Chapitre 20

Code d'honneur du chevalier :

18. Il défend au quotidien et en toute situation les valeurs de la Chevalerie.

oOo


Ce sentiment d'insécurité, Link le connaissait parfaitement. Il savait très bien ce qui l'attendait sur ce champ de bataille. Car il n'était pas rare qu'il en fasse des cauchemars certaines nuits. Tous ces cris d'agonie, l'odeur du sang et de la mort resteraient gravés dans sa mémoire toute sa vie. Mais telle était la voie qu'il avait choisie dès son enfance.

Dans la salle d'armes, Link attrapa un arc de garde royal et un carquois. Dans son dos, un mécanisme ingénieux permettait à l'arme d'être aimantée et de pouvoir être attrapée avec plus de facilité. Il avait correctement serré les sangles de son armure et s'était assuré qu'il n'avait rien oublié. Ses semblables se hâtaient autour de lui pour finir de se préparer. La tension dans la pièce était palpable, personne ne parlait, seuls les cliquetis des armures et de l'équipement résonnaient entre les murs. Cette bataille serait sans doute la plus rude et la plus meurtrière depuis que Link était sous les ordres du roi. Tous les peuples avaient mis à disposition des combattants, tous les prodiges participeraient à l'assaut. Face à eux, il y aurait des moblins, bokoblins, lézalfos... mais aussi des lynels, ces derniers étant redoutables et presque invincibles pour la majorité des guerriers. Le conseil de guerre avait donc mis au point une stratégie pour limiter les pertes. Les troupes d'Akkala apporteraient une batterie réunissant une vingtaine de canons. Mais leur transport nécessiterait un jour entier... Le véritable combat n'aurait lieu que le lendemain. Les guerriers devraient donc monter un camp pour passer la nuit. La question restait de savoir si leurs ennemis étaient capables de les attaquer lâchement à la tombée du jour.

Link ferma un court instant les yeux pour se concentrer sur son unique objectif. Son rythme cardiaque était plus rapide, tout comme sa respiration. Son père et ses amis avaient eux aussi été mobilisés. Le jeune homme se battrait pour la première fois avec Karl. Ou du moins, sur le même champ de bataille. Il attrapa son casque, le cala sous son bras puis partit en direction des écuries pour chercher Ciaran, son brave compagnon. Dans le château, de nombreux chevaliers et soldats couraient de droite à gauche avec une précipitation manifestant aisément leur pression. L'heure du départ approchait à grands pas. Une fois dans l'écurie, Link tira son cheval hors de son box puis le conduisit calmement jusqu'en bas de la forteresse où se réunissaient plusieurs régiments, dont le sien. Un officier de son grade s'approcha de lui.

- Nous seront prêts à partir d'ici dix minutes, lui annonça-t-il simplement.

Link hocha la tête, mit son casque, posa un pied dans son étrier et se hissa sur le dos de son cheval. Le jeune homme pensa qu'il n'avait pas eu le temps de saluer Zelda, il regrettait de ne pas voir son amie avant de partir. Autour de lui, les proches des autres gardes royaux venaient les voir et leur souhaitaient bien du courage. Link ne pourrait rejoindre son père qu'une fois la forteresse quittée.

Les troupes de soldats et de chevaliers s'assemblaient dans une effervescence bourdonnante et impressionnante. Chacun fignolait ses derniers préparatifs, réajustait son équipement ou calmait son cheval, s'il avait la chance d'en avoir un. Aux portes de la ville, des guerrières gerudos et des soldats zoras les attendaient, eux aussi prêts pour la bataille. Quant à la princesse Hylienne, elle circulait entre les centaines d'hommes, les dévisageait mais finissait toujours par soupirer et reprendre son chemin. Elle savait qu'une partie d'entre eux ne reviendrait pas et ne reverrait plus la citadelle. C'était toujours ainsi, hélas... Parmi les gardes royaux, Zelda trouva enfin son chevalier servant et une expression inquiète s'installa sur son visage. D'un pas vif, elle se dirigea vers lui.

Link portait donc son armure de chevalier, surmontée d'un habit témoignant de son appartenance à la garde royale. Sa tunique de prodige était restée dans son armoire pour ne pas s'abîmer. Son cheval faisait quelques pas sur place comme s'il montrait de l'impatience. Ou peut-être de l'anxiété ? Zelda arriva à sa hauteur, les mains jointes, et tous deux s'échangèrent un long regard, plongés dans le silence malgré les éclats de voix des hommes autour. Quel moment si singulier... Même si Link était l'élu de la Lame Purificatrice et qu'il était Prodige, il n'en restait pas moins un homme vulnérable. Le tir d'une arbalète pouvait lui prendre la vie en une fraction de seconde. La moindre inattention, si humaine soit-elle, pouvait très bien être lourde de conséquences. Link n'était pas à l'abri de tout cela.

