de force que leur respiration se bloqua et il les propulsa puissamment en arrière. Aussitôt, l'un d'eux disparut, à bout de force, tandis que l'autre se remit debout, le souffle court.

- Ne... Ne pense pas que ce soit fini, Héros... l'avertit l'homme en reculant d'un pas. Nous avons déjà infiltré votre satané château, vous n'êtes nulle part à l'abri...

Il ricana et Link fronça les sourcils en se remettant en position de combat.

- Nous frapperons plus fort la prochaine fois. Soyez-en sûrs !

L'assassin bondit vers son camarade assommé et disparut avec lui dans la seconde. Le chevalier surveilla un long instant les alentours pour vérifier qu'ils étaient bien partis puis il rengaina son épée et rangea son bouclier avant de se diriger vers la princesse. Elle le regardait d'une étrange façon. Même s'il ne décela pas de la réticence ou de l'agacement à son égard, Link ne put dire ce qu'il y voyait. Il s'accroupit devant elle et défit les liens autour de ses jambes. En vérité, le jeune homme l'avait très bien vue le contourner en quittant la cité et il l'avait suivie à cause de ses nombreuses suspicions.

- Vous n'êtes pas blessée ? lui demanda-t-il sans oser la regarder.

Le souffle de Zelda se bloqua et elle se sentit encore plus perdue. Elle venait de frôler la mort mais ce garçon qu'elle rejetait depuis longtemps lui était quand même venu en aide. Et il lui adressait la parole pour la première fois. Link lui avait parlé d'une voix douce, sans mépris ou dégoût comme elle se l'était imaginé.

- Ils... Ils n'en ont pas eu le temps, répondit-elle en l'observant.

Link, ayant fini d'enlever la corde, leva les yeux vers elle et les ancra dans les siens. Zelda eut un pincement au cœur. Après tout ce qu'elle lui avait fait, comment pouvait-il la regarder avec tant d'empathie ? Tous deux étaient troublés pour des raisons différentes. Bien qu'ils aient eu peur des conséquences de cette attaque, l'un s'étonnait de l'absence de froideur, et l'autre ne comprenait pas cette volonté de vouloir la protéger. Link finit par se relever et offrit courtoisement sa main pour que l'Hylienne puisse y prendre appui. Zelda fut, dans un premier temps, hésitante mais finit par poser sa main au creux de la sienne. Cela créa comme une faible décharge électrique qui les prit de court mais à laquelle ils ne laissèrent rien paraître.

Zelda se releva, encore chamboulée par tous les événements, et prit une certaine distance avec le jeune homme, par pudeur. Elle se tint le bras et se mit en marche pour la cité, plongée dans un lourd silence. La blonde ne savait quoi dire car trop perturbée. Elle n'avait plus aucune envie de faire des recherches pour le restant de la journée. Ses mains tremblaient en tenant son vêtement bleu. Impa avait raison. Quelle inconscience de sa part d'avoir voulu écarter l'une des seules personnes capables de la protéger...

Arrivée devant les portes de la cité, la princesse se retourna pour remercier Link mais celui-ci s'éloignait déjà pour s'asseoir sous l'abri qui lui était réservé, habitué à s'y rendre dès que Zelda entrait dans la ville des femmes. Cette dernière éprouva de la honte vis-à-vis d'elle-même et n'eut pas la force de le rejoindre. Elle alla voir Urbosa dans son palais pour lui raconter sa mésaventure et son choc qui en avait découlé.

- Mais je... je ne pensais pas que l'élu de l'épée me viendrait en aide... souffla la jeune fille en baissant la tête. J'ai été si odieuse avec lui ces derniers temps... Je pensais qu'il avait fini par me détester.

- Allons, Madame. Vous vous étiez trompée à son sujet. L'essentiel est que vous ayez compris, n'est-ce pas ? la rassura la suzeraine en souriant doucement.

Zelda opina.

- Link n'aurait jamais failli à sa mission. La Lame Purificatrice ne l'a pas choisi pour rien.

La blonde leva la tête, un peu étonnée qu'elle lui dise ça, et lui jeta un regard interrogateur.

