Chapitre 7 - Jalousie
Après que Sandra fut débarrassée de tout ce sang, Sydney lui dégota un sweat qu'elle enfila précautionneusement, histoire de ne pas mettre à mal le travail réalisé sur son épaule. Par chance, les deux femmes étaient de corpulence similaire.
— J'ai un canapé-lit pour deux personnes. La troisième personne peut prendre mon lit, indiqua Sydney à ses invités.
À peine eut-elle fini sa phrase que Nathan se dirigeait déjà vers le canapé pour le déplier. Jessica le suivit sans hésitation. Sandra resta éberluée : donc Nathan et Jessica dormiraient dans le même lit, comme si c'était le choix le plus naturel du monde. Pire, comme si c'était le seul choix possible, puisqu'il n'y avait eu aucune concertation.
C'en était trop, Sandra se rendit dans la chambre telle une furie. Sydney lui emboîta le pas et ferma la porte derrière elle. Sandra lui tournait le dos, soucieuse de ne pas montrer son agacement face à la situation. Un détail si futile n'aurait pas dû lui faire perdre son calme, mais la fatigue et tous les événements étranges de ces dernières heures l'empêchait d'enrayer sa jalousie.
Sydney, qui l'avait observée dans un mutisme parfait jusque-là, s'approcha d'elle :
— Je ne m'y connais pas très bien en relations humaines, mais j'ai comme l'impression que c'est électrique entre vous trois, je me trompe ?
— C'est pas important...
— Nathan, c'est ton ex ?
— Quoi ? Non ! s'offusqua Sandra, mal à l'aise. Ce n'est pas mon ex, c'est mon meilleur ami. J'ai pas trop envie de détailler mes problèmes à une inconnue, désolée.
— Y'a pas de soucis...
Sandra réalisa qu'elle avait été agressive dans sa façon de répondre. Sydney n'avait aucune obligation de les aider. Passer ses nerfs sur elle ne servait à rien, ça ne changerait rien au fait que Nathan profitait allègrement de la situation, annihilant tout ce qu'elle pouvait encore avoir de confiance en lui. Oui, elle avait envie de crier à la trahison, d'envoyer tout valser. Mais cela aurait été ridicule, elle devait se calmer.
Elle commençait à maîtriser sa colère et respira profondément avant de se tourner vers Sydney :
— Excuse-moi, je ne voulais pas te vexer.
— Non, ne t'inquiète pas pour ça. C'est moi qui ne devrais pas me mêler de vos affaires.
Sydney se détourna de son interlocutrice et sortit d'une armoire deux coussins et une couverture qu'elle apporta aux deux autres. Quand elle revint dans la chambre, Sandra était devenue extrêmement blême. La jeune femme dut s'asseoir sur le lit pour ne pas s'effondrer sur le sol :
— Je crois que je ne me sens pas très bien...
— Tu as perdu beaucoup de sang. Prends ça, tu vas en avoir besoin.
Sydney lui tendit une petite bassine avant de partir chercher quelque chose dans la cuisine. Au début, Sandra ne comprit pas pourquoi elle lui avait donné cet objet. Mais rapidement, tout son corps fut parcouru de frissons et son estomac se contracta violemment. Les spasmes devinrent si intenses et douloureux que Sandra rendit tout son contenu gastrique dans la bassine.
Sydney réapparut avec un verre d'eau qu'elle tendit à la jeune femme.
— Comment tu as deviné que j'allais être malade ?
Sans dire un mot, Sydney retroussa la manche droite de son sweat, laissant apparaître un énorme sillon qui marquait son avant-bras du poignet jusqu'au coude. C'était la cicatrice la plus impressionnante que Sandra ait jamais vue. Un long silence suivit cet instant. Les mots semblaient superflus. Sandra comprenait désormais pourquoi Sydney considérait sa blessure comme étant si banale.
— Je vais te laisser te reposer, finit par lâcher Sydney. Tu en as besoin.
— Attends, tu vas dormir où, toi ?
— Je ne vais pas dormir, lui répondit leur hôte. J'ai quelques trucs à régler.
***
Le sous-sol était froid et humide. Dans la pénombre, une ombre s'affairait à déplacer des pots. Chaque pot contenait une plante avec une hampe florale surmontée de multiples fleurs colorées. Il s'agissait d'orchidées. Originaires des forêts tropicales, leur présence saugrenue dans cet endroit immonde avait de quoi faire sourire.