- Il est bientôt l'heure, commença Zelda qui cachait difficilement son état soucieux. D'après nos éclaireurs, les monstres seraient presque deux fois plus nombreux que la dernière fois... Des lynels blancs auraient même été vus.

Zelda baissa la tête. Ces créatures tout droit sorties de l'enfer étaient les plus dévastatrices. Très peu d'hommes seraient en mesure de les affronter.

- Je vais prier toute la journée en espérant que tout se passe pour le mieux, déclara-t-elle avec détermination.

L'Hylienne vint inconsciemment caresser l'encolure du cheval. Sa poitrine sembla se compresser à cause du stress, son cœur accéléra légèrement. Zelda leva les yeux et vint les ancrer dans ceux du jeune homme. N'importe qui aurait pu lire de l'impassibilité sur son visage. Mais la princesse y voyait du calme et un regard bienveillant à son égard, ce qui sut l'encourager à poursuivre.

- Je souhaite te voir revenir. Dans le meilleur état possible...

Pour la remercier, Link hocha la tête et observa un général lorsque celui-ci cria les ordres. Le départ était imminent. Les fantassins devaient passer devant. Le temps pressait fortement, Zelda se plaça juste à côté de son ami. Elle tira un mouchoir de sa poche avec douceur et vint l'enrouler autour de l'arc de Link avant de faire un nœud. Finalement, elle fit un pas en arrière, les yeux embués.

- Il appartenait à ma mère, lui apprit-elle tandis que le jeune homme était pris de court. Même si je doute qu'il revienne intact, j'espère que ce mouchoir te portera chance...

Le blond resta sans voix face à ce geste qui sut lui retirer un certain poids de la poitrine. Son cœur avait sans doute une autre raison de s'emballer. Link lui offrit un discret sourire, touché par ce geste empli de sens. Dans de tels moments, son rôle de chevalier servant prenait tout son sens et le rendait fier. Certes, les autres chevaliers avaient leur fiancée, leur femme ou même leurs parents pour les encourager. Mais lui, il était soutenu par la princesse en personne. Son amie. Sa compagne de destin. L'unique personne à même de le comprendre. Cela n'avait pas de prix.

- Merci, Votre Altesse, la remercia Link pendant qu'il empoignait fermement les rênes.

Face à sa réaction positive, Zelda sourit à son tour et s'écarta pour qu'il puisse passer. Ils se regardèrent une dernière fois intensément puis le prodige poussa une petite exclamation pour que son cheval avance et rejoigne les autres. La princesse l'observa s'éloigner et se décala pour laisser passer les guerriers. Ils étaient tous si silencieux... Chacun prenait la menace avec grand sérieux. Zelda posa ses mains contre sa poitrine et resta immobile jusqu'à ce que l'armée disparaisse de son champ de vision. Les jambes vacillantes, elle regagna le château afin de se consacrer à la prière. Impa resterait auprès d'elle pour la protéger en l'absence de Link. Les heures à venir s'annonçaient bien longues...

oOo

Cela faisait dorénavant une demi-heure que les combattants se dirigeaient vers le nord d'Hyrule. Ils étaient sans doute un millier en comptant les divers peuples. Seules les troupes d'Akkala manquaient encore à l'appel. Mais voir cette immense formation se déplacer était sans doute la chose la plus incroyable à observer : elle semblait s'allonger en une file interminable. Au centre de celle-ci, Link mit bien longtemps avant de trouver son père et de le rejoindre.

- Je suis ému, c'est la première fois que je vais véritablement me battre aux côtés de mon fils, se réjouit Karl sur le dos de son cheval. Tu as fière allure, Link !

Ce dernier ne répondit pas tout simplement car il ne savait pas quoi dire. Les piétinements des chevaliers autour faisaient vibrer le sol et fuir la faune environnante. Karl finit par remarquer le mouchoir accroché à l'arc de son fil, ce qui lui arracha un sourire malicieux. Il fit rapprocher sa monture de la sienne et lui donna un coup de coude amical.

- Eh bien ? Tu ne m'avais pas dit que tu avais fait une belle rencontre.

Karl adressa un clin d'œil à son fils qui haussa les sourcils. De quoi parlait-il ?

- Ne fais pas l'ignorant... À quelle demoiselle appartient ce mouchoir ? Une citadine ?

Link comprit enfin à quoi il faisait allusion, son attention se porta sur le morceau de tissu puis il tourna la tête pour se dérober au regard inquisiteur de son père.

