Code d'honneur du chevalier :

17. Le chevalier tient la liberté des consciences pour la base même d'un ordre juste et humain. Pour la défense de cette liberté, il est prêt à toutes les peines et à tous les sacrifices.

oOo

Depuis plusieurs nuits, Link peinait à trouver le sommeil, ce qui était contraire à ses habitudes. Il lui arrivait parfois de rester éveillé plus de trois heures durant avant de s'endormir enfin. Et même si le prodige n'avait aucune réponse expliquant ce phénomène, il finit par le mettre sur le compte des températures qui augmentaient ; les soirées n'étaient plus aussi fraîches qu'avant et ne facilitaient donc pas l'endormissement. Pourtant, un étrange pressentiment le tiraillait par moments. Sans qu'il ne sache en trouver la cause, Link préféra rester sur ses gardes car il savait que son instinct le trompait rarement.

Un matin, il rejoignit la princesse et Impa pour le petit-déjeuner et fut aussitôt intrigué quand il ressentit l'ambiance pesante qui régnait. Le jeune homme prit silencieusement place à table et commençait à se servir lorsque la conseillère royale prit la parole.

- J'ai appris une nouvelle inquiétante ce matin, Link, lui annonça-t-elle d'une voix grave, accoudée sur la table. À l'est du lac Hylia serait apparue une étrange substance rouge et noire. En la touchant, des voyageurs trop curieux ont vu leur peau se faire ronger rapidement, comme si cette... chose les consumait.

L'Hylien fronça les sourcils en prenant cette information avec beaucoup de sérieux. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Un nouveau piège de la part des monstres ? Zelda prit la parole en tenant l'anse de sa tasse fumante :

- Nous partirons aujourd'hui afin de l'examiner. Je ferai les prélèvements nécessaires pour les analyser dans mon étude. S'il y a un lien avec le retour de la Calamité, il faut à tout prix empêcher les Hyruliens de s'en approcher.

- Je vous ai déjà dit que c'était dangereux, la sermonna Impa peu enthousiaste à l'idée que la princesse parte.

Link les observa débattre à ce propos : la détermination de Zelda demeurait sans faille, tout comme le refus de sa nourrice. Finalement, la jeune fille finit par se lever sans crier gare. Elle demanda à Link de venir la rejoindre devant ses appartements une fois qu'il aurait fini. Ce dernier ne put qu'assister à son départ soudain sans même pouvoir répondre. Il mit un bon quart d'heure avant de quitter la table. Link suivit l'injonction de sa damoiselle et mit quelques minutes supplémentaires pour rejoindre le couloir menant à ses appartements. Une fois arrivé, il patienta contre un mur en regardant à travers une fenêtre. Seuls quelques nuages couvraient le ciel ce jour-là.

Discrètement, la porte à côté de lui s'ouvrit, une tête blonde en sortit puis scruta avec attention les environs sous le regard perdu du prodige. Zelda lui attrapa alors le bras et le tira sans ménagement avant de refermer derrière elle.

- Votre Altesse ? prononça Link, déstabilisé par ce comportement inhabituel.

Aussitôt, elle lui fit signe de se taire et de la suivre à travers le couloir destiné uniquement aux membres de la famille royale et éventuellement aux gardes qui surveillaient. Mais cette fois-ci, la princesse avait dû les renvoyer car il n'y en avait aucun. Elle avait revêtu une demi-cape grise et portait un sac comblé au préalable par quelques vivres. Zelda emprunta un escalier isolé puis le descendit rapidement avec son ami jusqu'à arriver dans un long couloir peu éclairé. Au bout, une porte secrète menait à l'écurie royale et permettait au roi, par exemple, de fuir s'il cela devenait une nécessité. À ce moment-là, Link comprit.

- Vous comptez partir malgré l'interdit de Dame Impa ? demanda-t-il, pantois.

- J'ai demandé l'avis du conseiller Oswald, répondit la princesse en sellant son cheval. Il m'a soutenue et m'a priée de lui apporter les résultats de mon analyse dès que possible. Il pense même qu'une future bataille approche...

Elle ancra ses yeux verts dans les siens en resserrant brusquement les sangles de son cheval. Link dut s'y plier. Son rôle était de la protéger et non d'avoir son mot à dire dans les affaires de ce genre.