Une main griffue caressa doucement un pétale. Une fois la dizaine de pots en plastique transparent alignés sous les tubes néons, Sunset actionna l'interrupteur. Les orchidées se nourrirent instantanément de cette lumière artificielle, si indispensable à leur survie.
Les tympans du vampire vibrèrent sous l'effet d'une onde sonore émanant de l'étage au-dessus. Des bruits de pas, plus nets cette fois, se firent entendre dans l'escalier. C'était à présent l'odeur, une senteur âcre de transpiration, qui arriva jusqu'à ses narines : une odeur humaine. Sunset se détourna de ses fleurs pour accueillir son invité :
— Rosco, mon ami, lança-t-il en ouvrant les bras.
L'homme s'approcha prudemment. Il n'y voyait rien, ses yeux d'humain ne percevaient que les orchidées colorées sous les néons, et le vampire n'était qu'une forme floue dans la noirceur de la pièce. Néanmoins, Rosco devinait la peau blafarde, le crâne nu et les doigts terminés de griffes du vampire.
— Tu as demandé à me voir ? entama Rosco, impatient.
— Oui, en effet, répondit Sunset en s'avançant d'un pas leste vers son interlocuteur. J'ai une requête à te faire mon cher, une affaire de la plus haute importance, vois-tu...
— C'est par rapport à la destructrice ? s'enquit l'humain qui, malgré le rapprochement du vampire, resta planté devant lui sans sourciller.
— Tu m'as l'air bien informé. En même temps, vu tes attributions, c'est normal. Enfin, passons. Je voulais te voir car j'en ai marre de cette... comment la nommer ? Elle est pire qu'un cafard, résistant aux radiations. Tu en écrases un, il en revient cent.
— Abrège, j'ai envie de rentrer chez moi.
— Comment oses-tu me manquer de respect ? s'énerva le vampire.
Il avait soudainement rapproché sa griffe de la joue de l'humain, qui déglutit difficilement sous le coup de la surprise.
— Ok, pardonne-moi, j'ai eu une longue soirée... Je t'écoute, demande-moi ce que tu veux...
— Je préfère ça, admit Sunset en éloignant son appendice de mort. Tu vois, cette infâme donneuse de leçon, cette nuit, s'est introduite sur mon territoire, pour voler mon gibier, et par-dessus tout, tuer ma femme... Elle a tué Cassie, la pauvre enfant... Je sais que j'ai d'autres femmes, mais c'était ma favorite, ce qui est déjà une immense perte, mais celle-ci portait en son sein mon enfant. Tu sais comment il est difficile, à mon âge, d'encore engendrer une descendance ? Et ces humains, ils me revenaient de plein droit !
Le vampire faisait les cent pas, presque hors de lui. Jamais Rosco ne l'avait vu si nerveux auparavant. Il écouta Sunset s'éterniser en lamentations, sans broncher cette fois.
— Les humains qui viennent de l'ascenseur, ce sont les meilleurs, ils sont bien mieux nourrit que ceux d'ici. Et le dernier, oh ! le dernier, son sang avait un goût de grand cru.
Le vampire ricana et passa sa langue sur ses lèvres en se remémorant son dernier festin.
— Comment cette humaine si insignifiante pourrait se permettre de me priver de dîner et de descendance ? Pas en toute impunité, en tout cas ! C'est pour ça que je t'ai fait venir. Je veux qu'elle souffre, qu'elle endure ce que j'endure. Je veux que tu me livres la personne à qui elle tient le plus.
— Sunset, cette nana, elle ne tient à rien ni à personne...
— Foutaises ! Même les cafards sont doués d'attachement. Suis-la, observe-la, et ramène-moi ce que je te demande !
Rosco soupira bruyamment. Son esprit fouillait ses souvenirs, mais jamais la femme n'avait montré le moindre signe d'affection envers qui que ce soit depuis qu'elle était à Plainfield. Ou alors... peut-être son chien ? Est-ce qu'un simple animal pourrait contenter le vampire ? Rien n'était moins sûre. Et puis, il n'allait pas enlever le chien de la destructrice, quand même ? Ce foutu cabot, même vieux, était encore une sale bête capable de faire des dégâts. Non, il devait trouver quelqu'un. Quelqu'un qui faisait partie de sa vie. Il allait bien trouver de quoi contenter le vampire, il en allait de sa tranquillité. Peut-être même de sa survie.
En tournant les talons pour rejoindre enfin la sortie et s'extirper de l'antre de la bête, l'étoile dorée qu'il portait sur sa poitrine étincela dans l'obscurité.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top