- Allons, dis-moi comment est-elle ! Ça a dû te revigorer, pas vrai ?

Les joues du jeune homme prirent une teinte légèrement rosée. Il ne pouvait pas lui dire que c'était le bien de la princesse... De plus, Link sentait que des oreilles mal intentionnées écoutaient leur discussion.

- Une amie me l'a prêté pour toute la durée de la bataille, répondit enfin le jeune capitaine.

- Une amie ?

Karl soupira. Il s'y attendait, au fond. Si cela pouvait apaiser son fils avant le combat, cela lui convenait.

- Au fait, le village aimerait te remercier une nouvelle fois pour ta dernière intervention, dit-il en redevenant plus sérieux. Ta mère voudrait te revoir bientôt.

- Pour le moment, je n'ai pas obtenu de permission. Il va vous falloir patienter plusieurs semaines.

Pour autant, Link avait lui aussi très envie de revenir quelques jours chez lui pour partager son temps avec sa famille. Mais son devoir passait avant tout. Karl en était conscient.

- Nous attendrons le temps qu'il faudra, ne t'inquiète pas, lui assura-t-il en souriant. Tu as toute ta vie devant toi, après tout ! Mais n'oublie pas de venir nous voir avant ta mort.

Cette blague pour la moins morbide fit rire le chevalier face à l'expression outrée de son fils qui le somma sur-le-champ de ne plus dire de telles atrocités. Il ne trouvait pas cela drôle du tout. Les heures et les paysages défilèrent jusqu'à leur destination : une forêt située à une lieue du futur potentiel champ de bataille. Les guerriers y montèrent leur camp en veillant à ne pas mélanger les peuples. Surtout les Gerudos qui empêchaient la majorité des hommes de les approcher sous peine de les punir durement. Fort heureusement, les Zoras et les Gorons semblaient plus enclins à la discussion même si Mipha avait pour ordre de son père de rester protégée par ses soldats, dans sa tente. Elle était la princesse, hors de question qu'il puisse lui arriver le moindre incident. Durant la journée, Link avait retrouvé ses deux amis et s'était exercé à l'épée avec eux pour passer le temps. Les troupes d'Akkala n'arriveraient qu'à la nuit tombée et il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire. Le soir, ils allumèrent un feu, comme d'autres petits groupes malgré les quelques torches disséminées çà et là, et ils s'assirent devant pour partager leur simple repas distribué.

La douce chaleur d'été leur apportait un certain réconfort et rendait paradoxalement l'ambiance conviviale. Il n'était pas rare d'entendre les gros rires de certains hommes ou même des exclamations dans la forêt. Tout le monde voulait abaisser la tension présente.

- Je n'ai pas pu embrasser Ondine avant mon départ... se désola Conrad en prenant sa tête entre les mains. Je vais passer un mauvais quart d'heure à mon retour...

- Qui est Ondine ? demanda Link en tenant sa brochette de viande.

Gautier, assis à sa droite, avala sa boisson, s'essuya la bouche puis répondit :

- La fille d'un baron. Il l'a rencontrée lors d'un tour de garde à la citadelle.

- Gautier, toi, tu es chanceux, grommela le brun avec jalousie. Anaë est ici, vous pouvez vous voir.

Le blond en profita d'ailleurs pour leur proposer de rencontrer son épouse, ce qu'ils acceptèrent par curiosité. Ses amis se demandaient à quoi elle pouvait ressembler et si elle était aussi musclée que les autres Gerudos. Gautier promit qu'elle viendrait le voir dans la soirée, les présentations pourraient se faire à ce moment-là.

- Link, il paraît que tu es en première ligne demain, s'inquiéta alors Conrad en se penchant vers lui. C'est risqué d'autant exposer l'un des prodiges...

Le jeune homme sut où il voulait en venir.

- On m'a demandé de montrer l'exemple pour donner du courage aux autres combattants, lui apprit-il en haussant les épaules. Je ne peux pas discuter les ordres qui viennent de mes supérieurs.

Gautier fut indigné.

- Mais tu es le prodige hylien ! Tu es censé avoir le plus de pouvoir, non ?!

Son jeune ami s'immobilisa en fixant les bûches du feu. Son expression parut s'assombrir.

- N'oublie pas qu'à leurs yeux, je ne suis qu'un simple pion, répliqua-t-il froidement. Une fois Ganon vaincu, ils m'éclipseront du château.

Un voile de peine passa sur le visage du brun qui posa une main au sol pour prendre appui.

- Ils ont peur que tu uses de ton pouvoir, n'est-ce pas ? Tout ça parce qu'ils pensent que le peuple préférerait suivre les pas de leur héros, leur sauveur...

