Chapitre 6 - Sydney

Le long du trajet, l'inconnue se présenta. Elle s'appelait Sydney. C'était elle qui avait prévenu la police tout à l'heure. Elle guettait sur un toit quand elle avait entendu un grand bruit – sûrement la vitre que Sandra avait brisée – ce qui avait attiré son attention. Elle avait alors assisté à toute la scène.

Si elle se trouvait là-bas, c'était parce que tuer des goules, c'était en quelque sorte son boulot. Pour chaque griffe de goule occise, la police lui versait une certaine somme d'argent. Elle n'était pas la seule à faire cela, toutes les villes employaient des gens comme elle pour éviter que les goules n'outrepassent les règles mises en place et qu'elles se tiennent à carreau. Ces défenseurs de la vie humaine se nommaient les destructeurs. Étant la seule femme à exercer ce métier, Sydney était appelée « la destructrice ».

Les trois amis avaient écouté leur sauveuse parler sans l'interrompre. La tension était palpable dans le véhicule, Sandra ne désirait pas mettre le feu aux poudres avec une remarque sarcastique. Si Jessica lui en voulait sans raison valable, autant faire profil bas. Elle savait que c'était la seule personne sur cette terre - s'ils étaient bien sur terre, ce qui restait à démontrer - face à laquelle elle n'aurait jamais le dernier mot.

Chacun ruminait leurs péripéties dans son coin. Par chance, la conductrice parlait sans rien attendre d'eux, parce que sans cela, sans son geste envers eux pour les aider et sans sa voix rassurante qui emplissait la voiture, il y régnerait un silence de mort. Et ils n'avaient pas envie de penser à la mort. Si ne penser à rien était possible, les trois amis en abuseraient à cet instant.

Arrivés à l'immeuble de leur sauveuse, qui était dans le même état que le restant de la ville, Sydney les emmena au dernier étage où se situait son appartement. Sandra nota l'absence d'ascenseur, comme elle leur avait stipulé.

Quand elle ouvrit sa porte, un chien de taille moyenne bondit dehors, joyeux. Nathan recula instinctivement :

— C'est un pitbull !?

Le chien, le poil gris clair et avec un museau très large, ressemblait en effet à un pitbull. Sydney fit rentrer l'animal :

— Il n'est pas méchant. Il s'appelle Archimède. Si j'étais toi, je me méfierais plus des chiens dehors que de lui.

— Ne fais pas ta chochotte, le taquina Sandra. Il a peur des chiens depuis tout petit, ajouta-t-elle à l'attention de leur hôte. Le caniche du voisin l'a mordu quand il avait cinq ans.

— Et qu'est-ce qu'ils ont les chiens dehors ? s'enquit Nathan, très inquiet de la remarque de Sydney.

— On les utilise pour surveiller la clôture, pour empêcher que les goules ne passent. Ils deviennent fous à force de rester attachés à longueur de journée. Quand il y en a un qui s'échappe, cela arrive qu'il s'en prenne aux humains. Mais ici vous n'avez rien à craindre, les chiens n'ouvrent pas les portes.

Nathan déglutit difficilement, en sueur. Il inspira profondément avant de les suivre à l'intérieur de l'appartement. Apparemment, il valait mieux être dedans que dehors. Le chien, quant à lui, semblait très content de voir des invités.

Le logement était petit et ne contenait que trois pièces : un espace salon-cuisine-salle à manger dans lequel on entrait directement, et plus loin, une chambre à laquelle était accolée une salle d'eau. Il y avait aussi un petit balcon. Les murs étaient bruts et nus, ce qui, dans le monde des trois amis, serait perçu comme une tendance déco, mais qui ici trahissait la misère. Le mobilier, très sommaire, était composé d'une simple table avec deux chaises, d'une petite cuisine et d'un canapé.

—Il ne faudrait pas aller à l'hôpital pour sa blessure ? demanda Jessica, très préoccupée par l'état de l'épaule de son amie.

— Désolé, il n'y a pas d'hôpital à Plainfield. Il y a bien quelques personnes qui pourraient la recoudre, mais à cette heure-ci, elles n'apprécieraient pas qu'on les dérange pour si peu.

— Comment ça, pour si peu ? Mais tout le deltoïde est atteint jusqu'à la clavicule ! s'énerva Jessica.

Troublée par le soudain emportement de Jessica, Sydney, le regard fuyant, ajouta :

— Ce n'est pas si grave. On peut juste désinfecter, sauf si vous avez une meilleure solution. Je n'ai pas d'agrafeuse ni de colle, mais j'ai un kit de suture, si le cœur vous en dit.