- Je dois aller chercher mon cheval, énonça-t-il après avoir pris du recul vis-à-vis de la situation.

- Non, tu vas prendre le mien pour sortir d'ici, répliqua Zelda avec autorité en tirant sa monture de son box. Certes, les gardes se poseront quelques questions mais au moins, ils ne pourront pas rapporter à Impa le fait de m'avoir vue.

Son chevalier servant resta sans voix un instant. Pour lui, cette histoire était de la folie.

- Et vous ? s'enquit-il de demander, inquiet.

- Je me charge d'aller chercher Ciaran. Je te rejoindrai en dehors de la citadelle.

- Mais vous êtes facilement reconnaissable avec votre habit bleu...

La princesse eut un sourire à la fois malicieux et gêné.

- Justement, à ce propos...

oOo

En ce début de matinée, les deux nouveaux gardes qui surveillaient les portes menant au château virent arriver une monture de couleur marron qui n'était autre que celle du prodige en personne. En effet, le chevalier servant de la princesse se dirigeait vers eux et portait une demi-cape, sans doute pour se protéger du vent. Cet habit lui cachait à la fois une partie du torse mais aussi dissimulait en partie son visage de manière... fort inquiétante. À son approche, les gardes le laissèrent passer et purent admirer la beauté de la Lame Purificatrice sur son dos. Nul doute que c'était l'arme la plus belle de tous les temps.

Une fois qu'il les eut dépassés, le cavalier soupira de soulagement puis lança son cheval au trot en prenant soin d'éviter les rues trop encombrées. Une fois sortie de la citadelle, il parcourut un brin de chemin puis rejoignit un autre cavalier, assis derrière un arbre pour se cacher. La princesse retira aussitôt sa capuche puis esquissa un grand sourire.

- Tu vois, ce n'était pas bien difficile.

- C'était insensé... soupira Link en se relevant.

Il portait timidement sa simple chemise de lin et attendit que la princesse lui rende sa tunique pour se rhabiller. Et dire que les gardes l'avait confondu avec un écuyer... Link avait caché ses cheveux sous une coiffe grossière et il avait appliqué de la suie sur certaines parties de son visage pour ne pas être reconnaissable. Plus jamais le chevalier ne voulait refaire une telle chose. Il avait maladroitement essuyé son maquillage pour être plus présentable. Zelda gagna le dos de sa monture, imitée par son ami.

- Allons, nous n'avons plus de temps à perdre, décréta-t-elle fermement. Dès qu'Impa se rendra compte de notre absence, elle nous fera chercher dans tout le royaume. Elle en est bien capable.

Ils se mirent en route pour le lac Hylia, ils firent trotter les chevaux car la destination n'était pas à leur portée... Zelda rassura son chevalier servant en lui affirmant qu'elle avait discrètement pris quelques provisions pour manger sur place. Ce ne serait pas grand-chose mais cela leur permettrait de ne pas être affamés toute la journée. Ils devraient arriver au lac un peu avant midi si tout se passait bien sur le chemin. Mais tout de même... Cette substance laissait la princesse perplexe. En privé, sa nourrice lui avait avoué que cela lui rappelait le jour où un Gardien hors de contrôle avait attaqué les prodiges. Après avoir été vaincu, une fumée rouge et noire s'en était échappée.

- Votre cheval me paraît plus docile, constata Link en observant l'équidé effectivement très calme.

Zelda lui frotta l'encolure.

- Je n'ai fait que suivre tes judicieux conseils. Je lui ai même trouvé un nom.

Le jeune homme la dévisagea puis esquissa un petit sourire en détournant la tête. Son amie ne comprit pas sa réaction.

- Est-ce si drôle pour que cela parvienne à te faire sourire ? lui demanda-t-elle, soucieuse.

- J'étais seulement content pour vous.

Les sourcils de la princesse se haussèrent, elle regarda sur le côté en se frottant nerveusement le bras.

- Ce n'est pourtant pas grand-chose de donner un nom à son cheval... se défendit Zelda qui ne savait comment aborder cette situation.

C'était pourtant simple pour Link.

- Vous paraissiez épanouie l'espace d'un instant, affirma-t-il en serrant légèrement plus fort ses rênes. Comment s'appelle-t-il ?