Link baissa la tête en haussant une nouvelle fois ses épaules. Il empoigna une touffe d'herbe qu'il jeta machinalement dans le feu. Parfois, les nobles étaient vraiment stupides à ne penser qu'à leur emprise sur le peuple. Jamais Link n'avait eu l'intention de leur voler leur place.

- Bonsoir, les salua Karl en venant s'asseoir juste à côté de Gautier. Vous avez bien mangé ?

- Ce n'est pas fameux mais on ne va pas s'en plaindre, soupira Conrad en se redressant correctement. Ils ne vont pas faire appel à des chefs cuisiniers pour un tel événement.

- Malheureusement...

Link se leva et partit vers ses affaires entreposées dix mètres plus loin. Il y prit sa gourde d'eau, revint à sa place puis but quelques goulées pour se réhydrater. La présence de son père lui apportait une chaleur supplémentaire en dépit de l'inquiétude qu'il ressentait.

- Bon, personne n'a rien à raconter pour me divertir ? demanda Karl avec une pointe de déception.

- Je connais une ancienne légende que me racontait ma mère quand j'étais enfant, proposa Gautier à travers un ton neutre.

Les trois autres chevaliers se montrèrent très attentifs et attendirent que le blond veuille bien commencer à leur conter ce récit transmis de génération en génération. On pouvait très bien remettre en cause sa véracité, mais il n'en restait pas moins intéressant.

- Apparemment, il existerait un esprit nommé l'Alpha et qui résiderait une fois par mois sur le mont Satori. Il se pourrait que ce soit la réincarnation d'un vieux sage appelé à revenir sur nos terres pour une raison qui m'échappe. Quoi qu'il en soit, il serait celui qui veillerait sur le monde des défunts. D'après ma mère, quand nous mourons, c'est lui qui vient nous chercher.

Gautier souffla du nez pour montrer qu'il trouvait cela bien absurde.

- Et alors ? demanda le brun qui voulait en savoir plus.

- Alors c'est tout ce que je sais, répliqua son ami. Quand j'avais une dizaine d'années, je me demandais si quelqu'un serait capable de l'invoquer et de le chevaucher. Mais pour cela, il faudrait avoir un quelconque lien avec l'Au-delà, j'imagine.

- Encore faut-il que l'Alpha existe, souligna Karl. J'ai déjà entendu parler de lui mais personne n'a encore été capable de l'apercevoir.

Ce sujet alimenta leur discussion qui devint de plus en plus animée. Chacun se demandait comment cet être mythique pourrait être découvert, et ce qu'il ferait s'il venait à se trouver face à lui. De son côté, Link préférait écouter ses compagnons. Par moments, il esquissait un sourire et appréciait cet instant partagé autour du feu. Car le lendemain, l'ambiance serait drastiquement différente.

oOo

L'armée se leva aux aurores, les canons étaient arrivés tard dans la nuit ainsi que les renforts d'Akkala. Tous les guerriers se mirent en route, les cinq prodiges menaient la marche en direction de la plaine où se dérouleraient les combats. L'air devenait peu à peu irrespirable malgré la fraîcheur habituelle et douce du matin. Les troupes gravirent une large colline où au loin, derrière, se trouvaient leurs ennemis. Les deux camps s'attendaient déjà à ce qui allait se passer. La confrontation était proche. Arrivés en haut du relief, les guerriers se mirent en ligne et observèrent l'horizon. C'est alors qu'ils virent l'étendue de monstres se présenter à eux. La pente qui menait sur la plaine était légère et leur donnait un premier avantage non négligeable. Les canons prirent place sans plus tarder.

- Nous y sommes, prononça gravement Urbosa en empoignant son cimeterre des sept joyaux en plus de son bouclier.

- Ils sont plus nombreux que nous, souligna Revali qui plissaient les yeux. J'espère que le plan a été pensé pour y pallier.

Le combat s'engagerait lorsque les canons commenceraient à tirer sur les troupes ennemies. Cela devrait engendrer des premières pertes de leur côté et disperser les créatures du Mal. Sur son cheval, Link observait durement ses adversaires. Il y avait bien une vingtaine de lynels blancs. Certes, sur plus d'un millier de monstres, ce n'était pas beaucoup. Mais leur capacité de destruction dépassait largement celles des moblins. Le prodige regarda derrière lui ses combattants alliés et scruta quelques visages. Il savait ce que tous attendaient de leur prodige. Sous lui, Ciaran ressentait la tension de la situation et fit quelques pas sur le côté, incontrôlés par son cavalier. D'un geste vif, Link dégaina la Lame Purificatrice puis la brandit au-dessus de lui en faisant cabrer son cheval pour être vu de tous.