- L'épée de légende ne choisit-elle pas automatiquement la réincarnation du Héros pour ses talents d'épéiste ?

Urbosa s'accouda à son trône en fixant tendrement sa jeune amie.

- Un homme pourrait être le meilleur épéiste du monde. Mais s'il n'a pas un cœur pur, s'il a la volonté de dominer ou de tuer, il ne sera jamais élu par l'épée, lui rappela la Gerudo en guettant sa réaction. Vous ne pensez pas ?

Zelda reconnut qu'elle avait raison et ne tarda pas à se réfugier dans la chambre qui lui avait été prêtée. Ainsi, elle put méditer sur ces paroles toute la journée. À chaque fois qu'elle se souvenait de ses durs mots à l'encontre de Link, sa honte s'accroissait et la rongeait de remords. Pendant tout ce temps, il n'avait fait que son devoir de chevalier servant et de prodige. Link n'avait rien demandé de tout cela. Comme elle, finalement... Tous deux traînaient les chaînes d'un même destin auquel ils ne pouvaient échapper. Et bientôt, l'envie de s'excuser devint beaucoup plus préoccupante. Si bien que le soir, alors qu'elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, Zelda quitta sa couche et vérifia qu'il n'y avait personne dans les environs. La fête qui avait lieu dans l'unique bar de la ville l'empêchait aussi de dormir. Discrètement, elle se faufila le long du mur et parvint à l'entrée sud de la ville. La température avait fortement baissé et de la vapeur s'échappait de sa bouche à chaque expiration. La princesse dut ensuite promettre à la gardienne de nuit qu'elle n'allait pas s'éloigner de la cité et qu'elle appellerait à l'aide si cela s'avérait nécessaire.

Zelda put enfin sortir de la ville après quelques négociations. Doucement, elle longea les murs, son cœur s'emballait au fur et à mesure à cause de l'anxiété. Elle ne savait pas comment s'y prendre... Au bout d'une quinzaine de mètres, l'Hylienne trouva enfin l'abri qu'elle recherchait. Son allure diminua et ses inspirations se firent plus espacées. Devant la princesse se dessina une silhouette allongée, dos à elle.

- Link ? l'appela-t-elle avec beaucoup d'hésitation.

Cela lui parut si inhabituel de s'adresser à lui. Seul le silence lui répondit et Zelda comprit qu'il s'était endormi. Elle éprouva de la peine en le voyant dans de telles conditions précaires, mais la loi des Gerudos ne ferait jamais d'exception. Alors qu'elle s'apprêtait à tourner les talons, la princesse entendit un tissu se froisser et du sable se mouvoir. Aussitôt, elle refit face à Link qui la regardait de trois quarts.

- Je suis désolée si je t'ai réveillé... s'excusa-t-elle en se frottant l'avant-bras, mal à l'aise.

Le jeune homme se releva pour s'asseoir et cacha un bâillement par politesse. Link se demandait bien ce que voulait la future souveraine surtout que ce n'était pas dans ses habitudes de s'adresser à lui, à une heure aussi tardive qui plus est.

- Je voulais te remercier pour ce que tu as fait tout à l'heure, avoua enfin Zelda en le regardant malgré l'obscurité. Je te dois la vie.

Link accepta ses remerciements d'un calme hochement de tête. Même si ce n'était pas la première fois qu'elle faisait cela, il lui sembla que la princesse ne s'en sentait pas obligée ce soir-là. Il percevait la sincérité dans sa voix.

- Il y a une autre raison qui explique
ma venue, ce soir.

Cette annonce le surprit d'autant plus, notamment quand Link vit la jeune fille embarrassée et honteuse. Zelda se touchait les mains avec nervosité en regardant sur le côté.

- Je voulais m'excuser pour le comportement inacceptable que j'ai eu envers toi. J'ai été détestable et désagréable... souffla-t-elle en baissant la tête. Depuis que tu es à mes côtés, je n'ai pensé qu'à ma propre personne sans même me soucier de ce que tu pouvais ressentir. Maintenant, je le comprends bien... Tous ces efforts que tu faisais pour mener à bien ton rôle...