Il ne lui avait pas laissé le temps de réagir en posant sa question. Zelda regarda son cheval avec une certaine fierté commune aux cavaliers.

- Je l'ai nommé Tosca, lui apprit-elle en souriant. Je pensais qu'un nom peu ordinaire et dynamique lui conviendrait parfaitement.

Le chevalier acquiesça puis reporta son attention sur l'horizon. Il aimait bien ce prénom qui était la preuve de ses meilleurs liens avec sa cavalière. Plus de deux heures plus tard, ils parvinrent enfin au lac Hylia mais n'empruntèrent pas le pont car la substance se trouvait sur la rive Est. Après une inspection minutieuse, Zelda finit par apercevoir la matière inquiétante qui partait de l'apex d'un rocher jusqu'à plonger dans l'eau calme et limpide du lac. L'hylienne sauta à terre, les sourcils froncés à cause de sa méfiance, puis elle marcha vers l'essence noire et rouge. Link la talonnait et restait sur ses gardes. Une fois qu'ils furent assez proches, ils perçurent un son infime provenant de la substance et qui ressemblait à de vagues hurlements étouffés. Zelda en eut la chair de poule. D'une part, elle ne se sentait pas à son aise, d'autre part, elle percevait une aura néfaste entrer en confrontation avec elle. La princesse alla cueillir une mauvaise herbe non loin de là puis revint sur ses pas afin de la plonger dans cette matière inconnue et inquiétante. Aussitôt, la plante mourut et se désintégra.

- Je m'en doutais... murmura la jeune fille qui blêmissait. Cette chose est en lien avec Ganon.

Ses lèvres frémirent en prononçant son nom. Ce qui se tenait devant elle n'était autre que sa corruption. La question qui se posait dorénavant était de savoir pourquoi elle se trouvait ici et comment elle avait bien pu apparaître. Rien autour des deux élus ne laissait penser que ce lieu pouvait être maudit. Il n'y avait même pas de monstres dans les environs. Avec prudence, Zelda sortit une fiole en verre plus une cuillère en métal, elle préleva un échantillon de cette corruption puis elle le mit au fond du récipient. Une fois cela fait, la princesse remarqua avec désemparement que sa cuillère avait rouillé.

- Link, ne t'approche surtout pas, le prévint-elle en se relevant.

Même si c'était évident, elle n'avait pu s'empêcher de le lui dire. Zelda voyait cette corruption d'un très mauvais œil. Elle prit même une photo pour la montrer ensuite à Impa, voire Pru'ha. Il y avait pourtant autre chose qui titillait Link depuis leur arrivée. Son épée semblait réagir et émettait de rares vibrations. Il la dégaina et découvrit avec stupeur que sa lueur bleue familière brillait. Pourtant, ce n'était pas lui qui en était l'origine.

- Incroyable... souffla Zelda en s'approchant. Se pourrait-il qu'elle réagisse à la corruption ? Après tout, la Lame Purificatrice est capable d'absorber le Mal. Il ne serait donc pas étonnant qu'elle réagisse en sa présence...

- Vous pensez qu'elle pourrait éliminer cette corruption ?

Son amie prit le temps de réfléchir. Elle serait vraiment embarrassée que l'épée de légende rouille à cause de ça. Non, cela lui paraissait impossible. Une telle arme empreinte d'une magie divine aussi puissante ne pouvait pas se laisser dominer par cette substance du Malin. Zelda demanda à Link de toucher la corruption de la pointe de son épée. Il ne se fit pas prier et s'en approcha, imperturbable. Le Héros chargea son arme en énergie, prit la fusée à deux mains puis la brandit au-dessus de la corruption qu'il fixait intensément. D'un geste vif, il planta la Lame Purificatrice dedans, un souffle brûlant s'en échappa brusquement et balaya ses cheveux. Des hurlements morbides résonnèrent autour des élus des déesses et la corruption commença à se dissiper en fumée noire et rouge. La Lame Purificatrice produisit une forte vibration et d'un coup, elle commença à s'en imprégner. Au fur et à mesure, son éclat devint de plus en plus éblouissant jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien, juste un parterre où la nature était morte.

- Le Mal a été détruit, Maître, annonça simplement Fay.

