Chapitre 5 - La mystérieuse sauveuse
La femme au sabre se baissa tranquillement sur le cadavre de Cassie. Avec la lame aiguisée, elle trancha la plus longue griffe du monstre et la rangea dans une petite sacoche. Son arme retrouva le fourreau dans son dos en un geste souple et précis.
La voiture de police s'immobilisa à côté d'elle et deux hommes en sortirent. L'un était jeune et élancé et l'autre, le conducteur, était plus âgé et avec un léger embonpoint.
— Qu'est-ce que vous foutez ici ? aboya le policier le plus corpulent.
Sandra et Jessica les fixèrent sans être capables de formuler la moindre réponse, médusées. Nathan sortit d'une ruelle pour les rejoindre. L'agent le plus jeune avait dégainé son arme de service et scrutait les environs, concentré comme si sa vie en dépendait.
— À quoi vous jouez ? Vous voulez mourir ? vociféra-t-il. Combien de goules ? continua-t-il à l'attention de l'inconnue.
— Deux, lui répondit-elle calmement.
— Ah, ils ont eu de la chance ! Elles sont à l'est. Johnny a perdu des vaches.
— Ce n'est pas de la chance, cela relève plutôt du miracle, conclut la femme.
— Allez, montez jeunes gens, les enjoignit le policier, alors que la femme au sabre s'éloignait dans la pénombre.
***
Le trajet se fit en silence. Le 4x4 quitta les immeubles insalubres et se retrouva dans le désert. Il y avait des dunes de sable à perte de vue. L'immensité des étendues désertiques et la froideur de la nuit arrachèrent un frisson aux occupants du véhicule.
Une demi-heure plus tard, ils quittèrent les secousses du sable pour emprunter une route au milieu de vastes champs. Des cultures de blé et de maïs s'étendaient sur des surfaces infinies. Le sol entre les plantations était si aride que le tout-terrain soulevait des volutes de poussière sur son passage. La terre durcie se craquelait sous l'effet de la sécheresse. Les champs devaient être irrigués artificiellement pour être si verdoyants.
Ils passèrent à côté d'une imposante croix en bois embrasée par des flammes ardentes et entrèrent dans une petite ville. Des clôtures surmontées de fil de fer barbelé l'entouraient, à l'exception des différents accès. D'énormes chiens noirs ressemblant au rottweiler, mais sans les tâches brun clair, grognèrent et aboyèrent bruyamment au passage du véhicule. Ils étaient attachés à des poteaux tout le long de la clôture. Nathan frissonna à la vue des molosses dans la nuit.
Le conducteur, qui portait un insigne de shérif, gara la voiture le long de la chaussée et se tourna vers les trois amis entassés sur la banquette arrière :
— Bon, les jeunes, si jamais on vous surprend une nouvelle fois en territoire goule, on vous y laissera, comprit ?
— Mais attendez, et comment on fait pour rentrer chez nous ? interrogea Jessica.
— Y'a écrit taxi sur la carrosserie, peut-être ?
— Et Tim ? insista-t-elle, éludant leur réponse.
— Notre ami... Il est mort... Tué par ces choses... expliqua Sandra devant l'incompréhension des deux agents.
— Tué par les goules ? Ben c'est normal, c'est pas un terrain de jeu là-bas ! Vous êtes pas finis ou quoi ? La prochaine fois que vous forcez sur la tequila, ne faites pas de pari stupide ! Vous seriez tous morts si on ne nous avait pas prévenus. Allez, oust ! Tout le monde descend ! N'oubliez pas, la prochaine fois, il n'y aura personne pour vous aider. Et que ça vous serve de leçon !
Les trois amis quittèrent le véhicule et restèrent debout sur le trottoir. Le 4x4 démarra en trombe et le faisceau des phares disparut rapidement dans la nuit. Cette ville n'était pas en meilleur état que la précédente : des détritus jonchaient le sol, les façades étaient sales et abîmées. Les fenêtres cassées avaient été remplacées par de simples planches de bois. Plusieurs personnes dormaient à même le sol le long des bâtiments. Les rares âmes qui arpentaient les rues avaient le visage usé et portaient des vêtements de travail troués et tâchés. Jamais les trois amis n'avaient côtoyé une telle misère.
Sandra sortit son smartphone de sa poche pour regarder l'heure. Il indiquait 3 h 40. Nathan l'imita et fixa son écran. Un symbole en haut à gauche informait l'utilisateur que le signal ne passait pas. En fait, aucun des trois téléphones n'avait de réseau.
— Il faut qu'on retourne là-bas, entama Jessica. Il... Il s'est passé quelque chose quand on a joué à ce jeu. Ce monde... C'est comme si la légende était vraie. C'est surréaliste !
— Ça n'a aucun sens, contesta Sandra. C'est juste une histoire pour faire peur, ça n'a rien de réel.