Elle marqua une courte pause avant de rependre :

- Je ne mérite pas d'avoir un chevalier servant tel que toi. Je suis terriblement confuse ; je t'ai rejeté maintes fois et pourtant, tu es quand même venu à mon secours...

Zelda cessa de parler sans oser le regarder. Après toutes ces semaines, l'élu de l'épée la détestait sans doute... Elle l'avait rejeté tant de fois qu'il n'y avait que cette explication. De son côté, le cœur de Link s'allégea et un poids quitta ses épaules. Sa bouche s'était entrouverte en l'écoutant parler. Au fond de lui, Link était particulièrement touché par ses excuses et la reconnaissance dont elle lui faisait preuve.

- Voulez-vous vous asseoir ? lui proposa-t-il en désignant la place à ses côtés, sous l'abri.

Les yeux de la blonde s'écarquillèrent suite à cette question inattendue. Pour la deuxième fois, Link s'adressait directement à elle. D'une voix neutre qui ne témoignait d'aucune colère ou rancœur. Et bien qu'elle fût déroutée par sa proposition, Zelda accepta avec soulagement. Le jeune homme aurait très bien pu rejeter ses excuses mais il n'en était rien. Impa avait raison à l'époque : le porteur de la Lame Purificatrice était doté d'une grande gentillesse et bonté.

Zelda prit place à ses côtés, suivie par le regard du chevalier. Tous deux restèrent ainsi sans décrocher le moindre mot, à regarder l'horizon et la couleur bleu marine du ciel. La princesse fut alors prise de discrets tremblements à cause de la baisse de température. Elle devait songer à rentrer.

- Prenez ceci, Votre Altesse.

La jeune fille tourna la tête vers Link et le vit lui tendre la couverture prêtée par Urbosa. Son geste la flatta et elle l'accepta avec joie en restant toutefois soucieuse.

- Et toi ? Tu risques d'avoir froid.

Il secoua négativement la tête.

- Je récupèrerai la couverture quand vous retournerez dans la cité, la rassura-t-il en la lui passant autour des épaules. Ne vous souciez pas de moi.

- Merci...

Zelda lui accorda un sourire qui sut au moins lui réchauffer le cœur. La princesse eut moins froid. Elle observa silencieusement les monts perdus à l'horizon.

- Merci d'être venue me voir ce soir, lui dit soudainement Link.

La blonde vint ancrer son regard dans le sien, elle cessait de respirer durant quelques instants. Voilà une autre réalité qui la rattrapait : lui aussi, il était seul. Comme elle. Le devoir les enfermait dans une sphère que personne ne pouvait franchir.

- En vérité, je n'aurais jamais pu dormir sans t'avoir présenté mes excuses, avoua-t-elle en souriant discrètement.

Cela se sentit dans sa voix et Link accueillit ce sourire avec sérénité. Cependant la princesse fronça bien vite les sourcils et se pencha légèrement vers lui en fixant sa joue.

- Par Hylia, tu as été blessé !

Le blond posa une main sur l'égratignure présente sur sa joue et dorénavant couverte de sang séché. Il avait totalement oublié... Quant à Zelda, les événements ont fait que cela lui était passé au-dessus de la tête... Link détourna le visage pour ne plus qu'elle ait à voir sa fine blessure due à la serpe d'un des Yigas. Rien de bien grave et d'alarmant. Zelda comprit qu'elle ne devait pas insister plus longtemps et il fut l'heure pour elle de revenir dans sa chambre afin de se reposer. De plus, le capitaine de la garde royale commençait lui aussi à avoir froid... Zelda lui remit donc la couverture en le remerciant une nouvelle fois pour son aide puis elle courut vers l'entrée où la gardienne l'attendait de pied ferme.

Link la suivit du regard jusqu'à ce qu'il ne puisse plus la voir et il s'enroula de nouveau dans le gros morceau tissu avant de se rallonger. Au moins, le jeune homme put se rendormir, bercé par l'odeur réconfortante qui n'était autre que celle de la damoiselle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top