Zelda vint s'accroupir auprès de l'herbe morte, posa sa main dessus puis la retira vivement par réflexe. Voyant qu'il ne se passait rien, elle toucha à nouveau le sol puis soupira de soulagement.

- Cette épée ne cessera de me surprendre. Elle a purifié si facilement la corruption...

Link replaça l'arme dans fourreau avec son calme habituel. Même s'il ne le montrait pas explicitement, il avait aussi été stupéfait. Au moins, plus aucun voyageur ne serait blessé. Alors que le jeune homme se perdait dans ses pensées, Zelda grimaça puis plaqua une main sur son front avant de s'asseoir. Son ami réagit aussitôt.

- Que vous arrive-t-il ? s'inquiéta-t-il en cherchant à lire sur son visage.

- Je... Je ne sais pas... bredouilla la princesse en se ressaisissant. Durant un instant, ma tête s'est mise à tourner et j'ai été sous l'emprise de violents frissons.

Cela n'annonçait rien de bon. En vérité, elle avait très bien assimilé cette réaction à la corruption. Était-ce un avertissement de Ganon ? Ou peut-être avait-elle inhalé de fines particules émanant de la corruption ? Dans ce cas, Link aurait dû avoir les mêmes symptômes. Or ce n'était pas le cas.

- Vous devriez manger quelque chose, lui suggéra sérieusement ce dernier.

Zelda se frotta une tempe pour chasser ses précédents étourdissements.

- N'est-ce pas là ton estomac qui parle ? répliqua-t-elle pour alléger l'ambiance pesante.

Le blond se montra tout de même un peu embarrassé et posa une main sur son ventre en détournant la tête.

- Peut-être bien, avoua-t-il sans oser regarder son amie.

Cela parvint à arracher un sourire à la princesse qui quitta le rocher et marcha en direction des chevaux.

- Allons déjeuner de ce pas, déclara-t-elle. Ensuite, nous rentrerons au château et je me lancerai aussitôt dans mes analyses.

Link lui emboita le pas et ils remontèrent sur les équidés afin de trouver un endroit calme à l'abri du vent pour manger. Ils finirent par atteindre une petite colline en haut de laquelle ils pique-niquèrent tranquillement. D'ici, ils avaient une très belle vue sur le château et sa région malgré le ciel qui se couvrait. Si bien qu'il commença à tomber une légère pluie. Les deux amis terminèrent leur simple repas et s'apprêtaient à repartir quand ce fut l'averse. Ils se réfugièrent sous l'unique arbre à quelques mètres d'eux, juste à côté de deux réceptacles d'offrande. N'étant pas correctement équipés pour affronter ce temps, ils durent se résigner à attendre la fin de la pluie. Tous deux s'assirent contre le tronc pour bénéficier de la protection des multiples feuilles.

- Si j'avais su qu'il pleuvrait, j'aurais porté des vêtements plus adaptés... se désola Zelda en collant l'arrière de sa tête contre l'écorce. Impa va être folle d'inquiétude.

La seule chose qui pouvait rassurer la magistrate était de savoir que Link était avec sa protégée. Cependant, ce dernier finit par s'endormir contre l'arbre à cause de ses nuits de sommeil raccourcies. En le voyant ainsi, Zelda fut à la fois déstabilisée mais aussi attendrie car jamais encore elle ne l'avait vu dans une telle position de faiblesse. Elle se plut à penser que les rôles étaient inversés durant sa sieste. Mais rapidement, la princesse se sermonna de songer à une telle chose car elle savait très bien qu'en cas d'attaque surprise, elle serait incapable de se protéger avec lui. Les combats n'étaient pas un jeu, s'imaginer combattre ne devrait pas l'être aussi.

Ce n'est qu'une petite heure plus tard que Link émergea de sa courte sieste. Il fut bien confus de s'être laissé aller de la sorte mais sa damoiselle le rassura en lui affirmant qu'il ne s'était rien passé de grave.

- La pluie n'est pas près de s'arrêter, soupira Zelda face aux nuages sombres qui les surplombaient. J'ose espérer que nous rentrerons avant la nuit.

- Les averses de juin ne sont jamais très longues, l'informa Link en se levant.