- Pour Hyrule !! s'époumona Daruk en levant ses bras musclés.

Des centaines de cris résonnèrent dans leurs rangs et tous s'élancèrent corps et âme dans la bataille. Aussitôt, les canonniers engagèrent le combat et tirèrent sur les ennemis qui s'étaient aussi mis à courir. Revali et ses semblables s'envolèrent en s'armant de leur arc, les chevaliers lancèrent leurs chevaux au galop à la suite de Link et tirèrent leur épée de leur fourreau. Devant eux, les boulets de canon explosaient la terre et soulevaient avec eux les monstres qui se trouvaient dessus. Des dizaines et des dizaines de ces créatures étaient tombées en l'espace de quelques instants. Il restait encore une centaine de mètres avant le choc. Ciaran galopait de toutes ses forces, sa respiration devenait de plus en plus sifflante tandis que son cavalier se tenait prêt à l'assaut. Il avait enlevé les pieds de ses étriers pour se tenir prêt à sauter sur son premier adversaire. Les troupes de lézalfos étaient les premières car ils se déplaçaient bien plus vite. Link comptait les dernières secondes de répit qui lui restait.

L'instant précédant son saut, un visage lui apparut à l'esprit et fit ralentir ses rapides battements cardiaques.

D'un coup, Link se propulsa dans les airs puis planta son épée dans l'abdomen d'un premier ennemi. Le choc entre les deux armées fut violent, les cris fusaient de toute part, les chevaux percutaient et piétinaient certains monstres qui avaient chuté. Mais le prodige hylien préférait rester à pied pour épargner la vie à son cheval et avoir plus de possibilités dans l'enchaînement de ses attaques. De son bouclier, il parait les assauts des lézalfos et contre-attaquait dès qu'il voyait la moindre ouverture chez eux. Il fallut moins d'une minute pour tacher son armure du sang de ses ennemis. Les canons tiraient dorénavant sur les monstres les plus éloignés des alliés. Les Piafs, eux, volaient haut dans le ciel pour éviter les boulets et visaient de leur arc toutes les créatures à leur portée.

Alors que Link se battait, un moblin blanc apparut subitement devant et vint écraser sa lourde masse sur lui. Le prodige sauta sur le côté et trancha profondément la peau de son bras armé. Le monstre poussa un cri de souffrance et élança son pied pour le frapper. Une puissante masse vint percuter le moblin et lui brisa l'échine sous la force du coup. C'était un Goron qui avait foncé sur lui pour venir en aide au prodige. Link le remercia du regard puis poursuivit son combat. À ses côtés, un soldat tomba et rendit son dernier soupir dans un long râle. Le jeune homme lança un regard noir à son meurtrier puis se jeta sur lui en criant avant d'enfoncer la Lame Purificatrice dans son ventre. Le bokoblin ouvrit la bouche en signe de souffrance mais se raidit bien vite. Link retira son épée puis enchaîna ses ennemis.

De l'autre côté de la bataille, Urbosa se battait en usant autant de son arme que de son pouvoir de foudre lorsqu'elle se trouvait en difficulté. Quant à Daruk, sa protection lui assurait un soutien solide et lui permettait de se battre contre l'un des vingt lynels, appuyé par Revali dans le ciel. Les canons avaient cessé le feu, les Piafs avaient dorénavant bien plus de libertés dans leurs actions. Link se fraya un chemin pour éliminer lui aussi les lynels car il en était l'un des seuls capable d'y parvenir. Il dut pourfendre quelques bokoblins afin d'arriver à son premier véritable ennemi. Sans hésiter, Link bondit sur son dos et le frappa de toutes ses forces pour le blesser le plus possible. La bête démoniaque rugit de colère et se débattit en piétinant sans état d'âme les cadavres autour de lui. Le prodige fut éjecté de son dos et tomba lourdement au sol en gémissant. D'un coup, il roula pour éviter l'épée bestiale qui s'abattait sur lui et il se releva en empoignant fermement son arme. Une flèche vint se planter dans l'œil du lynel et le fit cabrer en hurlant avec férocité. La précision de Revali était effroyable... Link l'en remercierait plus tard. Il acheva son ennemi en lui transperçant l'abdomen puis recula de quelques pas, le souffle court.

Parmi la masse dense de combattants, il aperçut un chevalier qui se battait avec ferveur aux côtés de femmes musclées. C'était Gautier qui rencontrait de réelles difficultés dans son combat et qui était clairement en position de faiblesse. Quant à Conrad, il ne se trouvait pas dans les parages. Ils avaient dû être séparés. Link n'hésita pas un instant à venir porter secours à son compagnon. Il se fraya un chemin tout en aidant ceux en très mauvaise posture, jusqu'à arriver à côté de son ami.