— Et comment tu expliques tout ça, alors ? s'emporta Jessica. Où est-ce qu'on est ? On doit retourner là-bas, reprendre l'ascenseur !
— Avec ces créatures, c'est impossible. On ne peut pas y retourner.
— Tout ça c'est de ta faute ! l'agressa son amie.
— Quoi ? Mais c'est une blague ! s'offusqua Sandra.
— T'as laissé l'ascenseur repartir !
— J'aurais même pas dû venir à cette soirée ! Ce jeu, c'était pas mon idée ! protesta-elle avec véhémence.
— Et pourquoi tu as suivi alors, hein ? On se le demande ! grommela Jessica. Et qu'est-ce qu'on va dire aux parents de Tim ?
— On va déjà essayer de survivre avant de penser à ça, OK ? intervint Nathan.
— Ah oui, ça pour survivre, tu es très doué ! explosa Sandra.
— Qu'est-ce que tu sous-entends ?
— Que ton numéro d'Usain Bolt tout à l'heure était vachement impressionnant ! Impressionnant de virilité ! ironisa sa meilleure amie.
— Putain, Sandra, on était poursuivis par ces choses, j'ai couru pour sauver ma peau !
— Ta peau, c'est bien ce que je dis !
— Calmez-vous ! ordonna Jessica.
— Lâchez-moi tous les deux, leur intima Sandra en s'éloignant de quelques mètres pour recouvrer une certaine contenance.
Un tout-terrain ralentit et s'arrêta à sa hauteur. La conductrice baissa la vitre. C'était la femme de tout à l'heure, qui leur avait probablement sauvé la vie. Sandra put désormais bien la détailler : elle avait de longs cheveux noirs et des yeux vert émeraude. Elle devait avoir la trentaine, voire peut-être un peu plus, car le charme de la maturité se dessinait sur ses traits fins.
— Mauvaise soirée ? demanda la conductrice.
— On peut dire ça comme ça. Vous savez où on pourrait trouver un ascenseur, par hasard ?
— Un ascenseur ? Il n'y en a pas à Plainfield. Le plus proche que je connaisse, c'est celui près de là où je vous ai trouvés, lui répondit la femme. Pourquoi vous cherchez un ascenseur ?
— Vous ne me croiriez pas si je vous le disais, répondit Sandra.
— Essaye quand même, répliqua-t-elle, un sourire amusé dessiné sur les lèvres.
— C'est pour rentrer chez nous, intervint Jessica.
— On vient d'un autre monde, avoua enfin Sandra devant l'insistance de la femme. On voudrait un ascenseur pour inverser le rituel.
— D'accord... Mais ça va être compliqué, leur répondit la conductrice.
— Vous ne nous croyez pas fous ? s'étonna Sandra.
— Pas vraiment. J'ai déjà vu d'autres personnes sortir de l'ascenseur avant vous. Je ne sais ni comment, ni pourquoi, ni d'où elles pouvaient venir. Les goules aussi l'ont remarqué. Vous avez de la chance, d'habitude personne ne survit.
— Notre ami, il s'est fait attaquer. Il... Il est mort, indiqua Sandra.
À l'évocation de cet aveu, un étau se resserra dans sa poitrine. Une boule se forma dans sa gorge, écrasant fictivement son larynx et étouffant ses mots. L'expérience qu'ils venaient de vivre était encore confuse de leurs têtes. Les événements s'étaient produits si vite, si violemment, que Sandra peinait à réaliser que Tim était bel et bien mort.
— Et la police, ils ne peuvent pas nous aider ? s'enquit Jessica.
— Ils ne vous croiraient pas.
Les trois amis se turent à ces mots. Il était de toute façon évident que la police n'avait ni l'intention de les écouter - et donc encore moins de les prendre au sérieux -, ni l'intention de les aider. Ils étaient seuls, perdus, sans aucune ressource. Ils ne savaient même pas exactement où ils étaient. Ce monde était si différent de ce qu'ils connaissaient. En puis il y avait ces monstres horribles, ces goules, qui avaient massacré Tim devant leurs yeux.
L'inconnue avait dû se rendre compte de leur inquiétude car elle poursuivit :
— Vous avez l'air vraiment paumés. En plus, vous êtes trop bien habillés pour cette ville. Si les goules n'ont pas eu raison de vous, les voleurs pourraient achever le travail. J'ai pas beaucoup de place, mais si ça vous dit, je peux vous héberger pour la nuit. En plus, il vaudrait mieux soigner cette vilaine blessure.
Elle avait désigné avec son menton l'épaule droite de Sandra. Une profonde entaille de presque dix centimètres s'enfonçait dans le muscle de l'épaule à travers le tissu de sa blouse. Sandra n'avait rien senti, et n'avait même pas réalisé qu'un liquide chaud ruisselait le long de son bras jusqu'à sa main.
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