Zelda l'observa dégainer son épée puis commencer à s'exercer pour ne pas perdre la main. Elle esquissa un sourire ; pour une fois, elle apprenait de lui. L'Hylienne put découvrir les séries de mouvements qu'effectuaient les chevaliers pour s'entraîner. Link était adroit et rapide. Il ne semblait pas faire un seul geste de trop, il maîtrisait parfaitement son arme. Émettre ses exclamations étouffées ne semblait pas le gêner malgré la présence de la princesse. Link savait pertinemment qu'elle ne le jugerait pas car Zelda connaissait l'ampleur et les enjeux des devoirs des chevaliers. Alors commencer à se moquer d'eux à cause de simples bruits, cela ne lui ressemblait pas. Pourtant, le cœur de la princesse finit rapidement par s'alourdir. La voilà encore face au talent du Héros... Ce sentiment, qu'elle ressentait déjà lorsqu'ils étaient en mauvais termes, ressurgissait et lui compressait la poitrine.

- J'ai assisté à certains de tes combats depuis que tu es chargé de ma protection, commença-t-elle en se forçant à sourire pour ne rien laisser paraître. Tu te bats si bien que je comprends aisément pourquoi l'épée de légende t'a reconnu comme maître.

Link fendit l'air une nouvelle fois de son arme, dos à son amie qu'il écoutait tout de même attentivement.

- Tu as fourni tant d'efforts pour parvenir jusqu'ici, poursuivit Zelda. Tu as dû te faire une place au sein des chevaliers, puis au sein de la garde royale parmi les nobles.

Elle finit par baisser la tête afin de fixer ses pieds. Le jeune homme tournoya sur lui-même et donna un coup horizontal.

- C'est admirable... Tu as réussi à te faire respecter après toutes les épreuves que tu as traversées. Jusqu'à devenir prodige puis chevalier servant de la fille de ton roi... Combien de personnes t'envient-elles ?

Link sentit sa voix trembler à la fin de sa phrase pendant que Zelda s'entremêlait les doigts à cause de sa nervosité. Lentement, il abaissa son arme pour cesser son exercice puis il se tourna vers elle, touché par son état d'âme.

- Link, j'aimerais que tu me répondes sincèrement, le pria-t-elle sans oser le regarder. Tu as décidé de suivre les traces de ton père, chevalier dévolu à son roi. Mais si... Si tu n'avais été pas aussi talentueux, si tu n'avais aucune aptitude pour te battre et que ton entourage ne cessait de te dire que tu devais impérativement devenir chevalier malgré cela...

Zelda marqua une pause en fermant un court instant les yeux.

- Aurais-tu choisi la même voie ?

Le chevalier dévisagea son amie, ses épaules s'affaissèrent quand il comprit le fond de ses pensées. Cela l'affligea profondément. Link s'approcha de la princesse et s'accroupit devant elle, par déférence.

- Je pense que nous avons tous notre place sur ce monde, énonça-t-il d'une voix douce malgré le bruit de la pluie. Si la mienne n'était pas auprès des chevaliers, j'aurais cherché ma véritable vocation en dépit de ce que pouvait en penser mon entourage.

Il se frotta le bras, peu à l'aise, en voyant que cela ne parvenait pas à réconforter sa damoiselle.

- Vous savez, je serais certainement devenu forgeron ou bien charpentier, comme mon grand-père. Si telle avait été ma nature, je m'en serais accommodé. Les autres peuvent bien penser ce qu'ils veulent, ce n'est pas à eux que revient le droit de décider de notre avenir.

Link chercha le regard de son amie qui s'obstinait à le fuir. Et pourtant, suite à sa dernière phrase, elle osa ancrer ses yeux dans les siens et eut un pincement au cœur. Il y avait tant d'empathie à travers le regard du jeune homme qu'elle en oublia la pluie et la fraîcheur de l'air. Depuis combien de temps attendait-elle de telles paroles ? Les larmes lui montèrent inexorablement aux yeux et vinrent couler sur ses joues, prenant de court Link qui s'affola.

- Je... Je ne voulais pas vous faire pleurer ! lui affirma-t-il en secouant les mains devant lui en guise de négation. Ce n'était pas mon intention...

- Je le sais bien... murmura Zelda en s'essuyant avec nonchalance, honteuse de se dévoiler ainsi et dans une telle situation. Mais je ne peux pas m'en empêcher.