- Gautier ! cria Link en arrivant près de lui.

- Link ? Qu'est-ce que tu fous là ?!

Gautier para soudainement l'attaque d'un lézalfos et le projeta en arrière pour se défendre. Link n'eut pas le temps de lui répondre, il engageait déjà le combat contre un nouveau monstre agressif et coriace. Du coin de l'œil, il surveillait les arrières de son ami. Seulement, après plusieurs minutes de combat acharné où la fatigue commençait à se faire ressentir, Link constata que le chevalier s'éloignait peu à peu de lui pour poursuivre le combat. Un moblin blanc se dressa alors devant Gautier et le frappa à l'aide d'une épée volée à un garde royal certainement mort. Le blond fut propulsé au sol et lâcha son bouclier par la même occasion.

- Non ! s'écria Link quand le moblin brandit son arme au-dessus de sa tête.

Aussitôt, le Héros planta son épée dans le sol, tira son arc et une flèche mais dut rouler sur le côté pour éviter l'attaque d'un bokoblin bleu. À peine relevé, il banda son arc et visa le moblin au loin. Le projectile l'atteignit en pleine tête et le tua sur le coup, sauvant la vie à son ami toujours au sol. Gautier se tourna vivement vers son compagnon, le visage blême et les lèvres frémissantes. Il lui était si reconnaissant... Cependant, Link n'eut pas le temps d'éviter le boomerang à trois lames d'un lézalfos. L'arme rebondit sur son armure mais vint percuter le bas son visage par la suite, arrachant un cri de douleur au jeune homme qui bascula sur le côté, blessé au menton. Link se redressa sur ses coudes en serrant les dents. Même si la bataille semblait toucher à sa fin, ce n'était pas le moment de se laisser aller ! Quelqu'un accourut vers lui et l'aida à se relever.

- Ça va aller ? lui demanda Gautier d'une voix forte en le soulevant par l'épaule.

- Oui... grogna le jeune capitaine qui se tenait le bas du visage.

À leur côté, Anaë trancha sauvagement la gorge d'un bokoblin et courut les rejoindre. C'était une grande femme rousse aux yeux verts en amande. Elle mesurait bien deux voire trois têtes de plus que Link.

- Mes sœurs ont besoin d'aide ! Elles affrontent un lynel !

Cette information ne laissa pas hésiter Link une seule seconde. Il dévisagea son ami et posa une main sur son bras.

- Gautier, viens avec moi mais protège mes arrières plutôt que de combattre ce monstre, le pria-t-il d'une voix plus grave qu'ordinaire. Crois-moi, tu n'es pas de taille face à lui.

- Compris, tu peux compter sur moi.

Le prodige le remercia d'un hochement de tête puis tous trois s'élancèrent vers le lynel qui se trouvait à une vingtaine de mètres d'eux. Effectivement, dix Gerudos s'acharnaient sur lui en l'attaquant de toutes parts mais la créature était bien trop puissante et coriace. Sa peau, particulièrement épaisse, demeurait très difficile à percer. De nouveau armé de son épée et oubliant sa précédente blessure, Link empoigna la Lame Purificatrice à deux mains se jeta sur le lynel en serrant les dents. Les muscles de ses jambes tiraient désagréablement, signe de fatigue. Tenir... Il fallait tenir encore ! Le Héros fendit horizontalement l'air en poussant une exclamation suite à son effort. La créature bondit en arrière lorsqu'elle comprit que ce nouvel adversaire était bien plus dangereux que les précédentes guerrières. Le lynel fit tournoyer son imposante masse entre ses mains puis chargea sur Link en rugissant. Au moment de l'attaque, Link fit un pas sur le côté, sa concentration au maximum, et vit passer l'arme de son ennemi à quelques centimètres de son bras, comme un ralenti. Aussitôt, le chevalier plaça la fusée de son épée près de son flanc droit puis se propulsa vers le lynel pour le percer de sa lame.

Le choc avec la bête fut si rude que Link fut éjecté après que son épée eut traversé le ventre de son redoutable ennemi. Ce dernier se tordit de douleur puis s'écroula en poussant un râle rauque. Sonné par sa chute, le prodige releva la tête en tremblant pour vérifier que son dernier coup avait fait effet. Il fut rapidement rassuré. Cependant des bokoblins vinrent se rejeter sur l'épée de légende pour tenter de la lui voler. Mais au simple toucher de sa fusée, leur énergie vitale fut aspirée. Au loin, le cor de l'armée ennemie résonna puissamment et attira l'attention de Link et son ami. Autour d'eux, les monstres survivants s'enfuirent en poussant des cris d'effroi. Dans leur course effrénée, certains soldats les achevaient pour venger des camarades tombés au combat.