— Y'a pas un de vous deux qui sait suturer ? les interrogea Sandra avec espoir.

En tant que futur médecin, peut-être que l'un des deux avait déjà tenté l'expérience, même si les travaux pratiques ne commençaient que l'année prochaine. Ou que l'un des deux faisait de la couture récréative.

Jessica croisa les bras sur sa poitrine avant de prendre la parole :

— Si. J'ai pris de l'avance pour l'année prochaine, je me suis entraînée sur des souris. Ça aide d'avoir un père chirurgien. Mais je suis pas du tout sûre de pouvoir le faire... Enfin, sur une vraie personne, je veux dire...

— Des souris ? C'est mieux que rien.

Jessica n'était pas convaincue d'y parvenir. Du moins pas ce soir, après tout ce stress. Ses compétences n'étaient pas certaines, et avec la fatigue et l'alcool, elle ne se sentait pas à la hauteur. Mais devant l'air désespéré de Sandra, elle céda peu à peu :

— D'accord, mais alors vous quittez la pièce, je ne peux pas me concentrer si on me regarde, annonça Jessica à Nathan et Sydney.

Sydney lui fournit le désinfectant, qui consistait en une solution d'hypochlorite de sodium, et le set de suture, avant de se soumettre à sa requête et de partir s'isoler sur le balcon avec Nathan. Ce dernier en profita pour fumer une cigarette, qu'il tenait péniblement entre ses doigts tremblants.

Sandra s'assit sur une chaise. Son amie posa tout le matériel devant elle, sur la table :

— Il faut que tu retires ton haut.

Les joues de Sandra s'empourprèrent instantanément. Il faisait chaud, trop chaud.

— Dépêche-toi, ne fais pas l'enfant ! s'impatienta-t-elle.

Son épaule commençait à être assez douloureuse et elle dut serrer les dents pour enlever sa blouse. Se retrouver ainsi en sous-vêtements devant Jessica la mettait extrêmement mal à l'aise.

Les mains hésitantes, Jessica badigeonna la large plaie de désinfectant. La solution d'hypochlorite, contrairement à l'alcool, ne causa que de légers picotements. L'air fébrile, l'apprentie médecin se saisit de l'aiguille chirurgicale et du fil et commença son œuvre après avoir enfilé des gants à usage unique en latex. Sandra pouvait sentir l'aiguille lui rentrer dans la chair, et sa blessure devenait de plus en plus lancinante, au point que ses muscles se contractaient par réflexe sous les assauts de l'instrument de torture.

— Ne bouge pas, sinon je ne vais pas y arriver !

— Je fais ce que je peux...

Jessica, concentrée, se rapprocha encore plus de Sandra, jusqu'à s'appuyer contre elle pour stabiliser ses mains. Le cœur de Sandra s'accéléra perceptiblement.

Pense à autre chose... Pense à autre chose... Pi est égal à 3,141592... 6... 5? Ah ! Je sais plus, se tortura Sandra.

Elle ne sentait même plus la douleur depuis que la peau de Jessica effleurait la sienne. C'était comme si le temps s'était arrêté, suspendu pour l'éternité. Mais le glas de l'éternité n'était plus très loin.

— Voilà, c'est fini, lança Jessica avec une expression victorieuse sur le visage.

Sandra sortit de ses songes au moment où ce corps qu'elle convoitait tant s'éloigna. En regardant son épaule, elle se dit que le résultat était bluffant pour une première fois.

Elle saisit sa blouse et voulu l'enfiler, mais son amie l'arrêta dans son élan :

— Attends, tu vas faire sauter les points ! En plus, elle est pleine de sang.

Il n'y avait pas que le vêtement qui était recouvert de sang, Sandra en avait partout. À quelques endroits, le liquide rouge avait séché, mais au niveau du bras, il était encore poisseux. La quantité de liquide écarlate que la jeune femme avait perdu était impressionnante, mais ce n'était pas assez pour s'avérer dangereux.

En médecine, on apprenait à reconnaître une blessure potentiellement mortelle d'une blessure bénigne. Ce qui était le cas ici : aucune artère n'avait été touchée, le sang s'était écoulé lentement. Elle ne comprenait pas l'inquiétude de Jessica, puisqu'elle-même se sentait bien.

Après réflexion, elle se sentait honteuse de ne pas avoir camouflé sa blessure alors que Tim avait été égorgé... Ce n'était qu'une égratignure. Sa vue se brouilla et elle détourna les yeux pour masquer sa peine. Occulté sa tristesse pour paraître plus forte était sa seule préoccupation devant Jessica.

— Je vais demander si tu peux te laver et si on peut te trouver autre chose à te mettre.

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