Chapitre 8 - Discussion

Sandra courait. Elle ne se souvenait plus de ce qui la poursuivait, mais s'efforçait de mettre le plus de distance possible entre elle et cette chose. Elle accélérait et pourtant le paysage paraissait défiler de moins en moins vite. Elle avait l'impression de faire du surplace. En se retournant, la jeune femme vit les ombres se rapprocher d'elle, jusqu'à s'abattre sur elle.

Une main glaciale l'attrapa à la gorge et la souleva de terre. Ses yeux croisèrent alors le regard de la créature qui la maintenait, un regard de la couleur de la nuit. Sans prévenir, un chien fondit sur le mollet de la goule et le monstre lâcha prise. Sandra tomba au sol et resta pétrifiée devant le spectacle : le petit chien s'acharnait sur la jambe, secouant vigoureusement la tête de gauche à droite. La goule reculait de plus en plus, et quand le chien desserra enfin les mâchoires, elle déguerpit à la vitesse d'un lièvre.

— Et ne reviens plus jamais, ou je t'arracherai la jambe ! cria le petit chien, survolté.

Complètement abasourdie, Sandra fixait l'animal doté de la parole. Est-ce qu'il avait parlé avec la voix de Nathan ou était-ce son imagination qui lui jouait des tours ?

Quelqu'un s'approcha dans son dos et lui tendit la main pour l'aider à se relever. Ce visage...

— Tim ?

Le visage du jeune homme était partiellement recouvert de sang, et ses cheveux blonds, imbibé du liquide pourpre, avaient pris une teinte rougeâtre par endroit.

— Comment ? Qu'est-ce que... Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

— Tu ne te souviens pas ? interrogea le jeune homme, froissé.

Quelque chose se glissa derrière lui. Une étincelle. Une lame passa sur son cou avec un léger tintement, laissant un gigantesque trou béant dans sa gorge. Son corps s'affaissa au sol dans un bruit sourd tandis que la silhouette se dessinait. Il s'agissait d'une femme. Une femme avec un sabre.

— Vous pouvez être le club des cinq, désormais.


***


Sandra se réveilla en sursaut. Son corps était trempé de sueur et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. En scrutant la pièce dans laquelle elle se trouvait, elle comprit qu'elle venait de faire un cauchemar. Malheureusement, la nuit passée, quant à elle, n'en était pas un.

La porte qui menait au balcon était entrouverte, permettant à de généreux rayons de soleil de s'engouffrer à l'intérieur. Une horloge accrochée au mur - l'un des seuls objets de décoration du lieu - affichait neuf heure et quart de ses aiguilles graciles. Sandra regarda son téléphone : ce dernier indiquait six heures. Il fallait croire qu'il existait un décalage horaire entre ce monde et le sien.

Son épaule s'avéra atrocement douloureuse ce matin. La peau autour des points de suture était rouge et gonflée. Aucun signe d'infection n'avait fait son apparition, c'était une bonne nouvelle. Pour peu qu'on puisse se réjouir de quelque chose dans ces circonstances.

Elle se leva tant bien que mal. Elle n'aurait de toute façon plus pu trouver le sommeil après un tel cauchemar. Son corps entier l'élançait, comme s'il était passé sous un rouleau compresseur.

La porte du balcon s'ouvrit en grand et Sydney apparut :

— Bonjour. Tu as bien dormi ?

— Pas vraiment, admit Sandra, encore tourmentée par sa courte nuit.

— Tu veux manger quelque chose ? proposa Sydney.

— Volontiers, je meurs de faim !

Une fois passé le seuil de la chambre pour suivre son hôte, Sandra jeta un coup d'œil en direction du canapé. Ses deux amis dormaient toujours à poings fermés, ce qui n'était pas étonnant à cette heure matinale.

Un sentiment dolent et étouffant la submergea quand elle constata que le bras de Nathan reposait par-dessus le corps frêle de Jessica. Un million de fourmis avaient pris possession de ses veines. Son cœur se serra dans sa cage thoracique. C'était plus affligeant que de recevoir un violent coup dans le plexus solaire.

La vue de la jeune femme se brouilla et elle dut faire un effort surhumain pour retenir ses larmes. Sydney, qui avait discerné son changement d'attitude, passa un bras autour de sa taille pour la sortir de sa torpeur et l'enjoindre à se diriger vers la sortie du minuscule appartement.