La bataille avait été intense et lourde en pertes humaines. La fuite des monstres permit un plus vaste et clair champ de vision. La multitude de corps qui jonchaient le sol pourrait donner la nausée à n'importe quel homme, aussi endurci soit-il. Encore une fois, l'odeur du sang mêlé au fer planait sur la plaine et donnait le tournis à certains.

- On a... On a réussi ? souffla Gautier, la respiration courte tout comme celle Link.

Le Héros se releva une nouvelle fois en se tenant le bras. Dans sa chute, il avait perdu son casque. Mais il n'y avait pas une seconde à perdre. Tout n'était pas terminé.

- Cherchez les blessés et transportez-les vers le camp ! ordonna-t-il d'une voix puissante aux chevaliers qui avaient encore la force de marcher.

Link se tourna vers les Gerudos.

- Faîtes passer l'ordre, s'il vous plaît.

Elles ne se firent pas prier au vu de la situation et commencèrent à faire circuler l'injonction du prodige hylien.

- Gautier, Link ! les appela Conrad en accourant vers eux.

Il avait perdu son gantelet et son canon d'avant-bras droit, ce qui dévoilait une entaille assez profonde qui saignait abondamment. Les deux blonds le rejoignirent, alarmés.

- Bon sang, Conrad ! s'exclama Gautier, toujours aussi pâle. Dépêche-toi de trouver les médecins !

- Pas sans emporter un bon gars avec moi, répliqua le brun avec détermination. Je peux aider quelqu'un à marcher.

Gautier le prit par les épaules et le foudroya du regard.

- Vas-y maintenant ou je te jure que je vais faire un malheur, siffla-t-il d'un air menaçant.

Son ami déglutit puis se résigna à suivre la foule de blessés qui quittaient la plaine. Les deux blonds aidèrent donc à chercher ceux qui ne pouvaient plus se déplacer seuls. Certains officiers comptaient déjà les morts pour évaluer l'étendue des pertes. Ce n'était vraiment pas beau à voir... À chaque cadavre, le ventre de Link se tordait un peu plus. À certains endroits, on pouvait aisément comprendre qu'il s'y trouvait un lynel au vu de la masse de corps entassés. Gautier dut se retenir de vomir en voyant cela. Certains soldats ne ressemblaient même plus à des hommes. La guerre... Voilà bien la pire des choses, dénaturant autant l'environnement que les êtres vivants. Voyant un blessé, Link accourut vers lui et lui retira les pièces lourdes de son armure pour lui permettre de mieux respirer.

- Tiens bon, des renforts vont venir te chercher, lui assura-t-il avant de tourner la tête. Un blessé ici !

Gautier se porta volontaire pour quitter le plus rapidement cet enfer et traîna le chevalier sur ses épaules. Pendant ce temps, le Héros aidait à trouver les autres mutilés. Ce ne fut qu'après une très longue demi-heure de recherches, épaulé par ses semblables, qu'il finit de trouver tous les survivants blessés. Un garde royal vint le voir.

- Capitaine, il n'y a plus que des cadavres. Devons-nous commencer à récupérer nos... nos morts ?

La bouche du jeune homme s'entrouvrit mais il ne dit rien. Link se contenta simplement d'opiner et de passer son chemin pour rejoindre les guérisseurs. Sa blessure au menton pouvait très bien s'infecter, il avait besoin de tout sauf de ça. En passant près d'un cadavre, son attention fut étrangement captée et son regarda glissa vers le corps inerte. Un frisson d'horreur lui traversa l'échine, ses pupilles se rétractèrent et il ne put faire un pas de plus. Ses jambes le lâchèrent pour de bon et il tomba lourdement à genoux, les lèvres frémissantes. Link approcha sa main de sa bouche, le choc l'empêchait de respirer correctement. Lentement, il hocha négativement la tête quand son cœur se creusa d'un vide immense.

- Pa... Papa... prononça-t-il d'une voix tremblante. Pa...

Il fut coupé par un sanglot et sa vue se brouilla à cause des larmes qui vinrent mouiller son visage. Link bascula en avant jusqu'à ce que ses avant-bras heurtent la terre devenue boueuse, mêlée au sang. Il hurla toute sa détresse et son désespoir face au corps sans vie de son père, très certainement fauché par un moblin. Les déesses pouvaient se montrer si cruelles...

oOo

La princesse scrutait incessamment l'entrée du château en espérant revoir l'armée de son père. Il était bientôt seize heures, cette absence la mettait bien mal... Aucune nouvelle ne lui parvenait. Si bien qu'elle dut se résoudre à repartir prier dans l'espoir que tout se soit bien passé. Ce fut Oswald en personne qui vint trouver Zelda pour lui annoncer le retour des guerriers. Immédiatement, elle s'élança dans les couloirs et traversa toute la forteresse jusqu'à atteindre l'immense cour du château où s'accumulaient tous les survivants. Mais dans la section des gardes royaux, elle ne trouva pas Link. La panique naquit brusquement en elle et la princesse demanda à tout le monde où se trouvait le prodige. Personne ne sut lui répondre. Zelda se précipita du côté des chevaliers dans l'espoir d'y trouver une figure familière. Elle aperçut Gautier et courut aussitôt vers lui.