Elle laissa échapper un triste hoquet de sanglot qui tordit les tripes de Link. Oubliant les distances et les classes sociales, il lui prit les mains et les serra avec respect. Ce geste de réconfort laissa la princesse sans voix car elle n'en avait pas l'habitude.

- S'il vous plaît, ne vous comparez pas à moi, la conjura-t-il du fond du cœur. Ne vous laissez pas accabler par la pression et les mauvaises langues.

Link parlait en connaissance de cause puisque lui-même s'était abandonné aux sanglots le jour où la princesse l'avait durement rejeté. La chaleur de ses mains eut l'effet de consoler Zelda et d'arrêter ses pleurs. Qui d'autre que lui pouvait mieux la comprendre ? Leur destin et leurs devoirs étaient les mêmes. Et tous deux s'exposaient chaque jour aux regards critiques et médisants de la cour.

- Merci, Link, le gratifia-t-elle d'un sourire réservé. Je suis soulagée de constater que tu me comprennes...

La princesse souffrait, il le voyait d'autant plus ce jour-là. Certes, Link avait compris que les regards et les critiques de la cour approfondissaient son trouble moral. Mais il sentait qu'il y avait aussi autre chose dont Zelda ne voulait pas parler. Il ne le savait pas, mais c'était le roi en personne. La princesse souffrait de l'absence d'empathie de la part de son père qui ne la comprenait pas.

Peu à peu, l'averse s'atténuait autour d'eux pour ne devenir qu'une bruine légère. Link lâcha les mains de son amie puis se releva pour observer les environs. Ils pourraient bientôt se remettre en route. Tous deux patientèrent encore une dizaine de minutes dans un silence reposant puis ils rejoignirent les deux montures pour revenir au château. Nul besoin de préciser à quel point Impa fut furieuse de les revoir revenir ainsi après avoir bravé son interdiction. Zelda ne manqua pas de lui montrer la photo prise et l'échantillon qu'elle avait récolté. Sa nourrice la sermonna pour cet acte d'imprudence de sa part et la somma de rester tout particulièrement vigilante avec ce qu'elle appelait la corruption. Impa se retourna ensuite vivement vers Link et croisa les bras.

- Je pensais que le Héros était conscient des dangers actuels, dit-elle sèchement. Ton devoir était de retenir la princesse au château, pas de la soutenir dans son projet.

Il préféra détourner le regard et ne pas répondre. Seulement Impa poursuivit sur sa lancée.

- Je suis vraiment en colère, prodige hylien ! s'exclama-t-elle en faisant un pas vers lui. Durant ton absence, un conseil de guerre a eu lieu de toute urgence !

Les yeux du blond s'écarquillèrent. Comment ?

- Une nouvelle armée de créatures maléfiques est apparue ce midi, lui apprit-elle d'une voix ferme. Ils sont des milliers, des lynels auraient même été aperçus. Est-ce que tu te rends compte de la situation ?!

Honteux, Link serra les poings sans oser la regarder. Alors voilà qu'elle était la cause de son mauvais pressentiment le matin même...

- Demain, les trois quarts des chevaliers et soldats du château seront mobilisés pour la bataille ainsi que la quasi-totalité des troupes d'Akkala plus les guerriers des autres peuples. L'heure n'est pas aux caprices de la princesse, Link !

Zelda voulait répliquer qu'elle n'avait fait tout ça que dans le but de faire avancer les recherches et de protéger sa population. La Sheikah ne lui laissa pas le temps de répondre.

- Va immédiatement te reposer, ordonna-t-elle avec autorité au chevalier. J'espère que cela te servira de leçon.

Le visage sombre, Link passa à côté d'elle puis partit en direction de sa chambre sans rien dire. La princesse voulut le rattraper mais Impa l'en défendit formellement.

- Voyez par vous-même. Link est certes votre chevalier servant mais il a aussi ses obligations de capitaine de la garde royale, rajouta la conseillère du roi en adressa un regard dur à sa protégée. Tâchez d'y penser la prochaine fois.

La gorge nouée, Zelda baissa la tête et murmura quelques excuses avant de partir à son tour vers ses appartements, le cœur de nouveau lourd.