Archimède se leva et agita gaiement la queue à la vue de sa maîtresse. Il avait passé toute la nuit à surveiller la porte d'entrée.

— On va aller déjeuner à l'extérieur, ça te va ?

— Oui... Merci.

Sydney esquissa un sourire de soutien. Elle n'avait pas besoin d'en dire davantage.

Le chien se joignit à leur escapade matinale. Après avoir marché quelques rues, les deux femmes entrèrent dans un café. Seules quelques tables étaient occupées par un groupe d'hommes en bleu de travail. Sydney s'avança vers le comptoir pour commander, tandis que Sandra s'installa un peu à l'écart des gens qui la dévisageaient.

La jeune femme ne manqua pas de remarquer que les personnes présentes se retournaient sur le passage de la destructrice, sans pouvoir en cerner la raison. Les locaux n'étaient pas très expressifs et avaient l'air résignés à leur condition peu enviable. Le serveur, un homme jeune et plutôt bien bâti, connaissait de toute évidence Sydney, car ils rigolaient ensemble pendant qu'il s'affairait derrière le bar.

La destructrice revint avec un plateau chargé de deux cafés et de mets semblables à des pancakes. Sandra en engloutit plusieurs en un temps record. Archimède lorgna longuement sur le festin, avant de se coucher sous la table. Il avait compris qu'il ne resterait plus rien pour lui.

— Je n'ai pas de sentiments pour Nathan, confia Sandra à Sydney, qui entamait son petit-déjeuner. Par contre, j'en ai pour Jessica, continua-t-elle après quelques secondes d'hésitation.

— Je comprends mieux, sourit Sydney.

Elle ne semblait pas le moins du monde choquée, ce qui rassura Sandra. Elle aurait pu être mal à l'aise, ne pas comprendre. Sandra ne savait pas qui elle était, l'éducation qu'elle avait reçue. Ni si ce monde acceptait ou pas, moralement, ce genre de relation.

— Nathan aussi en pince pour elle, avoua Sandra. Et avant d'arriver dans ce monde, ce n'était pas du tout réciproque. Elle a toujours repoussé ses avances, et ça me convenait parfaitement.

— C'est le choc émotionnel, l'éclaira Sydney. Elle se rattache à ce qu'elle connaît. Elle cherche du réconfort.

À cette annonce, Sandra se raidit. Ce n'était pas qu'elle ne comprenait pas, c'est qu'elle ne voulait pas comprendre. Le fait de chercher du réconfort était peut-être normal dans ce genre de situation, mais qu'elle aspire à le trouver auprès de Nathan ne lui plaisait guère.

La voyant troublée par ses mots, Sydney changea d'approche :

— Ça ressemble à la trame d'un très mauvais bouquin, votre truc à trois.

— Je sais, soupira Sandra.

— Elle est au courant que tu as des sentiments pour elle ?

— En quelque sorte... Il y a quelques mois, j'avais bu quelques verres et je l'ai embrassée. Ça ne lui a pas plu et elle m'a giflée. Depuis, elle ne me parle presque plus.

Sydney resta silencieuse. Elle réfléchissait. Comment pouvait-on mettre sa vie en danger de la sorte pour rien en retour ? Pour quelqu'un qui n'en n'a que faire de vous ? Elle avait vu Sandra revenir en arrière pour défendre Jessica, au lieu de sauver sa peau comme Nathan l'avait fait. Et pourtant, Jessica s'entichait sans vergogne du dégonflé.

— Ce que tu as fait, cette nuit, c'était... impressionnant. Tenir en respect une goule à mains nues, je n'avais jamais assisté à ça. Pourtant, je me retrouve souvent face à ce genre de situation. Mais le plus fou, c'est d'avoir fait ça pour quelqu'un d'autre. N'importe quelle personne normalement constituée aurait fui.

— Je connais quelqu'un avec qui tu t'entendrais très bien, grommela Sandra.

— Nathan a fait ce que tout le monde fait tout le temps, contra Sydney. Surtout ceux qui viennent de l'ascenseur.

— Tu dis ça alors que tu es venue nous aider. Et tu ne nous connaissais même pas.

— Ce n'est pas la même chose, c'est mon boulot. Tu avais déjà étalé une goule, elles n'étaient que deux et j'étais armée. Je ne me mettrais jamais volontairement en danger, et encore moins par amour.

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