- Chevalier Gautier ! l'appela-t-elle alors qu'il se dirigeait vers l'aile réservée aux chevaliers.

Il se retourna et fut surpris de reconnaître la fille du roi. Le blond posa aussitôt un genou à terre mais Zelda le fit se relever.

- Je vous en prie, dites-moi où est Link ! Je ne le vois nulle part... A-t-il été blessé ?

Le visage du chevalier s'assombrit, ce qui ne fit qu'accentuer la peur de la princesse.

- Link n'a pas été grièvement blessé, Votre Altesse, lui apprit-il d'une voix enrouée. Mais si vous tenez à le voir, il vous faudra vous rendre à l'extérieur de la citadelle, là où se trouvent les charrettes.

- Les... Les charrettes ? répéta Zelda, perdue. Que voulez-vous...

Ses yeux s'écarquillèrent quand elle comprit et elle plaqua une main contre sa poitrine, choquée. L'Hylienne bégaya des mots inaudibles puis s'élança vers la plaine d'Hyrule, le cœur battant à tout rompre. Elle craignait le pire... Dans les rues, les habitants furent sidérés de voir leur princesse courir à en perdre haleine. Mais peu lui importait à ce moment-là. Elle passa enfin les portes de la citadelle, s'arrêta pour chercher du regard lesdites charrettes et finit par les trouver au pied de la muraille. Link était recroquevillé et adossé à elle, le visage enfoui entre ses bras. Il était seul, ceux qui s'occupaient des morts étaient partis demander du renfort pour creuser les futures tombes.

- Link... prononça doucement son amie en approchant.

Le Héros frissonna et releva difficilement la tête vers elle. Il avait les yeux et les joues rougies par les larmes, jamais encore Zelda ne l'avait vu ainsi. Elle vint s'agenouiller devant lui, très affectée de le retrouver dans cet état.

- Par... Pardonnez-moi, Votre Altesse, la pria Link d'une voix brisée par le chagrin. Mon père...

Sa gorge se noua aussitôt et ses lèvres se pincèrent si bien qu'il ne put finir sa phrase. Zelda posa une main bienveillante sur son épaule pour tenter de le réconforter, mais elle savait mieux que quiconque qu'aucun geste ne pouvait l'atteindre à ce moment-là.

- Link, je sais à quel point il est dur de perdre un parent... lui dit-elle presque dans un souffle. Ton père n'est...

Zelda voulait lui dire que sa mort n'était pas de sa faute, que Karl connaissait tous les dangers que représentait le titre de chevalier. Mais à quoi bon lui dire tout ça dans une telle situation... Ce ne serait que des paroles dans le vent. Tout chevalier demeurait conscient des risques encourus.

- Laissez-moi... une semaine de deuil, l'impora-t-il avec peine. Je vous en supplie... Ma mère ne supporterait jamais cette période sans moi...

Le cœur de la princesse se serra. Adélaïde... L'annonce de cette nouvelle serait terrible pour elle. Zelda hocha la tête.

- Tu peux partir pour Elimith, Link, lui dit-elle chaleureusement. Veille sur ta mère et ne la laisse jamais seule.

Voilà les seuls conseils qu'elle était capable de lui donner. Voyant qu'il avait besoin d'être seul, la princesse se releva silencieusement et repartit pour le château, le cœur lourd. Elle se sentit si mal pour lui que les larmes lui montèrent aux yeux, accompagnées des terribles souvenirs qu'il lui restait de la mort de sa mère, la défunte reine.

oOo

Ce jour-là, le soleil était radieux et plongeait Elimith dans une douce et reposante chaleur. Adélaïde étendait tranquillement son linge et entonnait son air favori. Elle attendait son mari, comme toutes les fois où il partait au combat. Pourtant, ce ne fut pas lui qui rentra mais leur fils. Le visage de ce dernier était marqué par la douleur morale. La châtaine fut si heureuse de le revoir... Mais quand elle vit Link tenir horizontalement une épée entre ses bras, suivi d'un chariot, ce fut tout son monde qui s'écroula.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top